La lettre juridique n°724 du 21 décembre 2017 : Propriété

[Chronique] Chronique de droit des biens - Décembre 2017 (première partie)

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N1840BXG

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par Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919), et Julien Laurent, maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919)

le 21 Décembre 2017

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit des biens de Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919), et de Julien Laurent, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919). Au sommaire de cette chronique, qui couvre la période allant du 1er novembre 2016 au 31 octobre 2017, le lecteur trouvera des confirmations et de nombreuses décisions sur des questions inédites. Confirmation, d'une part, concernant le contentieux récurrent de l'empiètement et des troubles anormaux de voisinage. Pour le premier, la Cour de cassation en profite cependant pour apporter une nuance à la rigueur de la sanction de démolition ; pour le second, une précision utile concernant l'incompétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la demande d'enlèvement d'éoliennes. Décisions inédites, d'autre part, dans de nombreux domaines, et qui seront l'objet de la seconde partie de cette chronique : ainsi la découverte d'une peinture sous une autre est confrontée à la notion de trésor ; également, l'action en nullité d'un bail rural pris par le nu-propriétaire seul ou l'action en résiliation d'un tel bail confrontée au défaut d'incapacité des indivisaires ; enfin, une confrontation originale entre accession et prescription acquisitive au rang des modes de preuve d'acquisition de la propriété.
Première partie (cf. infra)

I - Notion de bien

Notion de Trésor

Civ. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-19.340, FS-P+B+I

II - Propriété

A - Modes d'acquisition : accession et prescription extinctive

Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-10.753, FS-P+B

B - Contentieux

1°) La sanction de l'empiètement

Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-21.949, FP-P+B
Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561, FP-P+B
Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113, FP-P+B

2°) Troubles anormaux de voisinage

Cass. civ. 3, 19 janvier 2017, n° 15-28591, F-D
Cass. civ. 3, 25 janvier 2017, n° 15-25526, FS-P+B+I
Cass. civ. 3, 26 janvier 2017, n° 15-16977, F-D
Cass. civ. 3, 11 mai 2017, n° 16-14339, FS-P+B+I

Seconde partie (cf. N° Lexbase : N1841BXH)

III - Droits réels

Bail conclu par un nu-propriétaire seul

Cass. civ. 3, 6 juillet 2017, n° 15-22.482

IV - Indivision : gestion de l'indivision

1°) Action en résiliation et bail rural

Cass. civ. 3, 5 octobre 2017, n° 16.21499, FS-P+B+I

2°) Convention d'indivision et mandat successoral

Cass. civ. 1, 25 octobre 2017, n° 16-25.525, F-P+B

I - Notion de bien

  • Notion de Trésor - Une peinture dissimulée sous une autre, qui n'est pas matériellement dissociable de son support, ne peut être considérée comme un trésor (Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-19.340, FS-P+B+I N° Lexbase : A8343WLL ; voir également, L. Bosc, une oeuvre de Jean Malouel devant la Cour de cassation, Lexbase, n° 708, 217 N° Lexbase : N9621BWA)

Que ce soit ici un Velázquez ou là un Jacques Gamelin, la presse se fait parfois l'écho de ces restaurations singulières de peintures menant à des trouvailles fabuleuses. Une oeuvre majeure se cachait sous une autre mineure sous des couches de vernis ou de repeints ou bien c'est la signature du maître qui apparaît et non plus celle d'un disciple sous la peinture apparente. Les circonstances parfois extraordinaires de ces découvertes évoquent irrésistiblement la vénérable notion de trésor de l'article 716 du Code civil (N° Lexbase : L3325ABR), qui désigne "toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété et qui est découverte par l'effet du pur hasard" et sur laquelle peut s'élever un conflit de propriété entre l'auteur de la découverte (son "inventeur") et le propriétaire du bien qui cachait le trésor. Rappelons que, dans cette hypothèse, la loi prévoit le partage de la propriété du trésor à chacun pour moitié (C. civ., art. 716, al. 1er). Mais une oeuvre dissimulée sous une autre peinture peut-elle constituer un trésor au sens de l'article 716 du Code civil ?

En janvier 1985, un brocanteur fait l'acquisition d'un tableau peint sur bois, qu'il présente à un antiquaire. Repérant des éclats de dorure sous une écaillure, l'antiquaire conseille au propriétaire de le confier à un restaurateur d'art afin qu'il procède à son nettoyage, ce qu'il fait. Ce travail révéla que, sous la peinture apparente, se trouvait une autre oeuvre datant du 15ème siècle et attribuée, après plusieurs années de recherches et de restauration, au peintre Jean Malouel. En 2011, le Musée du Louvre en fit l'acquisition pour un prix de 7,8 millions d'euros. L'antiquaire, considérant que l'oeuvre mise à jour constituait un trésor au sens de l'article 716 du Code civil, et invoquant sa qualité d'inventeur, assigna le propriétaire du tableau afin d'obtenir sa condamnation à lui verser la moitié du produit net de la vente comme le prévoit ce même texte.

