La lettre juridique n°681 du 22 décembre 2016 : Éditorial

La LegalTech est morte... Vive l'édition juridique !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 30 Décembre 2016


Pas une semaine, que dis-je pas un jour quasiment, depuis deux ans, sans que l'on nous abreuve de cette nouvelle émulsion moléculaire, combinant droit et algorithme, que constitue la LegalTech ou cette cohorte de startups ayant comme ambition ultime de dépasser l'interprétation doctrinale traditionnelle, pour lui supplanter une interprétation statistique et mathématique universelle.

Un premier salon dédié, en novembre dernier, en fut le point d'orgue, regroupant 23 acteurs du secteur, sous l'égide ou le patronat, on ne sait, d'"Open Law, le droit ouvert", projet de cocréation destiné à mettre en valeur le droit ouvert, accompagner globalement l'ouverture des données juridiques et stimuler l'innovation collaborative autour des données juridiques ouvertes.

Sur Wikipedia, la Legal Technology, fait référence à l'usage de la technologie et de logiciels pour offrir des services juridiques. Selon Régis de Boisé, fondateur de "Le BonBail", le terme désigne les technologies qui permettent l'automatisation d'un service juridique, que ce soit au niveau du support (le document), du processus (la procédure) ou de la relation avec les professionnels du droit.

L'originalité du modèle tient au fait qu'il ne constitue pas, en principe, une "ubérisation" du droit, comme on a pu le lire ici ou là. Ces services automatisés s'adressent aussi bien aux justiciables directement, qu'aux professionnels du droit (et du chiffre).

De fait, la LegalTech intervient essentiellement sur la gestion d'affaire, la facturation et la comptabilité ; le stockage et la génération de documents ; la communication de pièces électroniques lors de procédures judiciaires ou gouvernementales ; la recherche de documents juridiques, enfin. En la matière, on est donc assez loin d'une vulgarisation du droit, permettant de s'adresser aux justiciables directement et de répondre à une antienne commune : le coût important que constituerait le recours à un professionnel.

C'est pourquoi, dès lors, plusieurs startups se sont, elles, engouffrées dans la mise à disposition d'outils permettant aux particuliers et entreprises de faire leurs formalités juridiques par elles-mêmes sans passer par un avocat ; dans l'analyse de contrats et de données ; bref dans l'automatisation de la rédaction juridique.

Seulement n'est pas Rocket Lawyer qui veut... et l'arrivée du géant américain, à grand renfort de joint-venture avec un éditeur séculaire français, n'est pas faite pour ravir les âmes les plus pluralistes en matière de libéralisation du droit. En clair, la LegalTech pouvait revêtir quelque attrait de nouveauté, de modernisme, d'évolution bien équilibrée entre startups et professionnels juridiques au sein du marché du droit, pour autant que toutes ces jeunes pousses se développaient à armes égales en France et que l'interprofessionnalité capitalistique, à peine éclose, devenait efficiente... On peut donc craindre une récupération, ici ou là, de ces jeunes pousses pour prospérer chez la Quintinie, ou presque !

Ceci étant dit, quelques millions d'euros levés plus tard... la grande révolution algorithmique du droit peine à se montrer...

Ou plutôt, cette révolution que nous promettaient des startups pleines d'entrain et bardées de promesses en bandoulière a bien lieu : mais quand elle n'est pas orchestrée par les acteurs traditionnels du service juridique et documentaire, elle est fomentée par les institutions tout ce qu'il y a de plus feutrées, elles-mêmes.

Des exemples ? Ma foi : lorsqu'il s'est agi de mettre en relation les justiciables et les avocats, le Conseil national des barreaux a publié SA plateforme (avocat.fr) qui, à n'en pas douter, ramassera, à terme, la mise de ce marché singulier. Il n'y pas de place pour plusieurs acteurs, tout juste une oligarchie, si tant est que tous aient accès aux mêmes informations centralisées... que le CNB (CQFD).

Sur la gestion d'affaire, la facturation et la comptabilité ? Une poignée d'acteurs là aussi se partage un marché en expansion certes, mais verrouillé par des difficultés d'interopérabilité. Le changement de logiciel de gestion de cabinet... ce n'est pas pour maintenant ; d'autant que les opérateurs historiques assurés de leur compétence métier se renouvellent en proposant, du cloud, des services complémentaires de gestion de contrats et des services documentaires en relation directe avec leurs missions (maisons) principales.

La communication de pièces électroniques lors de procédures judiciaires ou gouvernementales ? Ici, nous sommes plus près de la SSII que de la LegalTech à proprement parler : le tout étant d'entrer dans le cahier des charges d'un e-barreau ou autre RPVA ! Toujours sous une égide institutionnelle.

Last but not least, la LegalTech documentaire et de rédaction d'actes sauvera-t-elle le modèle ?

Il faut toujours avoir à l'esprit :

1 - que l'algorithme juridique n'est jamais aussi pertinent que lorsqu'il assoit ses calculs sur le Big Data certes, mais conjugué à des ressources documentaires propres, originales ;

2 - que l'originalité et donc la valeur ajoutée ne sont jamais dans l'automatisation mais dans l'interprétation ;

3 - que l'interprétation déterminée et éditoriale conditionne la confiance et que la promesse d'une sécurité juridique sans confiance... cela n'existe pas.

