Lexbase Public n°226 du 8 décembre 2011 : Environnement

[Questions à...] Quand l'action de l'Etat est prioritaire dans la réglementation de l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile - Questions à Sandrine Fiat, Avocat associé, Cabinet CDMF-Avocats, directrice du pôle droit public

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[Questions à...] Quand l'action de l'Etat est prioritaire dans la réglementation de l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile - Questions à Sandrine Fiat, Avocat associé, Cabinet CDMF-Avocats, directrice du pôle droit public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5650955-questions-a-quand-laction-de-letat-est-prioritaire-dans-la-reglementation-de-limplantation-des-anten
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 08 Décembre 2011

Dans trois décisions rendues le 26 octobre 2011 (CE Ass., 26 octobre 2011, publiés au recueil Lebon, n° 326492 N° Lexbase : A0172HZE, n° 329904 N° Lexbase : A0173HZG, et n° 341767 N° Lexbase : A0174HZH), la Haute juridiction administrative a jugé que seules les autorités de l'Etat (ministres, ARCEP, Agence nationale des fréquences) sont compétentes pour réglementer l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile. Un maire ne saurait donc, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale ainsi confiés par la loi aux autorités de l'Etat, adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes. Ces décisions sont importantes à plus d'un titre puisqu'elles revisitent des thématiques aussi diverses que l'articulation entre police générale et police spéciale, réglementation des antennes de téléphonie mobile, principe de précaution et Charte de l'environnement. Par ailleurs, ce contentieux est encore loin d'être épuisé puisque le 18 octobre 2011, la mairie de Paris a suspendu l'installation de nouvelles antennes relais dans la capitale afin de limiter les seuils d'exposition du public aux ondes électromagnétiques de téléphonie mobile. Pour faire le point sur ces arrêts, Lexbase Hebdo - édition publique a interrogé Sandrine Fiat, Avocat associé, Cabinet CDMF-Avocats, directrice du pôle droit public. Lexbase : Comment s'articulent les compétences de police spéciale reconnues aux autorités de l'Etat en la matière et celles de police générale du maire ?

Sandrine Fiat : La police générale est celle qui vise à assurer l'ordre public, entendu traditionnellement comme la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. C'est ainsi que le maire peut, en application des dispositions des articles L. 2212-1 (N° Lexbase : L8688AAZ) et L. 2212-2 (N° Lexbase : L3470ICI) du Code général des collectivités territoriales, prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publique. En application de leur pouvoir de police générale, plusieurs maires avaient réglementé de façon générale l'implantation des antennes de téléphonie mobile sur le territoire de leur commune en justifiant leur intervention sur le fondement de leur compétence de police générale au nom du principe de précaution.

La question se posait de savoir si, en matière d'implantation d'antennes relais de téléphonie mobile, le maire, en sa qualité de titulaire du pouvoir de police générale, pouvait intervenir en parallèle des autorités désignées par la loi pour réglementer l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile. En effet, les articles L. 32-1 (N° Lexbase : L0095IRX), L. 34-9-1 (N° Lexbase : L7710IMI), L. 34-9-2 (N° Lexbase : L0074IR8), L. 42-1 (N° Lexbase : L0112IRL) et L. 43 (N° Lexbase : L0125IR3) du Code des postes et des communications électroniques organisent une police spéciale des communications électroniques confiées à l'Etat poursuivant, notamment, les deux objectifs suivants :

- assurer sur l'ensemble de territoire national, et conformément au droit de l'Union européenne un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communication électroniques qui sont identiques sur tout le territoire ;
- et assurer un fonctionnement optimal de ces réseaux, notamment par une couverture complète du territoire (1).

Le Conseil d'Etat a considéré qu'il résultait de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiées à l'Etat, c'est-à-dire au ministre chargé des Communications électroniques, à l'ARCEP et à l'ANF, à charge pour elles de déterminer de manière complète les modalités d'implantation des stations radio-électroniques sur l'ensemble du territoire, ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu'elles émettent. Le Conseil d'Etat a, ainsi, relevé que les pouvoirs de la police spéciale attribués aux autorités nationales qui reposent sur un niveau d'expertise et peuvent être assortis de garanties indisponibles au plan local, sont conférés à chacune de ces autorités, notamment pour veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la limitation de l'exposition du public au champ électromagnétique à la protection de la santé publique.