La cour d'appel (CA Riom, 4 avril 2016, n° 15/00081 N° Lexbase : A2148RB8) ayant rejeté sa demande, l'antiquaire forma un pourvoi en cassation articulé autour de deux arguments : d'une part, il faisait valoir que son intervention dans la mise au jour de l'oeuvre avait été décisive, permettant ainsi de considérer qu'il était bien à l'origine du processus ayant permis la découverte de l'oeuvre ; d'autre part, le demandeur avançait qu'il résultait des constatations des juges du fond que c'était bien par l'effet du "pur hasard" que l'oeuvre avait été découverte. Bref, le demandeur tentait essentiellement d'établir sa qualité d'inventeur au sens de l'article 716 du Code civil. Toutefois, ce n'est pas sur ce terrain que va se placer la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi, mais au regard de la qualification même de trésor. Opérant une substitution de motifs, la Cour de cassation énonce que "seules peuvent recevoir cette qualification les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et, comme telles, susceptibles d'appropriation" (nous soulignons) et qu'en l'espèce, "l'oeuvre attribuée à Jean Malouel était dissimulée sous la peinture visible, ce dont il résulte[ait] que cette oeuvre [était] indissociable de son support matériel [...] de sorte qu'elle ne constitu[ait] pas un trésor au sens du texte précité".

Conformément à une jurisprudence traditionnelle, la Cour de cassation conditionne la qualification de trésor à l'exigence de pouvoir dissocier matériellement le bien découvert du bien qui le recelait (I). L'application de ce critère au cas d'espèce, qui conduit à rejeter la qualification de trésor, repose sur une interprétation stricte de l'article 716 du Code civil (II).

I - L'exigence de la dissociabilité matérielle de la chose cachée et du fonds la recelant

La notion de trésor n'a pas exactement le même sens en droit que celle que lui connaît le langage commun. Aux termes de l'article 716, alinéa 2 du Code civil, est un trésor "toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété et qui est découverte par l'effet du pur hasard". Il ressort de ce texte que trois conditions sont exigées pour que l'on soit en présence d'un trésor, chacune ayant nécessité des précisions de la jurisprudence et de la doctrine. Deux concernent les circonstances entourant sa découverte, une troisième intéresse la chose découverte elle-même. Il faut d'abord que personne ne soit en mesure (et notamment les ayants-droit du propriétaire originel du trésor) de revendiquer la propriété du trésor. Il faut ensuite que le bien en question ait été découvert par le "pur effet du hasard". Il faut enfin que l'on soit en présence d'une "chose cachée ou enfouie". La jurisprudence, conformément à la tradition romaine, a toujours considéré que le terme de "chose" devait s'entendre d'un bien meuble corporel. Toute chose mobilière peut néanmoins constituer un trésor, qu'il s'agisse de métaux précieux, or, argent, ou de pièces de monnaie anciennes (v. par ex., Paris, 18 décembre 1950, D., 1951, 144, S., 1951, 2, 171), ou qu'il s'agisse d'armes, de bijoux, de vaisselle ou de vases (CA Rouen, ch. corr., 2 mai 1990 ; CA Bourges, 18 janvier 1989). C'est la raison pour laquelle un trésor ne peut être ni un immeuble par nature, ni un immeuble par destination ; ainsi, un bien meuble incorporé dans un fonds par accession, bien immeuble par nature, ne peut logiquement constituer un trésor (Cass. Req., 13 décembre 1881, DP, 1882, I, 55). En revanche, et contre la lettre de l'article 716, alinéa 1er, parlant d'un bien trouvé dans un "fonds", la jurisprudence a eu l'occasion de préciser que le bien contenant le trésor pouvait être un bien meuble corporel et pas seulement un immeuble, s'il permet de cacher le bien (une commode, un coffre, une malle, une armoire, un secrétaire, etc.).

En l'espèce, l'oeuvre dissimulée sous la peinture sur bois répondait assurément aux critères traditionnels de la notion de trésor tels qu'interprétés par la jurisprudence : le bien découvert était bien un meuble corporel, à savoir une peinture (il faut bien sûr ici distinguer l'oeuvre elle-même, bien incorporel, de son support matériel, composé de couches de peintures), le bien-réceptacle était un bien meuble corporel également, en l'occurrence le tableau peint sur bois. Mais, pour recevoir la qualification de trésor, la Cour de cassation énonce que le bien découvert doit être en outre matériellement dissociable du fonds dans lequel il a été trouvé.

Quoique la formulation soit inédite, cette exigence n'est pas nouvelle. Une jurisprudence ancienne affirme de manière constante que seul est un trésor un "contenu" que l'on peut différencier de son "contenant" (Cass. Req., 13 décembre 1881, DP, 1882, 1, 55, S., 1882, 1, 255, préc. ; v. aussi, TGI Millau, 26 mai 1988, D., 1990, Somm. 87, obs. A. Robert, à propos de vertèbres fossilisées d'un plésiosaure ; adde, les références citées par P. Berchon, Rep. Civ. V° Trésor, n° 6). A bien y réfléchir, la précision semble superfétatoire : si le prétendu trésor n'était pas dissociable du bien le recélant, on ne voit pas comment l'on pourrait prétendre exercer une propriété distincte de celle s'exerçant sur le contenant ; il n'y aurait donc tout simplement pas matière à parler de trésor. Prise à la lettre, l'exigence d'une dissociabilité précise donc moins la notion de "trésor" qu'elle ne rappelle la condition première de l'existence d'un bien distinct du fonds le cachant, pour que la question de son appropriation se pose. C'est la raison pour laquelle, à notre connaissance, la Cour de cassation n'avait jusqu'ici rappelé cette exigence qu'aux fins de vérifier que le bien considéré n'était pas confondu avec l'immeuble l'abritant par accession par incorporation (C. civ., art. 552 N° Lexbase : L3131ABL) ; il s'agissait donc surtout d'une manière de caractériser la nature mobilière du bien contenu dans le fonds (Req., 13 décembre 1881, DP 1882, 1, 55, S. 1882, 1. 255). L'arrêt fait donc application d'un critère essentiellement pensé dans le cas d'un trésor contenu dans un immeuble, au cas de deux meubles corporels.

