Réf. : Cass. soc., 26 novembre 2008, n° 07-40.802, M. Serge Lamotte, F-P+B (N° Lexbase : A4653EBX)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
La résolution judiciaire du contrat de travail à durée déterminée peut être prononcée pour manquement à l'obligation de reclassement dès lors que ce manquement constitue une faute grave. |
Commentaire
I - La nécessaire combinaison des régimes du CDD et du droit commun du travail
Le salarié qui a conclu avec son employeur un contrat de travail à durée déterminée se trouve dans une situation particulière. Il est, en effet, soumis à un régime spécifique, définissant, notamment, des modalités particulières de rupture de son contrat de travail (1), tout en étant soumis, pour le reste, aux règles applicables à tous les salariés, à moins que la loi n'en dispose autrement.
Dans un certain nombre d'hypothèses, la particularité du CDD a obligé le législateur à aménager les règles applicables à tous les salariés pour tenir compte, soit du terme affectant le contrat, soit de ses modes de rupture spécifiques. C'est ainsi que le régime de l'inaptitude contient des dispositions applicables de plein droit aux salariés en CDD, certaines qui ne leur sont pas applicables et d'autres, enfin, qui ont dû être adaptées pour leur être applicables ; ainsi, si l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur en vertu de l'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97) s'applique de plein droit aux salariés en CDD, l'obligation de reprendre le paiement des salaires si le salarié n'est pas reclassé ou licencié dans le mois qui suit l'avis du médecin du travail ne l'est pas, précisément parce que les articles L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) et L. 1226-11 (N° Lexbase : L1028H9X) du Code du travail visent expressément le salarié "licencié", écartant par la même le CDD qui échappe au régime du "licenciement" (2). Par ailleurs, le Code du travail a adapté le régime de la rupture du contrat de travail des salariés en CDD inaptes à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle : la rupture anticipée du contrat n'est possible qu'en cas de faute grave ou de force majeure (3), et la rupture du contrat du salarié qui ne peut pas être reclassé sera prononcée par le juge prud'homal statuant sur la demande de résolution formée par l'employeur (4).
Dans d'autres hypothèses, c'est le juge qui a été amené à combiner les régimes pour adapter l'application de la règle de droit commun aux particularités du régime du CDD.
Ainsi, il a été admis que, si le salarié pouvait demander la résiliation judiciaire du CDD, c'est à la condition que la faute reprochée à l'employeur, et qualifiée selon les exigences posées par l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA), soit conforme aux exigences de l'article L. 1243-1 du Code du travail aux termes duquel, "sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure" (5).
Une même solution a été retenue s'agissant de la prise d'acte par le salarié de la rupture de son CDD, la Haute juridiction ayant, également, subordonné la condamnation de l'employeur pour rupture abusive à la preuve d'une faute grave et justifiant la décision prise par le salarié (6).
II - La combinaison du régime de la rupture anticipée du CDD et de l'inaptitude
C'est dans ce contexte qu'intervient l'arrêt rendu le 26 novembre 2008 par la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par contrat d'une durée de six mois. Le médecin du travail l'avait déclaré inapte à occuper le poste qui lui avait été confié, à l'issue de la seconde visite, sans, toutefois, le déclarer inapte à tout emploi dans l'entreprise. Considérant que son employeur n'avait pas cherché à le reclasser, il avait saisi la juridiction prud'homale, notamment, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et de paiement de dommages-intérêts.
La cour d'appel de Rennes l'avait débouté de ses demandes après avoir relevé que le salarié ne rapportait la preuve d'aucun manquement professionnel de l'employeur. Cet arrêt est cassé pour manque de base légale, les juges rennais s'étant déterminés "par un motif général, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement et si ce manquement était constitutif d'une faute grave".
Cette solution, qui constitue, sur ces faits précis, une première, nous semble justifiée.
