Lexbase Public n°226 du 8 décembre 2011 : Droit des étrangers

[Doctrine] Chronique de droit des étrangers - Novembre 2011

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 08 Décembre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat en date respectivement des 9 et 18 novembre 2011. Le premier arrêt vient confirmer la légalité de la création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3 (CE 2° et 7° s-s-r., 18 novembre 2011, n° 335532, publié au recueil Lebon). Le juge estime que ces deux centres, parce qu'ils sont séparés et autonomes bien qu'ayant des services mutualisés, ne peuvent pas être regardés comme n'en faisant qu'un. Dès lors, leur capacité d'accueil n'excède pas la capacité maximale d'accueil d'un centre de rétention. Dans le deuxième arrêt (CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 348773, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d'Etat se prononce sur une question plus spécifique tenant à la légalité de la circulaire (circ. min., n° IOCV1108038C, du 23 mars 2011 N° Lexbase : L0451IQR) sur les conséquences de l'avis du Conseil d'Etat du 21 mars 2011, relatif à l'effet direct de la Directive "retour" (CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2011, n° 345978, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6964HEN). Pour le juge, le défaut de publication de cette circulaire sur le site "circulaires.gouv.fr" n'empêche pas que les consignes qui y sont insérées soient valides. La troisième décision étudiée est une décision du juge européen, décision très attendue concernant la conventionalité du "délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger", dit "délit de solidarité". Procédure très contestée, elle n'a pas été remise en cause par la Cour dans le cas d'espèce et dans la mesure où, pour le juge, les autorités ont su ménager "un juste équilibre" entre les divers intérêts en présence. Ce faisant, et en se concentrant sur les seules circonstances de l'espèce, la Cour n'établit pas clairement les contraintes de conventionalité applicables à ce mécanisme pénal (CEDH, Req. n° 29681/08, 10 novembre 2011).
  • Légalité de la création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3 (CE 2° et 7° s-s-r., 18 novembre 2011, n° 335532, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9259HZX)

La création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3 a marqué une nouvelle étape dans le phénomène que les associations de défense des droits des migrants ont qualifié depuis 2004 "d'industrialisation de la rétention". Les deux centres en question comptent 240 places, dont 40 places réservées aux familles, et sont organisés autour de deux bâtiments administratifs jumeaux, eux-mêmes reliés par une passerelle de commandement. Une double enceinte grillagée et barbelée entoure l'ensemble du centre. Les deux centres de rétention, séparés par une simple clôture, sont installés dans une enceinte commune avec une entrée unique sur une route départementale, et disposent de certains services mutualisés pour les personnels. Présentés par l'administration comme constituant deux centres de rétention, tous ces éléments peuvent faire conclure, au contraire, à l'existence d'un seul centre. Or, la capacité maximale d'accueil de chacun de ces centres étant de 120 personnes, le regroupement des centres ferait dépasser le seuil maximal de 140 places qui est imposé pour les centres de rétention par l'article R. 553-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1743HWH).

La création de ces centres est donc contestée par les associations de défense des droits des migrants qui dénoncent, dans ces conditions, la possibilité limitée pour les étrangers d'exercer leurs droits et de bénéficier d'une véritable aide juridique. En effet, le nombre important de dossiers à traiter pour le juge des libertés et de la détention statuant sur la situation des retenus des centres de Mesnil-Amelot conduit forcément à un traitement très rapide et superficiel de la situation de chacun et à la mise en place conséquente d'une justice d'exception pour les étrangers.

En conséquence, les associations ont d'abord saisi le Conseil d'Etat d'un référé-suspension visant plusieurs arrêtés successifs pris en application de l'article R. 553-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7359IMI), en tant qu'ils ajoutaient à la liste des centres de rétention administrative les centres du Mesnil-Amelot 2 et 3. Le Conseil d'Etat rejette ces demandes, considérant, notamment, "que l'ouverture effective d'un centre de rétention dans les conditions prévues par le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas de nature, en soi, à créer une situation d'urgence justifiant le prononcé d'une mesure de suspension en référé" (1).

