La lettre juridique n°320 du 2 octobre 2008 : Négociation collective

[Jurisprudence] Une convention collective ne saurait interdire à un syndicat de prouver sa représentativité

Réf. : Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-13.440, Syndicat des ingénieurs cadres techniciens agents de maîtrise et employés de Total Fina Elf-Sictame c/ Caisse de retraite Elf Aquitaine CREA et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3981EAP)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



Alors que, par l'effet de la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (loi n° 2008-789 N° Lexbase : L7392IAZ), la représentativité prouvée est appelée, à plus ou moins long terme, à prendre le pas sur la représentativité présumée, l'arrêt rendu le 16 septembre 2008 par la Cour de cassation prend un relief particulier. Pour aller à l'essentiel, il ressort de cette décision que, si une convention collective peut réserver les prérogatives qu'elle crée aux seuls syndicats représentatifs, elle ne peut les attribuer exclusivement aux seules organisations bénéficiant d'une représentativité par affiliation.


Résumé

Si des dispositions conventionnelles peuvent prévoir que, lors de l'exercice de prérogatives subordonnées à une condition de représentativité, les syndicats affiliés à l'une des cinq confédérations reconnues représentatives au plan national interprofessionnel n'auront pas à faire la preuve de leur représentativité, elles ne peuvent interdire aux syndicats non affiliés à l'une d'elles de prouver leur représentativité dans le cadre où ils entendent exercer les prérogatives qui y sont attachées.

Commentaire

I - La représentativité comme objet de la négociation collective

  • Incertitudes

La négociation collective peut-elle porter sur la représentativité syndicale ? La question peut apparaître saugrenue et une réponse négative est, évidemment, tentante, tant la question elle paraît relever de l'ordre public absolu. Le Code du travail fournit, à ce propos, un argument de texte important. En effet, l'article L. 2141-10 (N° Lexbase : L2155H9P) précise que "les dispositions du présent titre ne font pas obstacle aux conventions ou accords collectifs de travail comportant des clauses plus favorables". Ce texte vise le titre IV relatif à l'"exercice du droit syndical", alors que les dispositions relatives à la représentativité figurent au sein du titre II.

L'argument de texte ne saurait, cependant, être sollicité de trop. En effet, en règle générale, les dispositions conventionnelles ne portent sur la représentativité que de manière indirecte, pour régler l'attribution d'un droit qui a précisément trait à l'exercice du droit syndical. En outre, on peut se fonder sur les textes propres à la négociation collective pour considérer que rien ne s'oppose, au moins sur le plan des principes, à ce que celle-ci ait pour objet la représentativité.

Pour autant, il ne saurait être question d'affirmer que tout est, ici, négociable. En d'autres termes, si l'ordre public absolu ne règne pas en maître en la matière, il en va de même pour l'ordre public social. Toute la difficulté est alors de déterminer quelles sont les dispositions qui relèvent de l'une ou l'autre de ces catégories. Malgré les incertitudes qui règnent en ce domaine, on peut considérer que les critères de la représentativité fixés par la loi revêtent un caractère intangible et ne peuvent être modifiés ou supprimés par l'effet de dispositions conventionnelles. De même, un syndicat ne saurait être privé des droits qu'il tire de la loi, par l'effet de dispositions conventionnelles qui poseraient des conditions plus restrictives de représentativité. Ainsi, et à titre d'exemple, il n'est pas possible d'admettre que le bénéfice du droit syndical dans l'entreprise soit soumis à la condition que le syndicat soit représentatif au niveau national ou soit adhérent à un syndicat qui le serait, dans la mesure où la seule représentativité dans l'entreprise suffit.

En revanche, lorsque la convention collective crée des droits nouveaux, il semble possible d'admettre que leur bénéfice soit réservé à certains syndicats représentatifs. C'est ce que tend à signifier l'arrêt sous examen.

