La lettre juridique n°806 du 12 décembre 2019 : Travail illégal

[Jurisprudence] Contrôle du travail dissimulé par l’URSSAF : de nouvelles précisions sur l’articulation des procédures

Réf. : Cass. civ. 2, 7 novembre 2019, n° 18-21.947, F-P+B+I (N° Lexbase : A9987ZT3)

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N1515BYR

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par Kristel Meiffret-Delsanto, Maitre de conférences à l'Université de Lorraine (IFG 7301 - Axe droit social)

le 12 Décembre 2019


Résumé : les dispositions spécifiques du Code du travail qui régissent les prérogatives de contrôles diligentés dans le cadre de la politique de lutte contre le travail dissimulé ne font pas obstacle à ce que l’URSSAF procède à la recherche des infractions de travail dissimulé dans le cadre d’un contrôle de droit commun initié aux seules fins de recouvrement des cotisations. En présence d’un avis de contrôle et de la charte du cotisant contrôlé, ni la rédaction d’un procès-verbal de travail dissimulé transmis au procureur à des fins de poursuites, ni la substitution d’une seconde lettre d’observations portant modification de l’objet initial ne permettent de disqualifier a posteriori la nature primaire du contrôle. Par voie de conséquences, l’ancien article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8680IY7), réservé aux redressements notifiés à la suite des contrôles régis par le Code du travail, est écarté au profit du texte régissant la procédure de droit commun (CSS, art. R. 243-59 N° Lexbase : L8752LGA). Ce dernier ne prévoyant pas l’assistance d’un interprète, cet argument doit être balayé en présence d’autres éléments à même de fonder suffisamment le redressement disputé.


 

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 7 novembre 2019, est promis à une large diffusion [1]. Il illustre, une nouvelle fois, les difficultés procédurales suscitées par la coexistence des textes du Code du travail (C. trav., art. L. 8211-1 et s. N° Lexbase : L9238K4W) et du Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-7 N° Lexbase : L8234LRE et R. 243-59) en matière de détection puis de redressement des situations de travail dissimulé.

La détection par l’URSSAF des situations de travail de dissimulé peut d’abord intervenir à l’occasion d’un contrôle comptable d’assiette, dit contrôle de droit commun. Sa finalité consiste à veiller au respect des règles afférentes aux cotisations sociales par les cotisants. Ces contrôles trouvent leur fondement dans le Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-7). En cas d’infraction aux dites dispositions, les agents compétents ont également qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu’à preuve du contraire puis les transmettre au procureur de la république aux fins de poursuites. En principe, ce contrôle de droit commun doit débuter par l’envoi d’un avis de contrôle, sauf s’il est diligenté pour rechercher des situations de travail dissimulé. Au cours de ces opérations de contrôles (qui s’étendent jusqu’à la notification du redressement), les inspecteurs du recouvrement mobilisent les prérogatives et respectent les garanties prévues par l’article R. 243-59.

Mais, la détection d’une situation de travail dissimulé peut aussi intervenir à l’occasion d’un contrôle spécifique mené, cette fois, dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal (C. trav., art. L. 8211-1 et s.). Dans ce cadre, au cours de la phase de recherche et de constatation des infractions, la compétence des agents, dont ceux de l’URSSAF, est régie par le Code du travail. Le Code de la Sécurité sociale ne retrouve son empire que dans un second temps, au moment de la phase de recouvrement. L’article R. 133-8, désormais abrogé, devenait applicable en précisant que «lorsqu’il ne résulte pas d’un contrôle effectué en application de l’article L. 243-7 (caractère supplétif), tout redressement consécutif au constat d’un délit de travail dissimulé est porté à la connaissance» du cotisant selon une lettre d’observations particulière dont les mentions diffèrent de celles prescrites dans le cadre du contrôle de commun susvisé (CSS, art. R. 243-59) [2]. Contrairement à la procédure de droit commun, cette lettre d’observations devait être signée par le directeur de l’organisme et non par l’inspecteur du recouvrement.

