La lettre juridique n°670 du 29 septembre 2016 : Propriété

[Chronique] Chronique de droit des biens - Septembre 2016

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par Guillaume Beaussonie, Professeur à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919), et Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919)

le 29 Septembre 2016

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit des biens de Guillaume Beaussonie, Professeur à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919), et de Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919). Au sommaire de cette nouvelle chronique de droit des biens, on trouve l'épilogue -heureux- de l'épisode notoire "Maison de poésie", à propos de l'existence d'un droit réel de jouissance spéciale concédé à cette dernière, lequel se distingue du droit d'usage et d'habitation (Cass. civ. 3, 8 septembre 2016, n° 14-26.953, FS-P+B). Pour autant, tout n'est pas que poésie lorsqu'il s'agit de retrouver le droit d'usage et d'habitation confronté à l'indivision (Cass. civ. 3, 7 juillet 2016, n° 15-10278, FS-P+B). Enfin, il s'agira d'une succession contenant des fonds provenant de la distribution des réserves constituées par une société, qui éprouve de la sorte la distinction entre les fruits et les produits (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-19.471 et n° 15-19.516, F-P+B). I - Epilogue heureux pour la Maison de poésie
  • Un droit réel distinct du droit d'usage et d'habitation régi par le Code civil et qui a été concédé pour la durée d'une fondation, et non à perpétuité, demeure valable au-delà de trente ans (Cass. civ. 3, 8 septembre 2016, n° 14-26.953, FS-P+B N° Lexbase : A5155RZX)

Si l'épilogue s'avère heureux pour la Maison de poésie, il l'est peut-être moins, malgré les apparences, pour ceux qui entendaient totalement libérer les droits réels du carcan dans lequel les enferme -sciemment- l'ordre public des biens depuis l'entrée en vigueur du Code civil. A la fin, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, sans changer de position ni dévier du principe qu'elle a posé en 2012, affirme très concrètement qu'"ayant relevé que les parties avaient entendu instituer, par l'acte de vente des 7 avril et 30 juin 1932, un droit réel distinct du droit d'usage et d'habitation régi par le Code civil, la cour d'appel, qui a constaté que ce droit avait été concédé pour la durée de la Fondation, et non à perpétuité, en a exactement déduit, répondant aux conclusions dont elle était saisie, que ce droit, qui n'était pas régi par les dispositions des articles 619 (N° Lexbase : L3206ABD) et 625 (N° Lexbase : L3212ABL) du Code civil, n'était pas expiré et qu'aucune disposition légale ne prévoyait qu'il soit limité à une durée de trente ans". Autrement dit, le fameux "droit réel de jouissance spéciale" concédé à la Maison de poésie survit à ce second et ultime examen par la Cour de cassation, mais au prix d'une débaptisation qui en dit long sur la volonté de cette dernière de ne pas donner trop de portée à l'audace de sa solution de 2012. Avant de revenir sur ces motifs, rappelons, car cela n'est pas inutile, ce qui a conduit à cette décision du 8 septembre 2016.

Une fondation -la Maison de poésie- avait vendu un hôtel particulier parisien à une société -la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD)-, tout en se réservant, "durant son existence", "la jouissance ou l'occupation" de certains de ses locaux. L'acte de vente précisait également, qu'en cas de nécessité, l'acquéreur pourrait récupérer lesdits locaux, à la condition cependant de mettre à disposition du vendeur des locaux de mêmes importance et qualité. Quelques soixante-dix ans après, la société assignait la fondation en expulsion, ainsi qu'en paiement d'une indemnité pour l'occupation sans droit ni titre de ces locaux.

La cour d'appel de Paris faisait droit à cette demande, au motif que le droit concédé à la fondation constituait un droit d'usage et d'habitation dont la durée, conformément au régime de l'usufruit, ne pouvait excéder trente ans lorsqu'il est accordé à une personne morale (1). La fondation formait alors un pourvoi en cassation, invitant par différents moyens les magistrats du quai de l'Horloge à se prononcer sur la nature juridique précise du droit qui avait été constitué en sa faveur.