  • Apport de l'arrêt

Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans son motif de principe, "les dispositions conventionnelles peuvent prévoir que lors de l'exercice de prérogatives subordonnées à une condition de représentativité, les syndicats affiliés à l'une des cinq confédérations reconnues représentatives au plan national interprofessionnel n'auront pas à faire la preuve de leur représentativité".

Envisagée sous cet aspect, la décision commentée nous paraît importante, moins par ce qu'elle dit que par ce qu'elle laisse entendre. Il convient, toutefois, dans un premier temps, d'éclaircir quelque peu cette affirmation. A notre sens, sont nécessairement visées, ici, les prérogatives attribuées aux syndicats par la convention collective et non celles que leur réserve la loi. A défaut, on ne voit pas bien quelle pourrait être l'utilité de l'affirmation en cause. En effet, au moins jusqu'à la loi du 20 août 2008 (1), l'affiliation d'un syndicat à une organisation reconnue représentative au plan national lui conférait, de manière irréfragable, une représentativité d'emprunt, qui lui permettait, précisément, de ne pas avoir à prouver sa représentativité pour bénéficier des droits reconnus aux syndicats représentatifs. Partant, les "prérogatives subordonnées à une condition de représentativité" visées par la Cour de cassation ne peuvent être les prérogatives légales, mais bien les prérogatives conventionnelles.

Cela étant admis, l'arrêt nous paraît, en second lieu, intéressant à un double titre. Tout d'abord, la Cour de cassation reconnaît que des prérogatives conventionnelles peuvent être réservées aux seuls syndicats représentatifs. Cela n'a évidemment rien de choquant dans la mesure où, pendant près de trente ans, tel a été le sens de la loi (2). Ensuite, et en allant plus loin, la Cour de cassation semble admettre que les prérogatives conventionnelles soient réservées à certains syndicats représentatifs. Cette assertion nous paraît découler d'une interprétation a contrario de l'arrêt. Si l'on admet, ainsi que nous y invite la Cour de cassation, que des "dispositions conventionnelles peuvent prévoir que lors de l'exercice de prérogatives subordonnées à une condition de représentativité, les syndicats affiliés à l'une des cinq confédérations reconnues représentatives au plan national interprofessionnel n'auront pas à faire la preuve de leur représentativité", ne peut-on, alors, en inférer que ces mêmes dispositions conventionnelles peuvent tout aussi bien ne pas prévoir que, "lors de l'exercice de prérogatives subordonnée, etc.". Cela signifie, alors, que l'exercice des prérogatives peut être réservé aux seuls syndicats ayant fait la preuve de la représentativité au niveau considéré.

On admettra qu'une telle interprétation demande, encore, à être confirmée, d'autant plus que le litige ne portait pas, en l'espèce, sur cette question, mais sur le fait de savoir si un syndicat qui n'est pas affilié à une confédération représentative au plan national peut être exclu du bénéfice des prérogatives conventionnelles. La réponse de la Cour de cassation est, ici, très nette et démontre que la représentativité prouvée et d'ordre public.

II - Le caractère d'ordre public de la représentativité prouvée

  • L'affaire

En l'espèce, lors de l'élection des membres du conseil d'administration de la caisse de retraite Elf Aquitaine devant se dérouler le 3 mars 2004, cette dernière avait refusé la liste de candidats présentée par le syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens, agents de maîtrise et employés de Total Fina Elf, Sictame-Unsa, au motif que, depuis la désaffiliation de ce syndicat de la CFE-CGC en novembre 2002 et de son affiliation subséquente à une confédération non représentative au plan national, il n'était plus représentatif.

