La lettre juridique n°432 du 17 mars 2011 : Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Mars 2011

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour. Sera étudié, tout d'abord, un décret du 20 janvier 2011 (décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011) aux termes duquel les agents publics pourront dorénavant plus facilement cumuler plusieurs activités. Sera, ensuite, étudié un arrêt rendu le 9 février 2011 par le Conseil d'Etat (CE 4° et 5° s-s-r., 9 février 2011, n° 332627, publié au recueil Lebon) qui énonce que l'annulation d'une décision de révocation n'est pas toujours de nature à engager la responsabilité de l'administration. Cette première chronique de l'année se conclura par une analyse d'une décision rendue par la Haute juridiction administrative, le 4 février 2011 (CE 1° et 6° s-s-r., 4 février 2011, n° 335098, mentionné aux tables du recueil Lebon), selon laquelle un changement d'affectation impliquant la perte d'un complément de rémunération n'est pas une mesure d'ordre intérieur.
  • Cumul d'activités des fonctionnaires : une ouverture supplémentaire (décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011 N° Lexbase : L2350IPQ, modifiant le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'Etat N° Lexbase : L3911HX7)

Le cadre juridique des cumuls d'activités des fonctionnaires et agents publics a été profondément modifié depuis quelques années. L'article 25 du titre I du statut général de la fonction publique (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L2677E3K) pose, en principe, que les agents publics consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux fonctions qui leur sont confiées par l'administration. Pendant très longtemps, les dérogations admises étaient régies par un décret du 29 octobre 1936 ; ces dérogations étaient peu nombreuses. La loi n° 2007-148 du 2 février 2007, de modernisation de la fonction publique (N° Lexbase : L2882HUB), a opéré un assouplissement du système jusqu'à lors en vigueur, modifiant, ainsi, l'article 25 précité. Pris sur le fondement de cette loi, le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (N° Lexbase : L3911HX7), a fixé la liste des emplois et activités publics ou privés susceptibles d'être occupés par des agents publics en surplus de leur emploi principal, ainsi que les modalités de contrôle des cumuls par l'administration (via l'autorisation de cumuls et, dans certaines hypothèses, l'avis de la commission de déontologie de la fonction publique). Le décret du 20 janvier 2011 modifie certaines hypothèses de cumul instituées par le texte de 2007. Les apports de ce texte illustrent la volonté des pouvoirs publics d'adapter toujours plus le cadre statutaire aux réalités économiques et sociales, tout en corrigeant quelques imperfections du décret de 2007.

Le premier intérêt du décret du 20 janvier 2011 est d'assouplir le sacro-saint principe d'exclusivité, confirmant, ainsi, la réforme de 2007. Tirant les leçons des trois dernières années, le Gouvernement procède à quelques ajouts. L'article 1er du décret du 2 mai 2007 modifié dispose, désormais, de manière explicite, que les fonctionnaires et agents publics peuvent être autorisés à exercer une ou plusieurs activités accessoires qui peuvent être exercées auprès d'une personne publique ou privée. La nouvelle rédaction permet de comprendre qu'un agent est fondé à solliciter l'autorisation d'exercer plusieurs activités accessoires (un cumul de cumuls en quelque sorte), dans la mesure où celles-ci ne portent pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service. De même, afin de clarifier les termes du décret de 2007, le décret du 20 janvier 2011 indique que toutes les activités susceptibles d'être autorisées peuvent être exercées tant dans le secteur privé que dans le secteur public (décret du 2 mai 2007, art. 2 et 3) (l'on pense, notamment, aux enseignements et formations). Le décret commenté indique, également, que les agents recrutés sur des emplois à temps non complet dont la durée du travail est inférieure à 70 % (loi n° 83-634, art. 25-IV) peuvent non seulement exercer les activités accessoires mentionnées par le décret du 2 mai 2007, mais encore une (ce qui prévoyait déjà le décret de 2007) ou plusieurs (ce qui est nouveau) activités privées lucratives ne portant pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service

Autre précision, qui ne s'imposait peut être pas, tant elle relève de l'évidence, l'article 6 modifié du décret du 2 mai 2007 dispose, désormais, que "l'activité accessoire ne peut être exercée qu'en dehors des heures de service de l'intéressé" (ajout, également, valable pour les activités exercées auprès de personnes publiques, comme le précise l'article 10 du décret du 20 janvier 2011). Cette exigence a déjà été rappelée par la jurisprudence (1). Elle découle aussi de l'article 1er du décret de 2007, qui soumet l'exercice d'une activité accessoire au fait qu'elle ne porte pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance, ou à la neutralité du service.