Pour rejeter la qualification de trésor sur ce critère, la Cour de cassation part de l'observation que l'oeuvre découverte se situait sous la peinture en surface, de sorte que l'oeuvre de Jean Malouel, une fois nettoyée du repeint la dissimulant (meuble corporel incarnant une oeuvre mineure), se trouvait directement au contact du bois qui constituait son support. De cette constatation, la Cour de cassation tire la conclusion que les deux biens meubles corporels -peinture de Jean Malouel et support de bois- étaient en fait incorporés et formaient un bien unique, excluant par-là la qualification de trésor. Cette analyse peut être approuvée. Au fond, le processus de nettoyage ayant mené à la mise au jour de l'oeuvre -initié avec la découverte de l'antiquaire- relevait plus de la transformation du tableau peint sur bois que de l'invention d'un bien caché dans un autre. L'hypothèse n'est pas sans rappeler les situations dans lesquelles deux biens sont en fait incorporés l'un dans l'autre : soit par accession immobilière (C. civ., art. 552 N° Lexbase : L3131ABL), soit par accession mobilière lorsque leurs matières sont mélangées (C. civ., art. 572 et s. N° Lexbase : L3153ABE), justifiant dans les deux cas le rejet de la qualification de trésor, faute de bien distinct du bien-contenant sur lequel exercer la propriété de l'inventeur. La seule alternative aurait été un procédé propre à "déposer" la peinture du tableau sans l'altérer.

En revanche, la transposition d'un critère pensé pour le cas d'un meuble caché dans un bien immeuble, suscite des interrogations dans l'hypothèse de deux biens meubles corporels plus courants. Pour être "matériellement dissociables" du bien découvert, faudra-t-il que l'armoire à double fond ou le tiroir secret restent intègres suite à la mise au jour du trésor ? Complètement ? Totalement ? Il est probable que cette exigence ne tient qu'aux caractéristiques physiques des biens corporels ici considérés. Elle ne trouvera à s'appliquer que dans les cas où la découverte du bien entraîne la destruction irrémédiable du bien recelant le trésor : on pense évidemment à deux peintures ou encore à deux manuscrits (les palimpsestes).

II - Une interprétation stricte de l'article 716 du Code civil

A s'en tenir à la lettre de l'article 716 du Code civil, la solution semble imparable. La loi postule effectivement l'existence de deux biens distincts, le fonds recelant et la chose recelée. En outre, il n'y a sans doute dissociation au sens strict que si deux biens sont identifiables à l'issue du processus de séparation. De sorte qu'une incorporation du prétendu trésor au bien le dissimulant conduit immanquablement à écarter la qualification de trésor.

Toutefois, en l'espèce, il est permis de penser qu'une autre solution était possible à condition d'interpréter différemment -et assez librement- le texte. Tout tient ici à l'interprétation retenue de la notion de fonds. La Cour de cassation retient en effet que le fonds dont il était question est le support en bois sur lequel avait été peint successivement les deux peintures ; or, ce fonds est effectivement indissociable de l'oeuvre découverte. Mais n'était-il pas concevable de considérer que le bien-réceptacle était, non pas le support de bois incorporé avec l'oeuvre de Jean Malouel, mais bien plutôt la peinture mineure la recouvrant ? D'ailleurs, la Cour de cassation ne parle-t-elle-pas elle-même d'oeuvre "dissimulée" sous la peinture visible ? Certes, c'était légèrement forcer la notion puisque le support en bois n'est pas "caché", lui ; de sorte que n'étant pas un trésor, il fallait bien considérer qu'il constituait une partie du fonds. Mais après tout, la jurisprudence avait déjà fait preuve d'audace en admettant que le fonds puisse être un bien meuble corporel. Partant, il était possible de considérer que le fonds au sens de l'article 716 du Code civil était non le support de bois, mais le repeint ; et que la dissociation matérielle de ces deux biens était possible puisque l'oeuvre de Jean Malouel avait pu être nettoyée (et à condition d'admettre que cette dissociation se fasse au prix de la disparition d'un des deux éléments dissociés, ici le repeint). On était alors en présence d'un trésor.

En somme, la solution, bien que parfaitement défendable au regard de la lettre de l'article 716 du Code civil, nous semble procéder d'une interprétation étroite de ce texte. Elle aboutit à une conception restrictive de la notion de trésor que l'on peut regretter, d'autant qu'en l'espèce, le caractère inéquitable de la solution est sensible. Or l'équité est au coeur de la notion de trésor (F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Droit des biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 18). Une manière à la fois plus habile et plus pertinente de refuser cette qualification -si tel était effectivement le souhait de la première chambre civile à l'endroit des peintures sur peintures, hypothèse ayant des précédents- aurait été de mettre en cause la volonté du propriétaire originel de cacher ainsi la toile recouverte ou, pourquoi pas, de dénier la qualité d'inventeur de l'antiquaire comme semblait vouloir le faire la cour d'appel. Bref, de l'audace, encore de l'audace !

