La lettre juridique n°362 du 10 septembre 2009 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Septembre 2009

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N7456BLQ

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Septembre 2009. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211942-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-b-professeur-avec-b-seba
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, on retiendra, d'abord, un arrêt rendu par la première chambre civile le 1er juillet 2009, qui rappelle, en matière de contrats d'assurance vie, la distinction à effectuer selon que la personne suspectée d'insanité d'esprit est encore vivante ou qu'elle est décédée. Et lorsqu'elle est décédée, sans, en plus, avoir été placée sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, les actes qu'elle a passés ne peuvent être attaqués pour cause d'insanité d'esprit que s'ils portent, en eux-mêmes, la preuve d'un trouble mental. Ensuite, sera présenté un arrêt du 20 mai 2009, rendu par la Haute juridiction, et toujours en matière d'assurance vie, qui énonce que le capital stipulé payable lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers n'entre pas dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible. Enfin, en matière d'assurance dommages ouvrages, sera commenté un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, du 1er juillet 2009, qui affirme l'incompatibilité entre la qualité de locataire et celle de maître de l'ouvrage bénéficiaire de l'assurance de responsabilité décennale.
  • Insanité d'esprit et état cérébral lacunaire : la différence est importante aussi en matière de contrats d'assurance vie (Cass. civ. 1, 1er juillet 2009, n° 08-13.402, F-P+B N° Lexbase : A5807EIW)

Tous les moyens sont bons ! Toutes les techniques sont employées par des personnes avides d'argent -peu soucieuses du respect de la paix des familles et de la volonté de leurs aînés et proches- pour tenter de récupérer le capital d'un contrat d'assurance vie. Et de prétendre que la clause bénéficiaire ne doit pas être interprétée de telle ou telle manière ; et de soutenir même que le souscripteur, assuré ne disposait pas de toutes ses facultés mentales au moment de la passation du contrat, de tel avenant ou de telle modification. Nous n'avions quasiment jamais rencontré ce type d'argument (1), tout au moins devant la Cour de cassation : c'est chose faite avec cet arrêt de la première chambre civile, en date du 1er juillet 2009.

En trois ans, à la fin des années 1980, une femme avait souscrit cinq contrats d'assurance vie. Le tiers bénéficiaire de quatre de ceux-ci était sa belle-soeur, l'épouse de son frère, Mme C.. Fin juillet 2003, changeant d'avis, comme le fonctionnement de telles assurances le lui permet, elle avait décidé, après avoir été hospitalisée au cours du mois de juin, de modifier la clause bénéficiaire et de désigner à la place de sa belle-soeur, deux de ses neveux. La vie familiale n'a-t-elle pas de ces rebondissements ? Et au fond, quoi de plus logique, a priori, puisque l'espérance de vie de neveux est plus grande que celle de leurs aînés. Leurs besoins financiers sont, également, plus élevés, parfois, que ceux de leurs parents, même si des exceptions sont indubitables.

Conscient de cet ordre des choses, tous les membres de la famille auraient pu se féliciter de ce changement. Que nenni ! Ce fut, au contraire, l'occasion de se disputer âprement les gains, pour ne pas parler de sources de conflits graves et irrémédiables entre des individus qui se doivent aide et assistance. Et l'on en viendrait presque à comprendre pourquoi Pothier (2), Portalis et tant d'autres (3) étaient hostiles aux assurances vie. Le père de pages mémorables, dans son discours préliminaire du Code civil, sur le droit de la famille, ses vertus et la nécessité de préserver celle-ci à tout prix doit se retourner dans sa tombe (4). Bref ! Loin de rencontrer un tel enthousiasme désintéressé, c'est l'appât du gain qui prédomine.

En effet, la souscriptrice étant décédée, à 92 ans, deux mois après avoir modifié la clause bénéficiaire, sa belle-soeur s'est empressée, et d'invoquer son insanité d'esprit, et d'assigner ses deux fils, tiers bénéficiaires, en annulation de la modification réalisée au mois de juillet, sur les fondements des articles 489 (N° Lexbase : L3043ABC) et 901 (N° Lexbase : L3550AB4) du Code civil. Rappelons que ceux-ci prévoient, respectivement, que "pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit", et que, "pour faire une donation ou un testament, il faut être sain d'esprit". Or, ces textes, applicables à l'espèce, n'ont pas été l'objet de la moindre modification à l'occasion des réformes récentes, comme celle issue de la loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-308, portant réforme de la protection juridique des majeurs N° Lexbase : L6046HUH) ; ils s'appliquent, à l'espèce comme de manière générale, dans ce type de situation.

