La lettre juridique n°815 du 5 mars 2020 : Peines

[Jurisprudence] Le recel et le blanchiment au sein de la récidive légale : du pareil au même

Réf. : Cass. crim., 21 janvier 2020, n° 18-84.899, FS-P+B+I (N° Lexbase : A99543BB)

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par Elise Letouzey, Maître de conférences en droit privé, Université de Picardie Jules Verne

le 04 Mars 2020

Résumé : pour la première fois la Chambre criminelle de la Cour de cassation assimile les infractions de recel et de blanchiment au titre de la récidive légale délictuelle en faisant une application combinée des articles 132-10 (N° Lexbase : L2276AMA) et 324-5 du Code pénal (N° Lexbase : L1832AMS).

Mots-clés : récidive légale • assimilation • recel • blanchiment • qualifications • termes de la récidive • récidive spéciale et temporaire

La récidive légale délictuelle emporte, dans l’esprit et dans la lettre, la commission d’une nouvelle infraction identique. Toutefois, le principe de légalité conduit à une interprétation stricte de l’identique et du semblable. Pour pallier cette approche réductrice, le législateur a donc recouru à la fiction et établi de lui-même des assimilations entre des agissements qui, s’ils ne sont pas strictement identiques, relèvent d’une proximité matérielle ou criminologique rendant opportun de les considérer comme semblables. L’article 132-10 du Code pénal est très clair sur ce point : doit avoir été commis « soit le même délit, soit un délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive ».

Ont ainsi été soigneusement aménagées les situations dans lesquelles des infractions voisines pouvaient être assimilées, soit dans la partie générale du Code pénal réservée à la récidive légale (C. pén., art. 132-16 N° Lexbase : L2188AMY à 132-16-4-1), soit dans la partie spéciale pour deux délits : le recel (C. pén., art. 321-5 N° Lexbase : L1884AMQ) et le blanchiment (C. pén., art. 324-5 N° Lexbase : L1832AMS).

À cet égard, la jurisprudence a toujours veillé à une acception stricte de cette assimilation légale. Formellement, c’est par exemple le cas lorsque la loi prévoit un ordre dans lequel les infractions doivent être commises pour constituer l’état de récidive légale, comme le prévoit l’article 132-16-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1205DH4). Doit d’abord avoir été commis un délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique puis, ensuite, un délit de blessures involontaires par conducteur sous l’empire d’un état alcoolique, pour que l’état d’ivresse soit répété et conduise à une récidive [1].

Substantiellement, cela revient à ne pas interpréter de manière extensive l’identité des délits concédée par le législateur. Toutefois les questions sont nombreuses sur ce point, notamment en raison de formulations qui peuvent générer un doute quant au périmètre de l’assimilation. Par exemple, l’article 324-5 du Code pénal dispose que « Le blanchiment est assimilé, au regard de la récidive, à l'infraction à l'occasion de laquelle ont été commises les opérations de blanchiment ». À la lecture de l’article, l’interrogation peut alors être la suivante : est-ce que le blanchiment d’un délit d’origine peut être assimilé à n’importe quelle atteinte aux biens susceptible de permettre un blanchiment ?

Les juges du fond ont déjà eu, par le passé, l’occasion de se prononcer dans le sens d’une interprétation assez accommodante de l’assimilation, permettant par exemple de retenir la récidive légale composée pour le premier terme du délit de conséquence avec le recel de biens provenant d’un vol et un second terme établi par le délit d’extorsion lequel avait été commis postérieurement au délit de conséquence [2]. De même, le recel en récidive a pu être retenu alors que le premier terme était constitué d’un vol sans rapport avec les biens objet du recel constituant le second terme [3].

Mais c’est la première fois que la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans cet arrêt rendu le 21 janvier 2020, est saisie de cette question, qui plus est sous un angle indéniablement original.

L’espèce était la suivante : un garagiste est poursuivi et déclaré coupable pour des faits de blanchiment consistant en une opération de conversion du produit direct d’une infraction. Plus précisément, le prévenu, profitant des facilités procurées par son activité professionnelle, a transformé des fourgons volés en camping-cars, en établissant de faux certificats de carrossage au moyen de tampons supportant des identités d’emprunt.

La question se pose de savoir s’il est en état de récidive légale dès lors que le prévenu a déjà été condamné pour recel de vol.

Rien dans l’arrêt ne permet de préciser les caractéristiques du vol de la première condamnation : s’agit-il du vol des mêmes véhicules pour leur dissimulation (recel constituant le premier terme) puis leur transformation (blanchiment constituant le second terme) ? Ou bien s’agit-il d’un premier terme constitué d’un recel de vol quelconque puis du blanchiment des fourgons volés constituant le second terme ?

