La lettre juridique n°362 du 10 septembre 2009 : Fiscalité financière

[Jurisprudence] Le boni de cession est un revenu distribué pouvant faire l'objet d'une retenue à la source

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296052, Société Fiteco, Publié au Recueil Lebon (N° Lexbase : A1242EK9)

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par Frédéric Dieu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille

le 07 Octobre 2010

Modifier le fondement de l'imposition pour sauver l'application de la retenue à la source, tels sont peut-être le principal apport et le principal objectif de la décision rendue par le Conseil d'Etat le 31 juillet 2009. En effet, eût-il persisté à fonder sur le seul article 161 du CGI (N° Lexbase : L2470HNS) l'imposition de l'excédent du remboursement des droits sociaux rachetés à ses actionnaires par une société, que le Conseil d'Etat n'aurait pu assujettir cet excédent à la retenue à la source dans le cas où les actionnaires n'auraient pas résidé en France. Par sa décision du 31 juillet 2009, le Conseil revient, ainsi, sur sa jurisprudence traditionnelle pour fonder l'imposition en cause sur l'article 109, 1-2° du CGI (N° Lexbase : L2060HLU), l'article 161 du CGI n'étant plus désormais qu'un texte permettant de déterminer l'assiette de cette imposition et donc de la calculer. Il n'en demeure pas moins que, dans le cas où la société qui rachète ses propres actions ne procède pas ensuite à l'annulation des titres rachetés, la qualification de revenus distribués de l'excédent du remboursement des droits sociaux rachetés est contestable : dans un tel cas, la combinaison des articles 119 bis (N° Lexbase : L3843IAL) et 161 du CGI est seulement un moindre mal pour l'actionnaire non-résident qui eût pu revendiquer l'absence totale de retenue à la source. 1. La décision du 31 juillet 2009 modifie le fondement de l'imposition des sommes correspondant aux rachats par une société de ses droits sociaux

1.1. Une imposition jusqu'alors fondée sur l'article 161 du CGI

Le régime fiscal des actionnaires personnes physiques (mais la jurisprudence ne distingue pas leur situation de celle des actionnaires personnes morales, cf. infra), dont les titres sont rachetés par la société émettrice, dépend de la procédure juridique de rachat utilisée par la société. Lorsque le rachat est réalisé en vue d'une attribution des titres rachetés aux salariés (C. com., art. L. 225-208 N° Lexbase : L5391G7S), ou en vue d'un rachat par une société cotée opéré dans le cadre d'un plan de rachat d'actions cotées sur un marché réglementé (C. com., art. L. 225-209 N° Lexbase : L7002ICC à L. 225-12), c'est le régime des plus-values mobilières (CGI, art. 112, 6° N° Lexbase : L2650HNH qui renvoie à : CGI, art. 150-0 A N° Lexbase : L3635ICM ou CGI, art. 150-0 B N° Lexbase : L2312HL9) qui s'applique. En revanche, lorsque le rachat est réalisé en vue d'une réduction de capital non motivée par des pertes (C. com., art. L. 225-207 N° Lexbase : L8298GQE), c'était le régime des revenus de capitaux mobiliers (CGI, art. 109 ; CGI, art. 112, 1° ; CGI, art. 120, 3° N° Lexbase : L2125HLB et CGI, art. 161) qui devait s'appliquer de manière exclusive à cette procédure juridique. La loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU) a, cependant, modifié ce dispositif en prenant en compte, notamment, l'enrichissement réel des actionnaires (personnes physiques) depuis l'acquisition ou la souscription des titres jusqu'au rachat et en leur permettant, également, de constater les moins-values subies lors de ces rachats. Ces mesures n'ont remis en cause ni l'imposition dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers du boni réalisé lors d'un rachat, ni ses modalités de calcul (CGI, art. 161 modifié).

