La lettre juridique n°382 du 11 février 2010 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (septembre à décembre 2009) (seconde partie)

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N1649BNE

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[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (septembre à décembre 2009) (seconde partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212445-panorama-panorama-de-responsabilite-civile-medicale-septembre-a-decembre-2009-seconde-partie
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

le 24 Octobre 2023

 


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la seconde partie du panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité de septembre à décembre 2009 (pour la première partie, voir Panorama de responsabilité civile médicale (septembre à décembre 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 381 du 11 février 2010 - édition privée générale N° Lexbase : N1594BND). Sera abordée, dans cette seconde partie, l'actualité relative à la responsabilité du fait des produits de santé.

 


2. Responsabilité du fait des produits de santé

2.1. Victimes contaminées

2.1.1. Préjudice spécifique de contamination (VHC)

Le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant de la contamination, notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrance, et intègre aussi les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis, qui ne peuvent donc être indemnisés une seconde fois.

- Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-16.172, Etablissement français du sang (EFS), F-P+B (N° Lexbase : A1535EPK)

Le préjudice spécifique de contamination n'inclut pas le préjudice indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire, s'agissant des troubles éprouvés avant la déclaration de la maladie, non pris en charge à ce stade au titre du préjudice spécifique de contamination.

- Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-15.853, Etablissement français du sang, FS-P+B (N° Lexbase : A1531EPE)

Le préjudice spécifique de contamination n'inclut pas le déficit fonctionnel ni des préjudices relevant de l'atteinte à l'intégrité physique.

  • Cass. civ. 2, 24 septembre 2009, n° 08-17.241, Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), FS-P+B (N° Lexbase : A5857ELI) ; Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, n° 08-17.756, Etablissement français du sang, F-D (N° Lexbase : A4402EPQ)

Le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant de la contamination, notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et les souffrances, [...] aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle, et les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis.

Il n'inclut pas le préjudice à caractère personnel du déficit fonctionnel, lorsqu'il existe, et qui doit donc être indemnisé en plus.

2.1.2. Recours de l'EFS contre le coresponsable de la contamination

  • Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-11.622, Etablissement français du sang (EFS) c/ M. Brissier et de la CPAM de Paris, F-P+B (N° Lexbase : A1505EPG)

Ayant retenu l'existence d'un lien causal entre la contamination et les vices affectant les produits sanguins dont la transfusion avait néanmoins été rendue nécessaire par les blessures occasionnées, la cour d'appel a pu en déduire, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et l'auteur des blessures 20 %.

Les faits. Dans cette affaire, une personne avait été blessée par arme blanche et avait dû subir des interventions chirurgicales nécessitant des transfusions sanguines en 1985. Ayant appris en 1995 qu'elle était porteur du virus de l'hépatite C, elle avait assigné l'auteur de l'agression et l'EFS en réparation de ses préjudices. Ils furent condamnés in solidum par les juges du fond, la cour d'appel ayant jugé que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et l'auteur de l'agression 20 %.

Ces derniers se sont alors pourvus en cassation en faisant valoir, dans un premier moyen, que les juges du fond avaient violé le principe de la réparation intégrale en réparant des préjudices de même nature. Dans un second moyen, l'EFS fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à supporter 80 % de l'indemnisation, la contribution à la dette devant, en l'absence de faute, avoir lieu par parts égales.

La solution. La Cour de cassation rejette les deux moyens du pourvoi.

En premier lieu, en dissociant le préjudice fonctionnel permanent de la victime de son préjudice spécifique de contamination, les Hauts magistrats estiment que la cour d'appel "a [...] indemnisé deux préjudices distincts".

En second lieu, la Cour de cassation estime "qu'ayant retenu l'existence d'un lien causal entre la contamination et les vices affectant les produits sanguins dont la transfusion avait [...] été rendue nécessaire par les blessures occasionnées par Mme Y, la cour d'appel a pu en déduire dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et Mme Y 20 %".

Cette décision n'est pas surprenante puisqu'elle confirme qu'au stade du recours l'EFS doit être traité comme un responsable tenu pour faute, donc le recours contre d'autres coresponsables est donc subordonné à la preuve qu'ils ont commis une faute, et dans des proportions souverainement appréciées par les juges du fond compte tenu de la gravité des fautes respectives (1).

