Réf. : Règlement (CE) n° 2015/848 du 25 mai 2015, relatif aux procédures d'insolvabilité transfrontalières (N° Lexbase : L7603I84), entré en vigueur le 26 juin 2017
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par Reinhard Dammann, Avocat, associé Clifford Chance, chargé de cours à Sciences Po Paris et Paris I et Aliénor Huchot, stagiaire Clifford Chance
le 08 Novembre 2017
Par ailleurs, avec la refonte du Règlement, son champ d'application se trouve considérablement élargi. En outre, les notions clés du droit européen des procédures d'insolvabilité, telles que le critère principal de compétence juridictionnelle, le centre des intérêts principaux du débiteur ou encore l'articulation entre procédures principale et secondaire(s), sont précisées. De plus, le nouveau Règlement innove en consacrant un chapitre aux groupes de sociétés, auparavant oubliés. Enfin, en accord avec la volonté des différents Etats membres, la situation des créanciers de l'Union se trouve également améliorée par l'instauration de l'obligation d'information du créancier et la simplification de la déclaration de créances.
I - Un champ d'application élargi
Le Règlement (CE) n° 1346/2000 comprenait les procédures d'insolvabilité classiques entraînant un dessaisissement total ou partiel du débiteur. Il existait cependant un débat sur l'application du Règlement aux procédures hybrides et provisoires voire préventives. Sur ce point, le législateur de l'Union clarifie la situation en élargissant la notion de procédure d'insolvabilité. Ainsi, sont listées à l'annexe A toutes les procédures entrant dorénavant dans le champ d'application du Règlement refondu. Pour la France, sont désormais comprises, outre la procédure de sauvegarde, le redressement et liquidation judiciaire, la sauvegarde financière accélérée (SFA) et la sauvegarde accélérée (SA). La conciliation et le mandat ad hoc restent exclus du champ d'application de ce Règlement. S'agissant des procédures étrangères on notera, qu'à l'instar du modèle français, certaines procédures préventives entrent dans le champ d'application du Règlement tandis que d'autres, comme le scheme of arrangement, en demeurent exclues.
II - Le centre des intérêts principaux du débiteur
Le COMI est une notion centrale du Règlement visant à déterminer la juridiction étatique compétente pour ouvrir la procédure d'insolvabilité principale. Plusieurs auteurs ont critiqué le concept de centre des intérêts principaux (COMI), jugé trop vague, et plus particulièrement la présomption simple de sa localisation au siège statutaire du débiteur personne morale qui pouvait ouvrir la porte à toute sorte de manipulations. Dans le cadre de la refonte du Règlement, les partisans de cette doctrine ont ainsi privilégié la piste d'une présomption irréfragable en faveur du siège statutaire de la société. Pourtant, les arguments de ces derniers n'ont pas convaincu le législateur de l'Union. Une règle de rattachement trop rigide aurait en effet enlevé toute flexibilité, pourtant souhaitée par la pratique, dans la mise en oeuvre du Règlement. Ainsi, toute forme de regroupement des procédures d'insolvabilité d'un groupe de sociétés très intégré aurait été impossible. Or, comme on le verra, il convient de distinguer le forum shopping abusif et frauduleux au détriment des créanciers qu'il faut combattre, d'un forum shopping vertueux dans l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes qu'il ne faut pas décourager.
A - Approfondissement de la définition du centre des intérêts principaux
Peu détaillée, la définition de centre des intérêts principaux telle qu'énoncée dans le Règlement (CE) n° 1346/2000 a été modifiée par le nouveau Règlement. Le législateur de l'Union a en effet souhaité non seulement la préciser mais également lui donner une portée supplémentaire afin d'écarter un forum shopping frauduleux.
Le Règlement (CE) n° 2015/848 reprend la règle de rattachement du COMI à l'article 3, § 1. Ainsi, "[l]es juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité principale". Le législateur de l'Union incorpore ensuite l'ancien considérant 13 du Règlement (CE) n° 1346/2000 auquel la CJUE avait reconnu une valeur normative dans l'arrêt "Eurofood" (1). Ainsi, l'article 3, § 1, in fine, du Règlement (CE) n° 2015/848, précise que le COMI "correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par les tiers". On observe à cet égard que l'adverbe "donc" est remplacé par le mot "et" soulignant ainsi l'existence de deux conditions cumulatives.