L'on voit donc que deux régimes étanches coexistent : d'un côté, celui des cessions d'actions ou autres droits sociaux à des tiers qui sont soumis au régime des plus-values de cessions, taxées à un taux proportionnel ; de l'autre, celui des rachats d'actions ou de droits sociaux par les sociétés émettrices, qui sont considérés comme des distributions de bénéfices, l'actionnaire étant alors soumis à l'impôt sur le revenu au taux progressif.

Précisément, la jurisprudence du Conseil d'Etat a eu pour but de maintenir ce cloisonnement en affirmant que le gain provenant du rachat de titres par une société soumise à l'impôt sur les sociétés constitue pour un associé personne physique, en l'absence de disposition de la loi prévoyant un autre traitement fiscal et dans la mesure où le prix d'acquisition par celui-ci est supérieur au montant de l'apport remboursable en franchise d'impôt, "non un gain net en capital relevant du régime d'imposition des plus-values de cession, mais un boni de cession qui a la même nature qu'un boni de liquidation, imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers" (CE, 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 179647, M. Roesch N° Lexbase : A1979AI7, Dr. fisc., 2001, n° 15, comm. 337, concl. J. Courtial, RJF, 2001, n° 310, BDCF, 2001, n° 38, concl. J. Courtial  ; CE, 3° s-s., 30 juillet 2003, n° 220260, M. Boutin N° Lexbase : A2708C98, Dr. Sociétés, 2003, comm. 218, note J.-L. Pierre ; CE, 9° et 10° s-s-r., 28 février 2007, n° 284565, Ministre c/ Mme Persicot N° Lexbase : A4284DU9, RJF, 2007, n° 599, BDCF, 2007, n° 61, concl. L. Vallée). Dans ces décisions, le Conseil d'Etat s'est appuyé sur l'article 161 du CGI, pour qualifier de revenus de capitaux mobiliers les gains provenant des rachats de droits sociaux effectués conformément aux dispositions de l'article L. 225-207 du Code de commerce (rachat par une société de ses propres actions en vue d'une réduction de son capital non motivée par des pertes). Aux termes de cet article 161 : "le boni attribué lors de la liquidation d'une société aux titulaires de droits sociaux en sus de leur apport n'est compris, le cas échéant, dans les bases de l'impôt sur le revenu que jusqu'à concurrence de l'excédent du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d'acquisition de ces droits dans le cas où ce dernier est supérieur au montant de l'apport", et "la même règle est applicable dans le cas où la société rachète au cours de son existence les droits de certains associés".

Jusqu'à l'intervention de la décision "Fiteco" du 31 juillet 2009, le Conseil d'Etat considérait, donc, que l'imposition de l'excédent du remboursement des droits sociaux rachetés à ses actionnaires par une société était fondée sur les seules dispositions de l'article 161 du CGI, se démarquant ainsi de l'administration qui fondait cette imposition sur une combinaison des articles 112-1° et 161 du CGI. Selon l'administration, en effet, l'article 161 du CGI était seulement un texte d'assiette, c'est-à-dire une disposition permettant de calculer l'impôt, et non un texte d'imposition, c'est-à-dire une disposition fondant l'impôt. Ce faisant, l'administration était cependant conduite (et peut-être était-ce là la principale justification de son raisonnement) à toujours fixer la base imposable au titre des revenus mobiliers entre les mains des actionnaires à la différence entre la somme reçue par ces derniers en remboursement des titres cédés à la société et le prix ou la valeur d'acquisition de ces titres, ce même dans le cas où le prix d'acquisition était inférieur à la valeur de l'apport. Au contraire, la jurisprudence du Conseil d'Etat visait et vise -car, sur ce point, la décision "Fiteco" du 31 juillet 2009 n'innove pas- à fixer en principe l'assiette de ces revenus de capitaux mobiliers à la différence entre la somme reçue par les actionnaires en remboursement des titres cédés à la société et le prix ou la valeur d'acquisition de ces titres, sauf dans le cas où le prix d'acquisition était inférieur à la valeur de l'apport : dans ce cas, en effet, le Conseil d'Etat fixe l'assiette de l'imposition à la différence entre le remboursement et le montant de l'apport. En se fondant sur le seul article 161 du CGI, le Conseil d'Etat prenait ainsi une position plus favorable aux actionnaires, justifiée par la nature de revenus de capitaux mobiliers du boni de liquidation. Dès lors que l'article 161 assimile le boni de cession dégagé par le rachat d'actions au boni de liquidation, ce boni de cession ne pouvait qu'appartenir à la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Selon le Conseil, les dispositions de l'article 161 constituaient, donc, "un régime particulier de taxation des revenus mobiliers" (J. Courtial, conclusions sous la décision "Roesch"). Placer ainsi l'article 161 du CGI à part des autres articles consacrés aux revenus de capitaux mobiliers était d'ailleurs assez logique puisque, bien que rattaché à ces revenus, il répond à une approche d'imposition des plus-values et ne peut donc se combiner avec des dispositions qui ont pour objet d'imposer la totalité d'une somme perçue.