Par un arrêt de principe du 31 octobre 2012 (2), rendu au visa des articles 544 (N° Lexbase : L3118AB4) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) du Code civil, la troisième chambre civile de la Cour de cassation cassait la décision des juges du fond. Selon elle, "il résulte de ces textes que le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d'ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien". Or, le droit "consenti" par le vendeur était précisément, en l'espèce, un droit réel qui lui avait conféré le bénéfice d'une jouissance spéciale du bien vendu. Par ailleurs, la constitution d'un tel droit ne heurtait pas l'ordre public, peu important, à cet égard, que ce droit ait été constitué pour toute la durée de l'existence du vendeur, s'agirait-il pourtant d'une personne morale.

A la suite du renvoi, la cour d'appel de Paris rendait un nouvel arrêt le 18 septembre 2014 (3) dans lequel, reprenant le principe posé par la Cour de cassation, elle constatait, d'abord, que les clauses contractuelles, suffisamment "claires et précises", démontraient bien la constitution d'un droit réel de jouissance spéciale au profit de la fondation. Elle précisait alors que "ce droit réel ne constituant pas un droit d'usage et d'habitation au sens des dispositions de l'article 625 du Code de civil, les règles du régime juridique régissant un tel droit, et notamment celles prévues par les articles 619 et 625 du Code civil n'ont pas vocation à s'appliquer à l'espèce". Ensuite, la cour d'appel de Paris désignait le droit ainsi reconnu comme un droit viager et non un droit perpétuel, en se référant tant à "la durée de l'existence" de son titulaire, c'est-à-dire la fondation, qu'à sa vocation à s'éteindre "par l'expiration du temps pour lequel il a été consenti", ce temps n'étant tout simplement pas encore arrivé. Par ailleurs, la cour d'appel de Paris analysait la clause en vertu de laquelle, "au cas où la SACD le jugerait nécessaire, elle aura le droit de demander que le deuxième étage et autres locaux occupés par la Maison de la Poésie soient mis à sa disposition à charge par elle d'édifier dans la propriété présentement vendue et de mettre gratuitement à la disposition de la maison de la poésie et pour toute la durée de la fondation, une construction de même importance, qualité et cube et surface pour surface", comme une simple modalité d'exécution de la convention conclue entre les parties, et non comme une condition potestative. Il ne restait alors plus qu'à tirer toutes les conséquences de ce raisonnement, en ordonnant à la SACD de restituer à la Maison de poésie les locaux litigieux. Cette dernière, en effet, avait été obligée de les quitter à la suite de sa condamnation par le premier arrêt rendu par la cour d'appel de Paris. En revanche, même autrement composée, ladite cour refusait de considérer que la SACD soit pour autant débitrice d'une indemnité d'occupation à l'encontre de la fondation pour le temps durant lequel elle avait indûment occupé les locaux considérés. A cette fin, la cour d'appel usait d'une justification plutôt maladroite : alors qu'il aurait suffi de souligner que l'arrêt qui allait être cassé était assorti d'une exécution provisoire que le pourvoi n'était susceptible, en lui-même, ni d'interrompre ni de reprocher à quiconque, les juges ajoutaient surabondamment que l'exécution de cette décision par la fondation n'avait pas été forcée, mais volontaire. Disposait-elle vraiment d'un autre choix ? Même à l'aune de cette petite victoire, la SACD formait, à son tour, un pourvoi en cassation, l'essentiel ayant bien sûr été perdu.

La société soulevait en premier lieu, mais trop tardivement, l'absence d'impartialité d'un magistrat ayant été, à la fois, membre de la formation ayant rendu l'arrêt cassé et chargé de la mise en état de l'affaire devant la cour d'appel de renvoi.

En second lieu, et surtout, la société contestait encore ce droit réel qui aurait conféré la jouissance spéciale des locaux à la fondation pendant toute la durée de son existence. Elle tentait notamment de convaincre la Cour de cassation de la nécessité de calquer le régime de ce droit de jouissance spéciale sur celui du droit d'usage et d'habitation et, partant, de limiter sa durée à trente ans. Elle soulignait principalement que "revêt nécessairement un [...] caractère perpétuel le droit réel de jouissance spéciale conféré à une fondation reconnue d'utilité publique pour toute la durée de son existence, dès lors que ce type de fondation étant à vocation perpétuelle, la durée du droit est par conséquent illimitée". Au surplus, les clauses contractuelles n'étaient pas non plus de nature à aller dans le sens d'une limitation du droit, qu'il s'agisse de la possibilité quasi potestative offerte à la fondation d'accepter -et de refuser- que son droit s'exerce dans des locaux de remplacement, voire de l'impossibilité juridique ou matérielle, pour la société, de procéder à ce remplacement en raison des règles d'urbanisme qui l'interdisent.

