La lettre juridique n°815 du 5 mars 2020 : Avocats

[Questions à...] Réforme des retraites : «On est sur un marché de dupes depuis le début » - Questions à Olivier Cousi, Bâtonnier de Paris

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[Questions à...] Réforme des retraites : «On est sur un marché de dupes depuis le début » - Questions à Olivier Cousi, Bâtonnier de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/57073022-questions-a-reforme-des-retraites-i-on-est-sur-un-marche-de-dupes-depuis-le-debut-i-questions-a-oliv
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le 05 Mars 2020

C’est au milieu d’une grève nationale et inédite que le 221ème Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi a pris ses fonctions le 1er janvier dernier aux côtés de Nathalie Roret, Vice-Bâtonnière. Il a accepté de revenir, pour Lexradio et Lexbase Avocats, sur ce mouvement sans précédent mais aussi sur les enjeux de son mandat.

Cette interview est, également, disponible en podcast sur Lexradio.

► Grève - Réforme Retraites 

Lexbase : Nous approchons des neuf semaines de grève. Est-ce qu’une sortie de crise est aujourd’hui envisageable ?

La grève a commencé au départ sur la question de la réforme des retraites. Mais, très vite, elle s'est nourrie d’un certain nombre de frustrations, d'agacements, parfois même de colère, de la part des confrères de toute la France. Les raisons de ce mouvement sont plus complexes que la retraite. Il y a à la fois l'accumulation de réformes, l’incompréhension que le Gouvernement manifeste vis-à-vis de ce qu'est une profession libérale et, ces réformes de la Justice qui sont arrivées de manière mal préparée, mal concertée et qui bouleversent les activités des cabinets. La mobilisation est donc toujours très forte et la sortie de crise dépendra beaucoup de ce que peut nous proposer le Gouvernement.

Lexbase : Justement, où en sont les négociations ?

Sur la retraite, nous tournons en rond. La première demande des avocats était de ne pas être inclus dans le système universel. Notre caisse est équilibrée, indépendante, fonctionne de manière autonome et est provisionnée pour les quarante années à venir.

Nous n'avions aucune raison de rentrer dans un système universel. Le Gouvernement nous y force mais, au lieu de nous aider à entrer dans ce système en nous proposant des solutions comme le maintien d'une certaine autonomie ou la gestion par notre caisse du système des retraites - qui pourrait être encadré - dans un système universel, il applique un discours extrêmement ferme. Un discours qui n’a d’ailleurs pas évolué depuis le Rapport « Delevoye ». Le Rapport consiste à dire « vous êtes autonome dans votre solidarité et le Gouvernement, dans sa grande sagesse, vous autorise dans le cadre du système universel, à rester solidaires ». Présenté ainsi cela peut paraître séduisant mais, en réalité, c'est toujours l'argent des avocats et c'est toujours la caisse des avocats qui est censée compenser les hausses de cotisations. On est sur un marché de dupes depuis le début. Le Gouvernement nous dit, si je caricature, « on vous autorise à choisir entre des pommes et des bananes pour dépenser votre argent, vous ne pouvez pas vous plaindre ; on vous écoute mais le montant ne changera pas, le taux des cotisations ne changera pas, l'impact sur les cabinets ne changera pas. Utilisez vos fonds, vos réserves, vos droits de plaidoirie et leurs contributions équivalentes ». Ce dernier amendement « Belloubet » compense l’augmentation des cotisations en faisant payer les avocats. On est dans une logique absurde. Quand nous indiquons que les cabinets, et particulièrement les plus petits, n’ont pas les moyens de supporter les augmentations de charges, le Gouvernement fait payer les autres avocats. On est dans un tournant. Aujourd'hui, les propositions ne sont ni acceptables, ni acceptées.

Lexbase : Que feriez-vous si vous étiez Garde des Sceaux ?* 

Je pense que la situation de la Garde des Sceaux aujourd'hui est très inconfortable. Elle est prise entre des contraintes budgétaires, des contraintes de décisions qui ne sont pas de son fait sur le régime de retraite et à une grogne des avocats qui n'a jamais eu lieu dans l'Histoire. On peut donc comprendre que cette situation soit difficile. Cela dit, je pense que si j'étais Garde des Sceaux, j'aurais d'abord demandé aux avocats ce qu'ils en pensent, j'aurais consulté la profession et j'aurais retenu les propositions faites par la profession. Mais, pour cela, il faut qu'elle puisse s'entourer d'avocats. Le problème de la Garde des Sceaux aujourd'hui est qu'elle est dans un cabinet et dans une organisation administrative dans laquelle les avocats ne sont pas consultés et ne sont pas présents ni dans la discussion, ni dans les propositions. La Chancellerie fonctionne sur une organisation de la Justice qui, comme au tribunal judiciaire de Paris, dissocie totalement la partie juridiction et la partie publique. Les avocats ne sont ni dans l'une, ni dans l'autre. Donc, ils n'ont pas leur place de reconnue dans le fonctionnement judiciaire. De ce fait, la situation de la Garde des Sceaux est isolée par rapport à la profession. Nous avons fait des discussions, des rencontres, des propositions mais à chaque fois la même formule revenait : « Vous [les avocats] êtes toujours contre, vous êtes toujours en opposition, vous êtes toujours défavorables à ce qu'on vous propose ». Mais notre réponse est toujours la même : nous sommes défavorables à ce qui va nuire à l'activité de la profession, nous sommes défavorables à la prise de contrôle par l'Etat de notre régime autonome de retraites, nous sommes défavorables à toutes les obligations nouvelles que l’on nous fait supporter sur les changements de textes, des nouvelles dispositions dès lors qu'elles ne vont pas dans le sens, où qu'elles ne sont pas accompagnées par la profession.