Ainsi, le fait pour le législateur d'avoir prévu que le maire soit informé, à sa demande, de l'état des installations radioélectriques exploitées sur le territoire de sa commune, ou qu'il soit habilité, en application de ses pouvoirs de police générale en matière de sureté, sécurité ou salubrité publiques, ne sauraient porter atteinte aux pouvoirs de la police spéciale conférés aux autorités de l'Etat, ces deux polices n'étant pas cumulatives.

Lexbase : Dans cette affaire, quels éléments ont conduit le juge administratif à juger en faveur de l'exclusivité d'une police spéciale des communications électroniques confiées l'Etat ?

Sandrine Fiat : Les juges du Palais-Royal, à l'aune des deux objectifs poursuivis par la police spéciale des communications électroniques, à savoir assurer sur l'ensemble de territoire national un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques, ainsi qu'un fonctionnement optimal de ces réseaux, notamment par une couverture complète du territoire, ont estimé que l'exclusivité des pouvoirs de police spéciale devait primer en la matière.

Le Conseil d'Etat juge que le maire ne saurait adopter, sur le territoire de sa commune, une règlementation relative à l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l'Etat. En effet, la police spéciale a un champ plus large que la seule question des antennes relais de téléphonie mobile dans la mesure où elle vaut pour toutes les stations radioélectriques, et pas seulement pour ce type particulier de stations que sont les antennes relais.

La Haute juridiction a, également, pris en considération la portée nationale de la police spéciale en la matière. Comme le précisent les trois décisions du Conseil d'Etat, les effets des ondes électromagnétiques sont identiques sur tout le territoire national et l'appréhension de leur impact sur la santé publique n'est pas tributaire des circonstances locales. Enfin, les Hauts juges relèvent le niveau d'expertise élevé requis en la matière, indiquant que les pouvoirs de police spéciale ainsi attribués aux autorités nationales sont conférés à chacune de ces autorités, notamment pour veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques et à la protection de la santé publique.

Dans le communiqué du Conseil d'Etat, il est précisé qu'il appartient à ces autorités nationales de s'appuyer sur une expertise non disponible au plan local. Ainsi, dans le cadre des trois décisions rendues par le Conseil d'Etat le 26 octobre 2011, la Haute assemblée a considéré que l'existence de la police spéciale de l'Etat excluait l'intervention de la police municipale confiée au maire.

Lexbase : Quelle est la position du juge concernant l'application du principe de précaution dans le contentieux des antennes relais de téléphonie mobile. Qu'en a-t-il-été en l'espèce ?

Sandrine Fiat : Le Conseil d'Etat a posé le principe de la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement en précisant que "l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes les dispositions qui procèdent du préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle. Il s'impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétences respectif".

Par un arrêt en date du 19 juillet 2010 (2), le Conseil d'Etat est revenu sur sa jurisprudence du 20 avril 2005 (3) par laquelle il avait consacré le principe de l'indépendance des législations et l'opposabilité du principe de précaution aux autorisations d'urbanisme. Le Conseil d'Etat a, en effet, souligné qu'il est énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement, "à laquelle le préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 (4) que, lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertain dans l'état des connaissances scientifiques, pourra affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent par application du principe de précaution, et dans leur domaine d'attribution, à la mise en oeuvre des procédures d'évaluation des risques par l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage [...] ces dernières dispositions, qui n'appellent pas de dispositions législatives ou règlementaires en précisant les modalités de mise en oeuvre s'imposent aux pouvoirs publics et autorités administratives dans leur domaine de compétences respectif [...] dès lors, en estimant que le principe de précaution, tel qu'il est énoncé à l'article 5 de la Chartre de l'environnement, ne peut être pris en compte par l'autorité administrative lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme, le tribunal administratif [...] a commis une erreur de droit".

Certains maires s'étaient imaginé pouvoir invoquer le principe de précaution, argument très fréquemment invoqué dans les affaires d'antenne de téléphonie mobile, pour justifier l'intervention concurrente de toutes les autorités publiques et réglementer l'implantation desdites antennes... Le Conseil d'Etat, s'il rappelle que le principe de précaution consacré à l'article 5 de la Charte de l'Environnement, est bien applicable à toute autorité publique dans ces domaines d'attribution, précise qu'il ne saurait avoir ni pour objet, ni pour effet, de permettre à l'autorité publique d'excéder son champ de compétences et d'intervenir en dehors de ses domaines d'attribution.