Julien Laurent

II - Propriété

A - Modes d'acquisition

  • Accession et prescription extinctive - La présomption de propriété par accession qu'établit l'article 546 du Code civil (N° Lexbase : L3120AB8) peut être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription acquisitive (Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-10.753, FS-P+B N° Lexbase : A2780WBL)

Le propriétaire d'un moulin assignait le propriétaire des parcelles sur lesquelles étaient situés un ensemble d'ouvrages et d'aménagements nécessaires au fonctionnement du moulin en revendication d'une partie de ces biens : ainsi l'entier canal, des francs-bords (rebords en général artificiels créés le long d'un cours d'eau afin de limiter l'érosion des berges) et des vannages, et en outre en interdiction de faire obstacle à son passage sur les francs-bords du bief pour l'entretenir. Le propriétaire défendeur à l'action en revendication prétendait de son côté avoir acquis par prescription acquisitive la propriété de ces différents biens revendiqués (bief, vannages et francs-bords).

La question était de savoir si, à supposer que le propriétaire du moulin puisse se prévaloir du mécanisme de l'accession en l'espèce, celui-ci permettait-il de prouver automatiquement la propriété des ouvrages et aménagements nécessaires à son fonctionnement (en l'espèce à l'acheminement de l'eau), en dépit de l'existence d'une prescription acquisitive ?

La cour d'appel de Bourges (CA Bourges, 15 octobre 2015, n° 14/01555 N° Lexbase : A3220NTG) choisit de faire prévaloir la règle de l'accession. Selon les juges du fond, le principe selon lequel "l'accessoire suit le principal" s'opposait à ce que la prescription acquisitive fasse échec à l'accession, sous peine de rompre l'unité que la loi a voulu préserver. L'arrêt est cassé. Pour la troisième chambre civile, au contraire, "l'article 546 du Code civil instaure, en faveur de celui qui l'invoque, une présomption de propriété par accession qui peut être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription".

La décision repose au fond sur deux considérations simples. En premier lieu, elle rappelle la portée de l'accession comme mode acquisitif. L'accession comme mode d'acquisition de la propriété n'est pas un mode automatique et absolu d'acquisition de la propriété. Elle n'établit, en vertu de la règle de "l'accessoire suit le principal", qu'une présomption de propriété au profit du revendiquant qui en situation de l'invoquer (1.). En second lieu, cette présomption est une présomption simple qui peut être renversée par la preuve contraire, ce qui sera notamment le cas lorsque le défendeur peut se prévaloir d'une prescription acquisitive, mode de preuve assez courant en matière immobilière (2.). Ces deux propositions doivent être approuvées.

1. L'accession établit une présomption simple de propriété au profit du propriétaire du bien principal sur le bien qui lui est accessoire

Examinons la nature particulière de l'accession dont pouvait se prévaloir ici le propriétaire du moulin (a) ; avant d'examiner la portée de l'accession en matière d'acquisition de propriété (b).

a - Quelle accession était en cause en l'espèce ? L'accession ou droit d'accession est un mode d'acquisition de la propriété qui repose sur un principe plus général du droit, selon lequel "l'accessoire doit suivre le principal" ("accessorium sequitur principale"), et qui reçoit des applications très diverses en droit. En vertu de cette règle, un élément, considéré comme accessoire à un autre par un lien hiérarchique, se voit alors placé dans la dépendance d'un élément considéré comme principal par rapport à lui. Employé comme mécanisme acquisitif, la règle de l'accessoire suit le principal prend le nom d'accession.

Aux termes de l'article 546 du Code civil, l'accession est le droit que donne "la propriété d'une chose soit mobilière, soit immobilière [...] sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement". Autrement dit, la propriété d'une chose principale emporte la propriété d'une chose qui lui est principale, soit que la chose accessoire est générée par la chose principale, soit qu'elle s'unit à celle dernière.

En matière immobilière, la figure classique de l'accession par "union" est l'accession dite par incorporation, en vertu de laquelle un meuble (des matériaux ou des végétaux) par exemple qui s'incorporent au fonds de terre (bien immeuble par nature), deviennent la propriété du propriétaire du fonds, bien toujours considéré comme la chose principale dans ce rapport. C'est cette déclinaison de l'accession que prévoit l'article 552 du Code civil (N° Lexbase : L3131ABL) aux termes duquel "la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous".