Lexbase : Quel est l’impact de la grève sur l’activité des avocats ? Pourront-ils financièrement poursuivre le mouvement ?

La grève touche essentiellement les avocats qui ont une activité liée à l'aide juridictionnelle, notamment la grève des désignations c'est-à-dire l'absence de désignation par les barreaux d'avocats commis d'office, commis à l'aide juridictionnelle ou qui travaillent sur des actions d'accès au droit. Ces derniers n'ont pas été en mesure de travailler pendant six ou sept semaines. Donc il s’agit de cabinets qui sont très directement impactés par la grève et par une absence de revenus. Ces cabinets, en première ligne, seront également ceux qui demain se verront appliquer l'augmentation des cotisations.

Lexbase : Certains magistrats estiment que les juridictions sont les « victimes collatérales » du mouvement de grève des avocats, notamment en raison des séquences de « défense massive » ou du blocage du tribunal judiciaire le 24 février dernier, que leur répondez-vous  ?

Le droit de manifester et le droit d'être en grève sont des droits constitutionnels et nécessairement, ce genre d'action a des conséquences qui peuvent être plus ou moins agréables ou désagréables sur des tiers comme les magistrats, le justiciable, les greffiers et tous les personnels de justice. Donc il est vrai que cela a un impact. Est-ce que cet impact est aussi négatif que certains le disent ? Je ne crois pas. En matière de défense massive, notamment à Paris où il y en a eu beaucoup, on constate une fatigue, une lassitude, une difficulté à assurer les audiences mais, dans le même temps, ces audiences permettent de démontrer que les comparutions immédiates lorsqu'elles sont entre les mains d'un groupe de confrères qui prend le temps et qui oblige le tribunal à prendre le temps d’aller étudier les dossiers dans le détail, permettent d'obtenir des décisions favorables aux prévenus. Le bilan pour la défense massive est effectivement une surcharge de travail pour les magistrats mais cela permet de constater que ces audiences doivent être revues et que ce mécanisme des comparutions immédiates doit être repensé pour une meilleure Justice. Quant au blocage du tribunal, il s’agit d’une opération visible. Il y a eu dans ce mouvement de grève beaucoup d'imagination de la part des confrères. C’est une profession qui est jeune, moins de quarante ans et qui a de l'imagination. Quand ils bloquent un tribunal quelques heures, cela n'a pas beaucoup d'impact sur le fonctionnement de la Justice. Il faut aussi avoir une certaine bienveillance pour ce genre d'action.

Lexbase : Est-ce que le mouvement participe au changement d’image de la profession d’avocat ?

Dans les manifestations auxquelles j'ai participé, les gens dans la rue nous disaient « c’est bien, vous savez vraiment bien vous défendre, vous saurez nous défendre quand on en aura besoin ». Il y a un mouvement de sympathie. L’image de « nanti » que l’avocat peut avoir est liée à sa rémunération. Je suis toujours un peu surpris par l'absence totale de connaissance des organisations qui nous gouvernent, qui sont tous des fonctionnaires et qui ne savent pas ce qu'est une profession indépendante. Quand vous payez un avocat, sur un chèque de 1 200 euros, il y a 200 euros de TVA et 700 euros de charges pour les cotisations, la retraite, la CSG, les salaires, l'organisation du cabinet…

► Objectifs du mandat

Lexbase : Vous l’avez indiqué le mouvement de contestation qui anime aujourd’hui les barreaux français traduit un malaise plus profond de la profession. On sait, notamment, que 30 % des avocats quittent la robe avant 10 ans de carrière. Quelles sont les mesures concrètes qui seront entreprises sous votre mandat pour endiguer le phénomène ?

