La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] La jurisprudence "SA Elisa" n'est pas transposable, en l'absence de cadre d'opération, aux mouvements de capitaux entre Etats membre de l'EEE

Réf. : CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-72/09 (N° Lexbase : A7817GCI)

Lecture: 9 min

N7008BQM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La jurisprudence "SA Elisa" n'est pas transposable, en l'absence de cadre d'opération, aux mouvements de capitaux entre Etats membre de l'EEE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211367-jurisprudence-la-jurisprudence-sa-elisa-nest-pas-transposable-en-labsence-de-cadre-doperation-aux-mo
Copier

par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 31 Janvier 2011

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient de juger, le 28 octobre 2010, que l'article 40 de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), du 2 mai 1992, ne s'oppose pas à la législation française qui exonère de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés sur son territoire les sociétés qui ont leur siège social sur le territoire de cet Etat et qui subordonne cette exonération, pour une société dont le siège social se trouve sur le territoire d'un Etat tiers membre de l'Espace économique européen, à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue entre la France et cet Etat tiers en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou à la circonstance que, par application d'un Traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies sur son territoire.
Les faits dans cette affaire étaient les suivants : une société, dont le siège social est situé au Liechtenstein, possédait un bien immobilier situé en France ; elle était soumise, à ce titre, à la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés en France. L'administration fiscale française avait successivement mis en recouvrement, à la charge de la société, la taxe litigieuse au titre des années 1988 à 1997, puis des années 1998 à 2000. Ses réclamations avaient été rejetées et la société avait introduit des recours contre l'administration fiscale française. A la suite d'un arrêt rendu en sa défaveur le 20 septembre 2005, par la cour d'appel d'Aix en Provence (CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. A, 20 septembre 2005, n° 04/01940 N° Lexbase : A6428EXD), la société contribuable avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE une question préjudicielle. La demande de décision préjudicielle dont avait été saisie la CJUE par la Cour de cassation par une décision du 10 février 2009 (Cass. com., 10 février 2009, n° 07-13.448 N° Lexbase : A1196EDN), portait sur l'interprétation de l'article 40 de l'accord sur l'EEE du 2 mai 1992. La Chambre commerciale de la Cour de cassation demandait donc, en substance, à la CJUE, si l'article 40 de l'accord, lequel étend aux pays de l'EEE non membre de l'Union Européenne le principe de libre circulation des capitaux, permettait la transposition au bénéfice de ces pays de la jurisprudence "SA Elisa" (CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 N° Lexbase : A7180DYL).

Les dispositions des articles 990 D (N° Lexbase : L5483H9X) et suivants du CGI avaient déjà fait l'objet d'un examen par la Cour au regard de la Directive 77/799/CEE du Conseil du 19 décembre 1977 (N° Lexbase : L9296AUT), relative à l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs et indirects, telle que modifiée par la Directive 92/12/CEE du Conseil du 25 février 1992 (N° Lexbase : L7562AUM), ainsi que de l'article 63 TFUE (N° Lexbase : L2713IP8) dans son arrêt du 11 octobre 2007. La Cour de justice avait alors jugé que "les exigences prévues par la réglementation nationale en cause au principal pour bénéficier de l'exonération de la taxe litigieuse rendent l'investissement immobilier en France moins attrayant pour les sociétés non résidentes, telles que les sociétés holding de droit luxembourgeois" (point n° 77). La CJUE, dans la décision du 28 octobre 2010, suivant en cela l'Avocat général qui, dans ses conclusions, s'appuie sur l'absence de dispositions relatives à la coopération administrative fiscale dans le cadre de l'accord EEE, exclut la simple transposition de la jurisprudence "SA Elisa" édictée pour des Etats membres de l'UE, aux pays de l'Espace économique européen au motif qu'il n'existe pas entre les membres de l'EEE et contrairement à ce qui existe entre les membres de l'Union Européenne, de cadre de coopération.

