La lettre juridique n°769 du 24 janvier 2019 : Urbanisme

[Conclusions] Examen par l’administration d’une demande d'autorisation de construire sur une construction édifiée sans permis et abandonnée - conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 28 décembre 2018, n° 408743, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8465YRX)

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[Conclusions] Examen par l’administration d’une demande d'autorisation de construire sur une construction édifiée sans permis et abandonnée - conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/49497753-conclusions-examen-par-ladministration-dune-demande-dautorisation-de-construire-sur-une-construction
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par Julie Burguburu, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 23 Janvier 2019

Dans un arrêt rendu le 28 décembre 2018, le Conseil d’Etat a dit pour droit que, si l'usage d'une construction résulte en principe de la destination figurant à son permis de construire, lorsqu'une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire et que son usage initial a depuis longtemps cessé en raison de son abandon, l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de construire, ne peut légalement fonder sa décision sur l'usage initial de la construction. Il lui incombe d'examiner si, compte tenu de l'usage qu'impliquent les travaux pour lesquels une autorisation est demandée, celle-ci peut être légalement accordée sur le fondement des règles d'urbanisme applicables. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Julie Burguburu.

M. X est propriétaire d’un terrain à Hyères, dans le Var, sur lequel est implantée une ancienne bergerie en pierre qu’il souhaiterait réhabiliter, dans le cadre d’une reconstruction à l’identique. Le bâtiment semble à l’abandon depuis des décennies. Si ses murs porteurs sont intacts, il n’a plus de vitre ni de toit, ce à quoi le pétitionnaire veut remédier en construisant toit, portes et fenêtres ainsi que des aménagements intérieurs.

 

Le permis de construire sollicité pour ce faire lui a toutefois été refusé par une décision de 7 octobre 2011, confirmé par une décision implicite de rejet de son recours gracieux. Il a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d’une demande en annulation, également rejetée par jugement du 15 octobre 2014, confirmé par un arrêt du 6 janvier 2017 de la cour de Marseille (CAA Marseille, 6 janvier 2017, n° 14MA04914 N° Lexbase : A9994S7B) contre lequel il a formé un pourvoi en cassation, à juste titre croyons-nous.

 

Précisons d’abord la procédure. En l’espèce, la demande de permis avait été initialement refusée sur la méconnaissance de deux dispositions du PLU qui a été annulé par un jugement postérieur du tribunal administratif de Toulon. Alors que le tribunal s’était toutefois fondé sur l’imprécision de la demande de M. X pour confirmer le refus, la cour, après avoir censuré ce raisonnement, a examiné ce refus au regard des dispositions du POS de 1999, à nouveau en vigueur conformément à l’ancien article L. 121-8 du Code de l’urbanisme (aujourd’hui L. 600-12 N° Lexbase : L0030LNG) pour finalement faire droit à la substitution de motifs demandée par la commune et de nature à justifier la persistance du refus malgré l’annulation du PLU (voyez CE, 30 décembre 2009, n° 319942 N° Lexbase : A0419EQL, aux Tables, p. 990).

 

En l’espèce, la cour s’est plus précisément fondée sur l’article 1NA du POS selon lequel dans la zone en cause, ne peuvent être autorisés que des travaux qui soit, «pour les constructions à usage d’habitation existantes» visent à «améliorer le confort et la stabilité des bâtiments », soit, « pour les constructions existantes à usage agricole», sont «des constructions nouvelles à caractère précaire et démontable (notamment les serres ‘tunnel’)». Les autres constructions de toute nature et, notamment, nouvelles y sont interdites.

 

Faisant application de ces dispositions, la cour a d’abord relevé que contrairement à ce que soutenait la commune, le projet ne concernait pas une ruine mais une construction existante. Elle a toutefois poursuivi en précisant que cette construction était un bâtiment à usage principal de bergerie, dont l’existence est attestée au XIXème siècle et que s’il avait pu abriter également le berger en sus du troupeau, seule une surface de 32 m² avait été à usage d’habitation sur les 128 m² de superficie au sol. Elle en a déduit que cette partie à usage d’habitation présentait un caractère accessoire et qu’en application des dispositions de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L2746KWM) selon lequel les locaux accessoires sont réputés avoir la même destination que le local principal (principe repris à l’article R. 151-29 du code N° Lexbase : L0313KWI), la construction existante devait être regardée pour l’application du POS en totalité comme ayant une destination agricole, ce qui l’a finalement conduite à confirmer le refus du permis puisque le projet ne consistait pas en une «construction nouvelle à caractère précaire et démontable».

 

Pour contester ce raisonnement, le pourvoi soutient notamment que la cour aurait commis une erreur de droit en distinguant selon que l’usage d’habitation serait principal ou accessoire, le pétitionnaire étant en droit de renforcer l’ensemble de la construction dès lors qu’elle abrite une partie à usage d’habitation. Il relève aussi qu’en tout état de cause, les dispositions du POS n’interdisaient pas de conforter des bâtiments à usage agricole mais seulement de projeter des constructions nouvelles. Enfin et surtout, il invoque une erreur de droit à s’être fondée sur la destination initiale de la construction -et c’est ce dernier point qui nous a plus particulièrement retenue-.