Ajoutons que, jusqu'à la décision "Fiteco", le considérant de principe relatif à l'imposition de l'excédent des rachats d'actions, imposition fondée, donc, sur le seul article 161 du CGI, semblait subordonner l'application de cette imposition à l'annulation des droits sociaux rachetés, le Conseil se référant, en effet, à "l'excédent éventuel du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d'acquisition de ces droits".

Dès 2006, dans l'arrêt qui a été annulé par la décision "Fiteco", la cour administrative d'appel de Nantes s'était cependant écartée de la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat en considérant que c'étaient les dispositions de l'article 109-1, 2° (selon lequel sont des revenus de capitaux mobiliers "toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés [...] et non prélevées sur les bénéfices") qui s'appliquaient aux sommes versées par une société à l'un de ses actionnaires pour le rachat des actions que celui-ci détenait dans la société, la cour qualifiant, en effet, ces sommes de revenus distribués (CAA Nantes, 1ère ch., 22 mai 2006, n° 04NT00710 N° Lexbase : A7752DQ8, RJF, 2006, n° 1539, Dr. fisc., 2007, n° 12, comm. 305, concl. C. Hervouet).

Plus récemment, quelques mois avant la décision "Fiteco", la cour administrative d'appel de Paris s'est également écartée de la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat en considérant cette fois que c'est la combinaison des dispositions de l'article 109-1, 2° et des dispositions de l'article 161 du CGI qui doit conduire à taxer dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers les plus-values tirées du rachat de droits sociaux opéré au titre de l'article L. 225-207 du Code de commerce (CAA Paris, Formation plénière, 19 décembre 2008, n° 06PA03782, Société Pfizer Holding France N° Lexbase : A6610ECS, RJF, 2009, n° 743 ; cf. aussi, sur ce point, CAA Paris, 2ème ch., 4 février 2009, n° 08PA00863, Mlle Erra N° Lexbase : A5219EDN, RJF, 2009, n° 642). Ces arrêts de la cour administrative d'appel de Paris ont, ainsi, ouvert la voie à la solution retenue par le Conseil d'Etat dans la décision "Fiteco" du 31 juillet 2009.

Précisons, enfin, que la jurisprudence ne traite pas différemment les actionnaires personnes morales des actionnaires personnes physiques. En effet, si les associés concernés par les rachats de droits sociaux étaient, dans les décisions "Roesch" et "Boutin", des personnes physiques, il s'agissait, dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, d'une société civile (CAA Lyon, 2ème ch., 31 mai 2001, n° 00LY02511, Société Fields service N° Lexbase : A8740AZQ, Dr. Sociétés, 2002, comm. 33, note J.-L. Pierre, Dr. fisc., 2002, n° 14, comm. 288, concl. C. Millet) et, dans l'arrêt "Société Pfizer Holding France" de la cour administrative d'appel de Paris, d'une société de droit étranger. Cette dernière solution est donc particulièrement importante pour les sociétés étrangères : elle leur évite, lorsque l'opération de rachat de droits sociaux qu'elles détiennent se traduit (pour elles) par une moins-value, de faire l'objet d'une imposition sur une assiette égale au montant du rachat ou à une partie de celui-ci.

