Réf. : CE, 10° et 9° ch.-r., 22 décembre 2020, n° 428890, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A07464BA)
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par Laurent Domingo, Rapporteur public au Conseil d’État
le 16 Février 2021
Un courrier, adressé à la direction générale des finances publiques, par lequel le mandataire liquidateur d'une société conteste, sur le fondement de l'article R. 624-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6267I3I), la créance fiscale déclarée par le comptable au motif, d'une part, que cette créance aurait été prescrite et, d'autre part, que la valeur de la saisie immobilière effectuée par les services fiscaux n'aurait pas été déduite de son montant, doit être regardé comme une contestation relative au recouvrement au sens de l'article L. 281 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8564LHN), alors même qu'il s'inscrit dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 22 décembre 2020.
Lexbase Fiscal vous propose les conclusions du Rapporteur public, Laurent Domingo.
Le pourvoi de Me Vincent de C., mandataire liquidateur de la SARL Plein Soleil, pose une question d’articulation entre les règles de la liquidation judiciaire et celles du recouvrement des créances fiscales.
Cette société Plein Soleil a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 27 février 2009 du tribunal de commerce de Gap. Après publication du jugement, le comptable des impôts, par un acte du 6 avril 2009 pris pour l’application de l’article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L8803LQ4) auquel renvoie l’article L. 641-3 (N° Lexbase : L8808LQB), a déclaré auprès de Me de C. la créance du Trésor public, d’un montant de 177 382 euros correspondant à des rappels de TVA. Deux ans plus tard, le 21 avril 2011, Me de C. a contesté cette créance, en soulevant la prescription de l’action en recouvrement et en discutant de sa quotité. Le comptable des impôts a maintenu sa position, dès le 4 mai 2011, et le différend a été porté devant le juge-commissaire, lequel, par une ordonnance du 17 octobre 2012, s’est déclaré incompétent pour en connaître, renvoyant les parties devant le juge fiscal compétent, en l’espèce le tribunal administratif de Marseille.
Il a eu raison, au regard de la ligne de partage des compétences entre le juge de la procédure collective, compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective, et le juge du recouvrement, compétent pour connaître des contestations qui portent sur l’existence de l’obligation de payer, le montant de la dette et l’exigibilité de la somme réclamée (v. T. confl., 13 avril 2015, MM. C. c/ Ministère des Finances et des Compte Publics, n° 3988 N° Lexbase : A9546NGN, RJF, 2005, n° 627, Dr. fisc. n° 25/2015 comm. 421, concl. B. Dacosta ; CE, 9° et 10° ch.-r., 19 juin 2019, n° 412794 et n° 415883, mentionnés aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8062ZEC ; ce même partage de compétence s’applique lorsque les créances déclarées par le comptable public ne sont pas admises, v. CE, 9° et 10° ch.-r., 20 novembre 2017, n° 396637, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7461WZD).
Par un jugement du 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Marseille a déchargé la société de l’obligation de payer la créance en litige, au motif de la prescription de l’action en recouvrement. En appel, la cour administrative d’appel de Marseille [1], par un arrêt du 22 janvier 2019, a infirmé cette solution et remis à la charge de la société l’obligation de payer sa dette fiscale, en jugeant que le liquidateur judiciaire n’avait pas formé de réclamation préalable avant d’introduire son recours contentieux.
Pour ce faire, la cour a jugé que la lettre du 21 avril 2011 par laquelle Me de C. a avisé le comptable de ce qu’il contestait la créance pour son montant et au motif de la prescription ne pouvait être regardée comme une contestation relative au recouvrement au sens de l’article L. 281 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8564LHN). Elle a seulement regardé cette lettre comme une réponse du liquidateur dans le cadre de la procédure de vérification des créances, prise sur le fondement de l’article R. 624‑1 du Code de commerce, applicable en vertu de l’article R. 641-28 (N° Lexbase : L1056HZ7).
Le pourvoi y voit une erreur de droit et une erreur de qualification juridique des faits. Ces moyens nous apparaissent fondés.
