La lettre juridique n°488 du 7 juin 2012 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Accès des syndicats à l'intranet de l'entreprise : principe d'égalité et limites conventionnelles

Réf. : Cass. soc., 23 mai 2012, n° 11-14.930, FS-P+B (N° Lexbase : A0716IMH)

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N2293BT4

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Juin 2012

Si le législateur reconnaît de longue date aux syndicats le droit de communiquer au sein de l'entreprise, il n'a guère évolué quant aux modalités pratiques de cette communication. A l'ère du "tout numérique", le Code du travail se borne à renvoyer à un accord d'entreprise le soin d'organiser l'accès à l'intranet ou à la messagerie électronique de l'entreprise. Lorsqu'un tel accord est conclu, il ne saurait réserver l'usage des technologies de l'information et de la communication (TIC) aux seuls syndicats représentatifs dans l'entreprise. Le principe d'égalité de traitement s'y oppose, ainsi que le confirme la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 mai 2012, où était en cause un accord qui distinguait moins entre les organisations syndicales représentatives et celles qui ne l'étaient pas, qu'entre syndicats représentatifs dans l'entreprise et dans les établissements. Cette décision est aussi l'occasion pour la Chambre sociale de rappeler qu'un syndicat bénéficiaire d'un tel accord se doit de respecter les limites qu'il impose, au risque d'être privé des prérogatives qu'il institue.
Résumé

Les facilités prévues par une convention ou un accord collectif permettant de rendre mutuellement accessibles, sous forme de "lien", les sites syndicaux mis en place sur l'intranet de l'entreprise ne peuvent, sans porter atteinte au principe d'égalité, être réservées aux seuls syndicats représentatifs au niveau de l'entreprise dès lors que l'affichage et la diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise sont liés, en vertu de la loi, à la constitution par les organisations syndicales d'une section syndicale, laquelle n'est pas subordonnée à une condition de représentativité. Doit toutefois être privé de l'accès à ces facilités, le syndicat constitué au niveau d'un établissement, ayant fait apparaître sur le site qui lui était affecté, en méconnaissance des accords collectifs applicables, une dénomination distincte de celle fixée par ses statuts et de nature à faire naître chez les salariés une croyance erronée dans son champ d'application et dans sa représentativité.

Observations

I - Les syndicats bénéficiaires d'un accord relatif aux TIC

Les exigences légales. Dépourvue de personnalité juridique, la section syndicale est pourtant dotée, en application du Code du travail, d'un représentant (C. trav., art. L. 2142-1-1 N° Lexbase : L6225ISD) et de diverses prérogatives, qu'il s'agisse de la collecte des cotisations syndicales (C. trav., art. L. 2142-2 N° Lexbase : L2159H9T) ou encore de l'affichage et de la diffusion des communications syndicales (C. trav., art. L. 2142-3 N° Lexbase : L2161H9W et s.). Sans doute est-il juridiquement plus exact de dire, à l'instar de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, que ces prérogatives sont liées, en vertu de la loi, à la constitution par les organisations syndicales d'une section syndicale (1). Il importe à cet égard de rappeler que, depuis la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale (loi n° 2008-789 N° Lexbase : L7392IAZ), la constitution d'une section syndicale n'est plus réservée aux seuls syndicats représentatifs (C. trav., art. L. 2142-1).

S'agissant de l'affichage et de la diffusion des communications syndicales qui, seuls, retiendront ici notre attention, on est tenté de dire que le Code du travail en a une conception quelque peu anachronique. En effet, à l'ère du "tout numérique", le législateur n'a pas imposé, en la matière, l'accès aux technologies de l'information et de la communication. L'article L. 2142-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2166H94) renvoie à un accord d'entreprise la possibilité d'autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. On l'aura compris, faute de stipulations conventionnelles, la communication syndicale reste limitée au bon vieux support papier. Ainsi que l'a pertinemment souligné un auteur, "en matière d'accord TIC, c'est donc l'employeur qui décide : l'accès aux TIC internes ne fait l'objet d'aucune obligation de négocier, son simple silence et a fortiori son refus de signer vaut refus d'accès" (2). Cela étant, dès lors qu'un accord de cette nature est signé, à quel(s) syndicat(s) doit-il être appliqué ?

Les précisions jurisprudentielles. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, "les facilités prévues par une convention ou un accord collectif permettant de rendre mutuellement accessibles, sous forme de "lien", les sites syndicaux mis en place sur l'intranet de l'entreprise ne peuvent, sans porter atteinte au principe d'égalité, être réservées aux seuls syndicats représentatifs au niveau de l'entreprise dès lors que l'affichage et la diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise sont liés, en vertu des articles L. 2142-3 à L. 2142-7 (N° Lexbase : L2168H98) du Code du travail, à la constitution par les organisations syndicales d'une section syndicale, laquelle n'est pas subordonnée à une condition de représentativité".