1.2. Une imposition résultant, désormais, de la combinaison des dispositions des articles 109, 1-2° et 161 du CGI

La décision du 31 juillet 2009 s'est donc prononcée sur la solution rendue par la cour administrative d'appel de Nantes dans l'arrêt du 22 mai 2006. Dans cet arrêt, le Conseil indique, d'abord, que "le rachat par une société, au cours de son existence, à certains de ses associés ou actionnaires personnes physiques, des droits sociaux qu'ils détiennent, notamment sous forme d'actions, correspond, sous réserve des dispositions de l'article 112 du Code général des impôts, à une mise à disposition au sens du 2° du 1 de l'article 109 du même code, susceptible de donner lieu à l'application de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code". Sur ce point, le Conseil d'Etat a confirmé la solution qui avait été retenue par la cour administrative d'appel de Nantes dans l'arrêt qui lui était soumis en tant que juge de cassation et il a donc nettement affirmé, pour la première fois, que l'imposition de l'excédent du remboursement des droits sociaux rachetés à ses actionnaires par une société était fondée sur les dispositions de l'article 109-1, 2° du CGI et non sur celles de l'article 161 du CGI. La décision "Fiteco" modifie, donc, le fondement de cette imposition et, rejoignant, sur ce point, la position traditionnelle de l'administration, fait de l'article 161 du CGI un texte d'assiette, le Conseil affirmant que, "en vertu du second alinéa de l'article 161 du même code, qui, en se référant à la même règle' que celle prévue au premier alinéa, ne renvoie, eu égard à la différence d'objet entre les deux alinéas de cet article, qu'au mode de calcul de l'assiette, le prix du rachat ne correspond, pour chaque actionnaire, à un revenu distribué qu'à concurrence de l'écart, s'il est positif, entre le prix de ce rachat et celui auquel il a lui-même acquis les actions".

La situation est donc, aujourd'hui, la suivante : l'article 109, 1-2° du CGI est le fondement juridique de l'imposition de l'excédent du remboursement des droits sociaux rachetés à ses actionnaires par une société ; l'article 161 du CGI est l'assiette de cette imposition et permet de la calculer. En conséquence, lorsqu'une société rachète des titres à l'un de ses actionnaires résidant à l'étranger, elle doit soumettre la somme représentative de l'écart entre le prix de rachat (par elle) et le prix d'acquisition (par son actionnaire) des titres à une retenue à la source, à condition que cet écart soit positif pour l'actionnaire. Cette application de la retenue à la source est rendue possible par la modification du fondement de l'imposition : en effet, si le Conseil d'Etat avait persisté à fonder cette imposition sur les seules dispositions de l'article 161 du CGI, la retenue à la source prévue par l'article 119 bis du CGI n'aurait pu s'appliquer, puisque ces dispositions s'appliquent seulement aux "produits visés aux articles 108 à 117 bis". En revanche, dès lors que le fondement de l'imposition est l'article 109, 1-2° du CGI, la retenue à la source doit s'appliquer et être opérée par la société qui procède au rachat des actions.