N'excluons pas, certes, que les deux neveux, manipulateurs, aient su inciter leur tante à leur attribuer cette qualité avantageuse. De là à ce qu'elle soit considérée comme ayant perdu ses facultés mentales, il y a un pas qui ne pouvait être franchi aussi rapidement que d'aucuns le désiraient. En tous les cas, la Cour de cassation ne le souhaite pas et l'on ne peut que saluer son sens de la nuance et du respect d'autrui, fut-il âgé. Ajoutons enfin -et c'est encore là, notamment, une preuve supplémentaire du caractère "éclaté" de la famille qui a peu de chance de se recomposer avec ses membres initiaux- que la soeur des deux gratifiés, nièce de l'assurée et souscriptrice, était intervenue à l'instance pour soutenir les prétentions de sa mère.

Les premiers juges vont commencer par opposer à la mère des neveux et donc à la belle-soeur de cette souscriptrice, son absence d'intérêt à agir. En effet, outre qu'elle n'était plus tiers bénéficiaire, elle n'était pas davantage héritière de l'assurée décédée. Seule la nièce, fille de la bénéficiaire initiale, écartée ensuite, est jugée autorisée à engager une action, mais pour elle-même. Et c'est à ce titre que les magistrats vont prononcer la nullité de l'avenant intervenu en juillet 2003, ce qui a pour conséquence de restituer à la mère de cette nièce et belle-soeur de la défunte, la qualité de bénéficiaire de quatre des contrats conclus. Cette conclusion est reprise -du moins par motifs propres- par la cour d'appel de Reims dans un arrêt en date du 28 janvier 2008. Cette dernière estime, en effet, que la souscriptrice avait "un état cérébral lacunaire" et qu'elle "n'était donc plus en mesure de contracter à la date de signature de l'avenant". Propos graves et lourds de conséquences qui vont permettre à la Cour de cassation d'exercer sa censure.

Nos Hauts magistrats ne vont pas raisonner ainsi, en se fondant sur l'article 489 du Code civil, qui ne se résume pas seulement à l'affirmation rappelée ci-dessus, et comporte deux autres dispositions tout aussi fondamentales : "c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte" et, en outre, "du vivant de l'individu, l'action en nullité ne peut être exercée que par lui, ou par son tuteur ou curateur, s'il lui en a été nommé un. Elle ne s'éteint que par le délai prévu à l'article 1304 (N° Lexbase : L8527HWQ)", c'est-à-dire suivant une prescription abrégée de cinq années. La Cour de cassation, estimant qu'une telle preuve n'a pas été rapportée, casse donc l'arrêt d'appel. Elle rappelle la distinction à effectuer selon que la personne suspectée d'insanité d'esprit est encore vivante ou qu'elle est décédée. Et lorsqu'elle est décédée, comme dans le cas présent, sans, en plus, avoir été placée sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, les actes qu'elle a passés ne peuvent être attaqués pour cause d'insanité d'esprit que s'ils portent, en eux-mêmes, la preuve d'un trouble mental. Dans le cas contraire, l'action ne peut être engagée que par la personne elle-même n'étant plus saine d'esprit, soit son tuteur, soit son curateur. Or, la Cour de cassation estime là encore que les faits de l'espèce ne correspondent à aucun de ces trois cas prévus par l'article 489 du Code civil pour son application.

Une approbation totale de cet arrêt s'impose sur de nombreux plans. Tout d'abord, il convient de ne pas associer l'insanité avérée, constatée de manière officielle, c'est-à-dire par un médecin, et ce qui n'est que supposé, soupçonné, à tort ou à raison. Encore de telles constatations ne peuvent-elles être effectuées par n'importe quel médecin : le médecin traitant habituel n'est pas habilité. Il faut que cet homme de soins figure sur une liste validée par le tribunal de grande instance. Il doit, en outre, émette un avis précis sur le degré de perte d'autonomie de la personne, pour utiliser tant la formule officielle qu'édulcorée pour évoquer les pertes de mémoire des personnes âgées. Or, il est vrai que la nouvelle coqueluche -si nous pouvons nous permettre ce mauvais jeu de mot- de l'opinion publique, ces dernières décennies, s'appelle Alzheimer. S'il ne s'agit, en aucun cas, de contester l'amplification de l'horrible phénomène, il convient aussi d'en respecter les caractéristiques médicales reconnues, et donc de ne pas attribuer à n'importe quelle personne âgée cette terrible maladie.