Le Règlement (CE) n° 2015/848 reprend, ensuite, la présomption simple bien connue du Règlement (CE) n° 1346/2000 de la localisation du COMI en faveur du siège statutaire pour les personnes morales (2). Dans une approche pédagogique, le Règlement (CE) n° 2015/848 transpose également la jurisprudence "Interedil" (3) dans les nouveaux considérants 28 et 30.
B - Le dispositif anti-forum shopping
Le nouveau Règlement n° 2015/848 a introduit toute une série de nouvelles dispositions afin de renforcer le contrôle de la localisation du COMI, destinées à assurer la sécurité juridique des transactions et à rendre plus difficile toute forme de forum shopping abusif ou frauduleux.
Il a notamment instauré un délai de vacuité afin de neutraliser le jeu de la présomption en faveur du siège statutaire, du lieu d'activité principal et de la résidence habituelle du débiteur, selon le cas. Pour les sociétés et les personnes morales, la présomption en faveur du siège statutaire "ne s'applique que si le siège statutaire n'a pas été transféré dans un autre Etat membre au cours des trois mois précédant la demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité". Le même délai de trois mois s'applique en cas de transfert du lieu d'activité principal d'une personne exerçant une profession libérale ou toute autre activité indépendante. Ce délai passe à six mois en cas de déménagement d'un consommateur dans un autre Etat membre. A cet égard, la doctrine souligne que le caractère "habituel" suppose une certaine stabilité de la localisation du COMI qui n'est remis en question qu'en cas de déménagement fréquent.
La portée pratique de ces nouvelles dispositions est en réalité très limitée pour les sociétés. En effet, un transfert de siège à l'international est long et complexe. En outre, cette disposition n'empêche nullement un transfert de COMI, beaucoup plus simple à opérer, puisque ne nécessitant que le déplacement de l'administration centrale de la société. Ainsi, cette disposition vise surtout, en pratique, à combattre le "tourisme judiciaire" (4) des personnes physiques.
C - La consécration d'un forum shopping vertueux
La méfiance du législateur communautaire vis-à-vis du forum shopping abusif visant à se soustraire frauduleusement à ses créanciers demeure. Le législateur de l'Union a cependant pris conscience que le transfert du COMI pouvait également être légitime, à condition qu'il ait été fait de manière transparente et avec le consentement de la plupart des créanciers. Nouveauté discrète, parce que résultant de la lecture a contrario et croisée de plusieurs considérants, elle n'en reste pas moins importante dans une perspective de changement de COMI afin de faciliter la restructuration d'un groupe de sociétés en accord avec ses principaux créanciers.
III - Le renforcement de l'obligation des juridictions de vérifier leur propre compétence
Le Règlement refondu comprend de nouvelles dispositions obligeant le tribunal d'ouverture à systématiquement examiner avec soin sa propre compétence. Ainsi, avant de renverser la présomption en faveur du siège statutaire, le juge saisi doit vérifier le caractère pertinent des éléments fournis.
L'article 5 et le considérant 33 du nouveau Règlement, qui transposent la jurisprudence "Eurotunnel" (5), prévoient en effet la possibilité pour les créanciers d'intenter un recours effectif contre la décision d'ouverture.
A - L'articulation des procédures principale et secondaire(s)
L'article 3 du Règlement (CE) n° 1346/2000 a mis en place une architecture fondée sur une procédure principale à effet universel et des procédures secondaires aux effets territoriaux limités. La procédure secondaire a donc toujours été par nature contraire à l'idéal d'universalité que portait le règlement. Son existence avait néanmoins été justifiée par la volonté des Etats membres de protéger les intérêts des créanciers locaux. Elle demeurait cependant cantonnée à une finalité liquidative. Or, l'apparition des procédures de restructuration de la dette (de type sauvegarde) au sein d'une telle architecture a soulevé la problématique de l'articulation entre procédures principales et secondaires. En effet, un paradoxe résidait dans le fait qu'une procédure principale non liquidative puisse être confrontée à une procédure secondaire nécessairement liquidative, dès lors que le débiteur possédait un établissement dans un autre Etat membre. Un tel paradoxe, de nature à faire peser un risque sur l'efficacité des procédures principales de restructuration en compromettant la possibilité concrète d'un redressement, appelait à une redéfinition de l'attelage procédure principale/procédure secondaire.