S'agissant du mode de calcul de la retenue à la source ainsi opérée, le Conseil d'Etat a nettement infirmé la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nantes dans l'arrêt du 22 mai 2006 puisqu'il a considéré "qu'en jugeant que l'administration fiscale était fondée à asseoir la retenue à la source assignée à la société sur la totalité du prix du rachat versé à son actionnaire, alors que les sommes versées ne peuvent être regardées comme un revenu distribué à l'actionnaire qu'à concurrence de l'excédent du remboursement des droits sur leur prix d'acquisition, en application du second alinéa de l'article 161 du Code général des impôts, la cour [avait] entaché sa décision d'une erreur de droit". En effet, dans son arrêt, la cour administrative d'appel de Nantes avait écarté l'application des dispositions de l'article 161 du CGI au motif que le rachat d'actions en cause n'avait pas été suivi de l'annulation des titres rachetés. Ce faisant, la cour n'avait fait que reprendre la solution résultant du considérant de principe de la décision "Roesch". Souhaitant affirmer l'applicabilité de cet article, comme texte d'assiette, à tous les rachats d'actions (qu'ils soient ou non suivis de l'annulation des titres rachetés), le Conseil d'Etat a été conduit à revenir sur sa jurisprudence antérieure, affirmant désormais que "ces dispositions relatives au rachat de droits sociaux [les dispositions de l'article 161 du CGI] trouvent application que les droits sociaux aient été ou non annulés après leur rachat par la société émettrice". Dans l'arrêt "Erra" précité, la cour administrative d'appel de Paris avait d'ailleurs déjà écarté la condition relative à l'annulation des titres. Outre que cette solution était économiquement nécessaire pour ne pas défavoriser l'actionnaire non-résident en asseyant, en l'absence d'annulation des titres rachetés, la retenue à la source sur la totalité du prix du rachat qui lui avait été versé, elle peut juridiquement se fonder sur la distinction des articles 161-1° et 161-2° : en effet, si le premier alinéa de l'article borne son champ d'application aux liquidations de sociétés impliquant mécaniquement l'annulation des titres, son deuxième alinéa étend cette application au cas du rachat d'actions par la société sans la conditionner à leur annulation.

2. Une combinaison contestable mais permettant tout de même de limiter l'imposition due par les actionnaires non-résidents

2.1. L'application des dispositions de l'article 109, 1-2° du CGI est contestable lorsque les titres rachetés par la société ne sont pas annulés par elle

En fondant l'imposition de l'excédent du remboursement des droits sociaux rachetés à ses actionnaires par une société sur les dispositions de l'article 109, 1-2° du CGI, le Conseil d'Etat a retenu une solution contestable, en particulier dans le cas où la société ne procède pas à l'annulation des titres rachetés.

En effet, comme l'avait fait le commissaire du Gouvernement C. Hervouet, dans ses conclusions sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 22 mai 2006, il faut souligner que, d'un point de vue logique, les sommes versées par la société pour le rachat de ses actions ne sont pas véritablement versées à l'actionnaire en sa qualité d'actionnaire, mais le sont en contrepartie de la perte de sa qualité d'actionnaire. Or, si le bénéficiaire des sommes en cause ne peut plus être véritablement qualifié d'actionnaire, il ne peut y avoir distribution au sens des dispositions de l'article 109, 1-2°, et les sommes en cause s'apparentent, alors, plutôt à un produit de cession. Cette remarque vaut en particulier dans le cas où la société ne procède pas à l'annulation des titres rachetés. Dans ce cas, en effet, le rachat des actions n'a eu aucun impact, au bilan, sur la valeur globale de l'actif net, puisque la société ne s'est pas appauvrie en rachetant ses actions, les liquidités ayant disparu de son actif étant ensuite compensées par des titres de valeur égale. Dans ce cas, la société se trouve dans une situation identique à celle dans laquelle l'associé aurait directement cédé ses titres à un tiers. Cette situation est donc différente de l'opération de rachat de titres suivie d'une réduction de capital : dans ce cas, en effet, il peut exister des réserves et des bénéfices qui sont susceptibles d'être appréhendés par l'associé. En revanche, lorsque la société ne procède pas à l'annulation des titres rachetés, le droit aux bénéfices et aux réserves de celle-ci est préservé et elle ne connaît pas de changement dans la composition de ses capitaux propres, seule étant modifiée l'identité de l'associé détenant ces titres, ce qui va donc plutôt dans le sens de reconnaissance d'une cession des titres et non d'une quelconque appréhension de revenus distribués.