La difficulté en l'espèce est que les ouvrages revendiqués ne se situaient pas sur le fonds du propriétaire du moulin, mais sur des parcelles voisines, (en amont croit-on comprendre), de sorte qu'il ne pouvait s'agir d'une classique accession par incorporation. Si l'accession, au sens général que lui donne l'article 546 du Code civil, est néanmoins invocable, c'est qu'il est possible de considérer que les ouvrages et divers aménagements en question entretenaient un lien fonctionnel avec le moulin, propre à fonder un lien d'accessoire à principal. En effet, ces biens sont incontestablement nécessaires à son fonctionnement. Cette acception extensive de la règle de l'accession peut s'appuyer sur une interprétation souple de l'article 546 du Code civil, le texte évoquant l'hypothèse de l'"union" entre le bien principal et le bien accessoire. L'union dont il s'agit ne repose alors pas sur un lien physique comme dans le cas de l'accession "classique" par incorporation (C. civ., art. 552), mais sur un lien intellectuel ou encore d'affectation (v. F. Danos, obs. sous arrêt, RDC, 2017, n° 3, p. 516).

C'est ainsi qu'une jurisprudence ancienne et constante (v. déjà, Cass. req., 21 décembre 1830 : S., 1831, I, 14) admet à certaines conditions de configuration des lieux (sur lesquelles, Cass. civ. 3, 3 octobre 1969, n° 68-11.077 N° Lexbase : A6392C9M ; Cass. civ. 3, 7 novembre 1975, n° 73-14.087 N° Lexbase : A5180CGX ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2012, n° 11-24.191, FS-D N° Lexbase : A8622IXM ; v. en dernier lieu, Cass. civ. 3, 20 octobre 2016, n° 15-20.044, FS-P+B N° Lexbase : A6602R9E) permettant de caractériser ce lien de dépendance, que l'accession puisse jouer au profit du propriétaire du moulin revendiquant les canaux d'amenée (biefs) ainsi que les divers aménagements y afférents.

b - La portée de l'accession comme mode acquisitif restait à préciser. La jurisprudence déjà évoquée (Cass. req., 21 décembre 1830, préc.) considère que l'accession établit au profit du propriétaire du moulin une présomption simple de propriété sur les ouvrages et aménagements accessoires, et notamment les biefs en question (v. par ex. Cass. civ. 3, 28 novembre 2012, n° 11-24.191, FS-D N° Lexbase : A8622IXM).

Cette solution ne surprend pas, l'accession ne jouant ni de manière automatique ni impérative. L'article 546 du Code civil n'établit qu'une présomption légale au profit du propriétaire de la chose principale. Ainsi, même dans le cas de l'accession immobilière par incorporation, accession immobilière par excellence, l'accession peut être aménagée voire neutralisée par convention. Par conséquent, c'est logiquement que la jurisprudence si l'accession permet de présumer la propriété du propriétaire de la chose (comme par exemple l'illustre l'article 553 du Code civil (N° Lexbase : L3132ABM) en matière d'accession immobilière), cette présomption est simple et supporte la preuve contraire (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 97-13.107 N° Lexbase : A9103AGA). Si cette solution vaut pour une accession par incorporation, où les biens sont physiquement liés, elle doit valoir a fortiori dans l'hypothèse ici considérée d'une accession fonctionnelle, où les biens ne sont qu'intellectuellement unis.

Il restait une question, que tranche l'arrêt : cette preuve contraire pouvait-elle résulter de l'existence d'une prescription acquisitive ? Oui pour la Cour de cassation.

2. La prescription acquisitive permet de prouver contre une acquisition par accession

La cour d'appel de Bourges avait écarté l'idée que l'accession existant au profit du propriétaire du moulin puisse être neutralisée par la prescription acquisitive. Selon la Cour de cassation, la présomption de propriété qu'établit l'existence d'une accession peut toutefois être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription. Ici encore, la solution doit être approuvée en ce qu'elle est conforme aux règles de contentieux de preuve de la propriété.

Prouver que l'on est propriétaire se résume à prouver que l'on a acquis un bien. Il s'agit donc d'un fait juridique. Par conséquent, et par principe, la propriété se prouve donc par tout moyen (Cass. civ. 1, 11 janvier 2000, n° 97-15.406 N° Lexbase : A3427AUH). La preuve étant libre, le juge sera amené à trancher entre les différents éléments de preuve apportés par les plaideurs et notamment entre les diverses présomptions et indices dont ils entendront se prévaloir. Il n'y a donc pas de preuve de la propriété l'emportant en toute hypothèse et tout sera fonction du contexte et du cas d'espèce (transfert de propriété ou acquisition originaire ; meuble ou immeuble, etc.).

Parmi ces moyens, l'existence d'une prescription acquisitive constitue néanmoins un moyen privilégié, notamment en matière immobilière, où la propriété de ces biens remonte parfois très loin dans le temps. Aux termes de l'article 2258 du Code civil (N° Lexbase : L7194IAP), "la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi". Il suffira donc au défendeur de justifier qu'il a possédé la chose durant le temps requis pour prescrire (30 ans en matière immobilière). Ainsi, la jurisprudence a déjà affirmé que la prescription pouvait jouer contre un titre (Cass. civ. 3, 4 décembre 1991, n° 89-14.921 N° Lexbase : A2665ABC). A fortiori pourra-t-elle jouer contre l'accession, si les éléments requis pour prescrire sont effectivement réunis au moment où la revendication a lieu.