2.2. Médicament

2.2.1. Distilbène

La victime doit prouver qu'elle a été exposée au médicament litigieux, dès lors qu'il n'était pas établi que le diéthylstimbestrol était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait. A défaut, elle doit être déboutée (pourvoi n° 08-10.081).

Dès lors que le DES a bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que la victime avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, il appartient alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage (pourvoi n° 08-16.305).

  • Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-18.837, Mme Sophie Scagnetti, épouse Meyer, F-P+B

En cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage.

Le contexte. Plus de trois ans après les premières condamnations intervenues des laboratoires fabricant les deux médicaments de la famille du Distilbène (2), dont le caractère défectueux a été admis, la Haute juridiction était cette fois-ci saisie d'une nouvelle difficulté, liée à l'impossibilité pour certaines jeunes femmes exposées in utero au DES de prouver que leur mère s'était vu prescrire l'un des deux médicaments pendant leur grossesse, les traces des prescriptions ou de l'achat des médicaments pris près de trente années plus tôt n'ayant pas logiquement été conservées (3).

Première affaire et mise hors de cause des laboratoires. Dans la première affaire, une femme née en 1965 apprit en juin 1988 qu'elle était atteinte d'un adénocarcinome à cellules claires du col utérin, qu'elle imputa à la prise, par sa mère durant sa grossesse, de Distilbène.

Elle assigna alors son fabricant, la société UCB Pharma, mais également la société Novartis santé familiale, fabricant de l'autre médicament disponible sur le marché, le StillbestrolBorne, sans avoir toutefois été en mesure de fournir de preuve directe que sa mère s'était vue administrer du DES pendant sa grossesse, ce qui avait conduit la cour d'appel de Versailles à la débouter de ses demandes (4). La cour d'appel de Versailles avait, en effet, indiqué que "les attestations de mémoire de Mme Mauricette  X non confortées par des documents médicaux source contemporains de sa grossesse, ne peuvent donc être admises comme preuve de l'exposition [...] au Distilbène durant la grossesse de sa mère, ni au titre des présomptions graves, précises et concordantes, exigées par l'article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1017ABB)".

Solution adoptée. Le pourvoi dirigé contre ce premier arrêt de la cour d'appel de Versailles, rendu le 29 novembre 2007, est donc rejeté, et la victime définitivement déboutée. Selon la Haute juridiction, les juges du fond avaient bien analysé les éléments de preuve fournis par la victime au regard de la notion de "présomptions graves, précises et concordantes", dont la première chambre civile de la Cour de cassation fait désormais un large usage pour admettre la preuve de l'imputabilité du dommage à un produit de santé (5) ou le caractère nosocomial d'une infection (6).

Pour la Cour de cassation, "il appartenait à [la demanderesse] de prouver qu'elle avait été exposée au médicament litigieux dès lors qu'il n'était pas établi que le diéthylstimbestrol était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait".

Une solution classique. La solution se justifie donc par le fait que la pathologie en cause, à savoir un adénocarcinome à cellules claires du col utérin, pouvait avoir d'autres causes que l'exposition au DES, et que la patiente n'était ni en mesure d'écarter ces autres causes, ni de prouver avec certitude avoir été exposée in utero au DES.

Cette analyse est conforme aux solutions adoptées par la Cour de cassation lorsqu'elle recourt à des présomptions pour établir l'imputabilité d'un dommage à un événement donné, puisque c'est l'élimination des autres causes possibles de ce dommage qui rend vraisemblable l'origine que l'on cherche à établir, à défaut d'éléments tangibles permettant d'établir directement le caractère causal de cet événement (7).

Or, dans cette affaire, la victime n'était pas en mesure d'établir directement l'imputabilité de son cancer à l'exposition au Distilbène, et ne pouvait pas non plus présumer cette imputabilité dans la mesure où elle n'avait pas écarté les autres causes possibles de son mal.

La solution semble donc logique et conforme à la méthodologie imposée par la Cour de cassation lorsqu'elle contrôle le travail des juges du fond qui cherchent à établir l'imputabilité du dommage dans un contexte marqué par de fortes incertitudes factuelles ou scientifiques.