Ce faisant, la Cour de cassation reprend une solution qu'elle avait énoncée dans un arrêt du 12 septembre 2011 (3), puis confirmée dans une décision du 11 janvier 2012 (4). Le fondement reste, dans tous les cas, le même, à savoir le principe d'égalité de traitement. ? Nous persistons à penser qu'il n'était pas nécessaire d'en passer par là pour aboutir à semblable solution (5). C'est la loi elle-même qui commande que l'accès aux TIC aux fins de faciliter les communications syndicales ne soit pas réservé aux syndicats représentatifs, étant observé que le droit de procéder à la diffusion de communications syndicales est simplement lié à la constitution d'une section syndicale. Sans doute l'utilisation d'intranet dépend-elle d'un accord collectif. Mais les bénéficiaires de cet accord, auquel renvoie expressément la loi, sont en quelque sorte déterminés par celle-ci. On ajoutera que la norme conventionnelle n'institue pas un avantage nouveau, elle se contente d'aménager un droit reconnu par la loi. C'est ce qui permet de concilier les arrêts précités avec l'affirmation selon laquelle "ne méconnaît pas le principe constitutionnel d'égalité, le dispositif d'un accord collectif plus favorable que la loi qui subordonne le bénéfice d'avantages à une condition de représentativité" (6).

Remarquons qu'en l'espèce, l'accord collectif distinguait moins entre les syndicats représentatifs et ceux qui ne l'étaient pas, qu'entre syndicats représentatifs au niveau de l'entreprise et syndicats représentatifs au niveau des établissements. Ainsi que nous le verrons plus avant, était en cause la possibilité d'insérer des "liens" entre les sites syndicaux centraux et les sites syndicaux des établissements de l'entreprise. L'accord réservait l'insertion des liens aux seules organisations syndicales représentatives au niveau de l'entreprise. C'est donc cette stipulation qui est condamnée par la Cour de cassation pour les raisons évoquées ci-dessus. Compréhensible, la sanction reste sévère à l'encontre d'un accord conclu antérieurement à 2008, dont on peut penser qu'il se bornait à organiser de façon très concrète l'insertion de ces "liens" internet. On ajoutera qu'il est curieux qu'un syndicat ayant pour champ d'action statutaire un simple et unique établissement, puisse communiquer à l'extérieur de ce même établissement. Gageons que les parties à l'accord en cause sauront renégocier celui-ci afin d'éviter l'écueil mis au jour par la Cour de cassation.

II - Les limites apportées aux modalités d'accès aux TIC

Prévisions légales et autonomie des partenaires sociaux. L'alinéa 2 de l'article L. 2142-6 du Code du travail précise que l'accord d'entreprise autorisant l'accès aux TIC "définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message". Le législateur exige ainsi des parties à l'accord collectif qu'elles définissent les modalités d'accès aux TIC ; ce qui est, somme toute, normal et, sans doute, nécessaire. C'est ce qui avait été fait dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.

En l'espèce, sur le fondement des stipulations de l'accord du 23 juin 2000 sur la représentation du personnel et la concertation sociale conclu au sein de la société anonyme R., complété par la charte du 29 mai 2002 portant sur les conditions d'utilisation de l'intranet R. par les institutions représentatives du personnel conclu au sein de l'établissement de Guyancourt ainsi que par la charte du 2 février 2005 ayant le même objet et conclu au niveau de l'entreprise, le "Syndicat Sud R. Guyancourt-Aubevoye", reconnu représentatif au niveau de l'établissement Guyancourt-Aubevoye, s'était vu affecter un site intranet. La direction avait, par la suite, refusé de rendre accessible ce site aux salariés aux motifs, d'une part, que la dénomination du syndicat y figurant, "Syndicat Sud R.", n'était pas identique à sa dénomination statutaire et, d'autre part, que le syndicat avait inséré sur le site des liens permettant d'accéder à des sites syndicaux d'autres établissements en méconnaissance des articles 5 des chartes du 29 mai 2002 et du 2 février 2005 aux termes desquels "les sites syndicaux centraux et les sites syndicaux des établissements de R. sont accessibles par lien entre eux" et qui réservent l'insertion de liens aux seules organisations syndicales représentatives au niveau de l'entreprise. Le Syndicat Sud R. Guyancourt-Aubevoye a saisi le juge afin qu'il soit ordonné à l'employeur de rendre accessible son site intranet.

Le syndicat reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté ses demandes. Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui énonce que "la cour d'appel ayant relevé que le syndicat, constitué en syndicat d'établissement, avait fait apparaître sur le site qui lui était affecté, en méconnaissance des accords collectifs applicables, une dénomination distincte de celle fixée par ses statuts et de nature à faire naître chez les salariés une croyance erronée dans son champ d'application et dans sa représentativité, elle a, par ce seul motif, justifié sa décision".