Julien Laurent

B - Contentieux

1°) La sanction de l'empiètement

  • De l'astreinte en cas d'empiètement minime subsistant (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-21.949, FP-P+B N° Lexbase : A9077SGB). De la proportionnalité en matière d'empiètement (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561, FP-P+B N° Lexbase : A9101SG8). Des modalités de la sanction de l'empiètement (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113, FP-P+B N° Lexbase : A9133SGD)

La rigueur des solutions retenues en matière d'empiètement est connue et constante comme en témoignent trois arrêts rendus le 10 novembre 2016 par la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 10 novembre, n° 15-21.949, n° 15-19.561, et n° 15-25.113, FP-P+B). Si cette sévérité s'explique par une lecture a contrario de l'article 545 du Code civil (1), laquelle doit conduire à refuser de consacrer une expropriation pour cause d'utilité privée, il n'en demeure pas moins que de nombreuses critiques s'élèvent notamment en matière d'empiètement minime.

Dans la première affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-21.949), un couple avait acquis un immeuble empiétant sur le fonds voisin. L'empiètement ayant été constaté, les juges du fond accordèrent un délai de deux ans sous astreinte pour le supprimer. Le couple s'exécuta dans le délai imparti mais un empiètement minime subsista de telle manière que les voisins demandèrent la liquidation de l'astreinte. Dans la deuxième affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561), la Cour de cassation censura, pour violation de la loi, la cour d'appel de Bastia qui avait cru pourvoir refuser la demande en démolition au motif que cette dernière était disproportionnée eu égard au préjudice subi par la victime de l'empiètement. Enfin, dans la dernière affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113), qui est sans doute la plus intéressante, les magistrats du Quai de l'horloge censurèrent la cour d'appel de Bourges, pour défaut de base légale, d'avoir ordonné la démolition totale d'un bâtiment empiétant sur l'héritage voisin. En réalité, le grief adressé aux juges du fond consistait à ce qu'ils n'avaient pas recherché si le rabotage du mur n'était pas suffisant pour mettre fin à l'empiètement.

Si l'on met de côté les arguments classiquement invoqués mais systématiquement rejetés par la Cour de cassation pour tenter d'éviter la sanction drastique de l'empiètement -abus de droit de propriété (2), bonne foi de l'auteur de l'empiètement (3), mauvaise foi de la victime de l'empiètement (4), antériorité de l'empiètement (5), caractère minime de l'empiètement (6)- deux points soulevés dans ces arrêts méritent notre attention. D'une part, les deux premiers arrêts (Cass. civ. 3, 10 novembre, n° 15-21.949 et 15-19.561) mettent en lumière le caractère disproportionné de la sanction ; d'autre part, les modalités de la sanction appellent quelques observations eu égard notamment au troisième arrêt rendu (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113).

Dans la première espèce (Cass. civ. 3, 10 novembre, n° 15-21.949), les demandeurs au pourvoi arguaient du fait que la réalisation de travaux supplémentaires pouvait entraîner des conséquences disproportionnées sur le patrimoine du propriétaire de l'immeuble en cause. De la même manière, dans la deuxième affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561), la cour d'appel estimait que la démolition était disproportionnée en l'absence de préjudice. La tentative du recours à la proportionnalité n'est pas nouvelle pour tendre à davantage d'équité en matière d'empiètement lorsque ce dernier est particulièrement minime. Pourtant, pour l'heure, la Cour de cassation s'y refuse en se drapant de l'absoluité du droit de propriété de l'article 544 du Code civil et de la seule possibilité d'admettre l'expropriation pour cause d'utilité publique conformément à l'article 545 du même code. Toutefois, il n'est pas certain que ce refus subsiste à l'heure où la proportionnalité gagne le contrôle de la Cour de cassation ainsi que les dispositions, à venir sans doute, du Code civil. En effet, l'article 1261 du projet de réforme de la responsabilité civile (7) prévoit que la réparation en nature ne sera pas ordonnée en cas d'impossibilité ou de disproportion manifeste entre son coût pour le responsable et son intérêt pour la victime. Autrement dit, appliquée à l'empiètement, cela signifie que la démolition de la totalité de l'ouvrage pourrait être refusée lorsque celle-ci conduit à un coût exorbitant eu égard au préjudice subi du fait de l'empiètement.

