La lettre juridique n°399 du 17 juin 2010 : Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Exercice de la profession d'avocat et société créée de fait

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 16 février 2010, n° 08/22601 (N° Lexbase : A8684ESG)

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N4199BP9

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 07 Octobre 2010

Les modalités d'exercice de la profession d'avocat ne sont pas, dans certains cas de figure, sans susciter quelques difficultés. Ainsi n'est-il pas rare qu'un contentieux s'élève entre les parties portant sur la requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail. La Cour de cassation a, en effet, pu juger, dans un arrêt du 14 mai 2009 de sa première chambre civile, que "si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat lié à un cabinet par un contrat de collaboration ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle" (1). La distinction est importante : alors que la collaboration libérale est un mode de relation contractuelle entre un patron et un collaborateur qui exclut tout lien de subordination, le salariat, introduit dans la profession d'avocat par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, relative à la fusion des professions d'avocat et de conseil juridique (N° Lexbase : L7803AIT), qui peut prendre la forme d'un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée, à temps plein ou à temps partiel, est soumis tout à la fois aux dispositions du Code du travail et de la convention collective applicable (sans compter les règles dérogatoires découlant des exigences de la profession d'avocat). A côté de ces hypothèses de contentieux, il en est d'autres dans lesquelles, différemment, on s'interroge sur la requalification d'un contrat de sous-location d'une partie des locaux d'un cabinet en contrat de collaboration, éventuellement pour faire naître l'idée de l'existence d'une société créée de fait entre les parties. Un arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 16 février 2010, en constitue d'ailleurs une illustration.

En l'espèce, un cabinet d'avocat avait sous-loué, aux termes d'un accord verbal, une partie de ses locaux à un avocat indépendant. Mais, les conséquents impayés de ce dernier, qui avait reconnu ne pas être en mesure de verser les sommes réclamées, émanant de factures qu'il contestait, avaient conduit, après des mises en demeures successives, à son expulsion. Une sentence du délégué de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats intervenant à la suite de cette expulsion avait, alors, condamné l'avocat à payer au cabinet bailleur la somme de 202 240,60 euros, augmentée des intérêts au taux légal et l'avait débouté dans le même temps de sa demande d'expertise et de dommages et intérêts. L'avocat locataire avait fait appel de cette sentence, faisant valoir, d'une part, que la prétendue sous-location verbale invoquée par le cabinet était nulle et inexistante dans la mesure où le cabinet avait, en vertu du bail qu'il avait conclu, l'interdiction de sous-louer et, d'autre part, qu'ayant apporté son industrie au cabinet qui l'hébergeait, les parties s'étaient, en fait, comportés comme des associés. Il soutenait, en effet, que les éléments constitutifs d'une société de fait, et, en particulier l'affectio societatis, créée dans les conditions de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ), étaient réunis, de sorte qu'il y avait lieu de prendre acte de la dissolution de cette société et de désigner un expert chargé de faire les comptes entre les parties. La cour d'appel de Paris, pour confirmer la sentence arbitrale, a cependant décidé, en premier lieu, que "le demandeur n'est pas fondé ici à soutenir que la sous-location est nulle ou inexistante en excipant de la clause du bail qui, souscrit par le cabinet, stipule que la sous-location était prohibée dès lors qu'il est tiers à cette convention et que la violation d'une telle clause ne peut être invoquée que par le bailleur". On passera assez vite sur ce point dans la mesure où, en effet, la nullité encourue n'étant, en tout état de cause, pas absolue mais relative, elle ne pouvait sans doute pas être invoquée par un tiers au contrat qui, à défaut de pouvoir demander la nullité, peut en revanche soutenir que la violation par l'un des contractants d'une clause du contrat lui a causé un préjudice, le manquement contractuel constituant, à son égard, une faute délictuelle au sens de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). Mais, l'intéressé n'ayant, ici, fait valoir aucun argument en ce sens, ce qui au reste lui aurait été bien difficile puisqu'il avait le bénéficiaire de la sous-location, il n'est pas utile d'y insister davantage. Plus intéressante est, en revanche, la suite de la décision : la cour juge, en effet, en second lieu, sur la prétendue société de fait qui aurait été créée, dans les conditions de l'article 1832 du Code civil, que s'il est exact que l'intéressé a, pendant plusieurs années, occupé les locaux litigieux et y a bénéficié des services annexes (standard, réception, bibliothèque, photocopieurs et service d'entretien et de nettoyage), il reste que "ces seules circonstances sont insuffisantes pour démontrer que, avant ou après le 4 mai 2006, date du contrat écrit de sous-location, le Cabinet X et M. B. auraient manifesté la volonté d'affecter à une entreprise commune, des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice et de profiter de l'économie qui aurait pu en résulter alors surtout que, d'une manière incompatible avec une telle prétention, M. B. demande qu'en tout état de cause, le Cabinet X soit condamné à lui verser la somme de 151 074,53 euros, toutes taxes comprises, au titre de ses prestations d'avocat antérieures au 1er mai 2006". Et, la cour d'ajouter "qu'aucune circonstance de la cause ne fait apparaître que les parties auraient fonctionné selon le système qualifié de 'bureaux contre vacations' invoqué par M. B. [...] pour conclure à une compensation de leurs créances respectives", si bien que, en définitive, "il est démontré qu'il n'existait, entre le Cabinet X et M. B. aucun contrat de collaboration libérale".