 

Il n’est d’abord pas douteux qu’en principe et en application des textes déjà cités, l’appréciation de la destination d’un bâtiment s’apprécie au regard de son usage principal. Et celui-ci résultera généralement du permis de construire en vertu duquel il a été édifié ce qui permettra d’éviter le contournement de la législation d’urbanisme. Par suite, des travaux d’aménagement qui ont pour effet de changer, ne serait-ce que partiellement, la destination de la construction ne sont pas dispensés de permis (CE, 25 octobre 2006, n° 289515 N° Lexbase : A4855DSM, aux Tables, p. 1105) et la circonstance qu’elle ait ensuite servi à d’autres usages ne lui fait pas perdre sa destination initiale (CE, 9 juillet 1986 n° 51172 N° Lexbase : A4786AM9, p. 201).

 

Encore faites-vous preuve de pragmatisme si l’usage a finalement consacré le changement de destination : ainsi avez-vous jugé que les travaux portant sur une construction existante et qui n’ont pas pour effet d’en changer la destination peuvent être exemptés de permis sans qu’y fasse obstacle, en l’absence de fraude, la circonstance que plusieurs années avant la réalisation des travaux en cause, la destination de la construction avait été modifiée sans autorisation (CE, 12 janvier 2007, n° 274362 N° Lexbase : A4746DTX, aux Tables, p. 1124).

 

La situation se présente toutefois nécessairement différemment dans le cas de bâtiments anciens, d’une part parce qu’ils sont généralement dépourvus d’autorisation, construits antérieurement à son institution mais aussi, d’autre part, parce que la destination initiale a pu s’être perdue, être oubliée ou n’avoir plus de sens. Il semble alors un peu vain de se livrer à une étude historique pour rechercher l’usage effectif qui en a été fait à un moment donné.

 

Vous vous êtes ainsi fondés sur «les caractéristiques propres d’une construction» pour juger que son inoccupation durant une longue période n’avait pu suffire à en changer la destination d’habitation (CE, 9 décembre 2011, n° 335707 N° Lexbase : A1762H4Z, aux Tables, p. 1187). Vous avez de même jugé qu’un bâtiment ancien, apparemment une grange, qui ne disposait pas du confort d’un logement moderne mais était néanmoins utilisé de façon partielle pour un usage d’habitation pouvait relever de cette destination et qu’ainsi les travaux d’aménagement réalisés n’avaient pas eu pour effet d’en changer la destination (CE, 31 mars 2010, n° 306122 N° Lexbase : A4169EUX, aux Tables sur un autre point). Concluant sur cette affaire, Cyril Roger-Lacan estimait effectivement que «lorsqu’il est manifeste que le bâtiment n’a plus, en tout état de cause, d’usage agricole depuis bien longtemps, on peut raisonnablement admettre que le doute concernant sa destination puisse profiter à l’administré qui souhaite y effectuer des travaux».

 

Cette réflexion peut s’appuyer sur un exemple encore plus frappant : vous avez en effet admis qu’une ancienne filature ayant cessé toute activité depuis de nombreuses années avait perdu sa destination industrielle et qu’ainsi sa transformation en maison d'habitation n'entraînait aucun changement de destination (CE, 20 mai 1996, n° 125012 N° Lexbase : A8869ANS, aux Tables, p. 1210 sur ce point).

 

Le cas d’espèce qui vous est présenté aujourd’hui nous semble se placer dans le droit fil de ce courant jurisprudentiel que vous pourriez préciser qui, lorsque l’usage originel a pu se perdre en raison de son abandon pendant de longues années, examine si les caractéristiques propres du bâtiment autorisent la destination requise par la demande.

 

La cour a ici relevé, on l’a dit, que la bergerie était attestée au XIXème siècle mais comme souvent, le bâtiment avait un double usage, agricole et d’habitation, qu’il est artificiel de distinguer alors au demeurant qu’il n’est pas contesté que cet usage s’est perdu au moins depuis la seconde guerre mondiale. La bergerie est aujourd’hui un bâtiment de 128 m² situé au fond du jardin d’une résidence d’habitation, si ce n’est en ruine, au moins très dégradé dont il ne reste essentiellement que les murs porteurs, quelques rives de tuiles, la trace de placards et un conduit de cheminée. De ces éléments, il est certain qu’il peut être regardé, sous réserve de la réalisation des travaux nécessaires, comme de nature à servir d’habitation.

 

Dans ces conditions, la cour ne pouvait sans commettre d’erreur de droit se fonder sur la seule circonstance qu’il s’agissait originellement d’une bergerie pour en déduire l’usage agricole alors qu’il n’est pas contesté que celui-ci avait été abandonné depuis des décennies et que les caractéristiques propres du bâtiment n’étaient pas exclusives d’un usage d’habitation.

 

Par ces motifs nous concluons et sans qu’il soit besoin de vous prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à l’annulation de l’arrêt de la cour, au renvoi de l’affaire devant la cour de Marseille et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Hyères au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).

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