- Elargissement des activités autorisées :

Le décret du 20 janvier 2011 vient allonger la liste des activités susceptibles d'être autorisées ; il étend, également, le champ d'application d'activités déjà visées dans la version de 2007. S'agissant des premières, il est, tout d'abord, ajouté les "activités à caractère sportif ou culturel, y compris encadrement et animation dans les domaines sportif, culturel, ou de l'éducation populaire". Il s'agit là d'une hypothèse de premier plan car, notamment pour les personnels de l'enseignement, ce type de cumul est fréquent, mais n'étant pas envisagé par la version antérieure du décret, les agents présentaient leur projet sous la forme d'une demande d'autorisation pour création d'entreprise (loi n° 83-634, art. 25 II-1°, et art. 11 et suivants du décret du 2 mai 2007). Ensuite, les agents publics peuvent réaliser dans un but lucratif des services à la personne ou la vente de biens qu'ils ont personnellement fabriqués, sous réserve que ces activités soient exercées sous le régime de l'auto-entrepreneur.

Par certains aspects, le décret de 2011 aménage, le plus souvent dans un sens favorable aux agents, des hypothèses de cumuls existantes (à son article 2). C'est ainsi qu'au titre des consultations et expertises (qui, lorsqu'elles se déroulent dans les litiges intéressant toute personne publique, ne peuvent avoir lieu qu'au profit de l'administration), il est désormais rappelé que l'application du régime de droit commun, issu du décret de 2007, ne porte pas préjudice à celle du concours scientifique que les personnels de recherche peuvent apporter aux entreprises privées de valorisation des travaux de recherche qu'ils ont réalisés dans l'exercice de leurs fonctions (C. rech., art. L. 413-8 N° Lexbase : L3557HN3 et suivants). Concernant les activités agricoles, le texte de 2011 permet aux agents publics d'occuper des fonctions de gérant au sein d'exploitations créées sous forme de société civile ou commerciale (le décret de 2007 interdisait aux agents d'exercer les fonctions de gérant, de directeur général, ou de membre du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance, à moins qu'il ne s'agisse de gérer leur patrimoine familial). S'agissant de l'accès au statut de conjoint collaborateur, il est désormais possible lorsque le conjoint du fonctionnaire souhaite exercer une activité libérale ; jusqu'à présent, seules les activités commerciales ou artisanales étaient visées. Enfin, les travaux de faible importance réalisés chez des particuliers ne sont plus cantonnés à ceux qui ont un caractère "ménager".

Les agents occupant des emplois à temps non complet bénéficient eux aussi d'un régime plus favorable qu'en 2007. Le décret du 20 janvier 2011 confirme l'idée que les activités publiques ou privées qu'ils peuvent exercer sont soumises à une simple déclaration et au respect du fonctionnement normal, de la neutralité et de l'indépendance du service (décret du 2 mai 2007, art. 15 et suivants). Afin de favoriser la pluriactivité de ces agents, le décret vient, également, supprimer le plafond applicable à la durée du travail imposé jusqu'à présent en cas de cumul d'emplois publics.

- Les modifications du cumul "création ou reprise d'entreprise" :

Plusieurs dispositions du décret sont consacrées au cumul dit "création d'entreprise", mis en place par la loi du 2 février 2007. Cette hypothèse est, sans nul doute, l'une des plus grandes innovations de ces dernières années dans le domaine du cumul. L'article 25-II du titre I du statut général des fonctionnaires dispose, en effet, que l'obligation d'exclusivité est inapplicable "au fonctionnaire ou agent non titulaire de droit public qui, après déclaration à l'autorité dont il relève pour l'exercice de ses fonctions, crée ou reprend une entreprise. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d'un an". Ce type de cumul (à durée déterminée) est, également, soumis à l'avis de la commission de déontologie de la fonction publique.