Ajoutons que les dispositions de l'article L. 225-214 du Code de commerce (N° Lexbase : L8272GQG) imposent que les actions rachetées en vue d'être annulées soient cédées dans un délai d'un an ou, à défaut, annulées. Aussi longtemps que la société n'annule pas les actions qu'elle a acquises auprès de ses actionnaires, on peut s'interroger sur la reconnaissance d'un "désinvestissement" pour cette société, puisque celle-ci reçoit bien une contrepartie en échange de la somme qu'elle a versée à son actionnaire, cette contrepartie étant représentée par l'acquisition d'un élément d'actif d'égale valeur. Or, la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat conditionne la taxation au titre de l'article 109, 1-2° du CGI, à l'existence d'un désinvestissement au niveau de la société (CE, plén., 5 décembre 1984, n° 46962, Mme Etienvre N° Lexbase : A4105ALM, Dr. fisc., 1985, n° 22-23, comm. 1068, RJF, 1985, n° 251, concl. M.-A. Latournerie, p. 96 et s., C. David, O. Fouquet, B. Plagnet et P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz 2003, 4ème éd., thème 39, n° 8).

Au total, dans le cas où la société ne procède pas à l'annulation des titres rachetés, la qualification de revenus distribués des sommes versées à son actionnaire pour le rachat de ces titres s'accorde mal avec l'absence d'appauvrissement de sa part.

2.2. L'application des dispositions de l'article 161 du CGI permet de "neutraliser" l'assiette plus large de l'article 119 bis du CGI

En indiquant que la retenue à la source opérée par la société rachetant des actions à un actionnaire non-résident doit être calculée sur le fondement des dispositions de l'article 161 du CGI, le Conseil d'Etat, outre qu'il a infirmé la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nantes, a condamné le raisonnement suivi par l'administration qui estimait que, dans le cas où le rachat n'était pas suivi d'une réduction de capital, la retenue à la source était exigible sur la totalité du prix de rachat, entièrement considérée comme un revenu distribué et non pas seulement sur la fraction de ce prix excédant le montant des apports réels ou assimilés (Doc. adm. 4 J-1224, n° 16). Cette position était particulièrement défavorable aux actionnaires non-résidents et de nature à les dissuader de céder leurs actions. L'application pure et simple des dispositions de l'article 119 bis du CGI conduisait, ainsi, à une impasse économique : l'assiette de cette retenue litigieuse est la totalité des "produits", c'est-à-dire des sommes distribuées ; or, l'on ne peut raisonnablement imposer la cession d'une action qu'à raison de la plus-value dégagée par l'actionnaire, la décision d'imposer la totalité du produit rendant de fait impossible la cession par les non-résidents d'actions aux sociétés.

En opérant une combinaison des articles 119 bis et 161 du CGI, le Conseil d'Etat, de manière purement prétorienne, mais dans le but de ne pas décourager la cession d'actions à la société émettrice des titres par les actionnaires non-résidents, a décidé d'asseoir la retenue à la source non sur le montant brut des sommes transférées, mais sur le montant net du profit effectivement réalisé par le non-résident eu égard au prix d'achat qu'il a lui-même supporté. Cette solution était d'ailleurs nécessaire pour assurer la conformité de la retenue à la source au droit communautaire, dans le cas où l'actionnaire auquel les actions sont rachetées est un résident communautaire. En effet, la CJCE a jugé que les articles 59 et 60 du Traité CEE devaient être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale excluant que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non-résident, déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'Etat membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet Etat ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels (CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-290/04, FKP Scorpio Konzertproduktionen GmbH c/ Finanzamt Hamburg-Eimsbüttel N° Lexbase : A3689DR3, RJF, 2007, n° 115).

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