Réf. : Cass. civ. 2, 23 novembre 2017, n° 16-25.120, F-P+B (N° Lexbase : A5803W3C)
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N1807BX9
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par Pierre-Louis Boyer, Maître de conférences HDR, CREDO-UCO- IODE Rennes 1
le 21 Décembre 2017
Le 9 mars 2010, la cour d'appel de Montpellier a renvoyé les époux divorcés devant notaire pour établissement de l'acte partage. Mais, suite à ce renvoi devant l'officier ministériel, l'avocat de Madame n'a pu obtenir de la part de sa cliente la copie de l'acte notarié rédigé en 2014, et n'a donc pu obtenir, non plus, le paiement de l'honoraire de résultat conventionnellement prévu.
Le conseil du mauvais payeur a donc sollicité cet acte auprès de sa cliente, ainsi que, le 22 janvier 2015, l'honoraire de résultat sur lequel les parties s'étaient initialement mises d'accord. Sans l'acte, impossible pour l'avocat d'établir le calcul de l'honoraire de résultat... raison pour laquelle l'avocat a saisi son Bâtonnier pour fixer cet honoraire. Ledit Bâtonnier a rendu une ordonnance de taxe d'honoraire le 16 décembre 2015, ordonnance allant dans le sens de la demande de l'avocat.
Le premier président de la cour d'appel de Montpellier, vraisemblablement saisi en second ressort pour fixation de l'honoraire de résultat, a rendu une ordonnance le 11 octobre 2016, faisant ainsi droit, comme l'avait fait le Bâtonnier, aux demandes de l'avocat et rejetant les moyens de la cliente qui soulevait la prescription de l'action intentée par son avocat devant le Bâtonnier de l'Ordre. Ladite ordonnance a fait l'objet d'un pourvoi devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, pourvoi formé par les représentants de la cliente de l'avocat, cette dernière étant décédée entre l'acte notarié et le pourvoi.
On aurait pu penser d'entrée que le délai écoulé entre le 9 mars 2010, date de l'arrêt qui sonnait la fin de la mission de l'avocat auprès de sa cliente, et le 22 janvier 2015, dépassait de loin la prescription biennale classique relative au paiement des honoraires d'avocat. En effet, l'article L. 218-2 (N° Lexbase : L1585K7T) (anciennement L.137-2 N° Lexbase : L7231IA3) du Code de la consommation, dispose bien que "l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans".
En effet, on se rappelle que l'approche très consumériste du délai de prescription de l'honoraire de l'avocat avait été tranchée par deux arrêts de la deuxième chambre civile du 26 mars 2015, ces deux arrêts imposant le délai de prescription biennal de l'article L. 218-2 au motif que l'avocat était, finalement et au regard du "marché " juridique, un fournisseur de services à destination des consommateurs.
En conséquence de ces deux décisions et de la jurisprudence qui a suivi, le délai de recouvrement des honoraires pour un avocat commence à compter de la fin de sa mission et ce pour une durée de deux années, sauf si les services de l'avocat sont réalisés en faveur d'une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins entrant dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Dans ce dernier cas, le délai s'étend à cinq années (1).
L'arrêt de la cour d'appel qui a tranché le litige entre les parties en indiquant au notaire les dispositions qu'il devait prendre dans son acte n'a cependant pas été retenu comme le point de départ du délai de prescription de l'action en recouvrement des honoraires par la Cour de cassation, mais c'est l'établissement de l'acte notarié de partage qui l'a été.
La raison est à la fois fort simple et juridique, voire même contractuelle et logique. La convention d'honoraire objet du litige porté devant la Haute juridiction prévoyait que l'honoraire de résultat serait "payable dès règlement des sommes dues" à la cliente. L'acte notarié n'ayant été établi que dans le courant de l'année 2014, les sommes visées dans la convention n'ont pas été versées à la cliente, ce qui empêchait que la condition de réalisation du paiement contenue dans la convention ne soit réalisée. Ainsi, la saisine du Bâtonnier de janvier 2015 n'était-elle pas hors délai.
De plus, sans l'acte définitif, et donc sans le montant total perçu par la cliente, l'honoraire de résultat ne pouvait être calculé. Il y avait donc un double défaut : absence de versement des sommes dues comme évoqué dans la convention d'honoraire, et absence de l'assiette de calcul de l'honoraire de résultat.