Portée des limitations conventionnelles. Il ressort en filigrane de ce motif qu'un syndicat bénéficiaire d'un accord, que ce soit dès sa signature ou a posteriori, doit respecter les limites qu'il impose et, plus exactement, les conditions auxquelles il soumet l'exercice des prérogatives qu'il institue. Est-ce à dire pour autant, que le syndicat qui ne respecte pas ces exigences se voit ipso facto privé des avantages conventionnels ? Le motif précité incite à répondre négativement à cette interrogation. La Cour de cassation ne se contente pas en effet de relever l'attitude fautive du syndicat, elle pointe les conséquences pour le moins problématique de celle-ci. Pour le dire autrement, et à notre sens, c'est la gravité du comportement du bénéficiaire de l'accord que la Chambre sociale met en avant. En conséquence, on peut penser que toute méconnaissance des limites conventionnelles ne se solde pas par la privation des avantages de même nature.

A supposer que cette interprétation soit la bonne, l'appréciation de la gravité de la méconnaissance et, par suite, des conséquences à en tirer reposera a priori sur l'employeur. En l'espèce, en effet, la "direction" avait elle-même refusé de rendre le site internet du syndicat accessible aux salariés. Cette façon de faire ne peut que susciter l'interrogation, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'affichage syndical. On sait, en effet, que l'employeur ne dispose pas d'un droit de contrôle sur la teneur des communications affichées par les syndicats sur les panneaux réservés à cet usage et qu'il lui appartient, s'il conteste la finalité de ces communications, de saisir la justice pour obtenir la suppression de l'affichage prétendument irrégulier (7).

L'employeur pourrait-il donc se faire "justice à lui-même" en matière de TIC ? L'arrêt ne permet pas de répondre à cette question qui n'était même pas soumise à la Cour de cassation. Cela étant, le changement de "support" pourrait-il entraîner un infléchissement de la jurisprudence de la Cour de cassation ? Cela n'est pas à exclure, compte tenu du fait que la diffusion d'informations erronées sur internet peut être autrement plus préjudiciable que leur simple affichage sur des panneaux. Pour autant, dans un cas comme dans l'autre, ces informations sont réservées aux salariés. Par voie de conséquence, il n'est pas certain, ni même peut-être nécessaire, que la Cour de cassation modifie sa jurisprudence.


(1) Remarquons toutefois que le législateur n'identifie pas le titulaire de ces prérogatives, évoquées dans un chapitre du Code du travail relatif à la section syndicale. De là, l'attribution fréquente de celles-ci à la section.
(2) J.-E. Ray, CGT, CFDT, CNT, CE et TIC. Rapports collectifs de travail et nouvelles technologies de l'information et de la communication, Dr. soc., 2012, p. 362, spéc., p. 365. Ainsi que l'ajoute ce même auteur, "[...] cette interdiction incite les syndicats à passer par Internet ou Facebook, bref à externaliser une communication parfois fort polémique et accessible aux journalistes du monde entier mais aussi aux concurrents, au grand dam de l'entreprise qui jure, mais un peu tard..." (ibid).
(3) Cass. soc., 21 septembre 2011, n° 10-19.017, FS-P+B (N° Lexbase : A9598HXR). Lire les obs. de Ch. Radé, A propos du droit d'affichage et de diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise : question d'égalité ou de légalité ?, Lexbase Hebdo n° 456 du 6 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7962BSP).
(4) Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 11-14.292, FS-P+B (N° Lexbase : A5295IAD). V. nos obs., Principe d'égalité et exigence de non-discrimination en matière syndicale, Lexbase Hebdo n° 471 du 2 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N9951BSD).
(5) Cf. nos obs. préc. et, dans le même sens, celles de Christophe Radé.
(6) Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-60.410, FS-P+B (N° Lexbase : A2349GAA), JCP éd. S, 2010, 1499, note B. Gauriau.
(7) Cass. crim., 19 février 1979, n° 78-91.400, publié (N° Lexbase : A3604AB4), Bull. crim., n° 73.

Décision

Cass. soc., 23 mai 2012, n° 11-14.930, FS-P+B (N° Lexbase : A0716IMH)

Rejet, CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 20 janvier 2011, n° 09/08331 (N° Lexbase : A1576GRS)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2142-3 (N° Lexbase : L2161H9W) à L. 2142-7 (N° Lexbase : L2168H98)

Mots-clés : entreprise, communications syndicales, intranet, accord collectif, bénéficiaires, limites conventionnelles

Lien base : (N° Lexbase : E2633ETP)

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