Allant jusqu'au bout de son raisonnement, le Conseil vient préciser que la "circonstance que les valeurs limitant l'exposition au public aux champs électromagnétiques fixées au niveau national ne prendraient pas suffisamment en compte les exigences posées par le principe de précaution, n'habilite pas davantage les maires à adopter une règlementation locale portant sur l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes". En clair, les maires ne sauraient, sous prétexte de l'application du principe de précaution, édicter des règles de réglementation générale prescrivant des distances minimales d'implantation des antennes relais, excluant tel type de bâtiment, notamment les bâtiments publics de l'installation de ces antennes.

Lexbase : Cette solution ne risque-t-elle pas de laisser de nombreux maires démunis face à l'implantation de ces antennes sur le territoire de leurs communes ?

Sandrine Fiat : Les maires, dans l'exercice de leur pouvoir de police générale, avaient cru pouvoir s'inspirer de l'actualité récente et, notamment, des décisions rendues par le juge judiciaire imposant aux opérateurs de téléphonie mobile de démonter certaines de leurs antennes relais pour réglementer l'implantation des antennes de téléphonie mobile (5). Le Conseil d'Etat censure ces décisions en raison de l'incompétence de l'exécutif local à intervenir en cette matière relevant de la police spéciale du ministre des Télécommunications.

Il convient, cependant, de garder à l'esprit que la décision du Conseil d'Etat a trait uniquement à la règlementation de l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile. Elle ne saurait être étendue à des décisions individuelles de police municipale que les maires pourraient prendre, notamment en cas d'urgence concernant les antennes relais déterminées au regard de circonstances locales et exceptionnelles, ou à décisions que pourraient prendre le maire pour s'opposer à la demande d'autorisation d'urbanisme d'implantation d'une antenne locale de relais de téléphonie mobile en invoquant l'atteinte à l'intérêt des lieux avoisinants conformément aux dispositions de l'article R. 111-21 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5595HW7). En effet, le Conseil d'Etat a pris soin de préciser que les décisions qu'il a rendues ne "concernent que la question de l'autorité compétente pour édicter une règlementation générale des implantations d'antennes relais, sans préjuger ni de l'illégalité des règlements nationaux applicables, ni de l'éventualité de décisions individuelles de police municipale que les maires pourraient prendre, notamment en cas d'urgence, concernant une antenne relais déterminée, au regard de circonstances locales exceptionnelles".

C'est clairement laisser, ainsi, la porte ouverte aux décisions individuelles prises par le maire à propos d'une antenne particulière en cas de graves dysfonctionnements ou de circonstances exceptionnelles justifiant une intervention d'urgence. Par ailleurs, il relève toujours des pouvoirs du maire, de prendre, en application du Code de l'urbanisme, toute décision concernant l'implantation des antennes relais qui sont soumises à autorisation et, notamment, à déclaration préalable. Sans compter que la collectivité publique saisie d'une demande d'autorisation d'occupation de son domaine public ou d'implantation d'antennes sur les biens immobiliers relevant de son domaine privé conserve son pouvoir décisionnaire et peut refuser d'en autoriser l'implantation.

Les juridictions administratives seront encore saisies de litiges domaniaux ou de litiges d'urbanisme portant sur les installation d'antennes de relais de téléphonie mobile, tout comme les juridictions civiles auront à statuer sur les demandes de démantèlement au regard, notamment, des troubles anormaux du voisinage invoqués par les propriétaires riverains.


(1) Lire J-H. Stahl et X. Domino, Antennes de téléphonie mobile : quand une police spéciale d'Etat évince la police municipale, AJDA, 2011, n° 39/2011.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 328687, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9950E4B).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 20 avril 2005, n° 248233, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9325DHT).
(4) Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, relative à la Charte de l'environnement (N° Lexbase : L0268G8G).
(5) CA Montpellier, 5ème ch., Sect. A, 15 septembre 2011, n° 10/04612 (N° Lexbase : A9933HX8).

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