Ensuite, eu égard aux faits, la solution est bienvenue car, dans une société vieillissante, il ne saurait être question d'admettre que tous les individus de plus de 80 ans, par exemple, après avoir souvent été qualifiés d'inutiles, soient également considérés incapables, dans tous les sens du terme. Il y a là une dérive qu'il convient de ne pas laisser s'amplifier et que la Cour de cassation, dans son infinie sagesse, n'a pas manqué d'entrevoir. Tout juste bons à s'être sacrifiés des années pour accumuler quelques subsides sur lesquels certains vont se ruer.... Enfin et surtout, en droit pur, la solution est à porter au fronton de l'équilibre, du respect d'autrui et de la dignité de la personne humaine réunis.

Car les termes ont un sens. Le Code civil exige une insanité d'esprit, c'est-à-dire -pour exprimer l'idée de manière plus abrupte, mais exacte en droit, selon les propos du dictionnaire Cornu (5)- la démence ou aliénation mentale. Nul doute que l'état cérébral lacunaire constitue au moins un stade antérieur à cette altération grave des facultés mentales. La cour d'appel n'avait qu'à mieux motiver, en droit, sa décision. Et la meilleure preuve que là se situe surtout le reproche de la Cour de cassation, c'est que celle-ci ne casse pas pour manque de base légale -caractéristique de l'insuffisance de faits probants- mais pour violation de la loi, motif utilisé pour sanctionner l'absence de respect des conditions d'un texte. De plus, la Cour de cassation ne ferme pas la porte à toute admission d'une stipulation faite de manière irraisonnée ; elle a, d'ailleurs, déjà déclaré nulles des dispositions prises peu de temps avant le décès du souscripteur. Pour autant, des règles précises doivent être respectées et la motivation soigneusement élaborée.

Pour toutes ces raisons l'arrêt doit être salué. Et pour conclure, disons que les faits de l'espèce ne donnent guère envie d'épargner au cours de sa vie. C'est à ne plus souhaiter avoir des tiers bénéficiaires à désigner dans des contrats d'assurance vie... Heureusement que les généreux stipulants ne voient pas leurs proches se déchirer ainsi, ensuite, sur l'autel de la cupidité.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, membre de l'IRDP

  • Legs avec charges et droit des assurances vie (Cass. civ. 2, 20 mai 2009, n° 08-11.355, FS-P+B N° Lexbase : A1929EHW)

En toute objectivité, ces derniers temps le contentieux du droit des assurances vie devient passionnant pour tout juriste, a fortiori chercheur. Non pas qu'il soit plus volumineux que dans d'autres matières ; mais il ne manque pas de richesse, au singulier ; il gagne en densité. En effet, l'imagination débordante des praticiens eux-mêmes, attisée sans doute par les requêtes nouvelles voire toujours plus insolites des assurés ou souscripteurs, offre une pléiade de litiges intellectuellement intéressante, sans évoquer -bien entendu- les enjeux financiers. A bien y regarder, rien d'étonnant à ce constat : les multiples clauses contractuelles que comprennent les polices d'assurance constituent un vivier pour réaliser des constructions ou montages juridiques adaptés à l'évolution des moeurs, du droit et des besoins économiques des individus.

Pour être précis, indiquons que c'est surtout la clause bénéficiaire qui ouvre des perspectives qui apparaissent, pour l'heure, sans limites. Chaque contrat étant particulier, des formules originales sont ainsi inventées. Et de ce seul et strict point de vue, on ne peut donc que constater qu'une nouvelle étape a été franchie. En effet, il y a quelques mois encore, il était souvent exposé et répété qu'il convenait, pour le souscripteur, d'être attentif au libellé exact retenu, dans son contrat, de la clause bénéficiaire. Et nous fustigions, à l'envi, les méfaits des clauses bénéficiaires standards (6). Il est donc rafraîchissant et encourageant de constater qu'une évolution s'opère, plus vite sans doute que dans d'autres domaines. Les cocontractants débordent d'imagination pour biaiser les moyens fournis par le droit dans des perspectives correspondant davantage à leurs besoins.

