La lettre juridique n°414 du 28 octobre 2010 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'organisation d'élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'une augmentation des effectifs de l'entreprise : principe et mise en oeuvre

Réf. : Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-60.206, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8668GBN)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 04 Janvier 2011

L'arrêt rendu le 13 octobre 2010 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-60.206, FS-P+B+R N° Lexbase : A8668GBN), qui aura les honneurs de son rapport annuel, vient répondre à une question relative aux élections professionnelles qui était, jusqu'à présent, restée dans l'ombre. Il s'agissait de savoir si des élections complémentaires de représentants du personnel peuvent être organisées dans le cas d'augmentation des effectifs de l'entreprise, afin d'élire des délégués en plus de ceux dont le mandat est en cours et pour la durée des mandats restant à courir. La Cour de cassation apporte une réponse positive à cette interrogation, tout en la soumettant à de strictes exigences. De telles élections ne peuvent en effet être organisées qu'à la condition qu'elles soient prévues par un accord collectif, signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise. Si cette solution doit être pleinement approuvée s'agissant de la faculté ainsi reconnue, elle peut laisser dubitatif quant aux conditions posées.
Résumé

Si la loi ne prévoit pas d'élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'augmentation d'effectifs de l'entreprise, de telles élections tendant à désigner des délégués en plus de ceux dont le mandat est en cours, et pour la durée des mandats restant à courir, peuvent néanmoins être organisées à la condition qu'elles soient prévues par un accord collectif signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise.

Observations

I - La faculté d'organiser des élections complémentaires en cas d'accroissement des effectifs

Une situation non envisagée par les textes

Dès lors qu'une entreprise ou un établissement occupe plus de onze ou de cinquante salariés, l'employeur doit y organiser les élections des délégués du personnel ou de la représentation des salariés au comité d'entreprise. Pour une première élection, l'effectif exigé doit avoir été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes (C. trav., art. L. 2312-2 N° Lexbase : L2535H9R et L. 2322-2 N° Lexbase : L2705H93). Dans l'hypothèse d'un renouvellement de l'institution, le calcul de l'effectif doit se faire à la date de l'élection. Important pour ce qui est de la mise en place initiale des institutions représentatives du personnel, le calcul précis des effectifs l'est également pour la détermination du nombre de représentants à élire (1).

On sait que ces représentants sont, en principe, élus pour quatre ans. Par voie de conséquence, pendant cette durée, la variation des effectifs, qu'elle soit à la hausse ou à la baisse, n'a aucune incidence sur les mandats, qui doivent aller à leur terme (2). La diminution des effectifs peut, toutefois, en application de la loi, avoir des conséquences sur le renouvellement de l'institution à l'expiration des mandats en cours (3). En revanche, le législateur n'a nullement envisagé la situation dans laquelle les effectifs de l'entreprise ou de l'établissement augmentant en cours de mandat, les parties intéressées envisagent de procéder à des élections complémentaires afin d'adjoindre des représentants du personnel à ceux déjà mis en place. Tel était précisément le cas dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté.

L'affaire

En l'espèce, il avait été procédé à l'élection d'un délégué du personnel, titulaire, et d'un délégué du personnel, suppléant, au sein d'une association en octobre 2007. Le 30 mars 2009, sur requête d'un syndicat et sur la base d'un protocole préélectoral conclu avec lui, l'employeur avait organisé une élection complémentaire en vue d'élire un délégué titulaire et un délégué suppléant en plus de ceux déjà mis en place au motif que l'effectif de l'entreprise, de vingt-quatre, en octobre 2007, était alors passé à vingt-six salariés.

Pour débouter l'Union départementale FO du Jura, de sa demande en annulation de l'élection du 30 mars 2009, le jugement attaqué avait retenu que l'employeur avait pu procéder à une élection complémentaire après avoir régulièrement invité l'ensemble des organisations syndicales à venir négocier le protocole préélectoral et répondre par la même à la volonté légitime du personnel de voir améliorer sa représentation dans l'entreprise.

Ce jugement est censuré au visa des articles L. 2314-2 (N° Lexbase : L2579H9E), L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB), L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ) et L. 2312-6 (N° Lexbase : L2543H93) du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "si la loi ne prévoit pas d'élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'augmentation d'effectifs de l'entreprise, de telles élections tendant à désigner des délégués en plus de ceux dont le mandat est en cours, et pour la durée des mandats restant à courir, peuvent néanmoins être organisées à la condition qu'elles soient prévues par un accord collectif signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise". Par voie de conséquence, en statuant comme ils l'ont fait, sans constater que cette condition était remplie, les juges du fond ont violé les textes susvisés.