Certes, on pouvait discuter de l'interprétation faite par les juges du fond des pièces versées au dossier et du rejet de nombre d'entre-elles compte tenu de l'ancienneté des faits. Mais, et comme le rappelle (en forme de regret ?) de manière très explicite le communiqué qui accompagne la publication des deux arrêts sur internet, "la Cour de cassation, dont la mission est d'harmoniser l'interprétation de la loi et de s'assurer de la conformité des décisions de justice à la règle de droit, ne constitue pas un troisième degré de juridiction. Il ne lui appartenait pas, dès lors, de contrôler l'appréciation par la cour d'appel de la portée et de la valeur des éléments de preuve qui lui avait été soumis".

Deuxième et troisième affaires et condamnation des deux laboratoires. Dans les deuxième et troisième affaires, la patiente se trouvait dans une situation quasiment identique à la précédente. Pour ce qui concerne la première affaire évoquée (n° 08-16.305), la patiente était, également, née en 1965 et avait, elle aussi, souffert d'un adénocarcinome à cellules claires du col utérin qui avait été décelé et opéré en 1986. Elle avait été, également, déboutée en appel de l'ensemble de ses demandes car elle n'avait pas été en mesure de rapporter la preuve directe de son exposition au DES, sa mère n'ayant conservé aucun document de l'époque, le médecin ayant suivi la grossesse étant entre temps décédé et la pharmacie censé avoir délivré le médicament ne présentant aucune archive probante. La requérante ne pouvait se fonder que sur une mention portée sur son carnet de santé par sa mère, sans aucune datation possible, et par une attestation sur l'honneur, produite également par cette dernière en cours de procédure, ce qui avait là aussi conduit la cour d'appel de Versailles à les écarter en raison de leur faible force probante et du lien unissant le témoin à la plaignante (8).

Compte tenu du fait que la cour d'appel de Versailles avait soigneusement motivé la mise hors de cause des laboratoires, le rejet des pourvois semblait plus que vraisemblable.

La cassation. Or, si le premier arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi, le deuxième est cassé pour violation de la loi, tout comme d'ailleurs le troisième (n° 08-18.837) au prix d'une argumentation astucieuse mais qui peut laisser perplexe à plus d'un titre.

Cet arrêt est, en effet, cassé pour violation des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1315 du Code civil, les juges ayant, dans la deuxième affaire, "constaté que le DES avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que [la demanderesse] avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, de sorte qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage", et dans la troisième "qu'en cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage".

Pour bien comprendre les raisons de ces cassations, et singulièrement celle survenue dans la deuxième affaire rendue le même jour que le rejet des prétentions d'autres victimes, il convient de se plonger dans l'arrêt rendu par la cour de Versailles car ni la motivation de la cassation, ni le communiqué de presse ne permettent véritablement de comprendre les raisons d'une telle différence de traitement entre les deux requérantes.

Dans cette affaire, la cour de Versailles s'était, en effet, fondée sur les conclusions du collège expertal, particulièrement explicites, qui, "s'appuyant sur la base d'une analyse exhaustive de toute la littérature qui lui a été communiquée, affirme de façon formelle qu'après vérification approfondie, il n'a identifié aucune description d'un adénocarcinome vaginal de type de celui présenté par la requérante chez une jeune femme non exposée in utero aux estrogènes, qu'aucun travail épidémiologique sérieux n'a identifié le moindre facteur de risque dans l'apparition de tableaux tumoraux tels que présentés par [la requérante], qu'il ajoute qu'on peut donc affirmer sans la moindre ambiguïté que le DES a bien été la cause directe de la pathologie tumorale".

En d'autres termes, les experts, dont les conclusions avaient été adoptées par la cour d'appel, avaient exclu que la pathologie dont souffrait la patiente puisse avoir une autre cause que l'exposition au DES, ce qui constitue une différence capitale avec l'affaire précédente dans laquelle les experts, et dans leur sillage les juges, avaient considéré que la pathologie pouvait avoir d'autres causes. A partir du moment où la seule cause possible du dommage était l'exposition au DES, alors l'imputabilité pouvait valablement être présumée en dépit de l'absence de preuve documentaire directe.

L'application inédite de la théorie de la coaction. Un obstacle s'opposait toutefois à la mise en cause des laboratoires puisque la victime ne pouvait pas dire lequel des deux médicaments était en cause.