Aucun de ces arguments, dont certains ne manquaient pourtant pas de pertinence, ne fait mouche. La Cour de cassation, on l'a dit, rejette le pourvoi car, d'une part, "ce droit avait été concédé pour la durée de la Fondation, et non à perpétuité" et, d'autre part, "ce droit, qui n'était pas régi par les dispositions des articles 619 et 625 du Code civil, n'était pas expiré et [...] aucune disposition légale ne prévoyait qu'il soit limité à une durée de trente ans".

L'impression qui demeure à l'issue de cette longue procédure est celle d'une protection du titulaire de droit réel à l'instar d'un propriétaire au détriment, par là-même, du véritable propriétaire. Si le raisonnement mené par la troisième chambre civile de la Cour de cassation tient, puisque la perpétuité du droit concédé n'apparaît effectivement pas inéluctable, il n'en conduit pas moins à s'éloigner de l'esprit de la législation civile en générant un droit qui, n'étant légitime que lorsqu'il est précaire, s'avère, en l'occurrence, concédé pour la vie d'une personne qui est susceptible de ne jamais mourir... L'indétermination qui en résulte renvoie, elle aussi, à celle qui caractérise en vérité la propriété, rien n'étant perpétuel en ce monde -sauf peut-être la poésie...-, l'impression d'éternité ne résidant que dans le sentiment de liberté.

Guillaume Beaussonie

II - Le droit d'usage et d'habitation confronté à l'indivision

  • Le propriétaire disposant également d'un droit d'usage et d'habitation sur le même bien peut en demander le partage quand bien même il serait grevé d'un second droit d'usage et d'habitation concédé à un tiers (Cass. civ. 3, 7 juillet 2016, n° 15-10.278, FS-P+B N° Lexbase : A0063RXM)

Dans cette affaire, un couple, par acte du 31 mai 2006, décida que seul l'un d'eux devenait propriétaire d'un immeuble tandis que les deux se réservaient, sur le même bien, un droit d'usage et d'habitation. Quelques années plus tard, le propriétaire demanda le partage de l'immeuble malgré l'existence du droit d'usage et d'habitation au profit du tiers.

La cour d'appel de Reims (4) fit droit à la demande considérant que les parties étaient en indivision. Dès lors, le titulaire du seul droit d'usage et d'habitation forma un pourvoi en cassation en avançant plusieurs arguments : en premier lieu, l'indivision suppose la coexistence de droits de même nature sur un même bien, ce qui ne serait être le cas, puisque l'un est propriétaire tandis que l'autre ne dispose que d'un droit d'usage et d'habitation ; en deuxième lieu, ce dernier a un caractère personnel de telle manière qu'il ne peut y avoir indivision ; en dernier lieu, quand bien même une telle indivision existerait, il n'en demeure pas moins qu'il convient d'exclure les règles du partage car celles-ci conduisent à remettre en cause l'existence du droit d'usage et d'habitation.

La Cour de cassation devait donc se demander si le propriétaire -titulaire également d'un droit d'usage et d'habitation- était en mesure de demander le partage de l'immeuble alors même que ce dernier était grevé d'un second droit d'usage et d'habitation au profit d'un tiers ? En réalité, pour y répondre, les magistrats du Quai de l'Horloge devaient préalablement savoir si l'existence d'une indivision était possible dans cette situation. La Cour de cassation, par un arrêt du 7 juillet 2016, y répond favorablement en prenant soin de préciser d'emblée que "l'indivision s'entend de la coexistence de droits de même nature sur un même bien ; qu'elle peut ne porter que sur une partie des droits des intéressés". En effet, pour elle, le droit d'usage et d'habitation a certes un caractère personnel mais demeure un droit réel, un droit portant ainsi directement sur la chose. Dès lors, constatant que le propriétaire de l'immeuble disposait également d'un droit d'usage et d'habitation, elle en tire légitimement comme conséquence qu'il existe bel et bien une indivision portant exclusivement sur les droits d'usage et d'habitation des deux parties. Par conséquent, conformément à l'article 817 du Code civil (5), le propriétaire de l'immeuble -qui est par ailleurs titulaire du droit d'usage et d'habitation sur le même immeuble- était en droit de solliciter le partage dudit bien.

