Réf. : CJUE, 23 avril 2020, aff. C-401/18 (N° Lexbase : A96053KX)
Lecture: 9 min
N3383BYX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie-Claire Sgarra
le 27 Mai 2020
►La Directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’un assujetti qui effectue un transport intracommunautaire unique de biens sous le régime de suspension des droits d’accise, avec l’intention d’acquérir ces biens aux fins de son activité économique une fois ceux-ci mis en libre pratique dans l’Etat membre de destination, obtient le pouvoir de disposer desdits biens comme un propriétaire, au sens de cette disposition, à condition qu’il ait la possibilité de prendre des décisions de nature à affecter la situation juridique des mêmes biens, parmi lesquelles, notamment, la décision de les vendre ;
►La circonstance que cet assujetti avait d’emblée l’intention d’acquérir ces biens, aux fins de son activité économique une fois ceux-ci mis en libre pratique dans l’Etat membre de destination, constitue une circonstance qui doit être prise en compte par la juridiction nationale dans le cadre de son appréciation globale de toutes les circonstances particulières du cas d’espèce dont elle est saisie en vue de déterminer celle des acquisitions successives à laquelle ledit transport intracommunautaire doit être imputé ;
►Le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, confrontée à une disposition de droit fiscal national, ayant transposé une disposition de la Directive 2006/112, qui se prête à plusieurs interprétations, retienne l’interprétation la plus favorable à l’assujetti, en s’appuyant sur le principe constitutionnel national in dubio mitius, même après que la Cour aurait jugé qu’une telle interprétation est incompatible avec le droit de l’Union.
Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt du 23 avril 2020 (CJUE, 23 avril 2020, aff. C-401/18 N° Lexbase : A96053KX).
En l’espèce, une société établie en République tchèque opère dans le secteur du transport routier. Elle est également propriétaire d’un certain nombre de stations-service de distribution de carburants. L’administration fiscale tchèque a constaté que la société, durant les périodes comprises, d’une part, entre les mois de novembre 2010 et de mai 2013 ainsi que, d’autre part, entre les mois de juillet et d’août 2013, avait assuré, par ses propres moyens et à ses propres frais, le transport de carburants depuis plusieurs Etats membres, à savoir l’Autriche, l’Allemagne, la Slovaquie et la Slovénie, à destination de la République tchèque et a agi également en tant qu’acquéreur final de ces carburants, à l’issue d’une chaîne d’opérations d’achat et de revente successives.
La société a fait valoir auprès de l’administration fiscale tchèque que les acquisitions des carburants qu’elle a réalisées en République tchèque constituaient des acquisitions internes. En revanche, cette administration fiscale a considéré qu’il s’agissait d’acquisitions intracommunautaires. Cette même administration a considéré que le lieu des acquisitions effectuées par la société était situé non pas en République tchèque, mais dans les Etats membres où se trouvaient les carburants au moment de leur chargement par cette société en vue de leur transport, à ses propres frais et par ses propres moyens, à destination de la République tchèque, aux fins de sa propre activité économique. L’administration fiscale tchèque a donc refusé à la société le droit de déduire la TVA sur lesdites acquisitions et lui a infligé une amende.
La société a introduit des recours contre ces avis de redressement devant la direction des finances qui par une première décision, annulé les avis de redressement portant sur la période comprise entre les mois de juillet et d’août 2013. Par une deuxième décision, la direction des finances a confirmé les avis de redressement relatifs à la période comprise entre les mois de février 2011 et de février 2013. Par une troisième décision, cette autorité a modifié les avis de redressement relatifs à la période comprise entre les mois de novembre 2010 et de janvier 2011 ainsi qu’à la période comprise entre les mois de mars et de mai 2013. Un recours est introduit contre la deuxième et la troisième décision. La société introduit un recours contre les deuxième et troisième décisions. La cour régionale de Prague décide de surseoir à statuer.