Une reconnaissance de principe par la Cour de cassation

Le premier et principal apport de l'arrêt réside dans la faculté reconnue par la Cour de cassation d'organiser des élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'augmentation des effectifs de l'entreprise, afin de désigner des délégués en plus de ceux déjà élus et pour la durée des mandats restant à courir.

Cette solution, qui nous paraît pleinement justifiée, doit être bien comprise. Les élections complémentaires en cause ne sauraient avoir pour effet de mettre un terme aux mandats des délégués du personnel en place qui doivent rester en fonction jusqu'au terme de ceux-ci. Mais il est possible de leur adjoindre des représentants du personnel supplémentaires afin de tenir compte de l'augmentation des effectifs, sans attendre le renouvellement de l'institution (4).

Ainsi que le laisse entendre le visa de l'arrêt, cette possibilité trouve son fondement dans les dispositions de l'article L. 2312-6 du Code du travail, au terme duquel, "les dispositions du présent titre ne font pas obstacle aux clauses plus favorables résultant de conventions ou d'accords et relatives à la désignation et aux attributions des délégués du personnel". Il est difficile de nier que l'accord permettant l'organisation d'élections complémentaires est plus favorable que la loi. Alors que celle-ci n'impose de tenir compte de l'augmentation des effectifs que lors du renouvellement des représentants du personnel, l'accord permet de l'anticiper en permettant l'élection de représentants supplémentaires, pour la durée des mandats restant à courir et sans pour autant porter atteinte à ces derniers.

Un accord collectif étant nécessaire en application de la loi, la faculté reconnue par l'arrêt commenté ne saurait donc être mise en oeuvre par une décision unilatérale de l'employeur. Mais, cet accord collectif est soumis par la Cour de cassation à de strictes conditions de validité.

II - La mise en oeuvre de la faculté d'organiser des élections complémentaires en cours de mandat

La validité de l'accord

Selon la Cour de cassation, l'organisation d'élections complémentaires tendant à désigner des délégués du personnel supplémentaire en cas d'augmentation des effectifs n'est possible que si elle est prévue "par un accord collectif signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise".

En exigeant que l'accord soit signé par "tous" les syndicats, la Cour de cassation fait sortir celui-ci de la catégorie des accords collectifs que l'on qualifiera de droit commun. La validité de ces derniers est, on le sait, subordonnée à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières professionnelles et à l'absence d'opposition d'un ou de plusieurs syndicats ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections (C. trav., art. L. 2232-12 N° Lexbase : L3770IBA). Ce texte ne pose donc aucune exigence d'unanimité, pourtant requise en l'espèce par la Cour de cassation.

En visant les articles L. 2314-3 et L. 2314-3-1, la Cour de cassation signifie que l'accord en cause doit entrer dans la catégorie des accords préélectoraux. Cela est, au demeurant, parfaitement justifié dès lors que cet accord a pour objet d'organiser des élections. En revanche, ce que l'on s'explique mal, c'est l'exigence d'unanimité. En effet, depuis l'adoption de la loi du 20 août 2008, la validité des accords préélectoraux est soumise à une double condition de majorité et non à l'unanimité (5). Sans doute, celle-ci subsiste-t-elle ici et là, notamment pour la suppression du comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2322-7 N° Lexbase : L2717H9I) ou du mandat de délégué syndical (C. trav., art. L. 2143-11 N° Lexbase : L3750IBI) et, surtout, pour la fixation du nombre et de la composition des collèges électoraux (C. trav., art. L. 2314-10 N° Lexbase : L2601H99 et L. 2324-12 N° Lexbase : L9753H8Q). Mais, précisément, cette unanimité est prévue par un texte spécial. Or, rien de tel en la matière, puisque ces élections complémentaires ne sont pas envisagées par le Code du travail.

Tout au plus est-il légitime que l'unanimité soit requise si l'accord porte sur des questions pour lesquelles la loi l'impose. Mais, la Cour de cassation n'opère aucune distinction de cette sorte, soumettant, de façon générale, la validité de l'accord à sa signature par tous les syndicats et, plus précisément, ceux "présents dans l'entreprise".