En premier lieu, la déclaration des créances fiscales par le comptable des impôts vaut acte de poursuite. Vous l’avez jugé dans des états antérieurs de la législation sur la liquidation (CE, Contentieux, 5 décembre 1979, n° 1777, Société Technique des appareils centrifuges industriels N° Lexbase : A2257AKS, RJF, 2/80, n° 173, Droit fiscal 1980, n° 9, comm. 484 ; CE Contentieux, 20 mars 1991, n° 76959, Texier N° Lexbase : A9329AQL, RJF, 1991, n° 684, Droit fiscal, 1991, n° 50, comm. 2449, concl. Ph. Martin). Cette jurisprudence est toujours valable dans l’état actuel du droit des procédures collectives. La cour de cassation l’a jugé (Cass. com., 8 mars 1994, Florent, n° 695, RJF, 1/95, n° 109), vous l’avez implicitement mais nécessairement admis en jugeant que la déclaration de créance est interruptive de la prescription (19 juin 2019, M. D., préc.) et c’est ce du reste ce qu’indique dorénavant explicitement l’article L. 622-25-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7238IZ4) (« La déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuites »), issu de l’article 28 de l’ordonnance n° 2014-236, du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, applicable aux procédures ouvertes à compter du 1er juillet 2014.
En second lieu, l’acte par lequel le liquidateur « discute » – c’est la terminologie du code de commerce – la créance déclarée par le comptable des impôts constitue une réclamation au sens des articles L. 281 (N° Lexbase : L8564LHN) et R*281-1 (N° Lexbase : L7998LM8) du LPF dès lors qu’elle se fonde sur l’un des motifs d’opposition relevant du juge fiscal que sont l'obligation au paiement, le montant de la dette et l'exigibilité de la somme réclamée. Vous l’avez déjà admis à propos de la lettre par laquelle un syndic à la liquidation de biens conteste la production par l'administration entre ses mains d'une créance fiscale au motif qu’elle incluait, à tort selon le demandeur, des pénalités (CE, 7° et 9° ssr., 30 octobre 1989, n° 70753, Gillibert N° Lexbase : A1447AQN, RJF, 1/1990, n° 96, Droit fiscal 1991, n° 50, comm. 2450). Dans le cadre de la clarification opérée par le Tribunal des conflits par la décision précitée « Martini » du 13 avril 2015, selon laquelle le juge fiscal du recouvrement est compétent dans la mesure où la contestation n’est pas relative à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective, mais intéresse celles du recouvrement de l’impôt, cette solution doit être confirmée. Elle doit l’être alors même que le liquidateur, comme en l’espèce, formule sa contestation sur le fondement des dispositions du code de commerce qui lui reconnaissent cette faculté, soit les articles L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) et R. 624-1 (N° Lexbase : L6267I3I). Ces dispositions ne sont néanmoins pas opposables au comptable public, qui n’est soumis qu’au LPF pour répondre à la réclamation dont il est ainsi saisi. Notamment, si le code de commerce impartit au débiteur un délai de 30 jours pour répondre au liquidateur judiciaire, c’est bien le délai de deux mois de l’article R. 281-4 du LPF qui s’applique à la réponse du comptable public.
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille, qui s’est fondé sur les dispositions du code de commerce appliquées par le liquidateur pour en déduire qu’il n’avait pas formé une réclamation au sens de l’article R. 281-1 du LPF est donc entaché tout à la fois d’une erreur de droit et d’une erreur de qualification juridique des faits. La solution de l’arrêt, qui revient à considérer que la lettre du liquidateur relève de la procédure de liquidation et non de celle du recouvrement de la créance fiscale est au demeurant contradictoire avec la reconnaissance, par laquelle cet arrêt commence, de la compétence du juge administratif de l’impôt pour connaître du litige.
Nous vous proposons donc de casser cet arrêt et de renvoyer l’affaire à la cour administrative d’appel de Marseille, qui pourra, si les pièces du dossier le lui permettent après renvoi, s’interroger sur l’application du délai raisonnable de contestation, applicable à la réclamation en matière de recouvrement en vertu de votre décision de « Section Min. c/ Amar » (CE, Contentieux, 31 mars 2017, n° 389842, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0457UT4, rec. p. 105, RJF, 2016 n° 616 concl. B. Bohnert C616, chron. A. Iljic).
Lire en ce sens, sur cet arrêt, T. Massart, Le principe de sécurité juridique dans le butoir, Lexbase Fiscal, mai 2017, n° 697 (N° Lexbase : N8042BWR). |
Par ces moyens nous concluons annulation de l’arrêt, au renvoi de l’affaire devant la CAA de Marseille et à ce que l’État verse une somme de 3 000 euros à Me de C. au titre des frais exposés.
[1] Qui vous avez initialement transmis le dossier (CAA Marseille, 26 mai 2016, n° 14MA04115 N° Lexbase : A2819RRT), y voyant à tort un litige né d’un renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire, alors qu’il s’agit d’un contentieux de recouvrement relevant de la compétence du juge administratif. Vous lui avez donc renvoyé ce qui était bien un appel et non un pourvoi en cassation (CE 10° ch., 14 décembre 2016, n° 400265, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2732SSY).
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