La lettre juridique n°488 du 7 juin 2012 : Éditorial

Boycott israélien : cui bono ?

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N2217BTB

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Ouf ! Au comptoir du bistro de la gare, Dodo et Frédo sont rassurés : l'appel à boycott de produits provenant d'un seul Etat est constitutif d'une provocation à la discrimination raciale ! Ce n'est pas Platini qui le dit, c'est la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ce 22 mai 2012. Deux semaines avant le coup d'envoi de l'Euro 2012, en Ukraine, la solution jurisprudentielle est de bon augure : on n'entendra plus parler de boycott du championnat d'Europe des Nations pendant quelques temps ! C'est qu'après les propos tenus par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et la commissaire européenne à la justice, Viviane Reding, suivis par la Chancelière allemande, on aurait pu craindre que les chaînes de télévision décident de ne pas retransmettre les matches joués dans un pays dans lequel "une justice sélective, partiale, ne doit pas être acceptée", d'après la commissaire luxembourgeoise (à propos du traitement réservé à l'ex-première ministre ukrainienne, Ioula Timochenko, égérie de la "Révolution orange" de 2004 et emprisonnée, depuis août 2011, pour "abus de pouvoir" lorsqu'elle était Premier ministre).

Bien entendu, le contexte de l'arrêt rendu le 22 mai 2012 est tout autre : la Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme, ainsi, la condamnation d'une prévenue pour provocation à la discrimination raciale en invitant les clients d'un magasin à boycotter tous les produits provenant d'Israël. Plus précisément, elle avait été interpellée à la sortie d'un magasin de la grande distribution alors qu'elle venait d'apposer, sur une caisse enregistreuse de cet établissement et sur une bouteille de jus de fruit proposée à la vente, des étiquettes autocollantes portant les mentions "Campagne boycott... Boycott Apartheid Israël... Boycott de tous les produits israéliens... Principales marques : Carmel, Jaffa, Top, Or, Teva... tant qu'Israël ne respectera pas le droit international". Pour la Haute juridiction, elle a incité à entraver l'exercice normal d'une activité économique et visé de façon discriminatoire les producteurs et fournisseurs de ces produits en raison de leur appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël.

La décision n'est pas nouvelle en soi. Le 28 septembre 2004, la même formation avait condamné un maire qui avait, lors d'une réunion du conseil municipal, indiqué qu'il avait demandé aux services de restauration de la commune de boycotter les produits en provenance d'Israël pour protester contre la politique du Gouvernement Sharon à l'encontre du peuple palestinien. La Cour avait estimé que la diffusion sur le site internet de la commune de la décision prise par le maire de boycotter les produits israéliens, accompagnée d'un commentaire militant, était, en multipliant les destinataires du message, de nature à provoquer des comportements discriminatoires et contrevenait à l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881. Mais l'arrêt en cause était un arrêt inédit au Bulletin. Tout au plus, le 18 décembre 2007, la Haute juridiction rappelait, sous l'égide F-P+F, qu'une discrimination en matière économique ne peut être justifiée par l'existence d'un boycott irrégulier, et fondait sa condamnation sur l'article 225-2, 2°, du Code pénal.

Mais, cette décision du 22 mai 2012 fera bien entendu grand bruit, tant sur le web où officient de nombreuses associations pro-palestiniennes, qu'auprès des juges du fond. Pour mémoire, la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris avait relaxé, le 8 juillet 2011, une personne accusée de discrimination contre la Nation israélienne, et d'incitation à la haine raciale, estimant que, "dès lors que l'appel au boycott des produits israéliens est formulé par un citoyen pour des motifs politiques et qu'il s'inscrit dans le cadre d'un débat politique relatif au conflit israélo-palestinien, débat qui porte sur un sujet d'intérêt général de portée internationale, l'infraction de provocation à la discrimination fondée sur l'appartenance à une Nation n'est pas constituée". Et s'appuyant sur une jurisprudence constante suprême et européenne, le juge parisien rappelait que "la critique d'un Etat ou de sa politique ne saurait être regardée, de principe, comme portant atteinte aux droits ou à la dignité de ses ressortissants sans affecter gravement le liberté d'expression dans un monde désormais globalisé dont la société civile est devenue un acteur majeur, et alors qu'aucun 'délit d'offense à Etat étranger' n'a jamais été consacré par le droit positif ni par le droit coutumier international, tant il serait contraire aux standards communément admis de la liberté d'exprimer des opinions".