En théorie, la distinction des champs d’application des contrôles menés sur le fondement des articles L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale ou L. 8211-1 et suivants du Code du travail paraît évidente. En pratique, elle l’est bien moins. Très concrètement, dans l’une comme dans l’autre des hypothèses, une même catégorie d’agents (les inspecteurs du recouvrement) peut détecter une même situation (le travail dissimulé), qui emportera des implications comparables (redressement, poursuites pénales, sanctions administratives). Cependant, selon qu’il choisit d’agir dans l’un ou l’autre cadre, le même agent est doté de prérogatives différentes [3], tant au cours des opérations de contrôle stricto sensu, qu’au cours de la phase de recouvrement. Corrélativement, le même effet se produit sur les droits des cotisants. L’avis de passage, les conditions d’audition, la possibilité de bénéficier d’un interprète ou le contenu de la lettre d’observations notifiant le redressement à l’issue des opérations de contrôle en constituent autant d’illustrations.

Malgré de nombreux arrêts déjà rendus à propos de l’articulation de ces procédures [4], des incertitudes persistaient. L’arrêt discuté offre donc à la Cour l’opportunité de confirmer sa jurisprudence relative à leur caractère alternatif. A cette occasion, elle affine la grille de lecture des critères utiles à la détermination de la nature du contrôle diligenté et par voie de conséquence les garanties des cotisants (I). Certes, la portée de cet arrêt s’avère nécessairement limitée du fait de l’abrogation de l’article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale, mais il apporte de nouveaux éclairages dont certains conservent leur intérêt malgré les évolutions légales ultérieures (II).

I - Des précisions sur la détermination de la nature du contrôle diligenté par l’URSSAF

Les URSSAF, comme d’ailleurs les cotisants, se sont respectivement saisis de la duplicité de ces corps de règles pour en jouer à leur avantage, en vain. Fidèle à son rôle de gardienne de l’équilibre entre la protection des finances sociales et des droits des cotisants [5], la Cour de cassation interprète rigoureusement les dispositions soumises à son interprétation. Elle dégage progressivement les critères à prendre en considération pour articuler ces procédures dont l’application est alternative (A). L’arrêt commenté, qui s’inscrit dans le prolongement de cette démarche, est bienvenue en ce qu’il révèle le souci de la Cour de cassation de concilier au mieux les intérêts en présence (B).

A - L’application alternative des procédures de contrôle

Depuis 2014, la Cour de cassation s’est positionnée explicitement en faveur d’une application alternative de ces procédures. Lorsqu’un contrôle est diligenté sur l’un des deux fondements possibles, les règles applicables à la procédure choisie doivent-être observées jusqu’à son terme. Elle évite ce faisant que les URSSAF ne violent les garanties reconnues aux cotisants lors de contrôles ordinaires en invoquant à mauvais escient, et souvent a posteri, les règles dérogatoires justifiées par la détection du travail dissimulé [6]. En l’occurrence, la Cour de cassation a censuré la pratique de certaines URSSAF qui avait tenté de «régulariser» a posteriori leurs erreurs procédurales en invoquant les règles applicables au contrôle du travail dissimulé et inversement.

L’enjeu consistant à déterminer au préalable la nature du contrôle dans laquelle s’inscrit la procédure ayant conduit au redressement est donc déterminant. La question est, en effet, d’importance puisque l’application des règles générales ou spécifiques en découlent. Tout comme les URSSAF, les cotisants ont d’ailleurs tenté de se saisir de la complexité induite par la dualité des corps de règles pour tenter d’altérer les capacités de recouvrement des organismes. L’objectif est évidemment d’invoquer la violation de garanties procédurales afin de rechercher l’annulation du redressement ou à minima de le retarder. Au fil des arrêts, la Cour apporte une série de précisions. A priori, on aurait pu considérer que l’avis de contrôle endosserait le rôle de clé de répartition entre les procédures [7]. Tel n’est pas nécessairement le cas.