En l'espèce, un homme avait souscrit un contrat d'assurance vie dans lequel, de manière classique, il avait désigné comme tiers bénéficiaires son fils et sa fille, issus de son premier mariage. Là où il a fait preuve d'originalité, c'est en rédigeant un testament authentique par lequel il instituait ces mêmes enfants légataires universels "à charge pour eux de délivrer à sa seconde épouse le capital décès du contrat d'assurance". Pervers ? Qui a dit pervers ? Car l'arrêt n'indique pas, bien entendu, si les relations entre les enfants et cette seconde épouse -pour plagier Françoise Chandernagor (7)- étaient houleuses ou non. Si elles ne l'étaient pas, elles le sont devenues après cette découverte de l'imagination débordante de leur père ou de son absence de transparence, pour employer un euphémisme.

L'assureur -sans que l'on puisse le lui reprocher étant donné les circonstances- ayant versé le capital aux enfants du de cujus, la seconde femme de l'assuré les a assignés en vue de récupérer les sommes correspondantes. Le legs était sans ambiguïté ; ils liaient les enfants. Par conséquent, c'est sans surprise que l'on apprend que les premiers juges ont fait droit à la prétention de la seconde femme de l'assuré. La cour d'appel ayant statué dans le même sens, les enfants s'étaient donc pourvus en cassation. Notre Haute juridiction de droit privé commence par approuver la cour d'appel d'avoir considéré que le testament réalisé s'analysait en un legs universel avec charges, ce qui était prévisible. Puis elle rappelle -ce qui ne fait aucun doute pour qui connaît les articles L. 132-13 (N° Lexbase : L0142AAI) et L. 132-16 (N° Lexbase : L0145AAM) du Code des assurances instituant des dérogations par rapport au droit commun des successions- que "le capital stipulé payable lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers n'entre pas dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible".

Sur ce deuxième aspect, il ne saurait non plus être question d'en être ébaubi : depuis le XIXème siècle la règle est acquise. A partir de la décision de la Cour de cassation de modeler la stipulation pour autrui de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE) afin de donner une assise juridique aux assurances vie, toute la construction n'a eu pour objectif que de faire sortir du patrimoine du stipulant les sommes qui seront octroyées au tiers bénéficiaire grâce au droit direct qu'il a sur le promettant, assureur. Or, si le capital ne figure plus dans le patrimoine de celui qui, en droit des assurances, est le souscripteur, les dispositions relatives au calcul de la réserve et de la quotité disponible n'ont plus lieu d'être. La Cour de cassation ne pouvait, en l'espèce, devant l'obstination des enfants de l'assuré et souscripteur, que rappeler ce qui peut apparaître comme des évidences.

Pour finir, nos Hauts magistrats estiment que le legs universel ayant pour objet le capital décès, les enfants du de cujus ne pouvait demander une réduction du capital à hauteur de la quotité disponible. En d'autres termes, la Cour de cassation admet que le contrat d'assurance vie soit l'objet d'une disposition testamentaire. L'opération dans son ensemble est donc validée. Ce qui ne manque pas de retenir l'attention, c'est le montage réalisé et son caractère presque provocateur à l'égard des tiers bénéficiaires officiels, fort marris de découvrir un autre bénéficiaire, non pas en sous-ordre, mais bien, au contraire, qui vient prendre place à leurs côtés. Pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliqué disait notre bon maître (8) ? Telle est la remarque qui s'impose en l'espèce. En effet, il était plus simple à cet homme de modifier la clause bénéficiaire de son contrat d'assurance en faveur de sa seconde épouse. Ce ne fut pas son choix ; il le pouvait.

En effet, l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code des assurances (N° Lexbase : L6141H9C) a permis que la désignation des tiers bénéficiaires puisse ne pas être effectuée dans l'une des clauses du contrat d'assurance, comme c'est le cas de manière classique. Ce texte énumère les modalités de désignation autorisées ; mais, en réalité, la jurisprudence a effectué une application large des quelques cas énumérés au sein de cet article. Ainsi au-delà de la possibilité de procéder à la désignation bénéficiaire au moyen d'un avenant au contrat, le texte admet la cession de créance, à condition que les formalités de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB) soient respectées, l'endossement lorsque la police d'assurance est à ordre, ainsi que le testament comme mode de désignation du ou des tiers bénéficiaires.