Ainsi, la Cour de cassation fait bien reporter le commencement du délai de prescription de l'exécution de l'obligation au moment où la créance est devenue exigible, et non à la date de fin de la mission de l'avocat. Cela revient à dire que la fin de la mission du conseil n'entraîne pas la fin de son mandat, ce dernier courant jusqu'à ce que l'exécution de la convention d'honoraires soit rendue possible, c'est-à-dire jusqu'à ce que la créance qui était "déterminable" soit "déterminée", jusqu'à "exigibilité de l'honoraire".
La Cour vient compléter sa jurisprudence antérieure en ce domaine, en particulier celle, récente, du 26 octobre dernier qui venait rappeler que le délai de prescription de l'action de l'avocat en recouvrement de ses honoraires courait à compter de la date à laquelle son mandat avait pris fin, et que ce délai ne saurait courir à compter de la décision judiciaire (2), et ce au visa des articles L. 218-2 susvisé du Code de la consommation, 412 (N° Lexbase : L6513H7D) et 420 (N° Lexbase : L0430IT4) du Code de procédure civile, et 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA). Dans l'arrêt du 26 octobre dernier, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation soulignait bien le fait que le premier président qui énonce que la prescription extinctive court à compter de la date à laquelle le mandat de l'avocat a pris fin, soit à la date de la décision juridictionnelle mettant fin au contentieux, viole l'article L. 218-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1585K7T).
Une nouvelle fois, donc, mais dans un cadre plus précis car concernant uniquement l'exigibilité de l'honoraire de résultat, la deuxième chambre civile semble différencier deux rapports entre l'avocat et son client, un rapport de représentation, et un rapport contractuel. Elle semble, peut-être sans le vouloir, redonner à l'avocat toute sa noblesse en différenciant "mission" et "mandat".
La mission de l'avocat serait, dès lors, la fonction de défense ou de conseil que revêt l'avocat, à savoir sa fonction de représentation, d'assistance ou de postulation. La mission de l'avocat, c'est, en réalité, sa mission essentielle, à savoir sa vocation : se substituer à son client face à une juridiction ou un tiers. La mission, c'est une charge, une délégation totale, un "office", pour ne pas dire le coeur de son sacerdoce.
Le mandat, en revanche, renvoie au rapport contractuel existant entre l'avocat et son client. Si la mission est une substitution entre le justiciable et l'homme en noir, le mandat est bien le contrat, froid, technique, qui lie un professionnel du droit à un consommateur d'un service juridique ou judiciaire.
En conséquence, en considérant que l'arrêt de la cour d'appel de 2010 marquait bien la fin de la mission de l'avocat, mais que l'avocat pouvait, contractuellement, continuait d'exiger l'honoraire de résultat qui lui était dû et ce jusqu'à ce que ce dernier puisse être exigible, la Cour de cassation souligne instinctivement ce double rapport existant entre l'avocat et son client : mission et mandat, fonction et contrat.
Dans tous les cas, il aurait été, en effet, aberrant que l'on impose à l'avocat un délai dans lequel il lui était impossible de calculer l'honoraire de résultat prévu contractuellement.
Pour plus de sécurité, messieurs de la barre, n'oubliez pas d'apporter cette précision dans vos conventions d'honoraires de résultat : l'honoraire de résultat sera payable au jour où le résultat sera définitif et les sommes versées à vos clients, puisque le délai de prescription de l'action en recouvrement exercée par l'avocat en paiement de son honoraire de résultat ne peut commencer à courir avant que cet honoraire soit exigible.
Après l'absence d'interdiction de percevoir un honoraire de résultat même après dessaisissement de l'avocat (3), la deuxième chambre civile vient une nouvelle fois prendre la défense de l'avocat et du consensualisme lié à la convention d'honoraires passée avec son client. Tout travail mérite salaire, qu'on se le dise.
(1) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-15.013 (N° Lexbase : A4644NEQ) et n° 14-11.599 (N° Lexbase : A4643NEP), FS-P+B+R+I ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9580ETY), Dalloz actualité, 30 mars 2015, obs. A. Portmann ; Dalloz avocats, 2015, p. 137, obs. J. Dargent ; JCP éd. G, 2015, n° 393, obs. Lasserre-Capdeville ; JCP éd. G, 2015, n° 649, note Caseau-Roche ; D. 2015, 449, obs. N. Fricero.
(2) Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-23.599, FS-P+B (N° Lexbase : A1419WXT ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
(3) Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-19.083, F-D (N° Lexbase : A1577WXP ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0081EUK).
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