La lettre juridique n°743 du 31 mai 2018 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires en matière d’amortissements et de provisions

Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° ch.-r., 9 mai 2018, n° 389563, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6256XMN)

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par Paul Duvaux, Avocat fiscaliste au barreau de Paris

le 30 Mai 2018

Par une décision du 9 mai 2018, le Conseil d'Etat vient de décider que la commission départementale des impôts directs et du chiffre d'affaires est compétente en matière d'application du régime prévu au 2 du II de l'article 39 C du Code général des impôts (N° Lexbase : L9773I3D). Ce régime prévoit, en cas de location de biens consentie par une personne physique, une limitation de la déduction des amortissements lorsque le montant de certaines charges excède le montant des loyers perçus.

Les faits et la décision du Conseil d'Etat

 

Il s'agit d'un contribuable qui utilisait des locaux pour, selon lui, organiser des fêtes et des réceptions. Mais l'administration a considéré que son activité devait plutôt s'analyser comme une activité de location de salle de réception.

 

Or toute activité de location fait l'objet d'un régime particulier prévu à l'article 39 C du Code général des impôts. Selon ce régime, la déduction des amortissements est limitée, chaque année, par la différence entre les recettes de location et les charges relatives à la location.

 

Le contribuable n'avait pas appliqué cette règle et faisait valoir que son activité n'était pas une activité de location stricto sensu, mais plutôt une activité d'organisation de soirées. Il a aussi fait valoir que les services fiscaux ne lui avaient pas permis de saisir la commission départementale alors pourtant que la commission est compétente "lorsque le désaccord porte sur toute question relative à l'application des règles qui régissent les amortissements" en application de l'article L 59 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3314LCQ).

 

Sur ce point le Conseil d'Etat lui donne raison et approuve la décision de la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 5 mars 2015, n° 14LY00241 N° Lexbase : A6010XKS) qui avait annulé les rappels pour vice de procédure.

 

 

Le régime de l'article 39 C du Code général des impôts

 

Le régime prévu à l'article 39 C du Code général des impôts est un régime fiscal anti-abus. Il vise à réduire l'intérêt fiscal des schémas de défiscalisation basés sur des activités de location.

 

Ce dispositif vise à limiter chaque année l'amortissement déductible du résultat, de la différence existant entre les recettes de location et les charges de location, hors amortissement. Autrement dit, ce régime plafonne les amortissements au montant du résultat d'exploitation avant amortissement. Il empêche de faire des déficits d'exploitation par la déduction d'amortissements.

 

Les amortissements non déduits ne sont pas perdus. Ils sont mis en report et redeviennent déductibles lorsque le résultat d'activité devient bénéficiaire, après déduction des amortissements normaux de l'année.

 

C'est un décret du 15 décembre 1965 qui a institué cette limitation de déduction des amortissements des biens donnés en location par une personne physique relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Ce régime, d'abord prévu à l'article 31 A annexe II du Code général des impôts, figure à ce jour aux 2 et 3 de l'article 39 C, II du Code général des impôts à la suite des réformes de 1998 et 2006.

 

Au début limité aux personnes physiques, le dispositif a été étendu aux sociétés de personnes détenues par des sociétés assujetties à l'impôt sur les sociétés. Le législateur avait entendu remédier à un certain nombre d'anomalies auxquelles donnaient lieu les locations industrielles et notamment la création de déficits imputables par la pratique d'amortissements excessifs.

 

Ce régime est d'une grande importance pratique pour l'activité de location meublée. Les loueurs en meublé exercent en effet une activité de location et ils se doivent de respecter le régime de l'article 39 C du Code général des impôts.

 

Ce régime est relativement complexe et de nombreuses questions se posent aux praticiens qui doivent le mettre en œuvre. La plupart de ces questions n'ont pas donné lieu à des réponses dans la jurisprudence.

 

Le nombre limité de contentieux sur le sujet est le signe du peu d'attention des services fiscaux. Les services fiscaux contrôlent peu la mise en œuvre de ce dispositif, méconnu et complexe.

 

Par ailleurs, pour les particuliers, ce régime anti-abus est devenu selon moi en grande partie obsolète depuis 1982 pour les loueurs en meublé et depuis 1995 pour tous les BIC. En effet, à l'occasion de plusieurs réformes, les déficits des exploitants BIC "non professionnels" ne sont plus imputables sur le revenu global. En conséquence, il n'est plus possible de toute façon de défiscaliser, en exerçant une activité passive de location relevant des BIC.

