Réf. : Cass. com., 6 janvier 2021, n° 18-24.954, FS-P (N° Lexbase : A88454B9)
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par Jérôme Lasserre Capdeville
le 12 Janvier 2021
► En matière d’assurance de groupe, la prescription de l’action en responsabilité engagée contre le banquier débiteur d’un devoir d’éclairer sur l’adéquation de la garantie souscrite à ses besoins commence à courir lorsque l'assuré prend connaissance du dommage né du manquement au devoir, c’est-à-dire au moment du refus de garantie opposé par l’assureur.
L’établissement de crédit est susceptible de proposer à un emprunteur, ou à la caution de ce dernier, de souscrire une assurance afin de le protéger contre certains risques, principalement familiaux et professionnels. Il s'agit le plus souvent d'assurance de groupe. Pour mémoire, le contrat d'assurance de groupe est le contrat souscrit par une personne morale ou un chef d'entreprise « en vue de l'adhésion d'un ensemble de personnes répondant à des conditions définies au contrat, pour la couverture des risques dépendant de la durée de la vie humaine, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ou du risque de chômage » (C. assur., art. L. 141-1 N° Lexbase : L2643HWS). Il faut alors noter que la majorité des crédits consentis aux particuliers sont, aujourd'hui, garantis par une telle assurance de groupe souscrite par les établissements de crédit pour le compte de leurs clients. L'établissement de crédit se retrouvera soumis à diverses obligations légales, telle la remise à l'adhérent de la notice fournie par l'assureur présentant l'assurance (C. assur., art. L. 141-4 N° Lexbase : L9846HEE).
Mais cela n’est pas tout. Dans un souci de protection, la jurisprudence a consacré en la matière un devoir d'éclairer le souscripteur sur la portée de son engagement alors même que la notice précitée lui a été remise (Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, P+B+R+I N° Lexbase : A4358DUX ; Cass. civ. 1, 29 mars 2017, n° 15-23.324 N° Lexbase : A0866UTA). Il s'agit d'une manifestation de l'obligation d'information et de conseil pesant sur le banquier souscripteur d'une assurance de groupe envers les adhérents (d'autres manifestations sont possibles, Cass. com., 5 septembre 2018, n° 17-15.866, FS-P+B N° Lexbase : A7180X3C). Une décision récente vient préciser le régime juridique de ce devoir.
Faits et procédure. La banque A. a consenti à M. X. un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société B.. M. X. a adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque. Ayant été placé en arrêt maladie en 2012, M. X. a demandé la prise en charge, par l’assurance, du remboursement des mensualités du prêt, laquelle lui a été refusée au motif qu'il avait atteint l'âge au-delà duquel le risque de maladie n’était plus garanti.
Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt et la caution lui a payé les sommes restant dues. La caution a ensuite assigné en paiement M. X., qui, reconventionnellement, lui a opposé un manquement de la banque à son devoir de l’éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle.
Par une décision du 26 septembre 2018, la cour d’appel de Bastia a cependant déclaré prescrite son action en responsabilité (CA Bastia, 26 septembre 2018, n° 16/00430 N° Lexbase : A1334YHU). L’intéressé a formé alors un pourvoi en cassation.
Moyen. Il y reprochait aux juges du fond de s’être prononcé de la sorte alors « que l'assuré prend connaissance du dommage né d'un manquement à un devoir de conseil sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins au moment du refus de garantie, qui constitue donc le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contre le débiteur de l'obligation de conseil ». Dès lors, en retenant au contraire que le délai de prescription de l'action en responsabilité contre la banque souscripteur de l'assurance groupe pour manquement à son obligation de conseil sur l'adéquation des risques couverts à la situation personnelle de M. X. aurait commencé à courir à compter de la délivrance de la notice d'information, la cour d'appel aurait violé l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L4314IX3) et l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC).
Décision. Or, ce moyen parvient à convaincre la Cour de cassation qui casse la décision des juges corses.
La Haute juridiction commence par rappeler qu’il résulte des deux articles précités que les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elle indique ensuite quel est le dommage pouvant être invoqué par l’assuré. Elle précise ainsi que lorsqu’un emprunteur, ayant adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque prêteuse à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, reproche à cette banque d'avoir manqué à son obligation de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur et d'être responsable de l'absence de prise en charge, par l'assureur, du remboursement du prêt au motif que le risque invoqué n'était pas couvert, « le dommage qu'il invoque consiste en la perte de la chance de bénéficier d'une telle prise en charge ».
Elle en tire comme conclusion que ce dommage se réalisant au moment du refus de garantie opposé par l'assureur, cette date constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée par l'emprunteur.
Or, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité de M. X., l'arrêt de la cour d’appel avait retenu que le dommage résultant du manquement de la banque à son obligation de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, consistant en une perte de chance de ne pas contracter, s'était manifesté dès l'obtention du crédit par l'emprunteur, qui avait été informé des conditions générales de l'assurance par la remise de la notice d'information, et non à l'occasion du refus de prise en charge des mensualités du prêt par l'assureur. Par conséquent, en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles mentionnés précédemment.
Observations. Cette solution est, selon nous, convaincante car en conformité avec les dispositions de l’article 2224 du Code civil. La prise de connaissance du dommage lié au manquement au devoir concerné est donc essentielle. La Chambre commerciale témoigne, une nouvelle fois, de son attachement à cette règle (v. récemment sur le fondement du devoir de mise en garde, Cass. com., 22 janvier 2020, n° 17-20.819, F-D N° Lexbase : A59293CL).
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