Au fond, les associations ont, d'abord, fait valoir la méconnaissance des principes d'indépendance et d'impartialité de la justice et une violation conséquente du droit à un procès équitable prévu à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Ceci, dans la mesure où, notamment, les audiences du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux auront lieu dans deux salles intégrées à un ensemble de bureaux de police attenant au centre. Le Conseil d'Etat estime que les conditions permettent de statuer publiquement dans le respect de l'indépendance des magistrats et de la liberté des parties. Pour le juge, "la tenue d'une audience dans une salle à proximité immédiate d'un lieu de rétention n'est, dès lors qu'elle n'est pas située dans le centre lui-même, pas contraire à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales [...] il ressort des pièces du dossier que les salles d'audience, dépendant du ministère de la justice, sont prévues en dehors des centres eux-mêmes, qu'il existe une entrée publique autonome située avant l'entrée dans les centres et que ces salles ne sont pas reliées aux bâtiments composant les centres".

Par ailleurs, sur le moyen relatif à l'exposition au bruit des centres, le Conseil d'Etat considère que "les centres sont situés dans des zones de forte exposition aux nuisances sonores du fait de la proximité de l'aéroport de Roissy et de la route départementale [...] toutefois, compte tenu du caractère temporaire de la rétention dans ces bâtiments, de la destination des lieux, ainsi que de l'isolation acoustique des bâtiments, l'ouverture des centres construits sur ce terrain n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation".

Les associations mettent, également, en avant le caractère abusif du placement en rétention des mineurs et la violation de l'article 17 de la Directive du 16 décembre 2008 (2) qui oblige, notamment, l'administration à prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant ou encore un lieu d'hébergement séparé pour la famille. De même, est dénoncé le fait que l'accueil des enfants mineurs dans le centre puisse permettre, à terme, aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre de ses enfants mineurs alors que le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile interdit l'expulsion des mineurs étrangers (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-4 N° Lexbase : L7191IQE).

La Haute assemblée juge "que le centre du Mesnil-Amelot 2 est autorisé à accueillir des familles [...] il ressort des pièces du dossier qu'en conséquence un bâtiment spécial a été aménagé à cet effet [...] ces dispositions n'ont pas pour objet de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre des enfants mineurs des personnes placées en rétention [...] elles visent seulement à organiser l'accueil des familles, et notamment des enfants mineurs, des étrangers placés en rétention".

Enfin, et de manière principale, le Conseil d'Etat estime que ces deux centres, parce qu'ils sont séparés et autonomes bien qu'ayant des services mutualisés, ne peuvent pas être regardés comme n'en faisant qu'un. Dès lors, leur capacité d'accueil n'excède pas les 140 places autorisées par l'article R. 553-3 précité. Ensuite, le passage de l'un à l'autre centre est impossible pour les personnes retenues et, enfin, chaque centre dispose d'un service d'accueil, d'un système de surveillance, d'une équipe de direction et de personnels propres. En outre, la décision d'affectation d'une personne retenue doit préciser lequel des deux centres sera retenu.

Le Conseil d'Etat, par la décision d'espèce, caractérise, ainsi, l'unité d'un centre de rétention. Celle-ci est déterminée par l'autonomie de son administration et l'autonomie de l'organisation de l'accueil, de la vie et de la surveillance des personnes retenues. En revanche, les locaux destinés au personnel et qui ne sont pas directement affectés à la rétention peuvent être mutualisés, une passerelle reliant les deux centres et destinée à la police aux frontières n'étant pas jugé comme liant les deux centres. Au final, et en dépit des controverses et des critiques également formulées par la Cour des comptes (3) et plusieurs commissions nationales qui y voient des risques de sécurité (notamment après l'incendie d'un tel centre double à Vincennes en juin 2008), de troubles à l'ordre public, et de suivi individuel insuffisant, le couplage des deux centres de rétention du Mesnil-Amelot est jugé légal.

  • Légalité de la circulaire du 23 mars 2011, sur les conséquences de l'avis du Conseil d'Etat du 21 mars 2011, relatif à l'effet direct de la Directive "retour" (CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 348773, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9085HZI)

Les mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière font l'objet d'un encadrement normatif à la fois complexe et dense, résultant, notamment, de la superposition des réglementations nationale et communautaire. En cette matière, le poids des contraintes communautaires ne manque pas de se faire sentir, suscitant parfois des difficultés d'application.

C'est le cas à propos de la Directive dite "retour" adoptée le 16 décembre 2008 par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, et relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Le délai d'expiration pour la transposition de la Directive en droit interne a expiré le 24 décembre 2010. Le tribunal administratif de Montreuil a alors saisi pour avis le Conseil d'Etat quant à la portée et l'applicabilité, en l'absence de mesures de transposition, des articles 7 et 8 de la Directive. La question étant de savoir si la Directive "retour" pouvait être directement invocable par les étrangers contestant la mesure de reconduite à la frontière dont ils faisaient l'objet.