Pour faire face au risque de "chantage à la procédure secondaire" et prendre en compte la nécessité d'un renforcement de la coopération entre procédure principale et procédures secondaires, le Règlement (CE) n° 2015/848 établit un nouvel équilibre en supprimant notamment la nature nécessairement liquidative de ces dernières : désormais, la procédure secondaire peut revêtir toute forme figurant à l'annexe A. Le nouveau Règlement introduit ici sans nul doute l'un des bouleversements les plus notables avec l'espoir d'une articulation entre procédures principale et secondaires plus efficace mais aussi le risque d'une multiplication des procédures secondaires dont on sait qu'elles peuvent complexifier la restructuration de la dette ou la cession de l'entreprise en difficulté.
La nouvelle articulation du Règlement passe plus particulièrement par une réaffirmation de l'autonomie et l'utilité de la procédure secondaire ainsi que la mise en place d'un tandem "procédure collective/procédures secondaires" plus performant.
B - L'utilité et l'autonomie de la procédure secondaire réaffirmées
La pratique a démontré que l'absence d'ouverture d'une procédure secondaire pouvait avoir des effets pour le moins regrettables. En effet, une telle situation prive les créanciers locaux de la lex fori concursus secondarii, ce qui peut s'avérer inéquitable ainsi que l'a démontré l'affaire "Nortel". L'ouverture d'une procédure principale à Londres à l'égard d'une filiale française, alors qu'aucun actif n'était localisé en Angleterre, conduisait, en l'absence de procédure secondaire française, à répartir le prix de cession des actifs suivant les règles du droit anglais au détriment des créanciers sociaux et fiscaux français qui se retrouvaient ainsi privés de leur rang privilégié.
Le nouveau considérant 48 du Règlement répond à cette problématique en rappelant que la procédure secondaire contribue "à la gestion efficace de la masse de l'insolvabilité du débiteur ou à la réalisation effective de la masse s'il existe une coopération adéquate entre les acteurs intervenant dans toutes les procédures parallèles". Cette consécration est à saluer, tant la procédure secondaire peut s'avérer être un outil intéressant entre les mains du praticien de l'insolvabilité de la procédure principale (formulation se substituant à la notion de syndic considérée comme étant connotée négativement) : elle permet (i) de faire obstacle à la réalisation de sûretés réelles portant sur les actifs situés dans l'Etat où la procédure est ouverte conformément à l'article 8 du Règlement (CE) n° 2015/848 ; (ii) une gestion efficiente des entreprises dans un cadre transfrontalier (par exemple dans le cadre de la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi) ; et (iii) une meilleure acceptation de la procédure principale étrangère par les créanciers locaux, à l'exemple de l'affaire "EMTEC" (6).
Le nouveau Règlement réaffirme également l'autonomie de la procédure secondaire par rapport à la procédure principale, si bien qu'elle est plus que jamais une procédure à part entière et non simplement un moyen de réaliser les actifs locaux du débiteur. Hormis quelques dispositions dérogatoires du Règlement, la lex fori concursus secondarii trouve donc à s'appliquer pleinement. En effet, l'article 6 du nouveau Règlement transpose l'arrêt "Seagon" (7) en disposant que "les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure d'insolvabilité est ouverte en application de l'article 3 [du Règlement n° 2015/848] sont compétentes pour connaître de tout recours qui découle directement de la procédure d'insolvabilité et y est étroitement lié".
Cette jurisprudence est appelée à s'appliquer également dans le cadre d'une procédure secondaire. Or, faut-il réserver certaines actions à la compétence exclusive de la procédure principale comme l'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt controversé "NOB" (8) ? Tout particulièrement se posait la question de savoir si, dans le cadre de la procédure secondaire, les dirigeants pouvaient faire l'objet d'une action en responsabilité. Avec la révision du Règlement, ce débat est désormais clos. En effet, le nouveau considérant 47 indique que la juridiction ayant ouvert la procédure secondaire est compétente pour sanctionner toute violation des obligations des dirigeants du débiteur, pour autant que cette juridiction soit compétente pour connaître de ces litiges en vertu de leur législation nationale. Ainsi, la juridiction de la procédure secondaire est compétente pour connaître de l'ensemble des actions qui se rattachent à la procédure : le principe vis attractiva concursus s'applique donc non seulement à la procédure principale mais aussi intégralement à la procédure secondaire.