Ceci étant posé, à la manière d'un théorème pythagoricien, force est de constater que seuls les éditeurs juridiques cumulent intégration du Big Data et sourcing spécifique ou original ; seuls les éditeurs juridiques cumulent pertinence de la recherche sur la base d'arborescences métiers et interprétation doctrinale de qualité ; seuls les éditeurs juridiques cumulent bibliothèques d'actes ou clausiers et mises à jour régulières teintées d'une pratique professionnelle indispensable. Le besoin d'actes juridiques dépasse de loin les scenarii aujourd'hui proposés par la LegalTech aussi bluffante soit-elle lorsqu'on y adjoint un langage naturel, pourtant programmé. Répondre finalement à quelques cas d'espèce bien pensés suffit-il pour parler de révolution structurelle dans la manière de prodiguer un conseil et de rédiger un acte ? Et, je n'évoque pas la responsabilité du rédacteur (l'algorithme ou le consommateur-justiciable ?) quant à la validité et à l'efficacité de l'acte digitalo-reconstitué.

J'affirme que les éditeurs juridiques sont de fait les acteurs principaux du Big Data juridique ; à l'image de Lexbase qui, cette année encore, n'a pas démérité en intégrant des dizaines de milliers de nouveaux jugements de premières instances, des dizaines de milliers de décisions étrangères, les décisions des juridictions publiques financières, comme prochainement des données INPI.

Que faire de cette quantité astronomique de données ? La donnée fait-elle la connaissance ? Mieux, son accès est-il synonyme de "compétence métier" ? Quelle efficacité opérationnelle pour ces millions de données juridiques ?

J'affirme que les éditeurs sont de fait les plus à même de conduire le smart knowledge de demain : d'abord, toujours et encore, parce qu'ils révèlent en leur sein et collaborent avec des centaines de professionnels juridiques, de gens de métier ; qu'ils ont l'expérience client indispensable à la conduite d'un tel projet pour "transformer les données non-structurées et les informations contingentes du Big Data d'aujourd'hui en connaissances opérationnelles structurées et réticulées -c'est-à-dire mises en qualité cognitive et en action opérationnelle au sein de compétences métier matures et partagées-" (Patrick Serrafero, Professeur associé à l'Ecole Centrale de Lyon).

Car, il est un élément fondamental qui conditionne le succès de l'algorithmisation du droit, on l'a dit : la confiance. Certaines voix (cf. Supralegem) n'ont pas tort de réclamer l'ouverture du code source des startups de la LegalTech ; car enfin, lorsqu'un professionnel du droit prodigue un conseil, adopte une stratégie procédurale ou juridique, il s'appuie sur une interprétation déterminée, celle d'un éditeur, d'un professeur, d'une expérience reconnue, voire du juge lorsqu'il en identifie la continuité judiciaire... et non du seul déterminisme statistique, même si "lire c'est toujours interpréter" enseigne Henry Miller. L'opacité algorithmique, quasi-inhérente à la LegalTech, puisque c'est le coeur de la valeur ajoutée de ces startups, ne résisterait pas à une telle exigence de transparence. Et que penser de ces startups documentaires qui basent leur modèle d'expansion sur... une API qui adapte, finalement, un moteur de recherche certes ultra-rapide, mais disponible pour tout un chacun sur le marché ?

Au contraire, la valeur ajoutée d'un éditeur juridique réside toujours et encore dans son collège doctrinal, dans sa capacité interprétative subjective, dans ses serviciels métiers ; c'est la base de la confiance entre le professionnel du droit et l'éditeur, comme il en va du client justiciable envers le professionnel juridique.

"Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité": c'est la clé de l'inventivité juridique ou procédurale pour Giraudoux. L'algorithmisation se base exclusivement sur la réalité, quand la doctrine entend l'orienter, voire la réinventer.

C'est pourquoi, demain, les éditeurs juridiques, comme Lexbase, marieront subtilement leurs ouvrages interprétatifs, traditionnels ou pratiques, à des dataviz, qui la durée des contentieux, qui les affaires rendues dans le même sens, qui les affaires rendues sur tel fondement, qui le moyen juridique le plus invoqué, qui le montant de l'indemnité d'un préjudice quelconque, qui le calcul des indemnités de rupture (ça c'est déjà fait sur Lexbase). Des data visualisations qui ne seront pertinentes que pour autant que l'on pourra mettre les résultats algorithmiques en perspective avec la connaissance métier et la réflexion doctrinale.

Hier des résumés sur la portée juridique d'une décision de justice, l'élaboration d'une chaîne du contentieux complète : l'intelligibilité et la lisibilité de la jurisprudence est en marche... Demain, toute la thématisation profonde des fonds Lexbase permettra l'hypertextualisation poussée au maximum... en n'omettant pas de donner du sens à ce que l'on lit, pour décider mieux et vite.

J'affirme que tous les éditeurs juridiques ont pris le train, quand ils n'ont pas été la locomotive -finalement, Lexbase fut la première LegalTech disruptive, fin des années 90, en proposant des bases de données sur internet aux grandes heures du papier et en misant sur le développement informationnel de la jurisprudence sur fond d'hégémonie des codes législatifs et réglementaires-, non seulement parce qu'ils en ont les ressorts, mais d'autant plus qu'ils en ont les moyens structurels, humains et financiers.

De la même manière que les éditions Lamy, avec le Bulletin des Transports, sont nées au service de la Ligue commerciale et industrielle pour l'amélioration des conditions de travail et de transport par chemin de fer, la "pragmatique sanction" des éditeurs juridiques du XXIème siècle sera de sacrifier, d'abord au Big Data -l'ouverture des bases de données éditoriales Dalloz au grand public est un premier pas remarquable ; la publication d'une conciergerie multi-servicielle peut, elle, laisser plus perplexe-, puis au smart knowledge ou algorithmisation éditoriale, pour relever les défis de la modernisation du marché documentaire juridique... chemin que Lexbase a d'ores et déjà choisi d'emprunter tout en consolidant sa base doctrinale ; la publication récente d'une édition spéciale "J21" et d'une encyclopédie en droit rural en sont encore un témoignage évident.

"Il faut être absolument moderne", versifiait Rimbaud.

Alors, que la fête commence !

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