La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010 : Pénal

[Questions à...] Propos diffamatoires... Du caractère public ou privé des écrits sur Facebook ? - Questions à Maître Damien Soltner, avocat au barreau d'Angers

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[Questions à...] Propos diffamatoires... Du caractère public ou privé des écrits sur Facebook ? - Questions à Maître Damien Soltner, avocat au barreau d'Angers. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211377-cite-dans-la-rubrique-bpenal-b-titre-nbsp-ipropos-diffamatoires-du-caractere-public-ou-prive-des
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 04 Janvier 2011

Selon Alexa Internet, Facebook serait le deuxième site le plus visité du monde, après Google. Rien d'étonnant alors à ce que le contentieux lié aux écrits postés sur le fameux réseau social s'étende à un rythme exponentiel. Et c'est surtout du côté des prud'hommes que les affaires tendent à se multiplier. On ne compte plus les licenciements, largement médiatisés, intervenus à la suite de propos tenus sur "leur mur" par des employés et malencontreusement rapportés à leur employeur. Un premier jugement vient d'intervenir au Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt (CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010 n° 09/00316 N° Lexbase : A6710GKQ et n° 09/00343 N° Lexbase : A6712GKS (1)), et les juges ont considéré que des propos tenus sur le réseau social Facebook pouvaient justifier un licenciement pour faute grave. Si le contentieux oppose essentiellement employés et employeurs, le droit du travail n'est pas l'unique domaine de contestation. Les litiges peuvent aussi être portés sur le terrain de la diffamation, sur le fondement de l'article 29 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) -à cet égard, un contentieux important se développe du côté des collèges et lycées, on se souvient de ces élèves exclus temporairement de leur établissement pour avoir diffamé leurs professeurs-. Dans le cadre d'une affaire ayant été soumise au tribunal correctionnel d'Angers le 17 novembre 2010, une salariée était poursuivie pour avoir tenu des propos diffamants et injurieux à l'encontre du directeur du magasin et de sa responsable administrative et financière sur sa page du réseau social Facebook (pas question donc, ici, de sanction disciplinaire ou de licenciement infligé par l'employeur). La prévenue ayant été relaxée en raison de la prescription des poursuites engagées trop tardivement au regard du délai de trois mois fixé par la loi sur la presse de 1881, le tribunal n'a pas tranché la question de fond portant sur le caractère public ou privé des propos tenus sur Facebook. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Damien Soltner, avocat au barrreau d'Angers, défendeur des personnes qui s'estimaient diffamées en l'espèce, et qui soutient que de tels écrits ont un caractère public.

Lexbase : Sur quels critères vous fondez-vous pour soutenir que les propos tenus sur une page Facebook ont un caractère public ?

Damien Soltner : Les poursuites étaient fondées sur les articles 29, 32 et 23 de la loi du 29 juillet 1881 qui traitent de la diffamation publique. Ce dernier article, depuis la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC), vise "tout moyen de communication au public par voie électronique" ce qui englobe tous les moyens de communication moderne communément utilisés aujourd'hui comme internet ou la téléphonie mobile. La loi manque de précision sur l'acte de publicité et c'est à chaque juridiction d'apprécier, sous le contrôle de la Cour de cassation, si le critère de la publicité, qui est l'un des éléments constitutifs de l'infraction, se trouve établi.

En l'espèce, lors de l'enquête préliminaire, l'officier de police judiciaire a pu constater matériellement que les écrits litigieux étaient visibles directement sur le "mur" Facebook de la salariée sans demander d'autorisation. De la sorte, ses écrits étaient accessibles à tous les internautes. En tout état de cause, même si la configuration de sa page avait limité son accès à son réseau d'amis, qu'elle dénombrait à plusieurs dizaines, on peut se demander si le caractère public des propos n'aurait pas été retenu.

Personnellement, j'ai du mal à concevoir que l'on soit encore dans le domaine de la correspondance privée lorsque les écrits sont destinés à plusieurs personnes, lesquelles peuvent à leur tour répercuter les propos à leur propre réseau d'amis et ainsi de suite. En outre, il faut songer que parmi les amis du réseau figuraient d'autres salariés du magasin. Si les propos avaient été tenus à ces mêmes salariés sur le parking du magasin, on ne discuterait même pas du caractère public de la diffamation. Personnellement je ne vois guère de différence avec la diffusion de ces mêmes propos sur le réseau Facebook.

