La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010 : Juristes d'entreprise

[Questions à...] Juriste d'entreprise, "un métier sui generis" - Questions à Christian Husson, Directeur juridique de Renault

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[Questions à...] Juriste d'entreprise, "un métier sui generis" - Questions à Christian Husson, Directeur juridique de Renault. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211371-questions-a-juriste-dentreprise-un-metier-i-sui-generis-i-questions-a-b-christian-husson-directeur-j
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par Anne-Lise Lonné, Journaliste juridique

le 27 Mars 2014


Christian Husson a démarré sa carrière à la DIAC en 1975 comme Assistant chef du contentieux. Il rejoint Renault en 1978 à la Direction juridique. De 1983 à 1986, il est détaché chez American Motors. De 1986 à 1995, il occupe plusieurs postes à la Direction juridique et devient Directeur juridique et Secrétaire du conseil d'administration en 1995. Au 1er septembre 2008, il entre au Comité de direction de Renault.
Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré cet homme qui, depuis plus de trente ans, voue un attachement exclusif à son entreprise. Il nous explique sa passion pour son métier de "manager et de stratège dans une entreprise cotée et globalisée", ainsi qu'il le définit. Retour d'expérience. Lexbase : Comment êtes-vous arrivé au poste que vous occupez actuellement ? Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

Christian Husson : Après des études de droit très classiques, j'ai débuté ma carrière chez Renault en 1978, après trois ans passés dans des filiales de Renault. Je suis très vite parti pour les USA, de 1983 à 1986, dans le cadre d'un détachement chez American Motors, alors que la stratégie de Renault, à l'époque, consistait dans le rachat de sociétés aux Etats-Unis.

Les difficultés que l'on a connues en 1985, alors que Renault n'était pas privatisée, m'ont amené à cette réflexion que la privatisation et l'ouverture à l'international étaient et sont intrinsèquement liées. L'échec rencontré avec Volvo, à la suite de son entrée dans le capital de Renault en 1992, nous a convaincus qu'il fallait privatiser intégralement pour mener à bien des opérations d'equity à l'international, en tenant compte des considérations de gouvernance et d'animus cooperandi. Ces principes ont été déterminants, par la suite, dans notre stratégie d'alliance avec Nissan, conclue en 1999.

Pour résumer ma carrière, mon parcours professionnel est intimement lié à toutes les étapes stratégiques de Renault : privatisation, échec et réussite à l'international, puis stratégie d'alliance. Autrement dit, je suis un pur produit de mon groupe.

Sans y avoir été formé, mon parcours m'a obligé à développer un certain nombre de spécialités telles que M&A (fusions acquisitions), les transferts de technologies, l'antitrust, les stratégies d'alliance, la corporate governance aujourd'hui, et surtout, une chose que l'on n'apprend pas à l'Université, le management.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter votre service juridique ? Quelles sont les problématiques récurrentes auxquelles votre service juridique se trouve confronté ?

Christian Husson : Les groupes Renault et Nissan comptent actuellement 200 juristes chacun environ. Si l'on ne dispose pas encore d'un budget commun dans la fonction juridique de l'alliance Renault-Nissan, nous développons une confraternité permanente. Aussi, nous pouvons, chez Renault, compter sur des confrères du Groupe Nissan, implantés en Amérique du Nord, spécialistes du droit de la distribution et de l'antitrust, et éviter ainsi de faire de l'outsourcing (sous-traitance) chez un grand cabinet de la place. De même, pour les mystères du droit japonais, nous nous en remettons à nos confrères de Yokohama. Cela est un véritable atout que l'on a pu gagner par la confiance mutuelle.

S'agissant des 200 juristes du groupe Renault, nous avons la particularité de compter 25 ingénieurs brevet. Notre activité se répartit, classiquement, en cinq départements.

Le département M&A/Contrats internationaux est associé à toutes les grandes percées de croissance organique du groupe. C'est au sein de ce département, par exemple, que l'on a commencé à construire l'alliance avec Nissan, que l'on a racheté Samsung Motors en Corée, ou que l'on a permis le rachat de Dacia en Roumanie ou encore le rapprochement avec Avtovaz en Russie, ou bien, enfin, notre accord de coopération avec Daimler.

Le département de droit de l'économie et du commerce traite du droit de la distribution, du droit de la sécurité des produits, du droit de la concurrence française et communautaire, de la gestion des problèmes liés à l'acte de vente, des garanties, des campagnes de rappel, de la publicité mensongère, etc..

Le département de droit des sociétés suit l'évolution de la réglementation des sociétés et en assure l'adaptation chez Renault. L'une des particularités de ce département est qu'une équipe est dédiée à la corporate governance et m'aide directement, avec le Président, à animer le conseil d'administration et les assemblées générales d'actionnaires.

Le département de droit social gère tous les conflits individuels et collectifs de droit du travail.

Enfin, le département de droit immobilier et droit de l'environnement traite des problèmes non seulement au plan réglementaire mais également au plan de la responsabilité sociétale et développement durable.

Outre cette équipe, une autre équipe de juristes "nomades" est dédiée à une holding d'animation dénommée Renault Nissan BV, à Amsterdam, détenue à parité par les deux partenaires, qui constitue le véhicule juridique de l'Alliance Renault-Nissan dont la vocation est d'élaborer une stratégie commune et de développer les synergies.