En 2016 [8], pour rejeter le pourvoi formé par des cotisants qui invoquaient l’application des dispositions spécifiques de l’article R. 133-8, la Cour de cassation affirme, pour la première fois, que «si la recherche des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l'article L. 8211-1 du Code du travail est soumise aux articles L. 8271-1 et suivants du même Code (N° Lexbase : L9980IQP), ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un organisme de recouvrement procède, dans le cadre du contrôle […] prévu par l'article L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale, à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes» [9]. Dans cette espèce, le contrôle était intervenu sans envoi préalable de l’avis de contrôle. Partant, l’absence d’avis de contrôle préalable ne suffit pas à écarter l’application de la procédure de droit commun dès lors que «par sa nature et la façon dont il a été initié» [10], le contrôle s’apparente à un contrôle de droit commun ayant pour seule finalité le recouvrement. Par voie de conséquence, les règles de notification posées par l’article R. 133-8 devaient être écartées, au profit de l’article R. 243-59. En creux, il semble que la répartition entre les cadres procéduraux applicables dépendrait des circonstances de fait et de l’analyse pragmatique opérée par les juges du fond. Pourtant, les modalités pratiques de déroulement des contrôles ne rendent pas la lecture aisée. Le caractère inopiné du contrôle ou l’envoi sans formalités préalable de la lettre d’observations n’inscrit pas nécessairement le contrôle dans le cadre de la politique de lutte contre le travail dissimulé. Telle semble l’une des précisions apportées à l’occasion d’un arrêt rendu en 2017 [11].

Dans ce dernier, la Cour de cassation confirme, en des termes identiques, que les dispositions spécifiques du Code du travail ne font pas obstacle à ce que les URSSAF procèdent dans le cadre des contrôles de droit commun à la recherche des infractions discutées «aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes». La rédaction d’un procès-verbal de travail dissimulé, rédigé postérieurement à cette lettre d’observations n’a pas non plus suffit à remettre en cause la finalité initiale du contrôle.

La lettre d’observations établie à l’issue des opérations de contrôle suffirait-elle à conférer l’une ou l’autre nature au contrôle discuté ? La solution devait-elle être différente si, à l’inverse, le contrôle avait débuté par un avis de contrôle conformément à l’article R. 243-59 mais avait donné lieu par la suite à la rédaction d’un PV de travail dissimulé puis à l’envoi subséquent d’une lettre d’observations ayant pour objet la recherche des infractions de travail dissimulé ? La Cour de cassation apporte des éléments de réponse à l’occasion de l’arrêt commenté.

B - Une solution équilibrée

En l’espèce, l’URSSAF engage une procédure de contrôle de droit commun en adressant au cotisant l’avis de contrôle puis la charte du cotisant contrôlé en application de l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale. Les opérations de contrôle révèlent l’existence d’infractions de travail dissimulé. Elles donnent lieu à la rédaction d’un procès-verbal d’auditions, dont les modalités sont discutées en l’absence d’interprète habilité. Un procès-verbal de travail dissimulé est ensuite dressé. Postérieurement à la transmission du procès-verbal au procureur aux fins de poursuites, l’URSSAF adresse une première lettre d’observations qui mentionne comme objet du contrôle l’application de la législation de Sécurité sociale. Une seconde lettre d’observations, annule et remplace la précédente en indiquant, cette fois-ci, un objet relatif à recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé. Malheureusement pour le cotisant, les deux lettres d’observations signées par les inspecteurs du recouvrement visaient l’article R. 243-59. Une mise en demeure puis une contrainte sont notifiées. Le cotisant forme une opposition.

Pour accueillir son recours, la cour d’appel [12], après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation, les dispositions de l’article R. 243-59 et des articles du Code du travail déduit des faits de l’espèce que «la recherche d’infractions n’avait pas pour seule finalité le recouvrement des cotisations sociales et que la procédure ayant abouti au redressement était fondé sur le constat de délit de travail dissimulé, ce qui imposait que le redressement soit porté à la connaissance de l’employeur par un document signé par le directeur de l’organisme» et qu’à défaut le redressement était intervenu en contravention avec les dispositions de l’article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale. Ce raisonnement, qui reviendrait à cantonner le champ d’application du contrôle de droit commun est censuré au visa des articles L. 8211-1 du Code du travail et L. 243-7, R. 133-8 et R. 243-59.

