Réf. : Cass. soc., 29 novembre 2011, n° 10-19.435, FP-P+B, sur le 1er moyen du pourvoi principal (N° Lexbase : A4842H3Q)
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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole
le 15 Décembre 2011
Résumé
La modification du contrat de travail consécutive au reclassement d'un salarié inapte doit faire l'objet d'un accord exprès de ce dernier. A défaut, le salarié qui n'a pas clairement accepté la modification de son contrat de travail, quand bien même il n'aurait pas réagi à sa nouvelle affectation pendant plusieurs années, peut se prévaloir d'un déclassement abusif. |
Commentaire
Les raisons qui peuvent conduire un employeur à envisager la modification d'un contrat de travail sont diverses. Outre des raisons économiques (v. supra), elles peuvent notamment relever du domaine disciplinaire (une mutation ou une rétrogradation justifiée par une faute du salarié) ou, comme ici, être la conséquence directe de l'exécution des obligations de reclassement qui pèsent sur l'employeur, pour prévenir les licenciements économiques (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L3135IM3) ou pour maintenir au plus possible en emploi les salariés déclarés inaptes par le médecin du travail (C. trav., art. L. 1226-2 N° Lexbase : L1006H97 et L. 1226-8 N° Lexbase : L1022H9Q).
I - Obligation de reclassement et modification du contrat de travail
Obligation de reclassement et réaffectation. Dans l'arrêt du 29 novembre 2011, les magistrats de la Chambre sociale ont statué sur un pourvoi formé contre un arrêt rendu sur renvoi après cassation (Cass. soc., 17 septembre 2008, n° 07-42.366, FS-D N° Lexbase : A4083EAH)... une bien longue affaire mettant aux prises un agent de contrôle URSSAF avec son employeur. Ce dernier, à l'issue d'un arrêt de travail de quatre mois, est déclaré apte à reprendre le travail par le médecin du travail, mais uniquement sur un poste "sans relations avec la clientèle". En application de l'article L. 1226-2 du Code du travail, l'employeur propose au salarié déclaré inapte à son emploi "un autre emploi approprié à ses capacités" en prenant en compte les conclusions du médecin du travail et les indications formulées sur son aptitude à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Il l'affecte alors à un poste de gestionnaire de cotisants, à un coefficient inférieur à celui dont il bénéficiait dans son emploi précédent. Le schéma est somme toute assez classique et l'employeur en l'espèce semble bien avoir satisfait, sur le fond, à son obligation de reclassement telle que l'article L. 1226-2 du Code du travail la lui impose. En revanche, la modification du contrat de travail découlant de ce reclassement n'a pas été suffisamment considérée par l'employeur.
Obligation de reclassement et nécessité de modification. Le lien entre obligation de reclassement et modification du contrat de travail est une réalité déjà soulignée sous l'angle des possibilités pour le salarié de refuser les propositions de reclassement faites par l'employeur : "Plus l'inaptitude du salarié sera grande, plus son reclassement sera difficile dans l'entreprise (ou le cas échéant dans le groupe auquel celle-ci appartient). Pour ouvrir le champ des possibles en termes de reclassement, et augmenter les chances du salarié inapte d'être maintenu en emploi, l'employeur sera souvent contraint d'envisager des propositions qui modifient le contrat de travail. Comment suivre la recommandation d'un médecin du travail indiquant que tel salarié ne peut plus travailler à temps plein... sans modifier le contrat de travail ?" (3).
Nombre de propositions de reclassement impliquent nécessairement une modification de contrat de travail. En revanche, les employeurs n'en tirent peut être pas suffisamment les conséquences en termes de procédure... estimant certainement, à décharge, que la seule obligation de reclassement est déjà suffisamment lourde et complexe à respecter. Il n'empêche : les exigences du régime de la modification du contrat de travail viennent ici s'ajouter à celles de l'obligation de reclassement et à n'en pas tenir compte, un reclassement réussi sur le fond, peut se transformer en déclassement abusif si l'employeur néglige de faire acter l'accord du salarié à cette modification.