L'article 7 de la Directive dispose que "la décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire" au terme duquel la mesure d'éloignement peut être exécutée, permettant que ce délai fût réduit, voire supprimé, dans des cas particuliers énumérés à son paragraphe 4. L'article 8 prévoit qu'"à l'expiration dudit délai ou dans les cas où aucun délai n'a été accordé, les Etats prennent toutes mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour". En ce sens, les dispositions de l'article L. 511-1 II du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7189IQC) définissant le régime des arrêtés de reconduite à la frontière étaient donc incompatibles avec la Directive en ce qu'elles n'imposaient pas qu'une mesure de reconduite à la frontière soit assortie d'un délai approprié.

L'avis confirme l'applicabilité de la Directive dans une application littérale de la jurisprudence "Dame Perreux" (4), et reconnaît donc, que, dès lors que les dispositions de la Directive sont inconditionnelles et précises, la circonstance que l'Etat ne les ait pas transposées ne peut, dans ce cadre, faire obstacle à ce que les dites dispositions puissent être directement invoquées (5). A la suite de cet avis, le ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration a adressé, le 23 mars 2011, au Préfet de police et aux préfets une circulaire dont l'objet était de préciser les conséquences à tirer, à titre transitoire, de l'avis du Conseil d'Etat du 21 mars 2011 "dans l'attente de la transposition de l'ensemble de la directive que permettra l'adoption prochaine, par le Parlement, du projet de loi relatif à l'immigration, l'intégration et la nationalité". Il s'agissait, ainsi, pour le ministre, de présenter "à titre transitoire" les modalités d'application non de l'avis du Conseil d'Etat en soi, mais des modalités de lecture à retenir de cet avis (6).

C'est l'objet de la circulaire du 23 mars 2011 (circ. min., n° IOCV1108038C) attaquée par l'association requérante, cette dernière demandant l'annulation pour excès de pouvoir de certains des termes de cette instruction, notamment ceux en liaison avec les dispositions des articles 7 et 8 de la Directive. L'association invoquait principalement l'absence de publication de la circulaire attaquée sur le site "circulaires.gouv.fr".

Pour le Conseil d'Etat, l'association n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions de la circulaire qu'il conteste. Il relève, en effet, que le défaut de publication d'une circulaire sur le site en question n'empêche pas que les consignes qui y sont insérées soient valides. En conséquence, même non publiée immédiatement sur le site comme l'exigeait le décret du 8 décembre 2008, relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (8), et alors même que les moyens d'une telle publication sont à la portée de toute administration, la circulaire est validée.

Selon l'article 1er du décret mentionné, "une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site [...] n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés". Pour autant, le Conseil d'Etat juge que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un ministre fasse cesser une application irrégulière du droit et qu'il prescrive, par cette voie, à ses services, de prendre des décisions en conformité avec les normes, notamment communautaires, qui s'imposent légalement à l'administration. C'est l'application immédiate des dispositions qui prédomine sur la publication des dispositions de la circulaire. Les mesures en cause relèvent aujourd'hui de la loi du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (8).

  • La CESDH ne s'oppose pas à une condamnation avec dispense de peine pour aide au séjour irrégulier d'un étranger (CEDH, Req. n° 29681/08, 10 novembre 2011 N° Lexbase : A9119HZR)

La décision n° 29681/08 rendue le 10 novembre 2011 a donné à la Cour européenne des droits de l'Homme l'occasion de se prononcer sur l'application du "délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger" prévue par l'article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5886G4R) qui punit de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende "toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France". Symbole de la tendance répressive qui sévit en France et popularisé par les associations françaises sous le terme de "délit de solidarité", l'examen de sa conventionalité était très attendu.

Le texte vise toute personne dont les agissements favorisent l'immigration clandestine et l'introduction irrégulière sur le territoire français d'étrangers, quelle que soit la raison de leur présence. En l'espèce, le requérant fut condamné en 2006 pour avoir hébergé son gendre, alors que l'autorisation donnée à ce dernier de pouvoir rester sur le territoire français avait expiré. L'on précisera que sa fille était, alors, enceinte et que des démarches administratives au titre du regroupement familial étaient en cours. Le requérant est poursuivi, et finalement jugé coupable, à deux reprises. Il est cependant dispensé de peine, d'abord en raison de la cessation de l'infraction (le gendre ayant finalement, entre temps, été régularisé), ensuite parce que son comportement avait été dicté par la générosité. Mais deux décisions de justice considèrent qu'il a bien commis un délit. Son pourvoi en cassation est rejeté. Devant la Cour de Strasbourg, le requérant se plaignait d'une violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) garantissant le droit au respect de sa vie privée et familiale. Nul doute que la solution alors adoptée par le juge strasbourgeois va faire couler beaucoup d'encre.