L’assujetti acquiert-il le « pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire », au sens de la Directive TVA, s’il achète le bien auprès d’un autre assujetti directement pour un acquéreur concret en vue de réaliser sa commande antérieure, s’il ne dispose pas lui-même physiquement du bien puisque, à la suite de la conclusion du contrat de vente, son acquéreur consent à ce qu’il assure le transport de ce bien depuis le lieu d’origine et qu’il se contente de faciliter à l’acquéreur l’accès aux biens par l’intermédiaire de ses fournisseurs et qu’il transmet les informations nécessaires à la prise en charge dudit bien, son bénéfice dans la transaction étant constitué de la différence entre le prix d’achat et le prix de vente du même bien, sans que soit facturé dans le cadre de la chaîne le prix de son transport ?
La Cour rappelle dans un premier temps que l’acquisition intracommunautaire d’un bien, au sens de l’article 20 de la Directive TVA, est effectuée lorsque le droit de disposer du bien comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur et que le fournisseur établit que ce bien a été expédié ou transporté dans un autre Etat membre et que, à la suite de cette expédition ou de ce transport, il a quitté physiquement le territoire de l’Etat membre de départ.
Le transfert du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire ne se limite pas au transfert opéré dans les formes prévues par le droit national applicable, mais inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien. Par ailleurs, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire n’exige pas que la partie à laquelle ce bien est transféré le détienne physiquement ni que ledit bien soit physiquement transporté vers elle et/ou physiquement reçu par elle. Ainsi, une opération de transport de carburants, c’est-à-dire le déplacement de ces produits d’un premier Etat membre vers un second Etat membre, ne saurait être considérée comme décisive aux fins de déterminer si le pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire a été transféré, en dehors de toute autre circonstance susceptible de faire présumer qu’un tel transfert a eu lieu à la date de ce transport.
S’agissant d’opérations qui forment une chaîne de plusieurs livraisons successives n’ayant donné lieu qu’à un seul transport intracommunautaire, le transport intracommunautaire ne peut être imputé qu’à une seule de ces livraisons, qui sera, partant, la seule exonérée en application de cette disposition, et que, afin de déterminer la livraison à laquelle le transport intracommunautaire doit être imputé, il convient de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances particulières de l’espèce. Il y a lieu, notamment, de déterminer le moment auquel est intervenu le transfert, au bénéfice de l’acquéreur final, du pouvoir de disposer des biens en cause comme un propriétaire.
Pour déterminer celle des acquisitions en cause au principal à laquelle l’unique transport intracommunautaire doit être imputé et qui doit, partant, seule être qualifiée d’acquisition intracommunautaire, il appartient, conformément à la jurisprudence de la Cour à la juridiction de renvoi de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances particulières de l’affaire au principal. La société a elle-même initié le transport des carburants en payant une facture d’acompte au premier opérateur économique de la chaîne d’opérations d’achat et de revente avant même d’avoir procédé au chargement de ces carburants dans des locaux situés dans les Etats membres de départ, a assuré leur transport avec ses propres véhicules et n’a pas facturé le prix de leur transport. En revanche, dans le cadre de cette appréciation globale, la circonstance que le transport des carburants en cause au principal a été réalisé sous le régime de suspension des droits d’accise ne saurait constituer un élément décisif en vue de déterminer celle des acquisitions en cause au principal à laquelle ledit transport doit être imputé.
Le principe de neutralité de la TVA, ou tout autre principe du droit de l’Union, s’oppose-t-il à l’application du principe constitutionnel de droit interne in dubio mitius, qui, en cas d’ambiguïté d’une règle de droit qui propose objectivement plusieurs interprétations possibles, impose aux autorités publiques de retenir l’interprétation favorable au destinataire de la règle de droit ? L’application de ce principe serait-elle conforme au droit de l’Union à tout le moins si elle est limitée aux situations où les circonstances de fait déterminantes du cas d’espèce sont antérieures à l’interprétation contraignante de la question de droit litigieuse par la Cour, qui a jugé correcte une autre interprétation, moins avantageuse pour le contribuable ?
En appliquant le droit national, la juridiction de renvoi est tenue de prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit et de faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci afin de l’interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive TVA, telle qu’interprétée par la Cour, pour atteindre le résultat fixé par celle-ci et de se conformer ainsi à l’article 288 du TFUE.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:473383