Pour débouter le syndicat de ses demandes tendant à la prise en considération de la liste de candidats qu'il avait présentée et, pour le cas où les élections auraient eu lieu, à leur annulation, l'arrêt attaqué avait retenu que, aux termes de l'article 6 des statuts de la caisse, les candidats représentant le personnel étant élus sur des listes présentées par "les organisations syndicales représentatives au niveau national", seuls les syndicats affiliés aux cinq confédérations représentatives au plan national sont autorisés à présenter des candidats et que tel n'était plus le cas du syndicat Sictame-Unsa au moment de l'élection.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation aux visas des alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) et de l'article L. 133-2 (N° Lexbase : L5695ACW), devenu l'article L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) du Code du travail. Selon la Chambre sociale, "si des dispositions conventionnelles peuvent prévoir que lors de l'exercice de prérogatives subordonnées à une condition de représentativité, les syndicats affiliés à l'une des cinq confédérations reconnues représentatives au plan national interprofessionnel n'auront pas à faire la preuve de leur représentativité, elles ne peuvent interdire aux syndicats non affiliés à l'une d'elles de prouver leur représentativité dans le cadre où ils entendent exercer les prérogatives qui y sont attachées".

  • La solution

Nous ne reviendrons pas sur la première partie du motif de principe, qui a été analysée précédemment. Quant à la seconde, elle est difficilement contestable. Ce qui l'est, en revanche, beaucoup plus, c'est la décision des juges du fond. Tout d'abord, l'article 6 des statuts de la caisse ne réservait pas le droit de présenter des candidats aux syndicats présumés représentatifs, mais aux "organisations syndicales représentatives au niveau national". Or, rien n'empêche, un syndicat, de prouver sa représentativité à ce niveau. Partant, la Cour de cassation aurait pu censurer une interprétation erronée des stipulations des statuts par les juges du fond. Celle-ci a, toutefois, préféré se placer sur le terrain des règles de principe.

Réserver une prérogative, serait-elle conventionnelle, aux seuls syndicats affiliés à une organisation reconnue représentative au plan national revient à exclure du bénéfice de cette même prérogative les syndicats susceptibles de prouver leur représentativité. Une telle exclusion ne saurait être tolérée. Seule importe la représentativité et non la façon dont le syndicat l'acquiert. S'agissant des prérogatives qu'elle leur réserve, la loi traite de manière indifférenciée les syndicats présumés représentatifs et ceux qui prouvent leur représentativité. Il doit en aller de même de la convention collective. C'est la liberté syndicale qui est, ici, en cause.

Mais alors, et il faut y revenir, une convention collective peut-elle réserver les droits qu'elle crée aux seuls syndicats qui ont prouvé leur représentativité au niveau où ces derniers doivent être exercés ? Cela revient à exclure les syndicats "simplement" présumés représentatifs du bénéfice de ces prérogatives et l'on se trouve, alors, dans l'hypothèse exactement inverse de celle de l'arrêt sous examen. Envisagé d'un point de vue très concret, ce type de stipulations qui renforce la légitimité du syndicat paraît admissible. Il reste que l'on peut se demander si ces stipulations ne sont pas contraires à l'ordre public. L'arrêt ne permet malheureusement pas de l'affirmer avec certitude.


(1) On sait que cette loi emporte, à plus ou moins brève échéance, suppression de la représentativité d'emprunt (v., sur la question, nos obs., Articles 1 et 2 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale N° Lexbase : N9816BGN).
(2) De 1982 jusqu'en 2008, la loi du 20 août 2008 ouvrant certains droits antérieurement réservés aux syndicats représentatifs à des syndicats "quasi-représentatifs".

Décision

Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-13.440, Syndicat des ingénieurs cadres techniciens agents de maîtrise et employés de Total Fina Elf-Sictame c/ Caisse de retraite Elf Aquitaine CREA et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3981EAP)

Cassation de CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 25 janvier 2007

Textes visés : Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, al. 6 et 8 (N° Lexbase : L6821BH4) ; C. trav., art. L. 133-2 (N° Lexbase : L5695ACW), devenu L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN)

Mots-clefs : convention collective ; représentativité ; présomption ; représentativité prouvée ; ordre public.

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