Dans son chapeau, inséré sous la première branche du moyen soulevé par l’URSSAF, elle rappelle, d’une part, le cantonnement de l’article R. 133-8 aux recouvrements des cotisations qui découlent des contrôles menés pour la recherche des infractions de travail dissimulé. Puis, d’autre part, selon sa formulation désormais traditionnelle, elle rappelle que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’un organisme de recouvrement procède, dans le cadre d’un contrôle de l’application de la législation de Sécurité sociale en application de l’article L. 243-7, à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes. En l’occurrence, la Cour considère qu’alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’URSSAF avait procédé aux opérations litigieuses dans le cadre d’un contrôle de droit commun, la cour d’appel a violé les textes susvisés en écartant les dispositions des articles L. 243-7 et R. 243-59 au profit de l’article R. 133-8 dont l’application est limitée aux hypothèses de contrôle diligentés dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal.

Cette solution est bienvenue à plusieurs titres. D’abord, d’un point de vue juridique, puisque l’article L. 243-7, applicable aux contrôles de droit commun confère lui-même la qualité aux agents assermentés de l’URSSAF de dresser des procès-verbaux et de les transmettre au procureur aux fins de poursuite. Cette prérogative, qui n’est pas l’apanage des seules dispositions travaillistes, ne saurait servir à remettre en cause un contrôle de droit commun diligenté sur le fondement du même texte. Ensuite, cette solution paraît légitime tant on ne peut nier que le contrôle a initialement été entamé dans le cadre d’un contrôle de droit commun. En témoigne l’envoi de l’avis de contrôle puis la remise de la charte du cotisant contrôlé, outre les références à l’article R. 243-59 dans les lettres d’observations. De ce point de vue, cette solution confirme l’interprétation retenue depuis les arrêts de 2014 [13] et en application de laquelle les procédures de contrôle sont alternatives, sans possibilité de changement arbitraire en cours de contrôle. La sécurité juridique du cotisant en ressort préservée. Au contraire, retenir la solution de la cour d’appel reviendrait à admettre la pratique des lettres d’observations successives qui permettrait aux organismes de bénéficier d’une voie de rattrapage pour corriger les éventuelles violations des garanties substantielles en jouant de la duplicité des textes. Enfin, d’un point de vue pédagogique, cet arrêt se révèle pertinent en ce qu’il complète la grille de lecture des critères à prendre en compte lors de la détermination de la nature du contrôle et des règles idoines. A cet égard, il semble permis de penser, qu’en présence de l’avis préalable de contrôle et d’une charte, ce contrôle sera présumé de droit commun, peu importe la modification ultérieure de l’objet mentionné sur la lettre d’observations. En revanche, ce n’est qu’en l’absence d’un tel avis préalable, qu’il appartiendra aux juges du fond de qualifier la nature du contrôle au regard des circonstances de faits, aux termes d’une approche pragmatique.

II - De nouveaux éclairages

Malgré l’abrogation de l’article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale au visa duquel, la cassation est en partie prononcée, la portée de cet arrêt conserve son intérêt (A). A minima, son originalité mérite d’être soulignée puisqu’à notre connaissance, il s’agit de la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la garantie relative à l’assistance d’un interprète posée, seulement, par le Code du travail depuis 2016… (B).

A - Un intérêt préservé

A priori, depuis l’abrogation de l’article R. 133-8 [14], l’éclairage apporté par la Cour de cassation sur les conditions d’application de cet article ne présente plus qu’un intérêt modéré au regard de la validité de la lettre de notification du redressement. En effet, le contentieux se cristallisait essentiellement autour de la qualité du signataire de la lettre de notification du redressement. Dans ce cadre, il appartenait au directeur de l’organisme de signer la lettre de notification du redressement faisant suite à l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé. En pratique, cette exigence n’était quasiment jamais satisfaite. A l’inverse, tel n’était pas le cas des lettres d’observations notifiées dans le cadre des contrôles de droit commun. Or, les dispositions de l’article R. 243-59, désormais applicable, n’opèrent plus cette distinction. En revanche, ces critères de répartition conserveront leur intérêt en bien d’autres occurrences. Par exemple, lorsqu’il s’agira d’apprécier le respect des autres mentions imposées par la nouvelle version de l’article R. 243-59 ou lorsque la lettre fait suite à la verbalisation d’une situation de travail dissimulé [15]. On songe justement à la référence du procès-verbal établi, le cas échéant, en amont ou transmis par un autre acteur de la politique de lutte contre le travail dissimulé.