Pour sortir de cette impasse, la Cour de cassation a fait, ici, application d'une ancienne jurisprudence concernant les dommages causés par le membre indéterminé d'un groupe déterminé, ce qui permet de condamner in solidum chaque membre de ce groupe, à moins qu'il ne prouve n'avoir pas causé le dommage en question.

Une fois l'imputabilité de l'affection au DES admise, chaque fabricant est donc présumé responsable de l'entier dommage, dans la mesure où il est susceptible de l'avoir causé, à moins qu'il n'établisse, avec certitude (9), qu'il n'a pas pu le causer (10). Appliquée à notre affaire, la solution conduit la première chambre civile de la Cour de cassation à affirmer "qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage", et que la cour d'appel, qui n'avait pas fait application de cette règle, doit voir son arrêt cassé.

Des solutions difficilement conciliables. L'examen comparé de ces décisions n'est pas sans susciter une double gêne tant elles aboutissent à des résultats opposés dans des circonstances pourtant si proches.

Un raisonnement artificiel. En premier lieu, la solution consistant à tenir pour vraisemblable l'hypothèse d'une exposition au DES, et de transférer sur les épaules des deux seuls laboratoires fabricant la molécule incriminée la charge, et le risque, de la preuve contraire, est incontestablement astucieuse, elle n'en est pas moins discutable sur le plan de la rigueur juridique.

L'analogie avec les solutions traditionnellement admises par la jurisprudence sur l'action collective est, en effet, en partie inexacte. Dans les affaires mettant en cause un groupe de chasseurs ou de délinquants, la présomption qui pèse sur chaque membre du groupe repose sur la certitude que le dommage a bien été causé par un membre du groupe et que chaque membre du groupe est susceptible de l'avoir causé puisqu'il participait, au même titre que les autres, à l'action dommageable, seule l'identité de la personne ayant causé le dommage demeurant donc incertaine. La condamnation de chaque membre se justifie alors à la fois par le fait qu'il est vraisemblable qu'il a pu causer le dommage et qu'il doit en répondre puisqu'il a, en quelque sorte, exposé par son action la victime à un risque de dommage qui s'est finalement réalisé.

Or, dans l'affaire de l'exposition au DES, il n'était ni allégué, ni établi que la mère ait pris les deux médicaments (11) ; il ne s'agit donc pas ici d'une hypothèse de "coaction" mais d'un doute portant sur le principe même de la participation de l'un des deux à l'action dommageable, sans qu'il soit donc question d'une action collective, ce qui est très différent.

Une preuve contraire impossible à rapporter. A ce premier obstacle, s'ajoute le caractère très artificiel de l'affirmation selon laquelle chaque laboratoire pourrait échapper à la condamnation en prouvant que son produit n'a pas causé le dommage. En l'absence de toute trace écrite de la prescription ou de la délivrance des produits, il semble en effet pratiquement impossible qu'un laboratoire parvienne à exhumer un document indiquant directement que la plaignante avait en réalité été exposée au produit du concurrent ; il paraît tout aussi impossible de prouver que le cancer dont elle souffrait avait une autre cause, car c'est précisément l'absence d'autre cause possible qui justifie la présomption qui pèse sur les laboratoires. La porte se referme donc derrière l'application de la présomption.

Un poids, deux mesures. Ces arrêts mettent également en lumière les limites de la logique qui prévaut, aujourd'hui, à la Cour de cassation dans ce genre d'affaires et qui consiste à laisser aux juges du fond le soin de décider souverainement s'il y a lieu ou non de condamner les laboratoires, dès lors qu'ils ont respecté les consignes méthodologiques par elle définies. Mais à condition de ne pas se contenter de cette première explication, comment justifier que, dans des circonstances aussi proches, la première victime soit déboutée et la seconde indemnisée, sous prétexte que les experts avaient dans la première considéré que d'autres causes pouvaient être envisagées pour expliquer le cancer, et au contraire acquis la certitude que le DES était nécessairement incriminé ? Est-il vraiment souhaitable de laisser s'instaurer en France de telles différences de traitement entre les victimes et de laisser les experts peser aussi lourd sur le débat judiciaire, surtout lorsqu'autant de doutes existent sur l'étiologie exacte des pathologies en cause ?