Lexbase : Comment le métier de juriste d'entreprise a-t-il évolué depuis le début de votre carrière ?

Christian Husson : Le métier de juriste d'entreprise a considérablement évolué en France puisque l'on est passé d'une culture très certificatrice, c'est-à-dire instaurant un contrôle a posteriori destiné à valider juridiquement, à une culture très business et proactive, du moins je l'espère. Au sein de notre groupe, le métier de juriste d'entreprise a évolué au gré de notre stratégie. Depuis l'instant où l'on a été privatisé, j'ai toujours défendu l'idée que le service juridique devait faire du business, c'est-à-dire être associé depuis l'amont à toute la prise de décision, puis la porter et l'accompagner jusqu'à son exécution parfaite. Au contraire, un juriste qui demeure le simple gardien de la réglementation a peu d'effet utile. En ce sens, il y a eu une réelle évolution.

Je recommande de lire Thomas Friedman, La terre est plate (1), tout y est dit. L'économie numérique a radicalement transformé les modes de fonctionnement et les rapports entre les individus sont passés de la verticale à l'horizontale. C'est en ce sens que nous avons vraiment souhaité sortir du rôle de juriste a posteriori, en tant que certificateur, et avoir un rôle dynamique, que l'on a obtenu en suscitant la confiance mutuelle vis-à-vis des dirigeants.

Lexbase : Comment définiriez-vous la culture juridique d'entreprise au sein du groupe Renault ?

Christian Husson : La culture juridique de notre entreprise repose sur les valeurs suivantes : le business, comme je viens de l'exposer, le talent, le courage, la diversité. Le talent, c'est l'excellence technique. Par courage, j'entends l'esprit d'initiative et le fait d'assumer ses paroles et ses actes. S'agissant de la diversité, j'ai toujours pensé qu'il fallait être différent, car c'est cela qui crée la richesse. Il faut avoir la curiosité de comprendre l'autre. C'est ainsi que nous avons modélisé un système de soft law, fondé sur le "and, if" (et si l'autre avait raison), lequel est omniprésent. Cette approche nous a permis de construire et de réussir l'alliance avec les japonais.

Enfin et surtout, la valeur fondamentale, à mon sens, se situe dans l'empathie, autrement dit, le respect mutuel et le sens de l'autre. Comme le soulignait très justement un article du Monde paru dernièrement, "L'empathie, ce n'est pas une maladie" (2), au contraire, il s'agit d'un levier de performance. Ce qui fait la différence aujourd'hui, me semble-t-il, c'est le facteur humain. Il faut être des juristes avec lesquels les dirigeants ont envie de parler. Il s'agit d'une conviction de fond, c'est-à-dire que l'on a souhaité être l'avocat interne de notre entreprise pour la défendre et lui proposer des solutions dynamiques. Et c'est précisément par l'empathie interactive que l'on réussit à gagner cette confiance mutuelle.

Notre culture juridique a radicalement été transformée par le choix du business model que l'on a retenu avec les japonais, qui nous ont appris le pragmatisme et le respect mutuel. Aujourd'hui, nous avons développé une véritable culture juridique d'entreprise sui generis, propre au groupe Renault-Nissan, cohabitation fertile de deux cultures radicalement différentes.

Lexbase : Avez-vous souvent recours à l'arbitrage ?

Christian Husson : Quand on évolue dans une culture d'entreprise telle que je viens de la décrire, qui privilégie le respect mutuel et le pragmatisme, on se trouve naturellement et spontanément dans la résolution de conflits autrement que par un rapport de force, et cela pour deux raisons. D'une part, parce que, comme je l'ai déjà évoqué, "la terre est plate", et qu'un dominé peut rapidement devenir dominant à son tour. D'autre part, car une résolution brutale de conflits aurait pour effet de déstabiliser notre image vis-à-vis des clients, ce qui est préjudiciable.

Donc, par principe, dans tous les contrats, il est prévu une clause d'arbitrage et/ou de médiation. On privilégie tout mode de résolution alternatif des conflits, et ce encore une fois, grâce à l'alliance avec Nissan, qui nous a incités à trouver la voie transactionnelle lorsqu'il y a eu des tensions. La résolution de disputes est donc, également, associée au business model de l'alliance Renault-Nissan.

Lexbase : La décision de la CJUE du 14 septembre 2010 (3) fait écueil dans la bataille des juristes d'entreprise pour l'obtention du legal professional privilege. Quelle est votre position concernant le statut d'avocat en entreprise ?

Christian Husson : Je suivrai le mouvement de l'Association française des juristes d'entreprise, qui mène le combat en vue de la reconnaissance de la confidentialité des avis juridiques. Toutefois, je tiens à préciser que je ne revendique pas un statut corporatiste particulier, dans la mesure où je considère que j'exerce un métier sui generis, celui de manager et de stratège dans une entreprise cotée et globalisée, lequel est complètement différent du métier d'avocat. Je ne voudrais pas que ce débat soit ressenti comme un refoulement de la profession de juriste d'entreprise, vis-à-vis de l'avocat.


(1) Thomas Friedman, La terre est plate : Une brève histoire du XXIème siècle, Editions Saint-Simon, octobre 2006.
(2) Martine Laronche, L'empathie, ce n'est pas une maladie, Le Monde, 17 octobre 2010.
(3) CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97).

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