Par ailleurs, l’éclairage relatif à la détermination des critères de répartition devrait conserver tous son intérêt lorsqu’il sera question de vérifier le respect des règles de compétence mobilisées au cours des différentes opérations de contrôle par les agents de contrôle de l’URSSAF. La question du respect des conditions particulières d’audition régies par le Code du travail pour la recherche et de la constatation des infractions de travail illégal en constitue une parfaite illustration, tant cette question fait l’objet d’un contentieux nourri [16]. D’ailleurs, le second motif de cassation de l’arrêt discuté, au visa des articles L. 243-7 et R. 243-59, concourt déjà à en illustrer l’intérêt.

B - Une solution originale

Pour accueillir le recours du cotisant, la cour d’appel avait aussi relevé que le cotisant, de langue étrangère, s’était exprimé par l’intermédiaire d’une personne dont il était mentionné dans le procès-verbal d’audition qu’elle n’était pas un interprète professionnel. Selon elle, le fait que le dirigeant n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète habilité lors de son audition qui portait sur des faits constitutifs de travail illégal ainsi que l’établit le contenu du procès-verbal d’audition auquel fait référence le procès-verbal de travail dissimulé privait le cotisant d’une garantie. Elle considérait qu’il s’agissait d’un manquement préjudiciable aux droits des cotisants. Inévitablement, ce raisonnement est infirmé. Pour la Cour de cassation, en ne recherchant pas si le redressement litigieux n’était pas fondé sur les autres éléments invoqués par l’URSSAF, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions visées. Là encore, la censure est légitime et cohérente au regard du caractère alternatif des procédures. Dès lors que cette audition est intervenue à l’occasion d’un contrôle de droit commun, le bénéfice d’un interprète professionnel ne figure parmi les garanties reconnues par l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale. Cette solution, à notre connaissance originale, n’est pas surprenante. Destinataire d’un avis de contrôle, on peut légitimement penser que le représentant de la société jouissait de la possibilité d’anticiper ses échanges avec l’URSSAF. De plus, il est acquis que la seule absence du cotisant ne saurait suffire, en tant que tel, à rendre la procédure irrégulière si l’URSSAF parvient à démontrer que le principe du contradictoire a été respecté [17]. Cependant, il y a tout lieu de penser qu’à l’inverse, si le contrôle était intervenu dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal la solution aurait été différente. En effet, depuis 2016, le Code du travail prévoit expressément que dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal, le cotisant étranger doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un interprète. Cette garantie est reconnue par renvoi de l’article L. 8271-6-1 (N° Lexbase : L5006K8W) vers l’article 61-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7470LPD). Or, le respect des garanties posées par l’article L. 8271-6-1 du Code du travail est apprécié strictement par la Cour de cassation [18]. Nul doute que la Cour de cassation aura également l’occasion de se prononcer sur la question tant le contentieux sur le sujet est loin d’être tari.


[1] V. également L. Bedja, Contrôle URSSAF : la recherche d’infractions de travail illégal ne fait pas obstacle au recouvrement des cotisations afférentes et absence de conséquences relatives à l’absence d’interprète pour l’audition de l’employeur, obs. sous l'arrêt commenté, Lexbase, éd. soc., 2019, n° 802 (N° Lexbase : N1167BYU).

[2] Aujourd’hui les mentions des lettres d’observations varient toujours selon l’objet du contrôle. Cependant, elles sont désormais prévues toutes les deux par le même texte (CSS, art. R. 243-59). Elles sont toutes deux signées par les inspecteurs du recouvrement.

[3] Le Code ne les distingue pas. Mais en pratique, les agents affectés aux contrôles diligentés dans le cadre de la lutte contre le travail illégal appartiennent à un service distinct.