Le décret du 20 janvier 2011 vient, tout d'abord, circonscrire le champ d'application de la réglementation spécifique applicable à ce type de cumul (contenu de la déclaration, procédure devant la commission de déontologie). Ne sont pas concernés les agents qui envisagent d'exercer une activité accessoire de service à la personne ou de vente de biens fabriqués personnellement par l'agent sous le statut d'auto-entrepreneur (décret du 2 mai 2007, art. 2-II modifié). Dans cette hypothèse, l'exercice du cumul n'est soumis qu'à la décision de l'administration. De même, la procédure particulière instituée au profit des personnels de recherche souhaitant créer une entreprise au titre de la valorisation de leurs travaux (C. rech., art. L. 413-1 N° Lexbase : L3555HNY et suivants) ne peut être remplacée par les dispositions du décret du 2 mai 2007 modifié.

Lorsque la procédure spécifique de contrôle est applicable, le décret du 20 janvier 2011 modifie quelque peu les conditions d'intervention de la commission de déontologie, notamment pour tenir compte de l'augmentation sensible de nombre de saisines (près de 550 dossiers en 2009). La commission, qui dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis, peut, désormais, proroger ce délai d'un mois. Mais surtout, le décret étend aux cumuls d'activités la possibilité, pour la commission, de rendre des avis tacites, déjà mise en place dans le cadre du contrôle du "pantouflage". Ainsi, l'absence d'avis de la commission à l'expiration des délais réglementaires (un mois ou deux en cas de prorogation) vaut avis favorable. Par ailleurs, les pouvoirs d'instruction de la commission sont accrus : elle peut entendre l'agent soit à sa demande, soit sur convocation si elle le juge nécessaire. Dans ce cas, l'agent peut se faire assister par toute personne de son choix. En outre, la commission peut recueillir auprès des personnes publiques et privées toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission.

Enfin, le décret du 20 janvier 2011 crée un délai de carence que le fonctionnaire doit respecter avant de solliciter une seconde autorisation de cumuler son emploi public avec une entreprise qu'il crée ou qu'il reprend. Désormais, pour éviter des cumuls à répétition, l'article 14 du décret du 2 mai 2007 modifié dispose que "l'agent ayant bénéficié des dispositions du présent chapitre ne peut solliciter l'exercice d'un nouveau cumul au titre de la création ou de la reprise d'une entreprise avant l'écoulement d'un délai de trois ans à compter de la date à laquelle a pris fin le cumul précédent". L'on rappellera, à cet égard, que, depuis la loi dite "mobilité" du 3 août 2009 (loi n° 2009-972, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique N° Lexbase : L6084IE3), ce type de cumul peut avoir une durée maximale de deux ans avec possibilité de renouvellement durant une année supplémentaire.

  • L'annulation d'une décision de révocation n'est pas toujours de nature à engager la responsabilité de l'administration (CE 4° et 5° s-s-r., 9 février 2011, n° 332627, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5259GWP)

A l'occasion d'une affaire dans laquelle un membre de l'Education nationale avait été révoqué après avoir été reconnu coupable, par un jugement pénal définitif, de l'infraction d'atteintes sexuelles sur une personne mineure sans violence, contrainte, menace, ni surprise, et avait fait l'objet, pour ces faits, d'une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie d'une interdiction d'exercer les fonctions d'enseignant auprès de mineurs pendant cinq ans, le Conseil d'Etat a admis que l'annulation judiciaire de cette révocation pour erreur de droit ne peut ouvrir droit à réparation du préjudice subi que si ce dernier est direct est certain.

L'agent avait été évincé une première fois, puis, cette décision ayant été annulée pour erreur de droit, une seconde fois, l'administration ayant régularisé la situation. Fort de l'annulation de la mesure initiale, le fonctionnaire avait formé une demande indemnitaire et, en l'absence de réponse favorable, un recours de plein contentieux afin d'obtenir réparation du préjudice subi. Pour rejeter la demande relative aux conséquences financières de la révocation initiale, le Conseil d'Etat juge que l'illégalité de "l'arrêté du 30 novembre 1998 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain". Cette rédaction rappelle, à elle seule, quelques règles cardinales de la détermination du préjudice réparable en droit de la responsabilité administrative.