C - Le nouvel équilibre entre procédure principale et procédures secondaires
Le nouvel article 38, paragraphe 4, du Règlement (CE) n° 2015/848 est l'une des mesures phare de la refonte. Il prévoit la possibilité, pour une juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure secondaire, d'ouvrir tout type de procédure d'insolvabilité visée à l'annexe A, sous réserve de l'application des conditions d'ouverture prévues par leur législation nationale. L'article 51 du nouveau Règlement prévoit également la possibilité pour le praticien de l'insolvabilité de la procédure principale de solliciter la conversion d'une procédure secondaire en un autre type de procédure qui s'avèrerait plus pertinent au regard des intérêts locaux et du souci d'harmonisation avec la procédure principale.
La disparition de la nature nécessairement liquidative de la procédure secondaire risquant de favoriser l'ouverture intempestive de procédures secondaires "parasites", le nouveau Règlement prend soin d'intégrer dans son architecture quelques garde-fous tirant ainsi les leçons de la pratique, et notamment des affaires "Rover" (9) et "Collins & Aikman II" (10), à l'origine des procédures secondaires qualifiées de "synthétiques".
En effet, le nouveau Règlement consacre ces avancées jurisprudentielles en prévoyant, en son article 36, que le praticien de l'insolvabilité de la procédure principale pourra, dans une perspective liquidative, prendre un engagement unilatéral au bénéfice des créanciers locaux en contrepartie de l'absence d'ouverture d'une procédure secondaire. Un tel engagement devra recevoir l'accord des créanciers locaux suivant les règles de majorité de la législation de l'Etat dans lequel la procédure secondaire aurait pu être ouverte et permettra à la juridiction locale, sur demande du praticien de la procédure principale, et après constat de la protection de l'intérêt général des créanciers, de ne pas ouvrir de procédure secondaire. Il est intéressant de noter que par un raisonnement analogue en droit national la cour d'appel de Versailles avait refusé, dans l'affaire "Rover", d'ouvrir une procédure secondaire (11). En effet, le liquidateur anglais avait pris l'engagement que les créanciers locaux seraient traités comme si une telle procédure avait été ouverte.
Dans l'affaire "Bank Handlowy" (12), la CJUE était confrontée au problème de l'opportunité de l'ouverture d'une procédure secondaire de liquidation judiciaire de droit polonais dont la finalité était contraire à la procédure de sauvegarde de droit français. La Cour a affirmé qu'il n'existait aucune disposition du Règlement permettant de refuser l'ouverture d'une procédure secondaire sur un motif d'opportunité. Une fois la procédure secondaire ouverte, la Cour de justice dans l'arrêt "Bank Handlowy" invite la juridiction d'ouverture à "prendre en considération les objectifs de la procédure principale et tenir compte de l'économie du règlement dans le respect du principe de coopération loyale". L'avocat général avait alors appelé de ses voeux une réforme du Règlement.
Cette problématique était connue des praticiens. L'ouverture d'une procédure secondaire pouvait s'avérer problématique dès lors que le praticien de l'insolvabilité d'une procédure principale souhaitait négocier un accord de restructuration de la dette avec l'ensemble des créanciers. En effet, l'application de plusieurs lois rend la conclusion d'un accord de restructuration en pratique impossible. Face à cette complication, le nouveau Règlement a introduit à l'article 38, paragraphe 3, la possibilité pour le praticien de la procédure principale de solliciter la suspension de l'ouverture de la procédure secondaire pour une durée maximale de trois mois. Le nouveau Règlement précise qu'une telle suspension ne sera possible que pour autant que des mesures soient mises en place pour protéger les créanciers locaux. Dans le même ordre d'idées, la suspension sera révoquée s'il est devenu évident que les négociations ont peu de chances d'aboutir ou si le débiteur a enfreint l'interdiction d'aliéner ses actifs ou de les déplacer du territoire de l'Etat membre dans lequel se situe l'établissement.
Par ailleurs, en cas d'ouverture ultérieure d'une procédure secondaire de type sauvegarde, le praticien de l'insolvabilité de la procédure principale ne pourra imposer son plan de restructuration. L'autonomie de la procédure secondaire est sauve, tout sera donc affaire de négociation, laquelle risque de s'avérer très complexe. Ce schéma consensualiste a également présidé à l'élaboration du nouveau régime de traitement des insolvabilités de groupes de sociétés.