 

Le régime du 39 C du Code général des impôts reste certes gênant pour les BIC professionnels au sens du 1° bis du I de l'article 156 du même Code (N° Lexbase : L3208KWQ), c'est-à-dire ceux qui s'impliquent vraiment dans l'activité.

 

Les exploitants BIC professionnels conservent en effet le droit d'imputer le déficit sur le revenu global. Pour les BIC professionnels, le dispositif de l’article 39 C du Code général des impôts est gênant puisqu'il aboutit presque à leur interdire d'avoir un déficit professionnel.

 

Mais paradoxalement le régime de l'article 39 C du Code général des impôts est très favorable pour les BIC non professionnels car il leur permet de bénéficier d'une forme de report indéfini des déficits de leur activité alors que de toute façon ce déficit n'est pas imputable sur le revenu global.

 

La définition de l'activité de location

 

Une des difficultés du régime de l'article 39 C du Code général des impôts est de définir son champ d'application puisqu'il s'applique seulement aux activités de location.

 

Il faut pouvoir différencier une activité de location d'une activité de prestation de services.

 

Cette question a donné lieu de nombreuses décisions pour l'activité de location meublée, qu'il faut distinguer de l'activité parahôtelière. Dans l'activité parahôtelière, il est considéré que les services hôteliers (notamment accueil, nettoyage des locaux, linge de maison, petit-déjeuner) excluent la qualification d'activité de location.

 

Il existe aussi des décisions en matière de location de bateau. La simple location de bateau relève du régime de l'article 39 C du Code général des impôts alors que la prestation de croisière n'en relève pas.

 

Au cas d'espèce, il pouvait effectivement y avoir discussion sur ce point. En effet si la location de salle de réception relève du 39 C du Code général des impôts, l'organisation de soirées n'en relève sans doute pas. La différence entre les deux activités est l'importance des services proposés.

 

La prestation n'est pas une location si le prestataire propose des services significatifs en plus de la simple mise à disposition d'une salle. Il pourrait s'agir d'un service de restauration, de vestiaire ou d'animation.

 

Mais au cas d'espèce, la question posée au Conseil d'Etat ne portait pas sur ce point, mais plutôt sur la compétence de la Commission départementale pour apprécier le régime de l'article 39 C du Code général des impôts.

 

 

L'obligation au dialogue dans la procédure contradictoire

 

La procédure de redressement fiscal est en principe une procédure contradictoire.

 

Le caractère contradictoire de la procédure est très fortement marqué.

 

Il pèse sur l'administration une forme d'obligation au dialogue, caractérisée par de multiples contraintes à plusieurs moments de la procédure : obligation du débat lors du contrôle sur place, obligation de motiver les rappels par un écrit et de répondre aux observations écrites du contribuable, obligation de proposer deux recours hiérarchiques, et enfin obligation de proposer la saisine de la commission départementale.

 

Le non-respect de ces contraintes entraîne en principe la nullité des rappels. En fait, le Conseil d'Etat est plus ou moins sévère avec l'administration selon les étapes concernées car, sur certains sujets, il existe une marge d'appréciation.

 

 

Le droit de saisir la commission est un droit absolu

 

Le Conseil d'Etat exige un strict respect du droit de saisir la commission. C'est une étape très protégée de la procédure contradictoire.

 

C'est ainsi que si le contribuable a été injustement privé du droit de saisir la Commission, les rappels doivent être annulés.

 

Par ailleurs si, après la procédure contradictoire et devant les tribunaux durant la procédure contentieuse, l'administration change d'argument sur le droit applicable (substitution de base légale) ou invoque de nouveaux arguments de fait (substitution de motifs), ces nouveaux moyens doivent être écartés d'office par le juge, car le contribuable a été privé de les contester devant la Commission (voir pour un litige sur une provision CE 9° et 10° ch.-r., 20 juin 2007, n° 290554, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8618DW4 :  RJF, 10/07, n° 1131).

 

Le droit de saisir la commission départementale cristallise ainsi le litige et interdit aux services fiscaux de changer d'argumentaire, du moins si ce changement porte sur un point qui était de la compétence de la commission.