Si, comme en droit civil, la responsabilité repose sur l'existence d'une faute (en principe), un préjudice et un lien de causalité, il convient de souligner que la jurisprudence administrative est très attentive au caractère effectif du préjudice dont la réparation est sollicitée (2). L'effectivité du préjudice (que l'arrêt commenté qualifie de "direct et certain") n'est pas démontrée lorsque, naturellement, le requérant ne subit aucun appauvrissement, ou lorsqu'il se trouve dans une situation qui n'est pas juridiquement protégée. Tel n'était pas le cas en l'espèce, puisqu'il ne pouvait être nié que le fonctionnaire s'était trouvé illégalement évincé du service entre le 30 novembre 1998 et le 11 juin 2004, date de l'annulation de la révocation initiale par la cour administrative d'appel. Or, en application de la jurisprudence classique "Deberles" (3), l'agent illégalement évincé bénéficie d'une réintégration "juridique" qui se traduit par l'allocation d'une indemnité correspondant au traitement qu'il aurait dû percevoir. La position classique de la jurisprudence refuse, toutefois, d'accorder réparation lorsque la mesure a été annulée en raison d'une procédure irrégulière et que cette irrégularité n'a pas causé à l'agent de préjudice distinct de l'éviction (4). C'est d'ailleurs la solution retenue dans l'affaire commentée, s'agissant de la demande indemnitaire relative à la seconde éviction de l'agent ("s'il fait ainsi valoir que la procédure disciplinaire a été entachée de diverses irrégularités, il n'apporte, en tout état de cause, aucune précision permettant d'établir l'existence d'un lien de causalité entre les irrégularités qu'il allègue et les préjudices dont il fait état").

L'arrêt du 9 février 2011 va plus loin. Il considère qu'alors même que l'erreur de droit commise par l'administration constitue une illégalité fautive par nature (5), la victime, c'est-à-dire l'agent, ne justifie pas d'un préjudice direct et certain. Ainsi, même mal fondée, l'éviction n'ouvre pas droit à réparation, dès lors que l'administration aurait pu prendre la même décision en s'appuyant sur un autre motif, eu égard à la gravité des faits reprochés au fonctionnaire. En l'espèce, on notera que l'administration a pris une seconde décision d'éviction après l'annulation de la première par une cour administrative d'appel. L'arrêt commenté applique au contentieux des évictions d'agents publics une solution plus ancienne, dont il est fait application en droit public économique (6).

  • Un changement d'affectation impliquant la perte d'un complément de rémunération n'est pas une mesure d'ordre intérieur (CE 1° et 6° s-s-r., 4 février 2011, n° 335098, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2645GRE)

La fonction publique demeure l'un des rares secteurs dans lesquels la notion de mesure d'ordre intérieur jouit d'une certaine stabilité. Ce type de mesure se définit comme étant "à la fois généralement de peu d'importance en ce qu'elle n'a d'effet que sur les personnes qui participent au service, et exprime le très fort pouvoir d'appréciation constamment reconnu aux chefs de service pour l'organisation de leurs services" (7). Insusceptible de recours en annulation, les mesures d'ordre intérieur ont vocation, dans un état de droit, à être circonscrites de manière précise. Cette préoccupation se manifeste de manière particulièrement nette dans le courant jurisprudentiel relatif aux mesures touchant aux conditions de détention. Dans deux arrêts de principe du 17 février 1995 (8), le Conseil d'Etat a admis la recevabilité des recours exercés à l'encontre de décisions -jusqu'à présent qualifiées d'ordre "interne"- qui, eu égard à leur nature ou à leur gravité, portaient atteinte aux droits et libertés de leur destinataire ou modifiaient sa situation juridique ou ses conditions d'existence. L'arrêt du 4 février 2011 s'inscrit dans ce mouvement en admettant qu'une décision portant changement d'affectation d'un fonctionnaire puisse être considérée comme un acte faisant grief lorsqu'elle se traduit par une diminution des rémunérations accessoires perçues par l'agent. En l'espèce, le Conseil d'Etat retient qu'en jugeant que la nouvelle affectation de la requérante n'était pas susceptible d'être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir alors même qu'elle entraînait la perte de la nouvelle bonification indiciaire dont elle bénéficiait dans ses précédentes fonctions, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a entaché son jugement d'erreur de droit.

De manière traditionnelle, pour caractériser une mesure d'ordre intérieur, le juge doit rechercher si la décision en cause ne porte atteinte ni aux prérogatives qu'un fonctionnaire tient de son statut, ni à sa situation pécuniaire (9). Le changement d'affectation ne sera donc susceptible de recours que lorsqu'il se traduit par un amoindrissement des responsabilités confiées à l'agent, une atteinte aux garanties statutaires dont il jouissait auparavant, à ses avantages pécuniaires, ou même à ses perspectives de carrière (10).