IV - Le nouveau régime de traitement de l'insolvabilité des groupes de sociétés
Grand absent du Règlement (CE) n° 1346/2000, le traitement de l'insolvabilité des groupes de sociétés a été mis au point de manière empirique par les juridictions. En effet, il est revenu à la pratique de combler les lacunes en adoptant une approche extensive de la notion du centre des intérêts principaux (COMI dans la rédaction anglaise) dans l'objectif de se saisir de faillites de groupes de sociétés dans leur ensemble. Les affaires "Rover", "Collins & Aikman", "EMTEC" et "Nortel" témoignent de cette nécessaire approche globale dans le cadre de groupes de sociétés très intégrés.
Ici encore, le débat a porté sur le fait de savoir si la modification du Règlement devait être l'occasion d'introduire des mesures innovantes ou, plus prudemment, s'il fallait se contenter d'une simple codification "à droit constant". A cet égard, le concept de la procédure "pilote", gérant l'insolvabilité du groupe dans son ensemble, quitte à imposer ses choix aux filiales, avait pu être présenté comme une solution radicale pour traiter ce type de problématique de manière plus cohérente. De la même manière, certains auteurs s'étaient interrogés sur la possibilité d'étendre une procédure à l'ensemble d'un groupe par le biais de la confusion des patrimoines.
Or, force est de constater que le nouveau Règlement ne reprend pas ces solutions et conserve ainsi son architecture d'origine. Il renforce néanmoins la coopération entre juridictions et organes de la procédure et crée une nouvelle procédure de coordination.
A - La structure du Règlement conservée
Le nouveau Règlement conserve une analyse classique de l'autonomie des personnes morales et rejette toute hiérarchisation des procédures principales des sociétés d'un même groupe. Ce choix doit être à notre sens salué, tant il aurait été difficile de définir les critères pour déterminer la procédure "pilote". Dès lors, il apparaît logique que le traitement de l'insolvabilité d'un groupe par une juridiction unique ne puisse être envisagé que si le centre des intérêts principaux des sociétés est localisé dans un même Etat membre, ainsi que le prévoit le nouveau considérant 53. A ceci près que, le nouveau Règlement reprenant l'approche restrictive du COMI des arrêts "Eurofood" et "Interedil" précités, une telle solution ne trouvera à s'appliquer que pour les groupes de sociétés très intégrés.
Au-delà, force est de constater que le nouveau Règlement ne retient ni le concept de la procédure principale "pilote", ni la possibilité d'étendre les effets d'une procédure principale au reste des sociétés du groupe par le biais de la confusion des patrimoines (substantive consolidation). Ce choix consacre l'approche retenue par les juges communautaires dans l'affaire "Rastelli" (13). En effet, saisie d'une question préjudicielle sur la possibilité d'étendre une procédure de liquidation judiciaire française à l'encontre de la société italienne Rastelli, la Cour de justice avait rejeté toute idée d'une consolidation de procédures par le Règlement. Elle a considéré que l'extension de procédure était assimilable à l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. Par conséquent, la juridiction souhaitant procéder à une extension de procédure doit au préalable établir que le COMI de la société cible se trouve sur son territoire. Par la suite, l'extension de procédure au motif d'une confusion du patrimoine relève du droit interne.
Cela étant, le nouveau Règlement s'est néanmoins inspiré de la pratique pour traiter plus efficacement la faillite des groupes en renforçant la coopération entre les organes de la procédure et en créant une procédure de coordination.
B - La coopération renforcée comme vecteur de progrès
Le nouveau Règlement a consacré l'approche contractualiste et volontariste développée par la pratique depuis l'affaire "Sendo" (14). En effet, l'article 41, paragraphe 1, du nouveau Règlement prévoit notamment la coopération entre le praticien de l'insolvabilité de la procédure principale et le ou les praticiens des procédures secondaires à travers la conclusion d'accords ou de protocoles. La mise en oeuvre d'une telle coopération est couplée à un devoir qu'auront les juridictions de coordonner l'approbation desdits accords ou protocoles (15). Pour autant que ces protocoles ne soient pas incompatibles avec les législations nationales, et sous réserve de l'accord des praticiens concernés, l'insolvabilité d'un groupe de sociétés pourrait donc être traitée par la mise en place contractuelle d'un "praticien de l'insolvabilité pilote" ayant des pouvoirs supplémentaires pour mettre en oeuvre un plan de restructuration global.