Obligations de reclassement et procédures de modification. Sur les modifications de contrat de travail proposées au salarié en exécution de l'obligation de reclassement prévue à l'article L. 1233-4 du Code du travail pour éviter les licenciements économiques, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de s'exprimer : la procédure exceptionnelle prévue par la loi pour les modifications de contrat pour motif économique (C. trav., art. L. 1222-6) qui autorise l'employeur à déduire l'accord du salarié de son silence pendant un délai imparti (v. supra), est inapplicable lorsque la proposition est faite en exécution de l'obligation de reclassement prévue à l'article L. 1233-4 du Code du travail (4). Dans cette hypothèse de reclassement, les juges imposent cependant aux employeurs un certain formalisme : les offres de reclassement adressées au salarié doivent être "écrites et précises" (5), pour favoriser l'information de ce dernier et permettre une prise de décision éclairée... communiquée ou non à l'employeur. En cas de silence, c'est la jurisprudence "Raquin" qui s'applique (le silence du salarié ne vaut pas acceptation).
En revanche, s'agissant des modifications de contrat de travail proposées au salarié en exécution des obligations de reclassement prévues aux articles L. 1226-2 du Code du travail (inaptitude d'origine non professionnelle) et L. 1226-8 du Code du travail (inaptitude d'origine professionnelle), aucune procédure particulière n'est prévue par la loi. L'arrêt du 29 novembre 2011 qui concerne un reclassement suite à une inaptitude d'origine non professionnelle, indique qu'il faut dans cette hypothèse aussi appliquer la jurisprudence "Raquin" ... et ne rien déduire du silence du salarié, même de longue durée.
II - Nécessité d'un accord exprès du salarié à la modification de son contrat de travail
Un bien long silence... qui ne vaut pas acceptation. Cinq années ont passé depuis la réaffectation du salarié inapte à son nouveau poste, sans la moindre protestation de ce dernier relative à ce reclassement... jusqu'au procès prud'homal où, estimant avoir fait l'objet d'un déclassement abusif, il formule des demandes de réintégration dans son nouveau poste ainsi qu'un rappel de salaires.
Un reclassement provisoire qui dure... L'explication de la décision, si ce n'est le noeud de l'affaire, est peut-être là : l'inaptitude du salarié à son poste de travail était seulement temporaire. Sollicité par l'employeur dès le premier avis d'inaptitude, un avis du médecin du travail indique en effet que la restriction d'aptitude du salarié n'était pas forcément définitive et qu'il pourrait certainement "bientôt reprendre des contacts avec la clientèle à l'intérieur de l'URSSAF". Le procès a semble-t-il démarré alors que le salarié tentait de retrouver son ancien emploi et son ancien niveau de rémunération... en vain. Peut-être alors y a-t-il eu négligence de l'employeur de laisser si longtemps dans un poste "déclassé" un salarié dont l'inaptitude à son emploi n'était que provisoire ? Peut-être y a-t-il là explication au fait que l'accord du salarié à la modification de son contrat de travail, si la réaffectation était seulement provisoire, n'ait pas été exigé... Le reste de l'affaire est glauque, fait de difficultés relationnelles entre l'intéressé et ses supérieurs hiérarchiques, de pratiques susceptibles de relever de harcèlement moral... jusqu'au second avis d'inaptitude, onze ans plus tard, où le salarié sera déclaré inapte définitif à tout poste dans l'entreprise.