Lexbase : De nombreuses plaintes ont été déposées pour des cas de diffamations proférées sur le site Facebook. Quel est le sens des premières décisions rendues ?

Damien Soltner : Plusieurs plaintes ont effectivement été déposées mais les décisions de justice concernant Facebook sont encore rares. Le 13 avril 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance condamnant Facebook à retirer sous astreinte une photographie d'un évêque publiée sans son consentement et qui portait atteinte à son image ainsi que les commentaires injurieux d'internautes qui l'accompagnaient (TGI Paris, 13 avril 2010, n° 10/53340 N° Lexbase : A7988EUE). Ce retrait était ordonné en vertu de l'article 6, 1° de la loi du 21 juin 2004, sur la confiance dans l'économie numérique, qui prévoit cette modalité de réplique. Le juge a également ordonné, en vertu de la même loi, à Facebook de communiquer sous astreinte les données de nature à permettre l'identification du créateur de la page disponible à l'adresse URL relevée, ainsi que la communication des données de nature à permettre l'identification des auteurs de propos voués au retrait. S'exprimer sur Facebook n'assure aucune impunité.

Il faut bien évidemment citer le récent jugement de départage du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 19 novembre 2010 qui présente un éclairage intéressant sur le caractère public ou privé des propos tenus sur Facebook. Dans sa motivation, le conseil de prud'hommes retient que le salarié avait choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec "ses amis et leurs amis", permettant ainsi, nous dit le conseil, "un accès ouvert, notamment par les salariés ou anciens salariés de la société A. ; il en résulte que ce mode d'accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu'ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère fondé du licenciement". Le conseil précise plus loin que "sur la liste des amis' Facebook que comprend le profil de Monsieur François C., 11 personnes étaient salariés de la société A. et ont eu accès la page Facebook du 22 novembre 2008, ce qui a porté atteinte à son image ; de même, par le mode d'accès choisi, cette page était susceptible d'être lue par des personnes extérieures à l'entreprise, nuisant à son image".

En l'espèce, il semble donc que l'accès "ouvert" de la page ait joué en défaveur du salarié. Cependant, j'ai tendance à penser que même avec un accès "fermé" les éventuels propos diffamatoires ou injurieux prononcés sur une page Facebook pourraient être qualifiés de publics et exposeraient leur auteur dès lors que la plupart des inscrits à Facebook ouvrent leur page à plusieurs dizaines d'amis. En d'autres termes, si le simple mail adressé à une adresse précise est bien du domaine de la correspondance privée, il ne me semble pas en être de même de propos partagés entre plusieurs dizaines d'amis sur Facebook ou ailleurs.

Lexbase : Qu'en est-il de la responsabilité pénale du propriétaire du site Facebook ? Le fait que Facebook soit une société de droit américain ne pose-t-il pas problème ?

Damien Soltner : L'article 113-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2123AML) dispose que la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. Il a été jugé à plusieurs reprises que le fait de diffuser sur internet depuis un site étranger des propos pénalement répréhensibles constituait une infraction relevant de la compétence des tribunaux français. Il convient de faire constater par huissier que la réception des propos condamnables peut se faire en un lieu du territoire français ce qui ne posera aucune difficulté.

La responsabilité pénale peut être recherchée contre le directeur de publication en application des articles 93-2 et 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle (N° Lexbase : L0991IEG). Cependant une discussion ne manquera pas de s'instaurer sur la notion d'éditeur. L'ordonnance du 13 avril 2010 précitée considère que Facebook "n'est pas l'éditeur des contenus publiés, mais un prestataire dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne". Enfin, les recherches pour trouver les coordonnées d'un directeur de publication de Facebook risquent d'être fastidieuses...

Lexbase : Que pensez-vous de la mise en place d'un droit à l'oubli numérique ?

Damien Soltner : Ce serait un progrès indéniable pour la protection de la vie privée de chaque individu face aux excès d'internet. La récente Charte du droit à l'oubli qui a été signée le 13 octobre 2010 sous l'égide du secrétariat d'Etat à l'Economie numérique va dans le bon sens même si le texte n'engage que ses signataires et ne présente aucun caractère coercitif. Surtout, le droit à l'oubli n'est pas une réponse adéquate à la diffamation et l'injure publiques qui créent un préjudice instantané qui ne sera pas réparé par l'obligation de faire disparaître les données au bout de plusieurs mois ou années.


(1) Sur ce jugement, lire Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH).

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