Pour l'heure, la proportionnalité n'a pas trouvé grâce aux yeux de la Cour de cassation. En revanche, elle semble faire preuve d'un peu plus de souplesse lorsqu'il s'agit de s'entendre sur les modalités de la sanction de l'empiètement comme en témoigne la troisième espèce (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113). En effet, en indiquant que les juges du fond auraient dû rechercher si le rabotage du mur n'était pas de nature à mettre fin à l'empiètement constaté, les magistrats du Quai de l'horloge semblent ne pas considérer, une fois l'empiètement constaté, que la démolition de la construction empiétant sur le fonds d'autrui est la seule solution. Or, il n'a jamais été question de procéder à la démolition automatique de la totalité de la construction puisque l'article 545 du Code civil invite à mettre fin à l'empiètement. En d'autres termes, seule l'assiette de l'empiètement est visée de telle manière que la démolition de l'ouvrage doit seulement être perçue comme une conséquence de la sanction de l'empiètement lorsque la démolition de la partie de l'ouvrage qui empiète (un mur porteur par exemple) ne peut conduire qu'à la démolition de l'ouvrage dans son entier. Aussi, il ne faut pas voir dans cette décision un assouplissement de la position de la Cour de cassation mais simplement la volonté de faire cesser l'empiètement en se limitant, quand c'est possible, à ce qui est seulement nécessaire. Enfin, cette dernière espèce est l'occasion d'évoquer la solution proposée par l'association Henri Capitant lorsque l'empiètement est minime. En effet, l'article 539 de l'avant-projet de réforme de droit des biens dispose que "le propriétaire victime d'un empiètement non intentionnel sur son fonds, ne peut, si celui-ci est inférieur à 0,30 mètres, en exiger la suppression que dans le délai de deux ans de la connaissance de celui-ci sans pouvoir agir plus de 10 ans après l'achèvement des travaux". Si un peu de bienveillance semble appropriée en matière d'empiètement minime, en revanche, la détermination arbitraire d'une mesure ne semble guère souhaitable dans la mesure où la perte d'utilité du bien devrait davantage être appréciée eu égard à la perte de la superficie correspondante à l'assiette de l'empiètement. Or, cette dernière espèce prend soin de mettre en évidence la superficie de l'empiètement -0,04 m² en l'espèce- plutôt que la mesure de l'empiètement. Aussi, il nous semblerait utile que ce critère soit retenu pour la simple raison qu'il vaut mieux, par exemple, un empiètement d'1 mètre sur une bande de 2 mètres qu'un empiètement de 20 centimètres sur une bande de 500 mètres.

Séverin Jean

2°) Troubles anormaux de voisinage

  • Du fondement juridique des troubles anormaux du voisinage à leur appréciation judiciaire - Un syndicat de copropriétaires peut agir sur le fondement du trouble anormal du voisinage à l'encontre d'un copropriétaire (Cass. civ. 3, 11 mai 2017, n° 16-14339, FS-P+B+I N° Lexbase : A4628WCE). L'appréciation variable du trouble anormal du voisinage (Cass. civ. 3, 19 janvier 2017, n° 15-28.591, F-D N° Lexbase : A7208S9T et Cass. civ. 3, 26 janvier 2017, n° 15-16.977, F-D N° Lexbase : A5540TAG). De la compétence du juge judiciaire limitée même en présence d'un trouble anormal du voisinage en présence d'une installation classée (Cass. civ. 3, 25 janvier 2017, n° 15-25.526, FS-P+B+I N° Lexbase : A8409S9C)

Dans la première espèce (Cass. civ. 3, 11 mai 2017, n° 16-14.339), un syndicat de copropriétaires assigna un copropriétaire en indemnisation à la suite d'infiltrations d'eau. L'arrêt est important en ce qu'il posait la question du fondement juridique de l'action. En effet, l'action du syndicat des copropriétaires à l'encontre d'un copropriétaire devait-elle être exercée sur le fondement de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété ou sur le fondement des troubles anormaux du voisinage. Les juges du fond estimèrent que l'action ne pouvait être conduite que sur le fondement de la loi du 10 juillet 1965 -l'article 9 (8) plus particulièrement- et non sur le fondement des troubles anormaux du voisinage. Pourtant, la Cour de cassation désavoua la cour d'appel en énonçant, sous l'allure d'un principe, "qu'un syndicat des copropriétaires peut agir à l'encontre d'un copropriétaire sur le fondement d'un trouble anormal de voisinage". Par ailleurs, la solution semble parfaitement logique puisqu'en matière de troubles anormaux de voisinage, il a toujours été admis que peu importe qui souffre du trouble du moment que le demandeur souffre lui-même du trouble. Or, dans la mesure où un syndicat de copropriété est composé de l'ensemble des copropriétaires, ce dernier peut agir en justice, pour le compte de la copropriété, dès lors que des infiltrations menacent l'immeuble -notamment des parties communes- puisque le syndicat des copropriétaires a pour objet spécialement la conservation de l'immeuble. Par conséquent, il est loisible de penser que le syndicat des copropriétaires dispose légitiment d'un intérêt à agir en ce sens qu'il souffre lui-même du trouble. Enfin, de manière plus prospective, il convient de songer au projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 qui a le mérite de consacrer légalement les troubles anormaux de voisinage. En effet, l'article 1244 alinéa 1 (N° Lexbase : L0946KZ3) dispose que "le propriétaire, le locataire, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, répond de plein droit du dommage résultant de ce trouble". Dès lors, en précisant clairement les débiteurs en matière de troubles anormaux de voisinage, il serait clairement acquis que le copropriétaire, propriétaire donc, pourrait assurément voir sa responsabilité engagée pour les préjudices causés consécutivement à un trouble qui excèderait les inconvénients normaux du voisinage. Reste alors à apprécier l'anormalité du trouble.