La Cour refuse, dans un premier temps, de suivre l'analyse du Gouvernement défendeur sur le terrain de la recevabilité, et juge l'article 8 de la CESDH et le droit au respect de la vie privée et familiale applicable aux faits de l'espèce (point n° 31). Sur le fond, elle constate l'existence d'une ingérence dans le droit du requérant fondé sur l'article 8, que celle-ci était prévue par la loi (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 622-1), et qu'elle poursuivait un but légitime, la protection de l'ordre public et la prévention des infractions pénales (point n° 38). Mais la reconnaissance conventionnelle d'un tel lien familial ne revient pas à lui offrir une protection absolue contre toute ingérence des pouvoirs publics (point n° 35). Seules celles qualifiables d'"arbitraires" aux yeux de la Cour sont susceptibles de faire l'objet d'une condamnation par le juge européen.

Après avoir légitimé la déclaration de culpabilité prononcée par les juridictions pénales françaises qui "ne pouvaient que statuer dans le sens de la responsabilité pénale du requérant" (point n° 40), la Cour relève favorablement, dans un second temps, que ces mêmes juridictions ont assorti la déclaration de culpabilité d'une dispense de peine. Pour la Cour, une telle issue témoigne du fait que "les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les divers intérêts en présence à savoir la nécessité de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions pénales d'une part, et de protéger le droit du requérant au respect de sa vie familiale, d'autre part" (point n° 40). En l'absence d'atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, et eu égard au faible impact de sa condamnation sur son casier (§ 41), il n'y a pas eu violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

En jugeant de la sorte, la Cour se concentre sur les seules circonstances de l'espèce et il est difficile de déterminer si ce "juste équilibre" aurait aussi été respecté dans l'hypothèse où une peine, fût-elle minime, aurait été prononcée contre le requérant. La Cour ne prend pas, également, en compte la question de l'existence même de l'infraction, que celle-ci débouche ou non sur le prononcé d'une peine. Ainsi que le révèle parfaitement le cas d'espèce, cette infraction pénale peut être le support de poursuites pénales. Dans ce cadre procédural, divers actes peuvent intervenir -au premier rang desquels figure le placement en garde à vue- et ces derniers ne sont pas dénués de retombées négatives sur les personnes qui en sont l'objet, notamment jusque dans leur vie familiale. De plus, en raison du flou qui affecte le champ d'application de cette infraction, cette dernière peut faire figure de menace potentielle à même de dissuader une personne d'agir d'une certaine manière (9).

Il faut, à cet égard, mentionner dans un rapport en date du 6 janvier 2011 rendu public par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme une note sur les cas d'application du délit d'aide à l'entrée, au séjour, à la circulation et au séjour irréguliers. La démarche de la Commission consistait, alors, à ne pas se limiter aux seuls exemples de condamnation par un tribunal, et à considérer le procès pénal dans son ensemble -de l'interpellation à la condamnation- selon l'idée que la condamnation au sens strict ne constitue pas l'unique sanction à prendre en compte pour une analyse pertinente des conséquences de la disposition en question sur les personnes en cause.

La Commission regrette, en premier lieu, le manque de clarté de la définition de l'infraction et sa nature trop large et trop englobante. Elle préconise, par ailleurs, une indispensable inversion de logique dans le dispositif afin que les immunités prévues à l'article L. 622-4 précité deviennent le principe et, le délit, l'exception. Enfin, elle déduit de son étude qu'aujourd'hui, en France, une personne peut effectivement être inquiétée pour des actes de pure solidarité, c'est-à-dire dans une approche humanitaire envers un étranger en situation irrégulière.

