La lettre juridique n°405 du 29 juillet 2010 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les fruits de la validation des acquis de l'expérience

Réf. : Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 08-44.121, Association Adèle de Glaubitz, FS-P+B (N° Lexbase : A6734E48)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Depuis que le législateur a mis un point d'honneur à développer la "formation professionnelle tout au long de la vie" (1), de nouveaux outils sont apparus dans le monde de l'éducation et, bien sûr, dans le monde du travail. Très en vogue, l'un des processus de formation continue les plus prisés repose sur la validation des acquis de l'expérience (VAE), laquelle consiste à obtenir un diplôme par équivalence sur la base d'une expérience professionnelle suffisamment assise. Celui qui connaît ou a fréquenté une personne ayant suivi un parcours de VAE sait que celui-ci n'est pas toujours un long fleuve tranquille et demande des efforts conséquents dont il est bien logique d'espérer, à son issue, récolter les fruits. C'est sur cette question qu'était amenée à se prononcer la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 13 juillet 2010. Cette décision était l'occasion pour la Chambre sociale de tenter de préciser les effets de la VAE (I), occasion en partie manquée compte tenu de la complexité des obligations respectives des parties en la matière (II).
Résumé

L'employeur est tenu d'assurer l'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi. En outre, l'employeur d'un salarié qui a suivi la formation qualifiante exigée doit le faire bénéficier de la qualification qu'il a obtenue par la validation des acquis de l'expérience.

I - Les effets précisés de la validation des acquis de l'expérience

  • L'obligation d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi

C'est en 1992 qu'est apparue dans la jurisprudence de la Cour de cassation l'obligation de l'employeur d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi, obligation accessoire tirée du devoir de loyauté imposé aux parties dans l'exécution de leur contrat par l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (2).

A l'origine, le manquement à cette obligation n'avait qu'une seule conséquence : l'employeur qui n'avait pas adapté les salariés à l'évolution de leur emploi ne pouvait valablement prononcer un licenciement pour motif économique en raisons d'innovations technologiques dans l'entreprise auxquelles un salarié ne se serait pas adapté.

Depuis lors, l'envergure de l'obligation d'adaptation s'est accrue, d'abord, parce que le législateur l'a introduite comme un préalable nécessaire à tout licenciement économique (3), ensuite, parce que la Chambre sociale a admis que le salarié pouvait avoir subi d'autres préjudices que le licenciement dépourvu de véritable justification prononcé contre lui (4).

L'importance de cette obligation ne se dément pas puisque la Chambre sociale rappelle, dans l'espèce commentée, que "l'employeur est tenu d'assurer l'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi". Cette obligation d'adaptation peut être mise en oeuvre par différents moyens, parmi lesquels figure l'utilisation du processus de validation des acquis de l'expérience (VAE).

  • La validation des acquis de l'expérience

Les décisions relatives à la validation des acquis de l'expérience sont particulièrement rares, notamment en matière prud'homale, ce qui n'est pas illogique puisqu'il s'agit avant tout d'une question relevant du droit de l'éducation et que ce n'est qu'accessoirement que le droit du travail peut s'y intéresser (5).

L'article L. 6111-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9701IEZ), au sein duquel siègent les principes généraux de la formation professionnelle en France, dispose très clairement que "toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis de son expérience, notamment professionnelle ou liée à l'exercice de responsabilités syndicales". La VAE "a pour objet l'acquisition d'un diplôme, d'un titre à finalité professionnelle ou d'un certificat de qualification" (6) et son fonctionnement est établi par les articles L. 335-5 (N° Lexbase : L9726IEX), L. 335-6 (N° Lexbase : L5198IMH), L. 613-3 (N° Lexbase : L5417HNX) et L. 613-4 (N° Lexbase : L9469AR7) du Code de l'éducation.

Pour assurer l'efficience de ce vecteur essentiel de la formation des salariés français, le Code du travail impose aux partenaires sociaux, au niveau de la branche (7) et de certaines grandes entreprises (8), de négocier tous les trois ans sur le thème de la formation professionnelle et, notamment, sur la VAE. Le comité d'entreprise des entreprises de plus de deux cent salariés doit également être consulté sur les problèmes généraux liés à la mise en oeuvre de la VAE dans l'entreprise (9).