Par ailleurs, le nouveau Règlement instaure un devoir de coopération entre juridictions et entre praticiens de l'insolvabilité en permettant notamment à ces derniers d'être entendus devant les juridictions étrangères et d'échanger avec leurs homologues pour suggérer toute mesure qui s'avérerait utile pour une restructuration globale. Ici encore, l'approche se veut éminemment consensuelle. S'il apparaît évident que cette mesure profitera surtout aux praticiens des procédures les plus importantes en termes financiers et humains, rien ne s'oppose à ce que plusieurs plans concurrents soient proposés par l'ensemble des praticiens concernés. Il appartiendra donc à chaque praticien d'être force de proposition et de convaincre ses homologues de l'utilité de leur intégration dans un plan global, étant précisé que ce plan devra s'avérer conforme à l'intérêt général, en ce compris l'intérêt des créanciers locaux.
C - La nouvelle procédure de coordination collective
La création d'une procédure de coordination collective, sur la suggestion du Gouvernement allemand, est sans doute la nouveauté la plus intéressante en ce qui concerne le traitement de l'insolvabilité des groupes de sociétés. L'article 61 du nouveau Règlement prévoit en effet que tout praticien de l'insolvabilité désigné dans une procédure ouverte à l'encontre d'un membre du groupe pourra demander l'ouverture d'une procédure de coordination. Le tribunal qui est le premier saisi ouvrira la procédure en nommant un coordinateur s'il estime que sa nomination est de nature à faciliter la gestion efficace de la procédure d'insolvabilité et qu'aucun créancier d'une société du groupe, dont on prévoit la participation à la procédure, n'est susceptible d'être financièrement désavantagé. Un changement ultérieur très rapide, sous trente jours, de la juridiction chargée de la coordination est toutefois possible si les deux tiers des praticiens sont convenus qu'une juridiction d'un autre Etat membre est plus appropriée.
Le praticien de l'insolvabilité proposé en tant que coordinateur devra répondre aux conditions requises par l'article 71 du nouveau Règlement. Une fois désigné par la juridiction ayant ouvert la procédure de coordination, le coordinateur aura pour mission d'élaborer des recommandations pour la conduite coordonnée des procédures d'insolvabilité. Il pourra proposer un programme de coordination collective indiquant notamment les mesures à prendre pour redresser le groupe ou une partie de celui-ci.
L'article 72, paragraphe 2, du nouveau Règlement lui confère le droit d'être entendu et de participer à toute procédure ouverte à l'encontre d'un membre du groupe. Il peut également arbitrer tout litige qui pourrait survenir entre praticiens de l'insolvabilité et leur demander toutes informations utiles afin d'élaborer une stratégie globale. Enfin, le coordinateur peut demander la suspension d'une procédure, pour une durée maximale de six mois, si une telle mesure est nécessaire pour assurer l'application du programme de coordination et si elle est dans l'intérêt des créanciers concernés par la procédure dont la suspension est demandée. Le coordinateur pourra être révoqué à la demande d'un praticien participant à la coordination s'il manque à ses obligations ou agit au détriment des créanciers d'une société du groupe.
Si cette procédure de coordination constitue une idée intéressante pour traiter plus efficacement l'insolvabilité des groupes de sociétés, il n'est pas certain qu'elle apporte en pratique des solutions à la hauteur de l'espoir qu'elle suscite. En effet, cette procédure est très largement non contraignante dans la mesure où un praticien désigné pour l'une des sociétés du groupe peut choisir de ne pas participer à la coordination, faisant ainsi échapper la procédure pour laquelle il a été désigné à l'ensemble des dispositions précitées. De la même manière, un praticien ne participant pas à la coordination pourra demander l'inclusion de la procédure pour laquelle il a été désigné, sous réserve des conditions posées par l'article 69 du nouveau Règlement. Enfin, le caractère non contraignant de la procédure de coordination collective se manifeste également par le fait qu'aucun praticien de l'insolvabilité n'est tenu de suivre les recommandations du coordinateur. En pratique, on peut donc légitimement se demander si cette procédure ne fait pas double emploi avec les dispositions relatives à la coopération. Cela étant, il appartiendra à la pratique de se saisir de ce nouvel outil pour mieux structurer la réorganisation d'un groupe de sociétés.
Cette évolution du droit de l'Union, bien que prudente, invite à s'interroger sur l'opportunité d'une prise en compte sur le plan interne de l'existence des groupes de sociétés, à l'instar du législateur allemand qui s'est avéré être une source d'inspiration importante dans la modification du Règlement sur cette problématique.
V - Les innovations améliorant la situation des créanciers
D'une manière générale, on observe un renforcement de la position des créanciers dans le cadre de la refonte du Règlement. Cette volonté se reflète à la fois dans le devoir d'information à l'égard des créanciers et dans la facilitation de leur déclaration de créances.