Si la solution semble parfaitement justifiée pour le signataire, c'est à la condition toutefois de préciser le cas d'espèce. En effet, il ne faudrait pas comprendre que c'est parce que l'un est propriétaire qu'il dispose assurément d'un droit d'usage et d'habitation au sens des articles 625 et suivants du Code civil comme on pourrait le penser lorsque la Cour de cassation indique "que le propriétaire d'un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d'un droit d'usage et d'habitation s'exerçant conjointement sur le bien". Certes, le droit de propriété conduit le propriétaire à pouvoir user de son bien comme il l'entend et partant, à titre d'habitation, mais l'adverbe "conjointement" n'est pas innocemment choisi par les magistrats du Quai de l'Horloge puisqu'il apparaît clairement dans l'acte du 31 mai 2006 qui mentionne que "le cédant réserve expressément à son profit et pendant sa vie le droit d'usage et/ou d'habitation des parts licités pour en jouir conjointement [nous soulignons] avec le cessionnaire propriétaire du surplus". Autrement dit, cette clause établit non pas un droit d'usage et d'habitation mais deux droits d'usage et d'habitation -de même nature donc-, l'un au profit du seul propriétaire, l'autre au profit du tiers. Dès lors, l'indivision retenue ne vise, comme le rappelle la Cour de cassation, qu'"une partie des droits des intéressés" portant sur l'immeuble dont la propriété est exclusive à une seule des parties au litige. Aussi, après avoir rappelé que le droit d'usage et d'habitation a certes un caractère personnel, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un droit réel. Or, les parties au litige détenant deux droits réels de même nature, c'est naturellement l'indivision qui devait être retenue de sorte que le partage pouvait s'opérer conformément à l'article 817 du Code civil (N° Lexbase : L9948HNR). Cela étant, l'un des moyens avancé par le titulaire du seul droit d'usage et d'habitation doit retenir notre attention. En effet, il conviendrait, selon lui, dans l'hypothèse où l'indivision est retenue, d'exclure les règles du partage car cela reviendrait à remettre en cause l'existence même du droit d'usage et d'habitation. L'article 625 du Code civil dispose que "les droits d'usage et d'habitation [...] se perdent de la même manière que l'usufruit". Or, les articles 617 et suivants du Code civil, relatifs à la façon dont prend fin l'usufruit et partant du droit d'usage et d'habitation, n'envisagent aucunement l'indivision comme cause d'extinction. L'argument ne porte pas pour la bonne raison que l'article 817 du Code civil vise expressément l'hypothèse du partage de l'usufruit indivis de telle manière qu'il faut comprendre que le droit d'usage et d'habitation prend fin, généralement conformément aux prescriptions des articles 617 (N° Lexbase : L1757IES) et suivants du Code civil et, spécialement dans les termes de l'article 817 lorsqu'il y a indivision portant sur deux droits d'usage et d'habitation portant sur le même bien.