2.2.2. Vaccins anti hépatite B

Est légalement justifié le refus d'indemniser un patient qui imputait une poussée de sclérose en plaques à l'administration de doses de vaccins anti hépatite B, la cour d'appel ayant souverainement retenu que les données scientifiques et les présomptions invoquées ne constituaient pas la preuve d'un lien de causalité entre la vaccination et l'apparition de la maladie.

Contexte. Après s'être opposée à la reconnaissance d'un quelconque lien entre ces vaccins et les maladies, de type sclérose en plaques, présentées par certains patients de manière inexplicable (12), la Haute juridiction avait fait naître l'espoir en imposant aux juges du fond une méthode, fondée sur la recherche concrète de présomptions graves, précises et concordantes, et en cassant, pour la première fois, un arrêt d'appel qui avait débouté une victime de sclérose en plaques (13), puis de nouveau semé le doute (14), puis encore une fois donné des signes très encourageant en censurant un arrêt qui avait débouté une victime d'une affection post vaccinale (15), en entérinant une première condamnation d'un laboratoire dans une affaire de sclérose en plaques (16), puis, enfin, en allégeant considérablement le fardeau probatoire des victimes du Distilbène (17).

L'affaire. De nouveau, dans cet arrêt publié en date du 24 septembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation souffle le froid en rejetant sèchement le pourvoi d'une victime qui avait été déboutée en appel alors qu'elle imputait sa sclérose en plaques à l'administration de plusieurs doses d'un vaccin anti hépatite B (18).

Une jurisprudence difficilement compréhensible pour les victimes. Cette succession de solutions rendues en sens apparemment contraire a de quoi donner le tournis au plus solide des observateurs.

Elle s'explique pourtant assez simplement par le choix d'une méthode et la volonté de laisser les juges du fond apprécier souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve rapportés par les parties. Depuis la série d'arrêts rendus en mai 2008, dans les affaires mettant en cause les vaccins anti hépatite B dans l'apparition de maladies auto-immunes, la Cour de cassation a, en effet, clairement indiqué aux juges du fond qu'ils devaient nécessairement s'attacher à déterminer si les éléments de preuve apportés par les plaignants pouvaient constituer des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir l'imputabilité de ces affectations à la vaccination et le défaut des vaccins incriminés, et qu'ils pourraient exercer souverainement leur compétence dans ce cadre là. Et c'est exactement ce qui s'est passé dans cette décision ou, en dépit d'une motivation fouillée, le pourvoi a été rejeté au nom du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, même si on peut penser que le délai de six mois séparant la dernière injection de l'apparition des premiers symptômes de la sclérose en plaques était de nature à écarter la présomption d'imputabilité (19).

Comme on pouvait le craindre, et comme l'a d'ailleurs dernièrement rappelé la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'affaire du Distilbène (20), le rôle de la Cour de cassation n'est pas de statuer comme troisième degré de juridiction, mais de s'assurer de l'application uniforme du droit sur l'ensemble du territoire national.

Cette nouvelle décision qui refuse de condamner un laboratoire fabricant l'un des deux vaccins anti hépatite B démontre également qu'il ne fallait pas crier victoire trop tôt après la première condamnation intervenue en juillet 2009, car celle-ci reposait, non sur un jugement porté sur les qualités propres du vaccin mais sur les insuffisances de la notice d'information remise aux patients, notice qui avait été complétée il y a près de quinze ans (21).

Il n'est pas certain que la méthode mise en oeuvre, pourtant parfaitement conforme à la logique judiciaire, soit durablement tenable car elle donne finalement le sentiment d'une "justice-loterie" où la solution dépend moins de la règle de droit applicable que de la sensibilité d'un juge ou des convictions d'un expert. De nouveau, la logique qui anime le droit de la responsabilité montre ses limites et, de nouveau, les regards se tournent vers les pouvoirs publics qui, seuls, peuvent instaurer un régime d'indemnisation équitable pour tous.