A - L'amélioration de l'information des créanciers
Dès l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, le nouveau Règlement prévoit dorénavant une publicité beaucoup plus complète des informations pertinentes qui sont portées à la connaissance du créancier. Ceci est réalisé à travers l'obligation pour les tribunaux et les praticiens de l'insolvabilité de tenir à jour le ou les registres d'insolvabilité nationaux. A cet égard, la France doit créer de tels registres d'ici le 26 juin 2018.
Dans un deuxième temps, la Commission devra assurer, à compter du 26 juin 2019, l'interconnexion des registres nationaux.
B - Information personnalisée du créancier
La déclaration de créances en cas d'insolvabilité transfrontalière peut s'avérer être un exercice particulièrement complexe puisque le créancier est obligé de se conformer à la loi de l'Etat d'ouverture. Dès lors, les pièges relatifs à la procédure sont innombrables tant en termes de forme que de délai (de forclusion).
Le Règlement (CE) n° 2015/848 améliore les informations devant être portées à l'attention du créancier individuellement à travers une notification personnalisée qui fait désormais l'objet d'un formulaire normalisé.
Le seul regret pouvant être formulé à cet égard est que le Règlement ne prévoit aucune sanction en cas de non observation de ces dispositions. Sur ce point, si la jurisprudence des Etats membres est assez favorable aux créanciers, la Cour de cassation est beaucoup plus stricte puisque le créancier étranger est traité de la même manière que le créancier national (16). Son seul salut se trouve dans le relevé de forclusion qui est enfermé dans des délais stricts (17). Il eut été plus favorable de retenir, comme point de départ, la date d'information effective du créancier étranger en application de l'article 54 du Règlement n° 2015/848.
C - Déclaration de créances
Enfin, la procédure de déclaration de créances fait l'objet d'une règlementation autonome qui remplace la lex fori concursus. Les informations devant être communiquées par les créanciers sont énumérées dans l'article 55 du nouveau Règlement. Ces dispositions ont été transposées dans le Règlement d'exécution de la Commission en date du 12 juin 2017. La forme des déclarations de créances est donc désormais standardisée et ne dépend que de la norme de l'Union.
Les délais, la vérification et l'admission des créances continuent cependant de relever de la lex fori concursus.
En tout état de cause, il existe un délai minimum incompressible de trente jours qui court à partir de la publication de la décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité au registre d'insolvabilité de l'Etat d'ouverture (18). Ces nouvelles dispositions visent à réduire les coûts et à simplifier, pour les créanciers, la déclaration de leurs créances (19).
(1) CJUE, Grande Chambre, 2 mai 2006, aff. C-341/04 (N° Lexbase : A2224DP3) , ECLI:EU:C:2006:281, pt n° 33, concl. AG M. F. G. Jacobs, 27 septembre 2005 ; D., 2006, p. 1286 obs. A. Lienhard, p. 1752 note R. Dammann et p. 2250 obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ; JCP éd. G, 2006, II, 10089 note M. Menjucq ; Rev. sociétés, 2006, p. 360 J.-P. Rémery ; Rev. crit. DIP, 2006, p. 811, étude, F. Jault-Seseke et D. Robine.
(2) Règlement (CE) n° 2015/848, art. 3, § 1, al. 2.
(3) CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-396/09 (N° Lexbase : A7808HYT), ECLI:EU:C:2011:671, concl. AG Juliane Kokott, 10 mars 2011 ; D., 2011, p. 2593 obs. A. Lienhard et p. 2915 note J.-L. Vallens ; Rev. Sociétés, 2011, p. 726, obs. Ph. Roussel-Galle et 2012, p. 116, note Th. Mastrullo ; Bull Joly Entrep. en diff., 2012 p. 34, note L. C. Henry ; JCP éd. E, 2012, 1309 note R. Dammann et A. Albertini.
(4) J.-L. Vallens, Tourisme judiciaire et insolvabilité: les risques du forum shopping, Rev. proc. coll., 2012, Etude 21.
(5) Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-11.902, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5782EIY) ; RLDA, 07/2009, note A. Lienhard.
(6) T. com. Nanterre, 3ème ch., 15 fevrier 2006, aff. n° 2006P00149 (N° Lexbase : A7182ICY ; "EMTEC").