C’est le message que j'ai essayé de faire passer au Gouvernement. Il faut donner à la profession d'avocats des perspectives d'avenir. Ces perspectives passent par des marchés, par exemple, en matière de protection de l'environnement, de conformité, de médiation, de modes alternatifs de règlement des litiges, de protection des personnes vulnérables etc.. Il y a, une activité juridique et judiciaire qui augmente. Il y a de plus en plus besoin de droit de proximité, de droit dans les entreprises et de droit pour les particuliers. La réponse est donc de permettre aux avocats d'aller sur ces marchés. Par exemple, pour les actions de groupes, nous avons demandé - à plusieurs Gouvernements - que les avocats soient leaders dans ces actions. Pour des raisons que nous comprenons mal d'ailleurs, ils refusent que les avocats soient à la pointe de ces actions de groupe. Nous attendons donc des ouvertures et la possibilité pour les avocats d'investir des marchés -sur lesquels ils sont, pour certains, déjà- en matière de legaltech, de médiation en ligne, de services juridiques en ligne, de nouvelles protections juridiques, d'accès au droit... Il y a donc plein de possibilités pour que les avocats puissent travailler plus et mieux. Pour cela, nous avons besoin d'avoir un Garde des Sceaux qui soit à l'écoute et qui comprenne la profession. Comme j’ai pu déjà l’évoquer cela n’est pas le cas aujourd'hui. Il y a une deuxième réponse économique immédiate qui doit être apportée à la profession. Il s’agit de la possibilité pour les avocats d'avoir des revenus plus importants, notamment à l'aide juridictionnelle. Aujourd'hui, en France, cinq cents millions d'euros à peu près sont consacrés au budget de l’aide juridictionnelle. Deux fois moins qu'en Allemagne et presque trois fois moins qu'en Angleterre. Il n'y a aucune justification à cette faiblesse de l'aide juridictionnelle d'Etat pour la Justice française.

Lexbase : Quels seront les autres priorités de votre Bâtonnat ?

Nous souhaitons que les avocats puissent trouver auprès de leur Ordre des réponses pratiques à des questions pratiques et un soutien pratique.

Le premier projet que nous mettons en place est un grand plan de mise à niveau numérique qui sera lancé le 3 juin prochain. L’objectif est de permettre à tous les avocats parisiens qui le souhaitent d'avoir accès à des outils numériques afin de comprendre comment ils fonctionnent, d’apprendre à s'en servir et à les utiliser pour leur activité. Cela passe par des questions très simples comme des outils informatiques, des logiciels, des sites internet, des utilisations de cloud et autres.

Nous avons aussi un chantier sur la collaboration libérale. Cette collaboration libérale, c'est une particularité de la profession d'avocat. C'est un contrat d'échanges, de prestations entre un avocat et un autre avocat ou un cabinet d'avocat. C'est une activité qui est régi par nos dispositions déontologiques et nous souhaitons qu'elle soit le plus équilibré possible entre le collaborateur et le cabinet. Nous souhaitons ainsi améliorer le statut de collaborateur. Cela passera par la transmission, la formation, le mentorat, la participation aux bénéfices, l’intéressement aux résultats, la rémunération de l'apport d'affaires, tous les moyens de renforcer la cohésion dans le respect d’une collaboration responsable et digne. Il s’agit de renforcer la capacité des collaborateurs à davantage contribuer au développement des cabinets. Faire évoluer ce statut de collaborateur nous permettra de donner confiance à la nouvelle génération d’avocats. Pour cela, l’accès au statut d’associé doit aussi être simplifié. En échange, il nous faut protéger les collaborateurs et en faire de vrais partenaires des cabinets. Nous souhaitons, également, mettre en place une garantie de perte de collaboration qui démontrera que la solidarité n'est pas un vain mot au sein de notre Barreau.

Nous avons également un projet sur la parité dans l'exercice de la profession. Nous avons plein de projets mais si nous n'étions pas empêchés par toutes les questions et tous les sujets qui nous obligent à nous battre, nous pourrions en faire plein d’autres.

► Affaire « Juan Branco »

Lexbase : Une autre affaire justement au cœur de l’actualité : l’affaire «Juan Branco». Vous avez indiqué que « l’absence de distance manifestée par Monsieur Juan Branco entre sa mission d’avocat et l’action reprochée à son client » ne lui permettait pas de le défendre. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi la déontologie de l’avocat faisait obstacle à cette défense ?

Il est normal pour un avocat d'apprécier - et, l’avocat l’apprécie en conscience -, si la proximité, qui peut être de toute nature, financière, familiale et amicale, qui peut être aussi une proximité de cause l'empêche ou non d'être indépendant. C'est sur cette question de l'indépendance, dont Juan Branco avait d'ailleurs accepté le principe, qu’il avait été décidé qu’il était nécessaire de se retirer du dossier, pas sur une question de conflits d'intérêts. Sur le conflit d'intérêts, on a statué de manière très claire. Il n’y en avait pas en l'état du dossier. En revanche, le risque de mise en cause de son indépendance justifiait son retrait.

Lexbase : Alors, est ce que l'on peut être un avocat-militant ?

Un avocat peut être, bien évidemment, militant. Il y a d’ailleurs eu de grands avocats militants. C’est la question de militer pour une cause qui se pose et de l'indépendance. En revanche, on ne peut pas être un activiste actif sur des opérations et, par ailleurs, défendre un client sur ces mêmes opérations. Un militant ne peut participer à des actions qui seraient des actions répréhensibles et, par ailleurs, rester indépendant en sa qualité d'avocat. Cette incompatibilité paraissait intéressante à signaler mais évidemment pas le fait de militer, ce qui en soi est tout à fait normal. J'ai eu la satisfaction de constater que beaucoup d'avocats militants comme Henri Leclerc, William Bourdon ou Joseph Breham avaient confirmé mon analyse.

*Retrouvez notre série « Que feriez-vous si vous étiez Garde des Sceaux ? » en vidéo sur notre chaîne Youtube.

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