Le raisonnement est donc logique eu égard à l'espèce. En revanche, l'analyse aurait été erronée si une confrontation existait entre le droit de propriété d'une part, et un seul droit d'usage et d'habitation d'autre part, car il n'aurait été guère tenable d'affirmer qu'il s'agissait de droits concurrents de même nature portant sur un même bien et partant, invoquer l'existence d'une indivision. Cette solution se conçoit parfaitement car cela conduirait le propriétaire d'un bien à remettre en cause le droit d'usage et d'habitation concédé à un tiers. Si nous changeons maintenant de perspective, serait-il possible d'imaginer qu'un titulaire d'un droit d'usage et habitation puisse demander le partage à l'encontre du propriétaire de l'immeuble disposant également d'un droit d'usage et d'habitation ? Si nous suivons le raisonnement de la Cour de cassation, rien n'interdit de penser qu'un partage soit également possible dans la mesure où il y a bien indivision entre deux droits d'usage et d'habitation portant sur le même bien. La solution peut, en première intention, apparaître fâcheuse puisqu'elle pourrait conduire à remettre en cause la propriété du bien sur lequel porte les droits d'usage et d'habitation. Toutefois, l'article 817 du Code civil prévoit que ce n'est qu'à défaut de cantonnement qu'il est nécessaire de procéder à la licitation du bien. Dès lors, si l'objet du droit de propriété peut être menacé, le droit de propriété demeure déduction faite du désintéressement préalable du seul titulaire du droit d'usage et d'habitation. Reste enfin une dernière situation : le titulaire d'un droit d'usage et d'habitation portant sur un immeuble pourrait-il solliciter le partage dudit immeuble à l'encontre de son propriétaire, ce dernier ne disposant pas d'un droit d'usage et d'habitation ? D'emblée, une précision s'impose : si la qualité de propriétaire conduit à user de la manière la plus absolue de son bien et partant, potentiellement à titre d'habitation ; il n'en demeure pas moins que l'établissement d'un véritable droit d'usage et d'habitation suppose de rapporter la preuve, conformément à l'article 579 du Code civil (6), de la volonté expresse du propriétaire de consacrer à son profit un tel droit. Or, il n'en a nul besoin puisque précisément être propriétaire suffit ! Par conséquent, on ne peut déduire de la qualité de propriétaire, l'existence d'un véritable droit d'usage et d'habitation. Aussi, on ne peut pas parler de droits de même nature portant sur un même bien de sorte que l'indivision doit être refusée. A contrario, on comprend alors l'intérêt pour le propriétaire d'un bien, lorsqu'il concède un droit d'usage et d'habitation à un tiers, de se réserver également un droit d'usage et d'habitation : mettre fin à celui établi au profit du tiers en recourant à l'indivision !

Séverin Jean

III - Fruits et produits

  • L'usufruitier a droit aux bénéfices distribués mais n'a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l'accroissement de l'actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-19.471, F-P+B N° Lexbase : A2344RUD)

Le droit des successions et le droit des affaires sont deux disciplines spécifiques qui mobilisent les techniques générales du droit des biens. De leur association peuvent alors naître des questions particulièrement intéressantes du point de vue de ce dernier, notamment celle de l'étendue des prérogatives de l'usufruitier et celle de la nature de bénéfices mis en réserve, questions conjointement abordées dans cet arrêt rendu le 22 juin 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, dans le cadre d'une succession confrontant le conjoint survivant et les trois enfants du couple, le premier opte pour l'usufruit de la totalité des biens, faisant corrélativement des trois autres leurs nus-propriétaires. L'actif de la succession contient cependant des biens qui s'avèrent difficiles à répartir. La question se pose, en effet, de la qualification et de l'appartenance consécutive de fonds provenant de la distribution des réserves constituées par une société dont le de cujus était associé. Ces fonds doivent-ils, en effet, être perçus comme les fruits des parts sociales du défunt et, par là-même, bénéficier à l'usufruitier -en l'occurrence le conjoint survivant-, ou doivent-ils plutôt être considérés comme ayant une nature similaire à ces parts et, partant, s'inscrire au sein de l'actif de l'indivision successorale en bénéficiant exclusivement à ses propriétaires -c'est-à-dire aux enfants- ?

Selon la cour d'appel (7), "les fonds provenant de la distribution des réserves constituées par la société [...] doivent bénéficier aux seuls nus-propriétaires et figurer à l'actif de l'indivision successorale". De son point de vue, en effet, "si l'usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n'a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l'accroissement de l'actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire".

Le conjoint survivant forme un pourvoi en cassation, par lequel il soutient que les "bénéfices réalisés par une société participent de la nature des fruits lorsqu'ils ont été distribués et doivent, dès lors, profiter au seul usufruitier". Selon lui, il résultait effectivement de la constatation que les bénéfices mis en réserve avaient été distribués qu'ils constituaient des fruits devant, en tant que tels, bénéficier au seul usufruitier.

La Cour de cassation n'en conforte pas moins les juges du fond sans rien ajouter à leur motivation. Pour autant, sa décision n'étonne guère.