L'appréciation de l'anormalité du trouble n'est pas toujours évidente comme en témoignent les deux autres arrêts (Cass. civ. 3, 19 janvier 2017, n° 15-28.591 et Cass. civ. 3, 26 janvier 2017, n° 15-16.977) quand bien même les circonstances factuelles seraient a priori semblables. Dans les deux espèces, des propriétaires de maisons d'habitation estimaient avoir perdu de l'ensoleillement du fait de la construction d'immeubles sur les fonds voisins. Pourtant, les solutions divergent. En effet, dans l'espèce du 19 janvier 2017, les magistrats du Quai de l'horloge estimèrent que la perte d'ensoleillement était significative compte tenu de la configuration en longueur et de la faible largeur de la parcelle de telle manière que le trouble anormal de voisinage était caractérisé peu important que l'immeuble litigieux fût implanté en milieu urbanisé. En revanche, dans l'espèce du 26 janvier 2017, la Cour de cassation refusa de retenir le trouble anormal du voisinage au motif que la perte de vue d'ensoleillement et l'étroitesse du passage pour les travaux d'entretien constituaient certes des inconvénients réels mais qu'ils n'excédaient pas les inconvénients normaux du voisinage. La divergence des solutions est à vrai dire peu compréhensible mais ce serait oublier que l'anormalité du trouble est une question de fait relevant alors de la seule appréciation souveraine des juges du fond. Aussi, le signataire se contentera de rappeler que l'anormalité du trouble doit être appréciée in concreto en tenant compte spécialement de la destination et de l'environnement des lieux.

Enfin, le dernier arrêt (Cass. civ. 3, 25 janvier 2017, n° 15-25.526) est relatif à la compétence du juge judiciaire en matière de troubles anormaux de voisinage lorsqu'est en cause des installations éoliennes, lesquelles sont assimilées à des installations classées. En effet, il est acquis que lorsque la juridiction judiciaire constate des nuisances occasionnées par une installation classée, celle-ci peut parfaitement prendre les mesures pour faire cesser le préjudice subi sous réserve toutefois de ne pas méconnaître le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire. Plus précisément, et c'est ce que rappelle la Cour de cassation dans cette espèce, ce n'est qu'à la condition que le juge judiciaire ne s'immisce pas dans l'exercice d'une police administrative spéciale sans quoi son intervention porterait atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Cette limitation du l'autorité judiciaire est exprimée depuis la fin du 19ème siècle (9) et confirmée par le Tribunal des Conflits de manière constante (10). Dans l'arrêt du 25 janvier 2017, la Cour de cassation procède en trois étapes : d'abord, elle rattache les éoliennes à des installations classées ; ensuite, elle rappelle le principe de la compétence du juge judiciaire en troubles anormaux du voisinage ; enfin, elle limite la compétence de ce dernier lorsque les mesures envisagées viennent en contradiction avec les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient. La motivation de la Cour de cassation ne souffre, par conséquent, n'aucune critique. Aussi, c'est surtout les précisions apportées, relatives aux incidences du principe de séparation des autorités lorsqu'est en cause une police spéciale, qui doivent retenir notre attention. En effet, les magistrats du Quai de l'horloge, partant de l'idée que le juge judiciaire ne pouvait substituer son appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers et inconvénients que pouvaient présenter ces installations, en a logiquement déduit que les mesures que le juge judiciaire pourrait prendre -l'enlèvement des installations éoliennes- contrarieraient les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient. Par conséquent, c'est à bon droit que la Cour de cassation a relevé l'incompétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la demande d'enlèvement des installations litigieuses. Pour autant, cette jurisprudence risque de conduire à l'impossibilité pure et simple, pour le juge judiciaire, de connaître des troubles anormaux de voisinage en matière d'éoliennes pour au moins deux raisons. En premier lieu, l'appréciation du trouble visuel et esthétique est nécessairement subjective de telle sorte que cela conduira sans doute à considérer systématiquement que le juge judiciaire a substitué ladite appréciation à celle de l'autorité de police administrative. En second lieu, les inconvénients esthétiques et visuels ayant déjà fait l'objet d'un examen au moment de la délivrance du permis de construire et à l'occasion d'une étude d'impact et d'une enquête publique, il est fort probable que l'immixtion de l'autorité judiciaire à ce propos ne puisse être que contraire à l'autorisation administrative.

Séverin Jean


(1) L'article 545 du Code civil dispose que "nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité" (N° Lexbase : L3119AB7).
(2) Cass. civ. 3, 7 novembre 1990, n° 88-18.601 (N° Lexbase : A3914AHG): "Qu'en statuant ainsi, alors que la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus [...]".
(3) Cass. civ. 3, 19 décembre 1983, n° 82-15.670 (N° Lexbase : A2093CID).
(4) Cass. civ. 3, 18 février 1998, n° 95-19.106 (N° Lexbase : A2420ACM). Dans cette affaire, la victime de l'empiètement avait gardé le silence pendant la construction empiétant sur son fonds.
(5) Cass. civ. 3, 7 novembre 1978, n° 77-13.300 (N° Lexbase : A5205CGU).
(6) Cass. civ. 3, 29 février 1984, n° 83-10.585 (N° Lexbase : A4115CKM) : "L'article 545 du Code civil [...] doit être appliqué dans toute sa rigueur [...] même si son importance est minime".
(7) L'article 1261 du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 dispose que "la réparation en nature ne peut être imposée à la victime. Elle ne peut non plus être ordonnée en cas d'impossibilité ou de disproportion manifeste entre son coût pour le responsable et son intérêt pour la victime".
(8) Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, art. 9 (N° Lexbase : L4861AHI) : "Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble".
(9) Cass. Requête, 11 juin 1877, D., 1878, 1, 409 et 410.
(10) Tribunal des conflits, 23 mai 1927, Cts Neveux et Kolher, S. 1927, 3, 94.

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