Réf. : Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-11.161, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0230GHY)
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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier
le 04 Janvier 2011
Les faits sur lesquels la juridiction de proximité de Tarascon avait eu à se prononcer étaient les suivants : un consommateur avait acheté un ordinateur portable équipé de logiciels préinstallés pour un montant de 597 euros. Si quelques fabricants permettent à un consommateur de demander remboursement du prix du logiciel contre retour de ce dernier (non sans mal la plupart du temps), tel n'était pas le cas ici. Le fabricant avait accepté de rembourser le consommateur de l'intégralité de son achat (ce qui imposait par conséquent la restitution à la fois de l'ordinateur et des logiciels) mais refusait au consommateur le principe d'une offre "à la carte", c'est-à-dire de choisir entre un ordinateur "nu" et un ordinateur accompagné de logiciels d'exploitation (un peu plus cher mais toujours moins onéreux qu'un achat séparé de l'ordinateur et des logiciels).
Le juge de proximité de Tarascon avait rejeté la demande du consommateur, retenant une interprétation strictement civiliste des faits : selon lui les parties s'étaient accordées "sur un type d'ordinateur complet et prêt à l'emploi" et le consommateur conservait la possibilité de se faire rembourser l'intégralité de son achat en restituant le tout. Le juge refusait par là même, purement et simplement au nom de la force obligatoire des contrats, d'appliquer les dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation.
Sur ce point bien précis, il convient de rappeler en l'occurrence que le consommateur demandait une réduction de prix, et des plus conséquentes il faut bien l'avouer. Sur un prix total de 597 euros, il demandait paiement de 404,81 euros, c'est-à-dire le prix des logiciels achetés seuls dans le commerce. Pour le fabricant et distributeur assigné, cela impliquait de facto une vente à un prix inférieur à ses coûts (voire même s'il s'était agi d'un revendeur à une revente à perte prohibée par l'article L. 442-2 du Code de commerce N° Lexbase : L5731H97 cette fois). Le consommateur demandait, donc, non pas la nullité du contrat de vente (ce qui aurait impliqué également la restitution de l'ordinateur) mais une réduction du prix, sanction qui n'est absolument pas prévue par les dispositions du Code de la consommation dans ce cas précis (seules des sanctions pénales sont prévues dans le Code).
La Cour de cassation, en revanche, impose la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation, mais à la lumière de la Directive précitée. Une solution qui revient, dans les faits, à une application directe des dispositions de la Directive à défaut pour le droit français de leur être conforme :
"Attendu, cependant, que par arrêt du 23 avril 2009 (C-261/07 et C-299/07) (N° Lexbase : A5552EGQ), rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, de sorte que l'article L. 122-1 du Code de la consommation qui interdit de telles offres conjointes sans tenir compte des circonstances spécifiques doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les prévisions des dispositions de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales, la juridiction de proximité n'a pas donné de base légale à sa décision". Cet arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui Cour de justice de l'Union européenne) avait été rendu à la suite d'une question préjudicielle des juridictions belges dans deux affaires de ventes subordonnées auxquelles s'appliquait en principe une réglementation identique aux dispositions du Code français de la consommation.
Que faut-il retenir de la solution rendue par la Cour de cassation à la lumière de la Directive et de la jurisprudence de la Cour de justice ?
1. Quant au problème de la sanction des ventes subordonnées en premier lieu, on retiendra que, dorénavant, la prohibition de principe de celles-ci n'est plus possible. Une vente subordonnée ou une vente par lot n'est plus, par principe, prohibée. La règle s'en trouve même inversée, le principe devient celui de la libre commercialisation par des ventes liées ou subordonnées. Un distributeur pétrolier pourrait dorénavant joindre à l'achat de carburant une assurance obligatoire, un éditeur pourrait refuser de vendre son magasine sans le produit qui lui est accessoire (faits de l'arrêt de la CJCE) et un distributeur informatique pourrait continuer à vendre des ordinateurs en imposant système d'exploitation et logiciels bureautiques. Le conditionnel est toutefois de rigueur car la Cour de cassation pose certaines limites à cette liberté, auxquelles il conviendra d'ajouter les exceptions posées par le droit de la concurrence cette fois.