Or, cette dernière hypothèse avait été inscrite, en toutes lettres, selon le voeu délibéré du législateur, en 1930, afin justement de démontrer ainsi que même dans cette circonstance, les règles du droit du contrat d'assurance s'appliquent et non celles du droit des successions (9). Si, pendant quelques temps, cette faculté n'a peut-être pas été autant exploitée qu'elle aurait pu l'être, elle a été de nouveau conseillée -et notre assuré avait bien compris le système- à tout souscripteur d'un contrat d'assurance vie qui ne souhaite pas que le ou les tiers bénéficiaires aient connaissance, avant son décès, de l'avantage qui leur était ainsi conféré. Il ne saurait donc être envisagé de remettre en cause ce qui a été construit de manière volontaire et consacré.

Une telle remise en question serait d'autant plus malvenue que le législateur, au travers de la loi du 17 décembre 2007 (loi n° 2007-1775, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés N° Lexbase : L5472H33), a renforcé les droits du souscripteur, stipulant qu'il peut s'opposer à l'acceptation, par les tiers, de la stipulation faite, a priori, à leur profit. Au-delà de la règle elle-même, l'esprit de l'évolution réalisée est significatif. Le but du législateur est de desserrer l'étau qui entourait souvent le souscripteur, pas toujours conscient des enjeux, ou pas assez conseillé sur les dangers de l'attitude bienveillante consistant à avertir le tiers bénéficiaire de l'avantage lui ayant été octroyé. Or, gratifier une personne signifie souvent en sacrifier d'autres, ce qui est toujours source de désillusions voire d'aigreur et de rancoeur. Autant ne pas assister de son vivant au triste spectacle de cette réalité quelque peu sordide et conserver quelques illusions sur la réaction de ceux qui ont été, au moins en partie, évincés. Et dans le cas présent, il ne peut qu'être constaté soit que le souscripteur a eu raison d'agir ainsi, soit qu'il avait une connaissance précise des relations entre les protagonistes.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, membre de l'IRDP

  • De l'incompatibilité entre qualité de locataire et de maître de l'ouvrage bénéficiaire de l'assurance de responsabilité décennale (Cass. civ. 3, 1er juillet 2009, n° 08-14.714, FS-P+B N° Lexbase : A5830EIR)

Le bénéfice de la responsabilité décennale de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) est réservé, par la lettre de cet article, au "maître ou [à] l'acquéreur de l'ouvrage".

C'est donc sur le terrain de la qualité à agir que s'opère un filtre parmi tous ceux qui pourraient avoir intérêt à agir contre le constructeur.

La notion de maître de l'ouvrage est, traditionnellement, comprise comme visant le propriétaire de l'immeuble. La Cour de cassation a, ainsi, qualifié l'obligation de garantie décennale de "protection légale attachée à la propriété de l'immeuble et peut être invoquée par tous ceux qui succèdent au maître de l'ouvrage, en tant qu'ayant cause, même à titre particulier, dans cette propriété" (10).

Est-ce à dire que tous ceux qui ne seraient titulaires que d'un droit personnel leur permettant d'user de l'immeuble sont exclus du bénéfice de la responsabilité décennale et voués à user du droit commun (responsabilité délictuelle ou contractuelle) ?

Le demandeur au pourvoi dans l'arrêt rapporté du 1er juillet 2009 tentait de s'opposer à cette logique.

En l'espèce, une société locataire de locaux sis dans un centre commercial a fait réaliser des travaux d'aménagement qui présenteront des désordres. Elle assigne, notamment, l'entrepreneur ayant réalisé les travaux et son assureur.

Les juges du fond ont déclaré le locataire irrecevable à agir sur le fondement de l'article 1792 du Code civil, ont condamné l'entrepreneur sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, et ont débouté le locataire de sa demande contre l'assureur "RC décennale" de l'entrepreneur.

L'entrepreneur a tenté de voir son assureur condamné en soutenant que "la qualité de locataire n'est pas exclusive de celle de maître de l'ouvrage, laquelle appartient à celui qui a commandité les travaux ; qu'en déclarant la société Siana-CDM irrecevable à agir à l'encontre de la société Mottard sur le fondement de la garantie décennale, tout en constatant l'existence d'un contrat d'entreprise conclu entre ces deux sociétés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1792 et 1792-1 du Code civil (N° Lexbase : L1921ABR)"

Cette définition du maître de l'ouvrage comme le cocontractant d'un contrat de louage d'ouvrage correspond sans doute à celle du droit des contrats. Mais elle n'est pas en phase avec le droit de la construction.