On se souvient que, selon la Cour de cassation, "les sommes qui, faisant partie du bénéfice distribuable sont, soit en vertu des statuts, soit après décision de l'assemblée générale, réparties entre les actionnaires, participent de la nature des fruits" (8). Sont ainsi concernés les dividendes, ceux-ci représentant, en effet, une part du bénéfice net, soit de ce qui reste après la mise en réserve des bénéfices sociaux (9). Dès lors, ces derniers bénéfices mis en réserve -les seuls dont il était question en l'occurrence- ne constituent pas des dividendes et, en conséquence, pas des fruits. Ils sont, inversement, des produits, en ce sens que leur mise en réserve les a insérés dans le capital social et, en conséquence, que leur distribution, pour ne pas être impossible (10), porte inéluctablement atteinte à la substance de ce capital. Le fait qu'un produit soit détachable du capital qui dont il provient n'en fait pas un fruit en présence d'une telle altération de ce capital. Cette aptitude à la vie autonome fait, d'ailleurs, tout l'intérêt de la notion de produit et de sa distinction de la notion de fruit.

La décision apparaît d'autant moins iconoclaste que certaines décisions antérieures de la Cour de cassation allaient déjà dans le même sens (11).

Guillaume Beaussonie


(1) CA Paris, Pôle 4, 1ère ch., 10 février 2011, n° 10/06554 (N° Lexbase : A0797GXS).
(2) Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, n° 11-16.304, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3197IWC). Sur cet arrêt, voir : G. Beaussonie et S. Jean, La création prétorienne d'un droit de jouissance spéciale à durée indéterminée, Lexbase, éd. priv., n° 507, 2012 (N° Lexbase : N4669BT4).
(3) CA Paris, Pôle 4, 1ère ch., 18 septembre 2014, n° 12/21592 (N° Lexbase : A0178M3Y). Sur cet arrêt, voir nos obs. in Chron., Lexbase, éd. priv., n° 592, 2014 - édition privée (N° Lexbase : N4777BUH).
(4) CA Reims, 7 novembre 2014, n° 13/02821 (N° Lexbase : A8737MZM).
(5) L'article 817 du Code civil (N° Lexbase : L9948HNR) dispose que "celui qui est en indivision pour la jouissance peut demander le partage de l'usufruit indivis par voie de cantonnement sur un bien ou, en cas d'impossibilité, par voie de licitation de l'usufruit. Lorsqu'elle apparaît seule protectrice de l'intérêt de tous les titulaires de droits sur le bien indivis, la licitation peut porter sur la pleine propriété".
(6) L'article 579 du Code civil dispose que "l'usufruit est établi par la loi, ou par la volonté de l'homme".
(7) CA Paris, Pôle 3, 1ère ch., 25 février 2015, n° 14/00655 (N° Lexbase : A2247NC9).
(6) Cass. com., 5 octobre 1999, n° 97-17.377 (N° Lexbase : A8136AGG).
(7) C. com., art. L. 232-11 (N° Lexbase : L6291AIT) et L. 232-12 (N° Lexbase : L6292AIU).
(8) C. com., art. L. 232-11.
(9) Comp. par ex., Cass. civ. 1, 12 décembre 2006, n° 04-20.663 (N° Lexbase : A8997DSZ) : "en l'absence de distribution des bénéfices d'une SARL sous forme de dividendes, l'attribution gratuite de parts sociales à un époux marié sous le régime de la communauté, sous la forme d'une augmentation de capital social par incorporation de réserves figurant sur un compte créditeur report à nouveau' ne constitue pas des fruits ou des revenus susceptibles d'être considérés comme des acquêts de communauté, mais des accroissements se rattachant, au sens de l'article 1406, alinéa 1er, du Code civil, aux parts sociales initialement détenues en propre par cet époux, qui ont eux-même la nature de biens propres" ; Cass. com., 10 février 2009, n° 07-21.806, FS-P+B (N° Lexbase : A1249EDM) : "les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ; qu'il s'ensuit qu'avant cette attribution, l'usufruitier des parts sociales n'a pas de droit sur les bénéfices et qu'en participant à l'assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve, il ne consent aucune donation au nu-propriétaire" ; Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-27.745, F-P+B (N° Lexbase : A1657IZE) : "les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence juridique avant la constatation de l'existence de sommes distribuables par l'organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé, de sorte que M. et Mme X, n'ayant été titulaires d'aucun droit, fût-il affecté d'un terme suspensif, sur les dividendes attribués à leurs enfants, soumis à l'imposition litigieuse, n'ont pu consentir aucune donation ayant ces dividendes pour objet".

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