Il peut s'agir d'actes sur la durée, comme la distribution de nourriture par des bénévoles, ou exercées de manière ponctuelle face à une situation d'urgence. Ainsi, une femme a comparu devant le tribunal correctionnel pour avoir hébergé un mineur isolé sans domicile. Elle a bénéficié d'une relaxe mais l'affaire n'a pas été classée sans suite. Elle a, en effet, été relaxée sur le fondement de l'état de nécessité et non pas de l'immunité "humanitaire". De plus, un homme a été condamné pour avoir transporté un migrant jusqu'au supermarché pour qu'il puisse se restaurer (10). Ainsi, il apparaît que certains actes qui pourraient être couverts par l'immunité dite "humanitaire" prévue à l'article L. 622-4, alinéa 3, du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne le sont pas.

La définition de l'infraction manque effectivement de clarté en ce sens et peut, par certains côtés, se révéler assez imprécise. Il faut, à cet égard, mentionner l'existence d'une opinion dissidente de la juge Power-Forde, pour qui l'ingérence était, en l'espèce, "totalement disproportionnée", et ne répondait à aucun "besoin social impérieux" au sens de la jurisprudence européenne. Reprenant les critiques adressées à la législation en question, dont celles émises par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, elle remet en cause la qualité de la loi, estimant que les dispositions de l'article L. 622-1 sont "trop générales et sans nuances" et, en ce sens, "incompatibles avec le respect des droits de l'Homme dans un Etat régi par la prééminence du droit".

La juge pose une question qui peut interpeller : "Quel danger ou risque [le requérant] avait-il fait courir à la société en permettant à son gendre de rester sous son toit alors que l'épouse de celui-ci, sa fille, connaissait une grossesse difficile et qu'une demande de regroupement familial avait été adressée aux autorités et était en cours d'examen ?", et d'évoquer une autre interrogation qui pourrait bien se poser dans de prochaines affaires : "que veut dire aider' ou faciliter' le séjour irrégulier d'un immigré ? Lui acheter une carte téléphonique grâce à laquelle il pourra appeler chez lui, lui offrir un pull-over chaud ou un bol de soupe en hiver ou l'héberger un soir de Noël, est-ce aider' ou faciliter' -directement ou indirectement- son séjour en France ?".


(1) Pour le Conseil d'Etat, "si les associations requérantes font valoir que les centres du Mesnil-Amelot 2 et 3 sont exposés, du fait de leur localisation, à d'importantes nuisances sonores causées en particulier par la circulation aérienne et qu'ils auraient été implantés en méconnaissance des prescriptions législatives relatives aux plans d'exposition au bruit, que certains aménagements intérieurs des deux centres ne respecteraient pas les normes fixées par l'article R. 553-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment pour ce qui concerne la surface des salles de loisir et de détente, et que les deux salles d'audience auraient été installées en méconnaissance des dispositions de l'article L. 552-1 du même code, ces circonstances ne traduisent pas une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que les associations requérantes entendent défendre justifiant le prononcé d'une mesure de suspension, alors que le Conseil d'Etat devrait, ainsi qu'il a été dit, statuer prochainement sur les requêtes au fond" (CE référé, 13 septembre 2011, n° 352155, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7596HXM, AJDA, 2011, p. 1920).
(2) Directive (CE) 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS), JOUE, 24 décembre 2008, p. 98-107.
(3) Cour des comptes, rapport sur la gestion de la rétention administrative, juillet 2009.
(4) CE, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6040EMN), AJDA, 2009, p. 2385, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, D., 2010, p. 553, obs. M.-C. de Montecler, note G. Calvès, RFDA, 2009, p. 1125, concl. M. Guyomar.
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2011, n° 345978, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6964HEN), JCP éd. A, 2011, n° 2173, comm. S. Slama, AJDA, 2011, p. 1688, note H. Alcaraz, Constitutions, 2011, p. 328, obs. A. Levade.
(6) En particulier, la circulaire prescrivait, à cet effet, de "laisser aux étrangers qui sont susceptibles, conformément à l'article 7 de la Directive, d'en revendiquer le bénéfice, un délai pour quitter volontairement le territoire national". La circulaire interdisait, en outre, "d'opposer le risque de fuite pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire d'au moins sept jours".
(7) Décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008, relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (N° Lexbase : L1366ICL), JO du 10 décembre 2008, p. 18777.
(8) JO du 17 juin 2011, p. 10290.
(9) Voir, en ce sens, Nicolas Hervieu, Conventionalité du "délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger" dit "délit de solidarité", in Lettre "Actualités Droits-Libertés" du CREDOF, 11 novembre 2011.
(10) CA, Metz, 17 novembre 1995.

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