L'avocat cherchait donc à convaincre de l'existence d'une société créée de fait et, ainsi, de la qualité d'associés des parties au litige, qualité à laquelle sont, on le sait, attachés un certain nombre d'intérêts, au premier rang desquels figure, notamment, le droit des associés aux résultats de la société (C. civ., art. 1832 et 1844-1 N° Lexbase : L2021ABH). La jurisprudence a, au demeurant, déjà admis qu'il puisse exister entre avocats une société créée de fait ou, encore, que deux ou plusieurs SCP avaient le pouvoir de constituer une société créée de fait pour l'exercice en commun d'une profession libérale, en lui apportant l'industrie de leurs membres. Ainsi, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 3 novembre 1998, il a été jugé que, dès lors qu'aucune société n'avait été régulièrement constituée entre deux cabinets d'avocats et qu'il était soutenu qu'il existait, entre eux, une société créée de fait, les parties n'ayant, par définition, élaboré aucun écrit, il appartenait au juge de rechercher leur commune intention. Or, au cas d'espèce, s'évinçait effectivement des éléments de la cause non seulement l'existence d'apports, mais aussi la volonté de collaborer à une activité commune en participant "aux résultats" de l'exploitation, ce qui avait permis de conclure à l'existence d'une société créée de fait (2). C'est que, en effet, on n'ignore pas que, classiquement, selon une conception que l'on a pu qualifier de "subjectiviste" (3), l'associé doit non seulement faire un apport, mais aussi avoir l'intention d'être associé : c'est l'affectio societatis. Sorte d'élément intentionnel du contrat de société, l'affectio societatis ne trouve certes pas d'écho direct dans les textes, encore que l'on puisse sans doute y rattacher "l'entreprise commune" de l'article 1832 ou "l'intérêt commun" auquel fait référence l'article 1833 (N° Lexbase : L2004ABT). Mais, la jurisprudence en fait régulièrement un élément déterminant de l'existence du contrat de société. Et, précisément, l'un des emplois les plus fréquents de la notion concerne la démonstration de l'existence d'une société créée de fait, qui renvoie à l'idée d'une situation juridique, que les parties n'ont pas formalisée, déduite du comportement des intéressés, leur intention et leur participation à l'activité visée constituant, sous cet aspect, des éléments indispensables (4). On comprend donc très bien que, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 février 2010, les magistrats parisiens ne se soient pas contentés des éléments objectifs -apports en industrie- mis en avant par l'avocat qui invoquait l'existence d'une société créée de fait, mais aient recherché si, au-delà des ces éléments, la volonté des parties de se comporter comme de véritables associés, condition essentielle à la qualification de société créée de fait, pouvait véritablement être constatée.

Naturellement, en l'espèce, prétendre qu'une société de fait existait entre les parties supposait d'établir que les modalités d'exercice de la profession n'étaient pas celles résultant du contrat de sous-location conclu entre les parties, mais d'un contrat de collaboration. C'est, d'ailleurs, bien la raison pour laquelle le demandeur cherchait à en obtenir la requalification. Mais, sa prétention ne pouvait prospérer dès lors qu'il demandait, dans le même temps, la condamnation du cabinet au paiement d'une certaine somme au titre de ses prestations d'avocat antérieures au 1er mai 2006. Une telle demande était, en effet, incompatible avec l'idée de l'existence d'une entreprise commune entre les parties. En outre, le fait que l'intéressé ait conclu avec la société qu'il avait créée une convention aux termes de laquelle il apportait "le droit à jouissance des locaux [...] où la clientèle est exploitée, suivant sous-location verbale consentie par le locataire principal", convention qui prévoyait encore que cette société s'engageait à "poursuivre l'exécution des obligations résultant de la sous-location des locaux", faisait définitivement obstacle à la requalification du contrat.


(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) ; lire G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP).
(2) CA Paris, 1ère ch., sect. C, 3 novembre 1998, n° 1996/85632 (N° Lexbase : A5961DHA).
(3) P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, Domat-Montchrestien, 3ème éd., n° 96, p. 60.
(4) Cass. com., 8 mars 1994, n° 92-10.381 (N° Lexbase : A6726ABQ), JCP éd. E, 1994, I, 363, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain, n° 1.

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