L'interdiction par principe des ventes subordonnées n'est pas conforme aux dispositions de la Directive. Cette dernière permet, en revanche, de sanctionner les pratiques, fussent-elles constituées par une vente subordonnée ou par lot, qui doivent être considérées comme déloyales. Toute pratique commerciale doit, par conséquent, en droit français et en application de la Directive, voir sa validité appréciée au regard des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation. Une vente subordonnée ne sera, par conséquent, désormais sanctionnée que si elle est de nature à induire le consommateur en erreur ou, hypothèse plus difficile à considérer dans ce cas si elle est agressive. S'agissant du caractère trompeur du message, il appartiendra donc au juge, en fonction des éléments apportés par le consommateur ou par l'administration, d'apprécier si la pratique était ou non de nature à tromper le consommateur sur la portée de son engagement (peu importe la volonté du professionnel, il suffit que des effets néfastes soient établis).
2. Quant à son domaine ensuite, il convient de remarquer que la Cour de cassation n'aura pas, en principe, à se prononcer uniquement sur la prohibition des ventes subordonnées ou par lots. La Directive est une Directive d'harmonisation totale, interdisant aux Etats-membres de maintenir, dans son champ d'application i.e. les pratiques commerciales, une prohibition de principes de méthodes qui ne seraient pas visées par la Directive. Il faut alors se référer à l'annexe I de celle-ci pour constater que le droit français connaît une autre pratique prohibée per se, à savoir la vente avec prime, qui n'est pas dans l'annexe I de la Directive. Le raisonnement de la Cour doit, par conséquent, être transposé à cette dernière pratique. Peu importe, alors, que le législateur, sans doute bien mal informé des arrêts de la Cour de justice ait, par la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 (N° Lexbase : L6505IMU), modifié les dispositions de l'article L. 121-35 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8008IMK) en maintenant le principe de la prohibition des ventes avec prime (mais il est vrai que cette loi avait pour objet "l'engagement national pour l'environnement"). En pratique, la solution rendue par la CJCE implique que la sanction d'une vente avec prime n'est plus possible (sauf à prouver, comme pour une vente subordonnée ou par lot, que la méthode au fait de l'espèce serait de nature à induire le consommateur en erreur) et qu'il est désormais possible à un professionnel d'accompagner la vente d'un produit d'un cadeau, sans qu'il soit besoin de faire payer au consommateur l'euro symbolique.
3. Quant à l'affaire soumise au juge de proximité enfin (de Tarascon ou d'ailleurs), il lui faudra mieux justifier au regard de la Directive précitée ses décisions en matière de ventes subordonnées ou de ventes avec primes. Dans l'espèce qui a donné lieu à cet arrêt de la Cour de cassation, la solution in fine sera sans doute identique à celle préalablement rendue. Le consommateur n'obtiendra pas gain de cause. Non seulement parce qu'il a consenti au contrat et aux engagements qui en résultent, mais aussi parce qu'il n'aurait pas pu établir en quoi la pratique était déloyale.
Le consommateur a-t-il vraiment à y perdre ? Peut-être pas. En premier lieu, parce que les sanctions sur le fondement de ces textes étaient relativement rares. En second lieu, parce que le consommateur demeure protégé par d'autres dispositions que le droit communautaire n'invalide pas. On rappellera, notamment, l'article 7 de l'arrêté du 3 décembre 1987, relatif à l'information du consommateur sur les prix (N° Lexbase : L7977DNR), et qui dispose que "les produits vendus par lots doivent comporter un écriteau mentionnant le prix et la composition du lot ainsi que le prix de chaque produit composant le lot".
Plus que jamais la meilleure protection du consommateur réside dans sa parfaite et complète information.
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