Il y a là une autre difficulté d'interprétation de la solution retenue et il faut se demander ce que la Cour de cassation entend par là. On pourrait avancer que sont ainsi visés les syndicats représentés dans l'entreprise. Cette idée doit certainement être écartée, pour cette seule raison qu'il est rare que les syndicats soient représentés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, même s'ils ont, en théorie, le droit d'y désigner un délégué du personnel en qualité de délégué syndical ou de représentant de la section syndicale.

Un éclaircissement peut être à nouveau tiré du visa de l'arrêt et, singulièrement, de l'article L. 2314-3 du Code du travail. Cette disposition vise les organisations syndicales qui doivent être invitées à la négociation du protocole d'accord préélectoral. Outre que ne sont plus uniquement visés les syndicats représentatifs, ne sont pas seulement concernés ceux qui sont représentés dans l'entreprise. Partant, en évoquant les syndicats "présents dans l'entreprise", on peut considérer que la Cour de cassation se réfère aux syndicats présents lors de la négociation de l'accord organisant les élections complémentaires. Mais, l'incertitude reste ici de mise et il aurait été souhaitable que la Cour de cassation nous donne ici plus de précisions.

Les effets sur la mesure de la représentativité

La solution retenue dans l'arrêt sous examen fait naître une dernière interrogation quant à ses conséquences sur la mesure de la représentativité syndicale. Il n'est, en effet, guère besoin de s'étendre sur le fait que celle-ci dépend notamment, depuis la loi du 20 août 2008 (Loi n° 2008-789 (N° Lexbase : L7392IAZ), de l'audience électorale des syndicats.

Partant, il convient de se demander si les résultats de ces élections complémentaires peuvent être pris en compte pour l'appréciation de la représentativité. On ne voit pas ce qui pourrait s'y opposer dès lors que l'ensemble des salariés de l'établissement ou de l'entreprise est une nouvelle fois appelé à voter. Mais, il faut alors se rendre à l'évidence et admettre que des syndicats qui n'avaient pas obtenu 10 % des suffrages lors des premières élections pourraient devenir représentatifs. Il est, non moins certains, que les syndicats qui avaient obtenu le nombre de suffrages nécessaires lors des premières élections resteront représentatifs, alors même qu'ils n'auraient pas présenté de liste de candidats ou n'auraient pas atteint cette fois-ci le seuil de 10 %. Il n'est pas interdit de penser que ces syndicats ne verront pas nécessairement d'un très bon oeil cette concurrence nouvelle. On en vient alors à se demander si, en fait, ce n'est pas là qu'il convient de rechercher la cause de la subordination de la validité de l'accord à l'exigence d'unanimité...


(1) V. C. trav., art. R. 2314-1 (N° Lexbase : L0483IA7) et R. 2324-1 (N° Lexbase : L0276IAH).
(2) C'est ce qu'a jugé la Cour de cassation, affirmant que la durée du mandat des délégués du personnel d'un établissement ne peut être remise en cause par l'accroissement des effectifs (Cass. soc., 18 février 1998, n° 97-60.017, N° Lexbase : A2908CWM) ; V. aussi, à propos de la baisse des effectifs : Cass. soc., 3 février 1998, n° 96-60.207 (N° Lexbase : A2907ACN).
(3) La loi envisage différemment à cet égard la situation des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2312-3 N° Lexbase : L2537H9T) et de la représentation du personnel au comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2322-7 N° Lexbase : L2717H9I).
(4) Rappelons à ce propos que l'article R. 2314-1 (N° Lexbase : L0483IA7) impose l'élection d'un titulaire et d'un suppléant lorsque l'effectif est compris entre 11 et 25 salariés et de deux titulaires et de deux suppléants lorsque ce même effectif est compris entre 26 et 74 salariés. En l'espèce, les effectifs étaient passés de 24 à 26 salariés. Lors du renouvellement de l'institution, ce sont donc bien deux titulaires et deux suppléants qui auraient dû être élus. Les parties n'ont fait qu'anticiper cela.
(5) V. à cet égard, C. trav., art. L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ).
(6) Soit parce qu'ils n'avaient pas présenté de liste de candidats, soit parce que, l'ayant fait, ils n'avaient pas atteint le seuil fatidique de 10 %.

Décision

Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-60.206, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8668GBN)

Cassation de TI Dole, 21 avril 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 2314-2 (N° Lexbase : L2579H9E), L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB), L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ) et L. 2312-6 (N° Lexbase : L2543H93)

Mots-clefs : délégués du personnel, élections complémentaires en cours de mandat, possibilité, nécessité d'un accord, exigence d'unanimité.

Liens base : (N° Lexbase : E1726ET4)

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