Dans l'affaire jugée le 4 février 2011, la situation de la requérante avait ceci de particulier que son changement d'affectation au sein des services judiciaires impliquait, pour l'agent, la perte de la nouvelle bonification indiciaire. Cette dernière a été instituée par la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991, portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales (N° Lexbase : L3040AIG). Il s'agit d'une rémunération accessoire qui se traduit par l'allocation d'une majoration de l'indice de certains agents. Elle est attachée à divers emplois impliquant l'exercice d'une responsabilité ou la mise en oeuvre d'une technicité particulière. Liée aux fonctions effectivement exercées par les agents concernés, elle cesse d'être versée lorsque l'agent n'exerce plus les fonctions y ouvrant droit. L'absence, semble-t-il, de modification significative de la situation professionnelle de la requérante, en dehors de la perte de la nouvelle bonification indiciaire, pouvait-elle justifier la recevabilité de la requête ? La question était, à notre connaissance, inédite (11) et la solution n'apparaissait pas évidente car la nouvelle bonification indiciaire étant attachée à l'exercice de fonctions précises, il était logique de considérer que le changement d'affectation implique la perte de ce complément de rémunération sans modifier la nature juridique dudit changement, l'accessoire suivant, en quelque sorte, le principal.

Dans son arrêt, le Conseil d'Etat en juge autrement. Pour lui, au-delà du caractère accessoire de la rémunération, c'est le fait que l'agent subisse une diminution de ses revenus qui semble compter. Par suite, la perte de nouvelle bonification indiciaire exclut la qualification de mesure d'ordre intérieur, quelles que soient les autres circonstances qui entourent le changement d'affectation. De plus, celle-ci venant récompenser des responsabilités ou une technicité particulières, sa perte à la faveur d'un changement d'affectation démontre, au moins de manière implicite, que les nouvelles fonctions n'impliquent pas de telles qualités. Le critère de la perte de prérogatives (12) apparaît donc en filigrane.

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour


(1) CE Contentieux, 10 mai 1996, n° 116290 (N° Lexbase : A8825AN8).
(2) CE 1° et 5° s-s-r., 2 avril 1971, n° 79277 (N° Lexbase : A1643B7Y), Rec. p. 273.
(3) CE Ass., 7 avril 1933, n° 04711 (N° Lexbase : A4938B7Z), Rec. p. 439.
(4) CE, 21 avril 1976, Rec. p. 173 ; CE Contentieux, 18 juin 1986, n° 49813 (N° Lexbase : A4760AMA), Rec. p. 166 ; CE 4° et 5° s-s-r., 6 janvier 2006, n° 265688 (N° Lexbase : A1857DMQ).
(5) CE Sect., 26 janvier 1973, n° 84768 (N° Lexbase : A7586B8H), Rec. p. 77.
(6) CE, 15 juillet 1964, Rec. p. 438 ; CE Sect., 25 juin 1999, n° 188458 (N° Lexbase : A5330AXP), Rec. p. 231 ; CE 3° et 8° s-s-r., 30 septembre 2002, n° 230154 (N° Lexbase : A9517AZI), Rec. p. 921.
(7) Lire G. Pélissier, La mesure d'ordre intérieur, Répert. Dalloz contentieux administratif.
(8) CE Contentieux, 17 février 1995, n° 107766 (N° Lexbase : A2385ANN) et n° 97754 (N° Lexbase : A2355ANK), Rec. p. 83, concl. Frydman.
(9) CE 3° s-s., 14 mai 2008, n° 290046 N° Lexbase : A6495D83).
(10) CE 1° et 6° s-s-r., 6 mai 2009, n° 304977 (N° Lexbase : A7715EGT) ; CAA Nancy, 19 mars 2009, n° 07NC01404 (N° Lexbase : A5895EHS) ; CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 294362, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8813EBZ).
(11) Pour un cas où la perte de la nouvelle bonification indiciaire était la conséquence d'une diminution sensible des responsabilités, voir CAA Nantes, 10 avril 2003, n° 01NT00109 (N° Lexbase : A8654DB7).
(12) Cf. CE 3° s-s., 14 mai 2008, n° 290046, précité.

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