I - Les dispositions de l'article 40 de l'accord EEE ne s'opposent pas aux dispositions de l'article 990 D et suivants du CGI

La CJUE valide le dispositif de lutte contre la fraude fiscale internationale dans le cadre de l'EEE, s'agissant d'un investissement d'une société dont le siège social est situé au Lichtenstein.

A - Le principe de la libre circulation des capitaux dans l'ensemble EEE ne s'oppose pas à la législation française relative à la taxe sur la valeur des immeubles

Dans l'affaire rapportée, la société, propriétaire d'un immeuble en France, est redevable de la taxe litigieuse sur le fondement de l'article 990 D du CGI. L'investissement immobilier effectué par la société a été regardé, en l'espèce, comme un mouvement de capitaux au sens de l'accord EEE relatif aux restrictions des mouvements capitaux. En effet, les mouvements de capitaux comprennent les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire de l'Etat membre ainsi qu'il ressort de la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l'annexe I de la Directive 88/361 (N° Lexbase : L9795AUC) (CJCE, 16 mars 1999, aff. C-222/97 N° Lexbase : A0500AWG, Rec. P. I-1661, point 21 ou CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04 N° Lexbase : A9708DQM, Rec. P. I-8203, point 22). La société entendait, alors, bénéficier de l'exonération de la taxe sur la valeur vénale des immeubles frappant un élément de son patrimoine (CJCE, 12 avril 1994, aff. C-1/93 N° Lexbase : A9651AUY).

L'exonération de taxe sur la valeur vénale des immeubles dans le cadre de l'UE avait, déjà, été précisée par la Cour de justice. L'article 40 de l'accord EEE était entré en vigueur au Lichtenstein le 1er mai 1995, par une décision n° 1/95 du Conseil de l'EEE du 10 mars 1995. Il s'agissait donc de savoir quelle portée donner à la décision "SA Elisa". C'est pourquoi la Cour de cassation a saisi la CJUE de la question suivante : "L'article 40 de l'accord (EEE) s'oppose t'il à une législation telle que celle résultant des articles 990 D et suivants du CGI, dans leur rédaction alors applicable, qui exonère de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles situés en France des sociétés qui ont leur siège en France et qui subordonne cette exonération, pour une société qui a son siège dans un pays de l'EEE, non membre de l'Union européenne, à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue entre la république Française et cet Etat en vue de lutter contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale ou à la circonstance que par application d'un traité comportant une clause de non discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent-elles pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle elles sont assujetties les sociétés établies en France ?".

B - La subordination de l'exonération de taxe sur la valeur vénale de l'immeuble à l'existence d'une convention d'assistance administrative ne méconnaît pas l'article 40 de l'accord EEE

Les règles interdisant les restrictions aux mouvements de capitaux sont, s'agissant des relations entre les Etats parties à l'accord EEE, les mêmes que celles que le droit de l'Union européenne impose dans les relations entre les Etats membres de l'Union. La question était donc de savoir si les sujétions posées par la législation nationale issue de l'article 990 D et suivants du CGI, dans le but de lutter contre la fraude fiscale, étaient compatibles avec l'objectif posé par l'accord EEE de réaliser de la manière la plus complète possible la libre circulation des capitaux, de sorte que le marché intérieur réalisé sur le territoire de l'Union soit étendu aux Etats de l'EEE.

La CJUE constate, tout d'abord, dans les motifs de sa décision que la règlementation française excluant les sociétés non résidentes établies au Liechtenstein du bénéfice de l'exonération de taxe qui rend l'investissement immobilier en France moins attrayant pour ces sociétés est une restriction à la libre circulation des capitaux, la restriction à la libre circulation emportée par la législation nationale ne demeurant légitime qu'en l'état de la coopération avec cet Etat. L'appréciation portée par la Cour est donc sur ce point identique à celle qu'elle avait retenue dans l'arrêt "SA Elisa".