Il est, en effet, bien établi que le locataire n'a pas qualité à agir sur le fondement de l'article 1792. La jurisprudence a eu l'occasion de l'énoncer, en 2006 (11) à l'égard du crédit-preneur, dont le crédit-bailleur avait acquis un immeuble auprès du maître de l'ouvrage, qui quelques temps plus tard présentera des désordres, en énonçant que : "le crédit-preneur est locataire, qu'en cette qualité il ne peut bénéficier des articles 1792 et suivants du Code civil, que, par contre, il est recevable à agir sur le fondement délictuel", précisant qu'à ce titre, il "ne pouvait pas demander, sur ce fondement, la somme correspondant à la réparation des désordres de construction, mais seulement l'indemnisation du préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

L'espèce jugée le 1er juillet 2009 est comparable, hormis le fait qu'ici c'est le locataire qui avait "commandé" les travaux à l'origine des désordres, ce qui explique que le fondement adéquat soit la responsabilité contractuelle et non, comme dans l'espèce précitée, délictuelle.

On ne sera donc pas surpris que, dans cet arrêt du 1er juillet 2009, la troisième chambre civile réitère cette solution en énonçant très clairement que "la cour d'appel a retenu, à bon droit, qu'en sa qualité de locataire, la société Siana-CDM n'était titulaire que d'un simple droit de jouissance sur l'ouvrage dont elle n'avait pas la propriété, ce qui ne lui permettait pas de se prévaloir de la qualité de maître de l'ouvrage et qu'elle ne disposait donc pas de l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage, et non à sa jouissance" (c'est nous qui soulignons).

L'arrêt examiné vient ainsi s'inscrire dans une ligne ferme, ayant déjà jugé, notamment, que n'ont pas qualité à agir sur le fondement de l'article 1792, l'associé d'une société d'attribution (seule la SCI étant propriétaire de l'immeuble) (12), le locataire-attributaire (13) ou encore une association syndicale qui ne fait qu'assurer la gestion des ouvrages atteints de désordres (14).

Quant au locataire, privé du droit d'agir sur ce fondement, son sort n'est nullement modifié par la circonstance que son bailleur ayant commandité les travaux du local loué les a lui-même exécutés, étant par ailleurs entrepreneur.

C'est l'enseignement d'un arrêt du 17 février 1999 (Cass. civ. 3, 17 février 1999, n° 96-19.888, Compagnie UAP aux droits de laquelle vient la société Axa assurances IARD, société anonyme c/ Société Gary, société anonyme et autres, inédit N° Lexbase : A6364CUA). Au visa de l'article 1792 du Code civil, la Cour de cassation avait alors censuré les juges d'appel ayant retenu que le bailleur "étant à la fois maître d'oeuvre et maître de l'ouvrage pour la construction réalisée, il y a lieu de retenir sa responsabilité en tant que constructeur", aux motifs que "en statuant ainsi, sans constater que la société G. [comprendre le locataire] avait conclu un contrat de louage d'ouvrage avec M. X, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Peut-être le demandeur au pourvoi de l'arrêt du 1er juillet 2009 s'était-il convaincu d'une possibilité de lire a contrario la motivation de ce précédent pour permettre à un locataire qui, lui, aurait bien conclu un tel louage d'ouvrage, d'agir sur le fondement de l'article 1792 du Code civil.

Cette porte se ferme, définitivement. Il faut s'en réjouir. Reste à la victime à utiliser les ressources du droit commun et à vérifier si l'entrepreneur, garanti en décennale, ne jouissait pas d'une garantie facultative couvrant sa responsabilité de droit commun...

L'insistance du demandeur permet, en l'espèce, d'en douter, et peut-être est-ce la crainte d'une insolvabilité de l'entrepreneur qui l'avait poussé à soutenir, jusqu'au bout, la recevabilité d'une action en garantie décennale d'un locataire ?