Les salariés titulaires d'un CDD doivent, en effet, se voir appliquer, à la fois, les règles propres à la rupture de ce type de contrat et les autres dispositions du Code du travail qui leur sont applicables, dans le cadre d'une application combinée des régimes. Dès lors que le salarié demande la résolution judiciaire de son contrat, celle-ci doit impérativement être examinée dans le cadre de l'article L. 1243-1 du Code du travail et les juges ne peuvent prononcer cette résolution que si la faute grave de l'employeur est établie. Pour déterminer l'existence d'une faute, les juges doivent préciser à quelle obligation professionnelle l'employeur a manqué, avant de s'interroger sur la gravité de celle-ci au regard des circonstances qui ont entouré la rupture, de l'importance des droits du salarié qui ont été bafoués et des conséquences, pour celui-ci, de la faute constatée. Ce n'est que si les juges du fond examinent les faits de l'espèce, dans ce cadre juridique précis, qu'ils pourront, alors, déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de résiliation judiciaire et, le cas échéant, fixer le montant des indemnités dues au salarié.
C'est, d'ailleurs, pour cette raison et dans l'hypothèse symétrique où l'employeur rompt le contrat de travail à durée déterminée d'un salarié qui a refusé de reprendre le travail, sous prétexte que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement, que la Cour de cassation subordonne la validité de la rupture anticipée à la qualification de faute grave du salarié (7).
(1) C. trav., art. L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T) à L. 1243-12.
(2) Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-44.913, Société protectrice des animaux de Charnay Les Mâcon c/ Mme Frédérique Legrand, FS-P+B (N° Lexbase : A6518DIA), Dr. soc., 2005, p. 918, obs. C. Roy-Loustaunau.
(3) C. trav., art. L. 1226-19 (N° Lexbase : L1042H9H).
(4) C. trav., art. L. 1226-20 (N° Lexbase : L1045H9L). Le juge fixera, alors, l'indemnité accordée au salarié dans le cadre de l'article L. 1226-21 (N° Lexbase : L1049H9Q).
(5) Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-40.489, Association SAOS Toulouse Football club "TFC" c/ M. Eric Garcin, F-P (N° Lexbase : A7762DAQ), D., 2004, p. 1473, note J. Mouly ; Dr. soc., 2004, p. 306, note Ch. Radé : "l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de fournir du travail à M. Z ; [...] la cour d'appel a, ainsi, caractérisé la faute grave justifiant la résiliation du contrat de travail".
(6) Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.655, Société Sanbel, FS-P+B (N° Lexbase : A7749DSS) : "la cour d'appel, qui a accordé au salarié des dommages-intérêts, sans caractériser l'existence d'une faute grave commise par l'employeur, a privé sa décision de base légale" ; Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.240, Mme Isabelle Bacoux, FS-P+B (N° Lexbase : A5661DWL). Selon la Haute juridiction, en effet, "en application de l'article L. 122-3-8 du Code du travail [N° Lexbase : L5457AC4, art. L. 1243-1,recod. N° Lexbase : L1457H9T], lorsqu'un salarié rompt le contrat de travail à durée déterminée et qu'il invoque des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits invoqués sont ou non constitutifs d'une faute grave" ; Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-41.070, M. David Mazzoncini, FS-P+B (N° Lexbase : A0889D4P) : "en application de l'article L. 122-3-8 du Code du travail, lorsqu'un salarié rompt le contrat de travail à durée déterminée en invoquant des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits invoqués sont ou non constitutifs d'une faute grave". Dans le même sens, CA Toulouse, 27 juin 2008, n° 07/02940.
(7) Cass. soc., 20 sept. 2006, n° 05-40.295, M. Bruno Bouillon, F-D (N° Lexbase : A3084DRN).
Décision
Cass. soc., 26 novembre 2008, n° 07-40.802, M. Serge Lamotte, F-P+B (N° Lexbase : A4653EBX) Cassation partielle, CA Rennes, 5ème ch. prud'homale, 23 mai 2006 Textes visés : C. trav., art. L. 122-3-8, alinéa 1er (N° Lexbase : L5457AC4), et L. 122-24-4, alinéa 1er (N° Lexbase : L1401G9R), devenus L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T) et L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97) Mots clef : contrat à durée déterminée ; obligation de reclassement ; résolution judiciaire ; faute grave. Lien base : |
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