Le Code du travail ne prévoit expressément la possibilité de suivre une action de VAE que dans le cadre d'un licenciement ou d'une démission (10), le solde du droit individuel à la formation du salarié pouvant être utilisé à cette fin. Malgré tout, la VAE peut intervenir en dehors de toute hypothèse d'usage du droit individuel à la formation et répond, d'ailleurs, à l'exigence d'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi.

  • L'espèce

Un salarié avait été engagé, en 1978, en qualité de moniteur de sport. Après l'obtention d'un brevet d'Etat, il accéda aux fonctions de moniteur d'éducation sportive et physique. Enfin, en 2003, le salarié fut affecté à un poste d'éducateur technique, toujours au sein du même établissement. En effet, compte tenu des dispositions d'un avenant à la convention de branche applicable et de l'article L. 363-1 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L5408HNM), le salarié ne pouvait plus exercer les fonctions de moniteur d'éducation physique et sportive. Le salarié obtint le diplôme d'éducateur spécialisé par VAE en 2005, mais ne fut pas reclassé par son employeur à un emploi d'éducateur. Il saisit alors la juridiction prud'homale afin d'obtenir ce reclassement ainsi qu'un rappel de salaire afférent à ces fonctions.

Les juges d'appel firent droit à cette demande. Contestant cette solution, l'employeur forma un pourvoi en cassation. Il affirmait, d'abord, qu'en aucun cas l'employeur n'avait l'obligation de prendre en considération la nouvelle qualification acquise par VAE et, par conséquent, n'avait nullement le devoir de reclasser le salarié. En effet, selon lui, une telle obligation était limitée par les dispositions conventionnelles applicables à d'autres mécanismes de formation professionnelle sans que la VAE ne soit concernée. Toujours par application du statut conventionnel, le salarié ayant satisfait aux conditions pour obtenir un diplôme par VAE ne dispose que d'une priorité lors de l'examen des candidatures pour un poste de même qualification qui devrait être pourvu dans l'entreprise.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par cet arrêt du 13 juillet 2010, rejette, cependant, le pourvoi. Elle rappelle, d'abord, que l'employeur a l'obligation d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi. Elle ajoute, ensuite, que l'article 4.2 de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 à la Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées du 15 mars 1966 impose aux salariés dont les diplômes ne seraient plus suffisants pour exercer leurs fonctions, "de suivre une formation qualifiante, les employeurs de ces salariés s'engageant à favoriser leur qualification, y compris par la validation des acquis de l'expérience", y compris si le salarié a bénéficié d'un avancement ou d'une formation. Elle en conclut, enfin, "que l'employeur d'un salarié qui a suivi la formation qualifiante exigée doit le faire bénéficier de la qualification qu'il a obtenue par la validation des acquis de l'expérience".

En somme, un salarié qui obtient un diplôme par VAE après avoir été contraint de suivre cette formation qualifiante est en droit d'exiger de récolter les fruits de cet effort et de bénéficier de la qualification correspondante.

II - Les effets complexes de la validation des acquis de l'expérience

  • Extension des effets de l'obligation d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi

La première conséquence de cette décision est d'étendre un peu plus le champ d'action de l'obligation d'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi. On savait, en effet, que cette obligation pouvait être mise en exergue lorsqu'un licenciement pour motif économique se profilait dans l'entreprise.

Ici, il n'est nullement question de difficultés économiques ou de mutations technologiques, mais plus simplement d'une évolution de la réglementation imposant pour certaines professions un diplôme qui n'était jusqu'alors pas nécessaire. Dit autrement, c'est le fait du prince qui rend les qualifications du salarié obsolètes, c'est pourtant l'employeur qui devra assurer la remise à niveau par l'acquisition du diplôme nécessaire dans le cadre de son plan de formation professionnelle.

  • Une formation exigée du salarié ?