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences en droit privé, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en droit privé (IRDP)


(1) A l'exception d'une ou deux vagues tentatives, non couronnées de succès : Cass. com., 12 juillet 1971, n° 70-11.102, Epoux D. c/ B. et autres, publié (N° Lexbase : A1924CHQ) ; Cass. soc., 8 janvier 1953, Bull. civ. V, n° 22, p. 16.
(2) Pothier, par M. Bugnet, Oeuvres, Tome V, Paris, 1861, n° 27, p. 276. Sous le titre "Quelles sont les choses qu'on peut assurer", ces propos sont tenus : "L'ordonnance de la Marine, titre des assurances, art. 10, défend de faire aucune assurance sur la vie des personnes". Et l'auteur d'ajouter, en note de bas de page : "Cette défense ne subsiste plus, mais peut-être eût-il été plus sage de la maintenir". Pothier poursuit en indiquant : "La raison est, qu'il est contre la bienséance et l'honnêteté publique de mettre à prix la vie des hommes. D'ailleurs la nature du contrat d'assurance étant que l'assureur se charge de payer l'estimation de la chose assurée, la vie d'un homme libre n'étant susceptible d'aucune estimation (Liberum corpus estimationem non recipit), elle ne peut par conséquent être susceptible du contrat d'assurance".
(3) Au premier chef : Colbert, en 1681, dans l'Ordonnance de la marine, seule référence, à l'époque, à l'assurance qui est avant tout maritime et non encore terrestre, prohibe les assurances vie jugées immorales. A. Plessis, Histoire de l'assurance en France : une longue perspective, Rev. Risques, 1996, n° 25, p. 154. Voir ainsi : Emerigon (d'), Traité des assurances et des contrats à la grosse, par P.-S. Boulay-Paty, Tome premier, 1827, p. 13, selon lequel : "l'assurance ne peut devenir pour l'assuré un moyen d'acquérir. [...] La nature du contrat s'y oppose".
(4) Portalis, Discours préliminaire sur le projet de Code civil.
(5) G. Cornu, Dictionnaire juridique, Association H. Capitant, PUF. Voir : Insanité d'esprit. Pour une comparaison, l'ouvrage propose même de se reporter au terme de folie.
(6) V. Nicolas, Des conséquences de la généralité des clauses bénéficiaires en assurance-vie (Cass. civ. 1, 5 novembre 2008, n° 07-14.598, FS-P+B+I N° Lexbase : A1613EBD), in La chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 329 du 4 décembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N9085BHX).
(7) Auteur d'un ouvrage intitulé La première épouse.
(8) Le doyen Jacques Héron décédé il y a dix ans fin juin.
(9) Cass. civ., 24 février 1902, D., 1903, 1, p. 433, note P. Dupuich ; S., 1902, 1, p. 165 ; Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, Tome IV, sous la direction de J. Bigot, LGDJ, 2007, n° 309, p. 268 par L. Mayaux.
(10) Cass. civ. 1, 28 novembre 1967, D., 1968, p. 163.
(11) Cass. civ. 3, 18 janvier 2006, n° 03-20.999, Société Alpha Desquiens ingénierie environnement c/ Société Santé assistance promotion, FS-P+B (N° Lexbase : A3961DMN), Responsabilité civile et assurances, n° 4, avril 2006, comm. 122.
(12) Cass. civ. 3, 13 décembre 1989, n° 88-15.111, publié (N° Lexbase : A3697CHE), Bull. civ. III, n° 235, D., 1990, inf. rap., p. 11 ; Cass. civ. 3, 19 juillet 1995, n° 93-13.395, Société de crédit immobilier de la Somme c/ Epoux Beauvais et autres (N° Lexbase : A7676ABW), Bull. civ. III, n° 200, Rép. Defrénois, 1995, p. 1464, note Ph. Dubois, qui énonce : "qu'en statuant ainsi, alors que la garantie décennale est attachée à la propriété de l'édifice et que les associés attributaires en jouissance ne disposent que d'un droit mobilier incorporant un droit de créance sur la SCI, seul propriétaire de l'immeuble, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
(13) Cass. civ. 3, 25 janvier 1989, n° 87-16.071, M Moreau c/ Coopérative d'HLM habitat girondin et autres (N° Lexbase : A2964AHA), Bull. civ. III, n° 21 ; Cass. civ. 3, 11 octobre 1995, n° 93-21.102, Entreprise Legendre et Lureau, société anonyme et autres c/ Société HLM Clair Logis d'Aquitaine (N° Lexbase : A6604CRZ), RD imm., 1996, p. 219, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli.
(14) C. Paris, 23ème ch., sect. A, 19 mai 1999, Construction et Urbanisme, 1999, comm., n° 328, note D. Sizaire.

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