La décision du tribunal s'explique sans doute par le fait que la circulaire du 12 février 2010, par laquelle la Chancellerie demandait aux procureurs de la République de s'assurer que tout appel au boycott des produits d'un pays déterminé soit incriminé au titre de "provocation publique à la discrimination envers une Nation", punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, n'avait pas encore traversé la Seine... Alors que le 7 mars 2011, le Conseil d'Etat concluait, déjà, que le refus de mettre une salle d'un établissement d'enseignement à disposition d'une association appelant au boycott d'un Etat ne nuit pas à la liberté de réunion.

Plus sérieusement, l'Histoire du boycott d'Israël ne prête guère à la tolérance. Rappelons que ce sont les nazis qui, dès leur arrivée au pouvoir en Allemagne en 1933, boycottèrent, les premiers, les "produits juifs". Et, le principe fut adopté par la Ligue arabe, le 2 décembre 1945, à l'encontre des marchandises "sionistes" ou "juives". En 1948, c'est l'interdiction de toute relation commerciale ou financière entre les Etats arabes et l'Etat d'Israël qui fût décidée. Cette "arme économique" visant à soutenir le combat mené par les populations palestiniennes n'est donc pas nouvelle. Elle a même conduit à plusieurs contentieux en France, à l'image de cet arrêt du 21 novembre 1994 qui rappelait qu'il était demandé aux entreprises exportant vers les pays arabes de signer une déclaration de boycott, qui était obligatoirement remise lors du visa des factures commerciales...

Toutefois, les actions menées en France, si elles se parent des vertus "citoyennes", vont à contresens des derniers soubresauts de l'Histoire. Depuis 1994, les pays du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe n'applique que le "boycott primaire" -l'interdiction à ses seuls membres tout commerce avec Israël-. Même la Jordanie et l'Autorité palestinienne l'ont abandonné en 1995. Et, depuis 2005, l'Arabie saoudite et le Bahreïn suivent la même démarche. Aujourd'hui, seuls le Liban et la Syrie l'appliquent !

Mais, à la décharge des associations prônant le boycott contre les produits israéliens, on admettra que les positions de personnalités comme Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, ou Stéphane Hessel, résistant rescapé de Buchenwald et co-rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, jettent la confusion et provoquant la circonspection. Sous l'égide de telles "autorités", il est difficile de croire que l'action de cette militante étiqueteuse s'apparente à une provocation à la discrimination raciale...

Alors, certes la Révolution américaine a commencé par le boycott du thé anglais par les Fils de la Liberté pendant le Boston Tea Party ; mieux, en 1930, Mahatma Gandhi, lui-même, décréta un boycott des produits de l'Empire britannique, demandant à ce que le khadi soit porté par tous les Indiens ; et Martin Luther King de réclamer celui des bus de Montgomery, en réaction à la ségrégation raciale dont fût victime Rosa Parks, le 1er décembre 1955.

Mais, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Le taux de croissance israélienne est un modèle du genre, au point de parler de "miracle économique", qui bien qu'entamé, depuis le début de l'année, par la crise économique européenne, est envié par les pays frontaliers de l'Etat hébreu.

Et, singulièrement, si le chômage israélien, quoique en légère hausse, est relativement "faible" (6,9 % de la population active en mars 2012), il ne faut pas oublier que la majorité des salariés du secteur agricole ou des usines israéliennes sont les arabes cisjordaniens, les travailleurs temporaires provenant d'Asie, et... les palestiniens qui franchissent chaque jour les check points de l'Etat d'Israël. Avec un taux de chômage de 34 % à Gaza et de 26 % en Cisjordanie, il n'est pas certain que les premières victimes du boycott soient justement les palestiniens et les cisjordaniens eux-mêmes !

Et, l'affaire n'est pas uniquement symbolique : 21 % des exportateurs israéliens auraient baissé leurs prix à cause du boycott, après avoir perdu des parts de marché significatives, notamment, en Europe...

L'arme économique que constitue le boycott ou la "consom'action" est bien réelle, au point que le Conseil d'Etat comme la Cour de cassation la considèrent anti-concurrentielle et rappellent que la mission d'informer le public et, par là même, de dénoncer les abus et les tromperies dont il peut être victime, ne saurait cependant excéder la mesure qu'impose une information prudente et avisée, ni recourir à une injuste agression. C'est donc une arme à double tranchant : d'abord, parce qu'elle contrevient aux dispositions pénales et est, de ce fait, sanctionnée ; ensuite, parce que les premières victimes économiques sont toujours les populations les plus fragiles et, dans le cas qui nous occupe, il s'agit vraisemblablement de ces mêmes populations dont les associations appelant au boycott entendent défendre les intérêts.

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