La formule employée par la Chambre sociale peut, cependant, surprendre. En effet, s'il découle bien de la convention collective et de ses avenants que les salariés dont le diplôme ne correspond plus à ceux exigés par la réglementation en vigueur doivent se former, la reprise sans fard de cette exigence par la Chambre sociale est plutôt inattendue.

En évoquant le cas du "salarié qui a suivi la formation qualifiante exigée" (11), la Chambre sociale ne trouve rien à redire à cette contrainte. Peut-être les moyens ne l'invitaient pas à se prononcer sur cette question. Pourtant, on ne peut passer sous silence le texte de l'article L. 6421-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3017H9M), lequel dispose que "la validation des acquis de l'expérience ne peut être réalisée qu'avec le consentement du travailleur"... Comment concilier cet impératif légal avec la disposition conventionnelle clairement défavorable au salarié puisque lui imposant la remise à niveau par le biais d'une VAE (12).

  • L'obligation de s'adapter, une obligation bilatérale ?

Si la Chambre sociale accepte bel et bien qu'une convention collective puisse imposer au salarié de suivre une formation lorsque son diplôme ou ses qualifications deviennent obsolètes, on finit par ne plus très bien savoir si l'obligation d'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi repose sur les épaules de l'employeur, du salarié, voire des deux simultanément.

Le processus peut éventuellement être décomposé, chaque partie étant finalement débitrice d'obligations. L'employeur doit permettre au salarié de s'adapter aux évolutions de son emploi alors que, dans le même temps, le salarié doit accepter d'être formé. Enfin, lorsque le salarié aura acquis les qualifications requises, l'employeur ne pourra priver le salarié du bénéfice de cette formation dans l'entreprise et devra donc lui confier des fonctions et une rémunération correspondant à ces nouvelles qualifications. Tout cela, rappelons-le, en raison du fait du prince...


(1) V. la loi fondatrice n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8), ainsi que la plus récente loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie (N° Lexbase : L9345IET). Lire les obs. de Ch. Willmann, Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : de nouveaux droits en matière d'orientation et de formation professionnelle (première partie), Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5875BMK) et Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : rendre plus efficace l'organisation de l'orientation et de la formation professionnelle (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 375 du 10 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5967BMX).
(2) Sur cette obligation, v. Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634, Société Expovit c/ Mme Dehaynain, publié (N° Lexbase : A9415AAX), Bull. civ V, n° 122 ; D., 1992, somm. 294, note A. Lyon-Caen ; D., 1992. 390, note M. Defossez ; JCP éd. E, 1992, I, 162, note D. Gatumel.
(3) C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3) : "Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés".
(4) Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens (UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP) et nos obs., Les préjudices découlant d'un manquement à l'obligation d'adaptation des salariés à leur poste de travail, Lexbase Hebdo n° 280 du 10 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9845BCM).
(5) V., tout de même, un arrêt rappelant l'obligation pour l'employeur d'informer le salarié, s'il y a lieu, dans la lettre de licenciement, de la possibilité de demander pendant le préavis à bénéficier d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation : Cass. soc., 2 juin 2010, n° 09-41.409, M. Alain Luye, FS-P+B (N° Lexbase : A2237EYI).
(6) C. trav., art. L. 6411-1 (N° Lexbase : L3013H9H).
(7) C. trav., art. L2241-6 (N° Lexbase : L9596IE7).
(8) C. trav., art. L. 2242-15 (N° Lexbase : L2393H9I).
(9) C. trav., art. R. 2325-5 (N° Lexbase : L0197IAK).
(10) C. trav., art. L. 6323-17 (N° Lexbase : L9632IEH).
(11) Nous soulignons.
(12) Il est vrai, cependant, que la convention vise une mesure plus générale d'"action d'adaptation".

Décision

Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 08-44.121, Association Adèle de Glaubitz, FS-P+B (N° Lexbase : A6734E48)

Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. B, 17 juin 2008

Textes visés : néant

Mots-clés : obligation d'adaptation ; validation des acquis de l'expérience ; bénéfice des nouvelles qualifications

Lien base : (N° Lexbase : E1547ETH)

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