[4] V. infra.

[5] Pour des développements en ce sens, v. K. Zarli-Meiffret, La fraude en droit de la protection sociale, préf. D. Asquinazi-Bailleux et A. Bugada, CDS, Puam, 2018, spéc. n° 489, 510, 664.

[6] Cass. civ. 2, 9 octobre 2014, deux arrêts, n° 10-13.699 (N° Lexbase : A2162MYQ) et n° 13-19.493 (N° Lexbase : A2168MYX), FS-P+B. V. not. M. Michalletz, Contrôle et constatation de travail dissimulé : remise de la charte du cotisant contrôlé ?, JCP éd. S, 2015, 1030.

[7] Avec l’envoi d’un avis, le contrôle serait ordinaire, en l’absence d’avis, le contrôle serait spécifique.

[8] V. Ch. Willmann, De la délicate articulation entre «contrôle comptable d’assiette» et contrôle de la lutte contre le travail illégal, Lexbase, éd. soc., 2016, n° 665 (N° Lexbase : N3918BWZ).

[9] Position confirmée dans un attendu rédigé en des termes identiques à l’occasion de l’arrêt, Cass. civ. 2, 9 novembre 2017, n° 16-23.484, F-P+B (N° Lexbase : A8472WYG). V. aussi à propos de cet arrêt, L. Bedja, Précision relative au droit de communication de la recherche d’un contrôle URSSAF, Lexbase, éd. soc., 2017, n° 719 (N° Lexbase : N1270BXC).

[10] Certains auteurs se sont émus du manque de précision de la formule «par sa nature et la façon dont il a été initié» de la possible mutation d’une procédure de travail dissimulé vers un contrôle de droit commun. V. Ch. Willmann, préc.. Depuis, la rédaction de l’article R. 243-59 a été modifié. Il prévoit désormais que l'organisme n'est pas tenu à cet envoi dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 8221-1 du Code du travail. Toutefois, dans ce dernier cas, si l'organisme entend poursuivre le contrôle sur d'autres points de la réglementation, un avis de contrôle est envoyé avant le début des opérations de contrôle comptable d’assiette.

[11] Cass. civ. 2, 9 novembre 2017, n° 16-23.484, F-P+B, préc.. V. X. Aumeran, Travail dissimulé et droit de communication : le droit commun du contrôle URSSAF toujours applicable, JCP éd. soc., 2017, n° 50, 1415 ; F. Taquet, Contrôle URSSAF, travail dissimulé et droit de communication entre administrations… des précisions de la Cour de cassation, JCP éd. E., 2018, n° 4, 1043.

[12] CA Caen, 2ème ch. sociale, 28 juin 2018, n° 14/03477 (N° Lexbase : A2845XUW).

[13] V. supra.

[14] Abrogé par le décret n° 2017-1409 du 25 septembre 2017 (N° Lexbase : L8151LGY), art. 2.

[15] Art. modifié par le décret n° 2017-1409 du 25 septembre 2017, art. 2. Sur le contenu de la lettre d’observations, v. not. Ch. Willmann, Contrôle d’assiette : formalisme et enjeux de la lettre d’observations, Lexbase, éd. soc., 2016, n° 672 (N° Lexbase : N4666BWQ).

[16] V. déc. Cass. civ. 2. 9 octobre 2014, préc.. Pour une illustration récente, v. nota. Cass. civ. 2, 19 septembre 2019, n° 18-19.929, F-P+B+I (N° Lexbase : A8475ZN9). V. F. Taquet, Du respect par l’URSSAF des règles d’audition dans le cadre du travail dissimulé, Lexbase, éd. soc., 2019, n° 797 (N° Lexbase : N0585BYC). V. aussi, à propos de cet arrêt X. Aumeran, Contrôle du travail illégal : le consentement aux auditions est impératif, JCP éd. S, 2019, n° 42.

[17] A rappr. Cass. civ. 2, 10 juin 2003, n° 01-20.850, F-D (N° Lexbase : A7215C8Q), RJS, 2003, n° 1064.

[18] V. supra note 16.

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