 

 

La compétence de la commission limitée aux questions de fait

 

La commission départementale est une espèce de tribunal de précontentieux, une forme de juge de paix, diversement apprécié des avocats fiscalistes.

 

Pour ma part, je suis très favorable à cette institution car elle permet d'avoir un avis de qualité sur les questions de fait, après un véritable débat. Il est rare que la commission départementale vous donne tort si vos arguments sont sérieux. Mais le droit de saisir la commission est limité par le fait que celle-ci n'est compétente en principe que sur les questions de fait et non sur les questions de droit. Elle ne peut se prononcer en principe que sur des questions de fait.

 

En pratique, la distinction n'est pas toujours flagrante entre question de droit et question de fait.

 

Par exemple la question de savoir si une activité de location de salle de réception incluant des services annexes est une activité de location au sens de l'article 39 C du Code général des impôts est une question de droit.

 

Mais il pourrait y avoir un débat avec l'administration sur l'existence et l'importance de ces services annexes. Selon moi un tel débat relève des questions de fait.

 

 

Compétence de la commission sur les questions de droit relatives aux amortissements et aux provisions

 

Dans certains cas, la commission est même compétente sur les questions de droit. C'est notamment le cas en matière d'amortissement et de provision. La commission est compétente "sur le principe et le montant des amortissements et des provisions".

 

Dans sa doctrine, l'administration présente ainsi la règle :

 

"Depuis l'intervention de l'article 26 de la loi 2004-1485 du 30 décembre 2004 (N° Lexbase : L5204GUB), la commission départementale est compétente pour examiner tous les désaccords concernant les amortissements et les provisions quelle que soit la nature du litige alors qu'auparavant les désaccords portant sur le principe d'un amortissement ou d'une provision échappaient à sa compétence.

Ainsi, la commission départementale est compétente pour se prononcer, par exemple :

En matière d'amortissement :

-  sur le caractère excessif des taux utilisés par l'entreprise pour le calcul des amortissements (question de fait) ;

-  sur le mode d'amortissement retenu par l'entreprise (question de droit). […]"

(Inst. 18-4-2005, 13 M-1-05 n° 18 à 20 ;  BOI-CF-CMSS-20-10 N° Lexbase : X7161ALS).

 

 

La commission est compétente sur tout litige portant sur l'application du régime de l'article 39 C du CGI

 

Dans la présente affaire, la question posée au Conseil d'Etat était de savoir si un litige portant sur l'application ou non du 39 C du Code général des impôts à un contribuable était bien un litige sur "sur le principe et le montant des amortissements".

 

La réponse paraît évidente puisque le régime de l'article 39 C porte précisément sur le régime des amortissements. Mais cela pouvait quand même se discuter. Il aurait été possible de considérer que la compétence de la commission en matière d'amortissement devait se limiter au régime comptable de l'amortissement et non aux dispositions fiscales extracomptables relatives aux amortissements.

 

Tel n'a pas été la position du Conseil d'Etat.

 

Dans une précédente décision, mais dans le cadre de l'ancien dispositif définissant la compétence de la Commission avant la réforme de 2004, le Conseil d'Etat avait déjà jugé que la question du régime de l'article 39 C n'était pas de la compétence de la Commission (CE Contentieux, 27 juillet 2005, n° 268136, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8127XNC : RJF, 12/05, n° 1445). Il avait pris cette position à propos des dispositions de l'article 31 de l'annexe II du Code général des impôts qui ont été légalisées par l'article 77 de la loi 98-546 du 2 juillet 1998 (N° Lexbase : L1474AIG) et figurent désormais sous l'article 39 C du Code général des impôts.

 

La décision du Conseil d'Etat du 9 mai 2018 est à notre connaissance la première portant sur le nouveau champ d'application des compétences étendues de la commission en matière d'amortissement et de provision, depuis la réforme de 2004.

 

 

Intérêt pratique de la décision

 

L'effet pratique de la décision est limité, s'agissant du régime de l'article 39 C car ce dispositif est peu connu. Les litiges sont rares.

 

Mais, il faut étendre l'intérêt de cette décision à tous les régimes dérogatoires d'amortissement ou de provision, qui sont nombreux et d'une grande importance pratique.

 

Depuis la réforme de 2004, à chaque fois que les services fiscaux veulent remettre en cause l'application de l'un de ces régimes à un contribuable, ils doivent donc lui permettre de saisir la commission départementale.

 

 

 

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