(1) Dernièrement, Cass. civ. 2, 8 janvier 2009, n° 08-13.371, Société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (MATMUT), F-D (N° Lexbase : A1628ECB), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 346 du 10 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0185BK3).
(2) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, 2 arrêts, n° 04-16.180, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4988DN3) et n° 04-16.179, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4987DNZ), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 164, et les obs. ; RTDCiv., 2006, p. 565, note P. Jourdain ; RDC, 2006, p. 844, obs. J.-S. Borghetti. En appel : CA Versailles, 3ème ch., 30 avril 2004, 2 arrêts, n° 02/05924, UCB Pharma c/ Ingrid Criou (N° Lexbase : A0032DC8) et n° 02/05/925, UCB Pharma c/ Nathalie Bobet (N° Lexbase : A0033DC9), Resp. civ. et assur., 2004, chron. 22, nos obs. ; D., 2004, p. 2071, note A. Gossement ; LPA, 22 juin 2005, p. 22, note P.-L. Niel.
(3) Lamy Droit civil, n° 65, novembre 2009, p. 24 ; Droit de la famille, 20 septembre 2009, n° 7, p. 2, note A. Batteur ; Gaz. Pal., 25 et 26 novembre 2009, p. 14 à 20, note de J.-A. Robert et A. Regniault.
(4) CA Versailles, 29 novembre 2007, n° RG 06/7676.
(5) Pour l'imputabilité de poussées de sclérose en plaques à l'administration d'un vaccin anti hépatite B : Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S), et nos obs., Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4910BGX).
(6) Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-13.791, M. Jean-François Mariotti, FS-P+B (N° Lexbase : A0573EBT), Bull. civ. I, n° 245.
(7) Notre étude, Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, Mélanges en l'honneur de Philippe le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 885 et s..
(8) CA Versailles, 10 avril 2008, RG n° 07/02482, SA UCB Pharma c/ Mme M.-E. Ferrero (N° Lexbase : A1646D9T).
(9) Chaque participant supporte ainsi la charge et le risque de la preuve contraire : CA Dijon, ch. civ., sect. B, 13 mai 2003.
(10) Comp. dernièrement, s'agissant du refus de consacrer une hypothèse de garde commune : Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-21.163, Mme Régine Kisielewski épouse Messialle, F-D (N° Lexbase : A5254EB9), Resp. civ. et assur., 2009, comm. 41, obs. H. Groutel.
(11) Dans la première affaire, au contraire, la requérante avait versé au débat un témoignage de sa mère indiquant qu'elle avait pris du Distilbène, et non l'autre médicament.
(12) Cass. civ. 1, 23 septembre. 2003, n° 01-13.063, Société Laboratoire Glaxo-Smithkline c/ Mme X, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811C94), Resp. civ. et assur., 2003, nos obs., chron. 28 ; D., 2004, p. 898, note Y.-M. Sérinet et R. Mislawski ; JCP éd. G, 2003, II, 10179, note coll. ; RLDC, 2004, p. 11, chron. S. Hocquet-Berg ; RTDCiv., 2004, obs. P. Jourdain.
(13) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, préc. note (5) et nos osb. ; lire, notamment, J. Peigné, RDSS, 2008, p. 578 ; L. Grynbaum, JCP éd. G, 2008, II, 10131 ; P. Jourdain, RTDCiv., 2008, p. 492 ; S. Hocquet-Berg, Gaz. Pal., 9 octobre 2008 n° 283, p. 49 ; J.-S. Borghetti, RDC, 2008, p. 1186 ; P. Stoeffel-Munck, JCP éd. G, 2008, I, 186, n° 3.
(14) Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 07-16.449, Mme Fabienne Lavoisier, épouse Wiart, FS-P+B (N° Lexbase : A6369ECU), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), préc. : sclérose en plaques post vaccinale.
(15) Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08-12.781, M. Jean-Philippe Guihaumé, FS-P+B (N° Lexbase : A4173EIE) : jeune garçon qui avait reçu la troisème dose de Stallergènes MRV et qui avait présenté, le même jour, une affection neurologique caractérisée par des convulsions et une épilepsie sévère évoluant vers une dégradation intellectuelle.
(16) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, Société Sanofi Pasteur MSD, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0028BLM), Gaz. Pal., 13 août 2009, n° 225, p. 9, avis A. Legoux, Resp. civ. et assur., 2009, notre chron..
(17) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 08-16.305, préc., Resp. civ. et assur., 2009, nos obs..
(18) JCP éd. G, n° 48, 23 novembre 2009, chron. N. Molfessis.
(19) Sur le rôle joué par ce délai, notre étude Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, préc..
(20) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, préc..
(21) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, préc..

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