Réf. : CEDH, 18 juin 2020, Req. 20452/14, Molla Sali c/ Grèce (N° Lexbase : A81883NL)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 24 Juin 2020
► Dans son arrêt de Grande chambre rendu le 18 juin 2020, la CEDH s’est prononcée sur la question de la satisfaction équitable dans une affaire concernant l’application de la charia, par les juridictions grecques, à un litige successoral entre des citoyens grecs issus la minorité musulmane (CEDH, 18 juin 2020, Req. 20452/14, Molla Sali c/ Grèce N° Lexbase : A81883NL).
L’affaire. L'affaire concerne l'application, par les juridictions nationales, de la loi sacrée de l'Islam (charia) à un litige successoral entre des ressortissants grecs issus de la minorité musulmane, malgré la volonté du testateur (un grec issu de la minorité musulmane, le mari défunt de la requérante) qui avait légué l'ensemble de ses biens à son épouse par un testament établi selon le droit civil grec. Les juridictions estimèrent que le testament ne produisait pas d'effet car le droit applicable en l'espèce était le droit successoral musulman. En Grèce, ce droit s'appliquerait spécifiquement aux grecs de confession musulmane. La requérante, qui fut privée des trois quarts de son héritage, estimait avoir subi une différence de traitement fondée sur la religion car si son époux n'avait pas été de confession musulmane, elle aurait hérité de la totalité de la succession.
Arrêt au principal. Par « l’arrêt au principal » rendu le 19 décembre 2018, la Grande Chambre a conclu à une violation de l'article 14 de la Convention (N° Lexbase : L4747AQU) combiné avec l'article 1 du Protocole n° 1 (N° Lexbase : L1625AZ9). La Cour a considéré en particulier que la différence de traitement subie par la requérante en tant que bénéficiaire d'un testament établi conformément au Code civil par un testateur grec de confession musulmane, par rapport au bénéficiaire d'un testament établi conformément au Code civil par un testateur grec n'étant pas de confession musulmane, n'avait pas de justification objective et raisonnable.
Arrêt de satisfaction équitable. Comme le Code de procédure civile grec ne prévoit pas la réouverture de la procédure devant les juridictions internes en cas de constat de violation de la Convention par la Cour dans une affaire contentieuse comme en l'occurrence, au titre de l'article 41 de la Convention (N° Lexbase : L4777AQY), la requérante sollicitait une satisfaction équitable pour le dommage matériel et moral qu'elle estimait être résulté des violations constatées en l'espèce, ainsi que le remboursement des frais et dépens exposés devant la Cour. Plus précisément, elle demandait réparation pour le dommage subi en ce qui concerne les biens de son époux situés en Grèce et en Turquie.
Dans son arrêt rendu le 18 juin 2020, la Cour relève que, en ce qui concerne les biens situés en Grèce, concernant le dommage matériel, d’après les informations qui lui ont été fournies par les parties, le registre du cadastre n’a pas encore été corrigé afin que les sœurs du défunt soient reconnues comme copropriétaires des biens du testateur. Ainsi, l’effet de la violation de la Convention constatée par la Cour dans l’arrêt au principal ne s’est pas encore concrétisé. Par conséquent, la Cour considère, à l’unanimité, que le rétablissement de « la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu » consisterait :
- en la prise de mesures de nature à garantir que la requérante reste propriétaire des biens légués en Grèce par son mari ;
- ou, dans l’hypothèse d’une modification du registre du cadastre, qu’elle soit rétablie dans ses droits de propriété.
Dans le cas où l’État grec ne prendrait pas l’une de ces mesures dans un délai d’un an à compter du prononcé du présent arrêt, il devra verser une indemnisation à la requérante correspondant à trois quarts de la valeur totale des biens légués en Grèce, soit 41 103,36 euros.
Concernant le dommage moral et les frais et dépens, la Cour décide d’allouer à la requérante la somme de 10 000 euros pour dommage moral ainsi que 5 828,33 euros pour les frais et dépens.
En revanche, en ce qui concerne les biens situés en Turquie, la Cour rappelle que la requête qui a donné lieu à l’arrêt au principal était dirigée uniquement contre la Grèce et que la question des effets du testament du défunt, dans la mesure où ce testament vise les biens situés en Turquie, fait l’objet de procédures encore pendantes devant les juridictions turques. Dans ces conditions, la Cour ne décèle aucune circonstance particulière susceptible de s’analyser en un exercice par la Grèce de sa juridiction à l’égard des procédures qui se déroulent en Turquie. Par ailleurs, dans son arrêt au principal, la Cour n’a pas pris de position de principe sur les droits revendiqués par la requérante au titre de l’article 1 du Protocole n° 1 en ce qui concerne les biens situés en Turquie. Les biens en question ne peuvent donc pas servir de base à une demande de satisfaction équitable dirigée contre l’État grec dans le cadre de la présente procédure portant sur la question réservée de l’application de l’article 41.
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