La lettre juridique n°658 du 9 juin 2016 : Éditorial

Avocats "rossés" : vont-ils en redemander ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 14 Juin 2016


Non, non... vous ne m'entraînerez pas sur le terrain de l'admonestation -loin d'être paternelle- des avocats par les pouvoirs publics, un sujet ô combien sensible, et, malheureusement, ô combien répétitif, en ces temps démocratiques troublés, en Chine aujourd'hui, en France lors des manifestations pour l'aide juridictionnelle, il y a peu encore...

La presse s'est faite l'écho, avec émerveillement, semble-t-il, de ce premier "robot avocat" embauché par un cabinet états-uniens, BakerHostetler. Le summum de la modernité étant d'en passer par l'intelligence artificielle, le cabinet d'avocats séculaire entrait ainsi dans le XXIème siècle, en s'alliant avec IBM et en intégrant la technologie de Watson dans son quotidien, collaborant avec le premier avocat artificiel, répondant au doux prénom de Ross.

Pour le moment, le superordinateur a une seule spécialisation -on verra bien à l'usage si elle peut être homologuée par le CNB-, les faillites d'entreprises ; il analyse les milliers de jurisprudences concernant les faillites et fournit des réponses précises et contextuelles à des questions posées en langage courant et vérifie toutes les modifications de la loi pour en avertir... les avocats, ses collaborateurs.

Pour le cabinet américain, précise encore la presse, une grosse partie du travail consiste, pour les plus jeunes employés, à éplucher des centaines de dossiers et d'articles sur des cas similaires à celui qui sera plaidé et à donner à l'avocat en charge du dossier toute information utile. Du coup, plutôt que de former les jeunes collaborateurs à la récolte puis la synthèse d'informations pour aider à l'apprentissage de la décision, autant confier la tâche à un ordinateur, que dis-je à une intelligence artificielle.

Alors, soyons clair et pragmatique : les avocats ont-ils du souci à se faire ?

On sait la profession bousculée, depuis longtemps, par l'empiètement des autres professions du droit et du chiffre ; on sait la profession attaquée par les "braconniers du droit", sous le sceaux de certifications étatiques ; on sait la profession remise en cause, il y a peu, avec le développement de la legal tech et de ces sites ou solutions de gestion, de documentation, d'information, de formation, et de prédictivité, plus initiés par des titulaires de "diplômes marchands" et des geeks tout autant diplômés, que par des avocats en mal d'innovation.

Mais, voilà que la menace viendrait... de l'intérieur de la profession elle-même ! Au sein des cabinets, garants de la formation, de ce compagnonnage des élèves avocats ou jeunes assermentés. Et, quand on sait les difficultés qu'ont certains jeunes avocats à trouver un stage ou une collaboration, tout cela peut encore effrayer.

Pourtant, si l'on cessait de fantasmer sur le remplacement de l'Homme par la machine, si l'on cessait de croire que l'activité des professionnels, du droit notamment, relève d'un systématisme, d'une pure mécanique de l'analyse, si l'on voulait bien rappeler que la mission de l'avocat est avant tout celle d'un conseil, d'un représentant, d'un accompagnateur et maintenant d'un médiateur, alors on s'apercevrait, avec sérénité, que "l'avocat robot", ce n'est pas pour demain !

D'abord, et avant tout, parce que "avocat" et "robot" sont deux termes antinomiques, comme "l'intelligence" est elle-même antinomique de "l'artificialité" : le point commun de toute forme d'intelligence, c'est... la conscience. Et, c'est dire combien cette conscience est justement le pivot de la profession d'avocat ; il n'y a qu'à lire le serment de la profession, il n'y a qu'à rappeler les principes essentiels auxquels toute action, communication et mission de l'avocat se réfère. Or, que l'on en doute jamais, aucun robot de pourra développer, à coup de machine learning, une conscience ; et n'importe quel test de Turing ne pourra le contredire. En son temps, Montherlant aurait rappelé, dans Fils de personne -c'était prémonitoire- que "la mémoire est l'intelligence des sots" ; et l'ordinateur, c'est d'abord et avant tout de la mémoire.

Ensuite, évitons d'employer les gros mots : la prédictivité est inhérente aux bases de connaissances de demain. C'est le smartknowledge, consécutif du big data d'aujourd'hui. Il n'est point besoin de parler d'intelligence artificielle : il s'agit d'une exploitation ordonnée, structurée et synthétisée des datas. Du machine learning ? Pour le moment, en matière documentaire, les solutions ne font pas l'unanimité, contrairement peut-être aux solutions de gestion contractuelle ; à commencer par le fait que les datas en question ne sont pas normées, sont très diverses, ne sont pas objectives, et sont temporelles et non universelles... Bref, la conscience de l'Homme est le prisme de l'analyse décisionnelle en matière contentieuse comme rédactionnelle de l'avocat ; le reste ne demeurant "que" des outils prédictifs, avec la marge d'erreur que l'on voudra bien leur accorder, car le droit est avant tout... une science humaine.

Enfin, et après ces fondamentaux, rappelons que les papes de l'informatique et de l'algorithme eux-mêmes s'élèvent contre le développement de l'intelligence artificielle, au nom de la civilisation et de l'humanité -et le droit n'est-il pas justement le ciment de la civilisation-. L'astrophysicien Stephen Hawking craignait que l'Homme développe une intelligence artificielle qu'il ne pourra pas contrôler, ajoutant que "réussir à créer une intelligence artificielle serait le plus grand événement dans l'histoire de l'Homme. Mais ce pourrait aussi être le dernier". Bill Gates n'est pas sur une autre ligne. Il faut être prudent donc avec les mots si l'on ne veut pas effrayer inutilement, si l'on ne veut pas tomber dans la mécanisation d'une profession qui tire ses lettres de noblesses de son humanisme.

Les avocats peuvent continuer à se faire "rosser", ils n'en perdront pas plus leur identité, car la conscience est l'âme de leur profession. La machine prédit et applique de manière objective ; l'avocat prédit mais surtout oriente et s'engage pour, au nom de son client. Aux bases de données, au smartknowledge de leur montrer comment les aider et non comment les concurrencer. Ce serait une faute terminologique, un quiproquo irréparable.

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