Toutefois, la décision rendue le 28 octobre 2010 ne propose pas la transposition pure et simple de la jurisprudence "SA Elisa". La CJUE retient, simplement, que l'article 40 de l'accord sur l'Espace economique européen du 2 mai 1992 ne s'oppose pas à la législation française qui exonère de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés sur son territoire les sociétés qui ont leur siège social sur le territoire de cet Etat et qui subordonne cette exonération, pour une société dont le siège social se trouve sur son territoire d'un Etat tiers membre de l'EEE à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue entre la France et cet Etat tiers en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou à la circonstance que, par application d'un Traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établie sur son territoire.

II - La restriction au principe de la libre circulation des capitaux peut être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général à la condition qu'elles garantissent la réalisation de l'objectif de libre circulation

Une restriction à la libre circulation des capitaux n'est acceptable que si elle est de nature à garantir la réalisation de l'objectif, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire.

A - La Cour de justice avait jugé, dans l'arrêt "SA Elisa", que la règlementation nationale n'était pas appropriée à la réalisation de libre circulation des capitaux en présence d'un cadre de coopération

La transposition de la jurisprudence "SA Elisa" à des Etats parties à l'accord EEE n'était pas, en l'espèce, possible en l'absence de cadre de coopération entre la France et le Liechtenstein. En effet, la production des informations nécessaires à un contrôle fiscal, n'était pas assurée en toute transparence par l'existence d'un cadre de coopération, les deux Etats n'ayant signé aucun accord de coopération en ce sens.

Dans l'affaire C-451/05, la Cour de justice avait déclaré le dispositif de la taxe de 3 %, dans sa version antérieure au 1er janvier 2008 (N° Lexbase : L9272HLY), incompatible avec la liberté communautaire de circulation des capitaux prévue à l'article 56 du Traité CE . La Cour avait, en effet, jugé que la conciliation entre l'objectif de libre circulation des capitaux et l'impératif de lutte contre la fraude fiscale internationale, pouvait être atteint par des mesures moins restrictives. La Cour de justice, dans cette dernière affaire, avait regardé le dispositif français de taxe comme n'étant pas conforme au droit communautaire puisque, alors même qu'une société holding Luxembourgeoise se trouvait dans une situation identique à des sociétés françaises ou à des sociétés "communautaires" dont l'Etat de rattachement avait conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination, les sociétés luxembourgeoises ne pouvaient échapper à l'impôt en produisant les renseignements exigés des sociétés françaises ou des sociétés "communautaires" dont l'Etat de rattachement avait conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination.

B - L'intégration différente des Etats membres de l'EEE de celle des Etats membres de l'UE explique le refus de transposer la jurisprudence "SA Elisa"

La jurisprudence "SA Elisa" est écartée par la CJUE, dans l'affaire rapportée, dès lors qu'aucun cadre de coopération n'assure la production utile des informations nécessaire à la lutte contre la fraude fiscale internationale. En effet, le cadre de coopération entre les autorités compétentes des Etats membres établi par la Directive 77/799 n'existe pas entre la France et le Liechtenstein, ce dernier Etat n'ayant pris aucun engagement d'assistance mutuelle. Or, l'octroi de l'avantage fiscal demeure subordonné à la production par l'Etat tiers des renseignements nécessaires à un contrôle effectif. En conséquence, il est impossible d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux et donc de lutter efficacement contre la fraude fiscale, la restriction applicable aux investissements en provenance du Liechtenstein demeurait légitime. La CJUE juge, en conséquence, qu'il n'est pas contraire à l'article 40 de l'accord sur l'EEE d'exiger l'existence d'une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative ou de non discrimination entre la France et un pays de l'EEE afin d'exonérer de la taxe sur la valeur vénale des immeubles.

Ainsi, bien que l'investissement consenti en France par la société contribuable soit regardé comme moins attrayant que s'il était effectué par la même société dans d'autres Etats de l'EEE, la différence de situation entre un Etats tiers à l'UE (le Liechtenstein), par ailleurs de l'EEE, justifie l'adoption d'une solution différente, alors même qu'il s'agit d'apprécier le caractère nécessaire des restrictions induites par l'existence d'une taxe sur la valeur vénale des immeubles, au regard du principe commun à l'Union et à l'EEE, de libre circulation des capitaux.

newsid:407008

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.