(7) CJUE, 12 février 2009, aff. C-339/07 (N° Lexbase : A1100ED4), ECLI:CE:C:2009:83, concl. AG M. Damaso Ruis-Jarabo Colomer, 16 octobre 2008.
(8) Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-17.968, F-P+B (N° Lexbase : A8716I39), Bull. civ. IV, n° 17 ; D., 2013, p. 301, obs. A. Lienhard, p. 755, note crit. R. Dammann et A. Rapp, p. 1503, obs. F. Jault-Seseke, et p. 2293, obs. S. Bollée ; Bull Joly Sociétés, 2013, p. 263, note crit. J.-L. Vallens ; Rev. sociétés, 2013, p. 183, obs. L. C. Henry, et p. 573, note N. Morelli ; RPC, 2013, comm. 30, Th. Mastrullo ; L. d'Avout, Règlement insolvabilité, procédure territoriale et sanctions personnelles du dirigeant, RPC, 2013, étude 19.
(9) "Rover", High Court of Justice of Birmingham, 18 avril 2005, NZI 2005, p. 467, note D. Penzlin et S. Riedemann et EWIR 2005, p. 637, obs. P. Mankowski ; CA Versailles, 15 décembre 2005, n° 05/04273 (N° Lexbase : A5069DMP), D., 2006, p. 142, obs. A. Lienhard, et p. 379, note R. Dammann ; MG Rover Belux SA/NV, [2006] EWHC (CH) 1296, NZI 2006, p. 416, n° 10.
(10) "Collins & Aikman", High Court of London, 9 juin 2006, [2006] EWCH 1343, NZI 2006, p. 654.
(11) CA Versailles, 15 décembre 2005, n° 05/04273, préc., D., 2006, p. 142, obs. A. Lienhard, et p. 379, note R. Dammann.
(12) CJUE, 22 novembre 2012, aff. C-116/11 (N° Lexbase : A2679IXI), ECLI:EU:C:2012:739, concl. AG Mme Juliane Kokott, 24 mai 2012 ; D., 2013, p. 468, note R. Dammann et H. Leclair de Bellevue ; JCP éd. E, 2013, p. 87, note L. d'Avout ; Rev. sociétés, 2013, p. 184 obs. L. C. Henry ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2013, p. 47, note J.-P. Sortais ; RPC, 2013, n° 29 obs. Th. Mastrullo ; JCP éd. G, 2013, 1134, n° 10, note M. Menjucq.
(13) CJUE, 15 décembre 2011, aff. C-191/10 (N° Lexbase : A2893H8N), ECLI:EU:C:2011:838, D., 2012, p. 403 note J.-L. Vallens, p. 406, note R. Dammann et F. Müller, p. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. sociétés, 2012. p. 189, obs. Ph. Roussel Galle, et p. 313, note N. Morelli ; JCP éd. E, 2012, 1088, note Y. Paclot et D. Poracchia, et 1227, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. G., 2012, 384, note F. Mélin ; Bull Joly Entrep. en diff., 2012, n° 2, p. 117 et n° 4, p. 243, notes L. C. Henry ; LPA, 7 février 2012, n° 27 p. 4, obs. V. Legrand ; RPC, 2012 n° 1, étude 2, note M. Menjucq.
(14) T. com. Nanterre, 29 juin 2006, aff. n° 05L0823 ; M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, n° 541-2 ; RLDA, 9/2006 p. 81, note R. Dammann et M. Sénéchal. .
(15) Règlement (CE) n° 2015/848, art. 42.
(16) V. Cass. com., 16 novembre 2010, n° 09-16.572, F-P+B (N° Lexbase : A5784GKG),, Bull. civ. IV, n° 179.
(17) V. Cass. com., 17 décembre 2013, n° 12-26.411, FS-P+B (N° Lexbase : A7638KSP), Bull. civ. IV, n° 188 ; D., 2014, p. 5 ; LEDEN, février 2014, p. 7, obs. F. Mélin ; Act. proc. coll., 2014, n° 36, obs. Voinot. V. Cass. com., 18 novembre 2014, n° 12-28.040, F-D (N° Lexbase : A9385M3Y), Bull. Joly Entrep. en diff., 2015, p. 119, B. Thullier.
(18) Règlement n° 2015/848, art. 55, § 6.
(19) Règlement d'exécution (UE) 2017/1105 de la Commission du 12 juin 2017, établissant les formulaires visés dans le Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil relatif aux procédures d'insolvabilité ([LXB=L0136LG7)]) ; JOUE du 22 juin 2017, L. 160/1.
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