Fondement de la solution : l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Sans l'acceptation expresse du salarié à la modification de son contrat de travail, une décision de reclassement a priori réussie peut basculer plusieurs années plus tard vers une condamnation pour déclassement abusif, alors même que l'employeur aura exécuté son obligation de reclassement convenablement. La solution est fondée sur (et l'arrêt rendu au visa de) l'article 1134 du Code civil. Le rappel ne peut être plus clair : le contrat de travail fait loi entre les parties et il ne peut pas être modifié par l'une unilatéralement, quelles qu'en soient les raisons, sans s'être préalablement assuré du consentement de l'autre à la modification. Il ne s'agit pas seulement d'exécution du contrat de travail de bonne foi (auquel cas l'article L. 1222-1 du Code du travail aurait pu être visé).
Modalités de l'acceptation. Le Code du travail ne prévoyant aucune procédure particulière pour la modification de contrat de travail pour motif personnel, l'employeur qui projette une modification de contrat de travail devra par conséquent s'assurer de la réponse du salarié avant de mettre en ouvre la modification (6). Faute d'accord formellement exprimé par ce dernier, la modification sera considérée comme n'étant pas intervenue.
Que la modification soit définitive ou provisoire, on conseillera par conséquent à l'employeur de formuler par écrit la proposition de modification, de l'adresser au salarié en lui demandant de répondre dans un délai raisonnable, et de considérer, faute de réponse favorable, qu'il y a refus de sa part. Cette façon de procéder s'inspire de la procédure applicable aux modifications de contrat pour motif économique (C. trav., art. L. 1222-6.) à l'importante différence près que le silence du salarié vaudra refus... et non acceptation.
Si acception il y a, elle ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté et ne peut se déduire d'un acquiescement implicite (7). L'accord qui doit être clair et non équivoque, n'est pas nécessairement écrit (8), mais cela est évidemment préférable.
(1) Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème édition, n° 49-51.
(2) "Le seul refus d'accepter une modification de son contrat de travail ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement" (Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 06-43.762, F-D N° Lexbase : A6033DZH).
(3) V. nos obs., Inaptitude, obligation de reclassement, modification du contrat de travail et refus du salarié : la quadrature du cercle ?, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3573BRR), Cass. soc., 26 janvier 2011, n° 09-43.193, FS-P+B (N° Lexbase : A8514GQE).
(4) Cass. soc. 13 avril 1999, n° 97-41.934, publié (N° Lexbase : A4732AGD), Dr. soc., 1999, 639, obs. G. Couturier ; Cass. soc. 17 mai 2006, n° 04-43.551, F-D (N° Lexbase : A4566DPS), RDT, 2006, 100, obs. Ph. Waquet ; Cass. soc. 16 novembre 2007, n° 06-41.405, F-D (N° Lexbase : A6021DZZ), JCP éd. S, 2008, 1030, note M. Del Sol.
(5) Cass. soc. 20 septembre 2006,n ° 04-45.703, publié (N° Lexbase : A2799DR4), RDT, 2006. 315, obs. Waquet ; Dr. soc., 2006, 1151, note G. Couturier.
(6) L'accord du salarié sur la modification de son contrat de travail doit être préalable à la mise en oeuvre de la modification : la modification n'est pas valable si l'employeur la met en oeuvre le jour même où il l'en a informé (Cass. soc. 31 octobre 2000, n° 98-44.988, publié N° Lexbase : A7881AHD).
(7) Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-41.643, F-D (N° Lexbase : A8493GQM).
(8) L'accord oral d'un salarié à la modification du mode de rémunération prévu dans son contrat de travail permet de caractériser son acceptation (Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-45.024, F-D N° Lexbase : A3004DUS).
Décision
Cass. soc., 29 novembre 2011, n° 10-19.435, FP-P+B, sur le 1er moyen du pourvoi principal (N° Lexbase : A4842H3Q) Cassation partielle partiellement sans renvoi, CA Colmar, 4ème ch., sect. A, 21 avril 2010, n° 09/00729 (N° Lexbase : A3464EXL) Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clés : inaptitude partielle, obligation de reclassement, modification du contrat de travail, acceptation claire et non équivoque Liens base : (N° Lexbase : E8965EST) |
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