En réalité, quelle que soit l’hypothèse, l’enseignement de cette décision n’en demeure pas moins inédit car il répond à une autre question, totalement originale à notre connaissance : peut-on assimiler deux délits de conséquence, à savoir un recel et un blanchiment ?

À cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative en rejetant le moyen au pourvoi. Elle estime en effet que la cour d’appel a justifié sa décision « dès lors que, d'une part, il ressort de ses motifs que le délit de blanchiment a été commis à l'occasion de faits de recel de vol, infraction à laquelle il devait être assimilé, au regard de la récidive, en application de l'article 324-5 du Code pénal, d'autre part, compte tenu d'une précédente condamnation pour recel de vol, la récidive était établie par application de l'article 132-10 du Code pénal ».

Peu importe ici l’identité du délit d’origine, la Chambre criminelle consacre une technique que l’on pourrait qualifier d’assimilation par double renvoi [4]. En effet, non seulement il est indispensable de mobiliser l’article 324-5 du Code pénal prévoyant que le délit de conséquence est assimilé au délit d’origine, c’est-à-dire « l’infraction à l’occasion de laquelle ont été commises les opérations de blanchiment », mais il est tout aussi indispensable d’appliquer l’article 132-10 du Code pénal qui permet de composer la récidive légale de tout « délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive ». Combinant ces deux dispositions, il devient parfaitement envisageable, lato sensu, de considérer comme assimilés le recel et le blanchiment. Les deux délits, chacun de leur côté, disposent d’un texte spécial d’assimilation et ils se retrouvent, non seulement sur le fondement de l’article 132-10, mais si besoin était (et à l’instar de ce qu’avait retenu la cour d’appel) sur le fondement de l’article 132-16 du Code pénal assimilant les appropriations frauduleuses.

Si l’on tire les conséquences d’une telle décision : toutes les appropriations frauduleuses au sens de l’article 132-16, à savoir le vol, l’escroquerie, l’extorsion, le chantage et l’abus de confiance, ainsi que les délits de conséquence s’y rattachant, à savoir le recel au sens de l’article 321-5 et le blanchiment au sens de l’article 324-5 du Code pénal sont assimilés au sens de la récidive légale. Pour le dire autrement, tout recel, blanchiment, ainsi que toute atteinte aux biens relevant de l’article 132-16 sont considérés comme la même infraction et peuvent constituer un état de récidive légale.

Pour la première fois, la Cour de cassation affirme que la récidive légale peut se composer d’un recel et d’un blanchiment.

La solution semble parfaitement logique pour ce qui est du blanchiment, dès lors que l’auto-blanchiment au sens de l’article 324-1, alinéa 2, du Code pénal est de longue date admis [5]. Mais allant un peu plus loin, l’on peut observer que si de tels délits sont assimilés au sens de la récidive, cela revient à neutraliser les qualifications incompatibles tenant au refus par la jurisprudence d’admettre l’auto-recel. En effet, l’exclusion de l’auto-recel se maintient en dépit de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point, imposant un examen circonstancié des situations de conflit et de cumul depuis l’arrêt du 26 octobre 2016 [6]. Or, la censure de l’auto-recel revient à un rejet ab initio et in abstracto de tout examen du cumul de qualifications.

Tout du moins, ce qui n’est pas admis au sein d’une seule poursuite, pour un concours réel d’infractions, à savoir la condamnation de l’auteur pour le délit d’origine et son recel, serait envisageable par le biais de la récidive légale. Cela crée une distorsion peu justifiée car si le cumul de déclarations de culpabilité est neutralisé dans un cas, il sera admis et conduira à une aggravation de la peine encourue dans l’autre cas, exactement pour la même raison : l’identité abstraite des délits

 

[1] Cass. crim., 31 mai 2016, n° 15-84.329, F-P+B (N° Lexbase : A8680RRW).

[2] CA Lyon, 4ème ch., 8 décembre 2009, n° 09/00514 (N° Lexbase : A17513GX).

[3] CA Toulouse, 3ème ch., 8 janvier 2014, n° 13/01414 (N° Lexbase : A17523GY).

[4] V. notre thèse, La répétition d’infractions, Dalloz, coll. NBT, 2016, n° 157, n° 291.

[5] Cass. crim., 14 janvier 2004, n° 03-81.165, FS-P+F (N° Lexbase : A0622DBN) ; Cass. crim., 20 février 2008, n° 07-82.977, FS-P+F (N° Lexbase : A4124D7U) ; Cass. crim., 14 juin 2017, n° 16-84.921, F-D (N° Lexbase : A2309WID).

[6] Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3230SCM).

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