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N3738BHW
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
le 27 Mars 2014
De ce contexte, naît un rapport triangulaire entre les trois intervenants, que sont, l'emprunteur, le prêteur et l'assureur. Ce que certains, comme le Professeur Véronique Nicolas, qualifient d'"enchevêtrement" de nombreuses relations contractuelles : contrat cadre ou convention en vue d'adhésions sur laquelle s'accorde l'assureur et le banquier, convention conclue entre eux pour déterminer les modalités financières notamment, de la distribution de l'assurance et contrat de prêt qui unit le banquier à son client qui prendra la qualité d'assuré s'il adhère au contrat d'assurance. Stipulation pour autrui, assurance sur la tête d'autrui, assurance pour compte, délégation de créance, contrat cadre, sont autant de qualifications qu'une doctrine hésitante sur le sujet a données à cette relation contractuelle.
Et c'est aussi cette caractéristique propre du contrat d'assurance de groupe qui a fait prendre conscience très tôt, dès 1956, au pouvoir réglementaire de la nécessité de l'encadrer en mettant à la charge du souscripteur, s'agissant de l'assurance en cas de décès, une obligation d'information minimale, prenant la forme de la remise aux adhérents d'une notice.
Mais cette notice devait devenir insuffisante, et à la faveur d'une jurisprudence encline à protéger le consommateur-emprunteur, partie faible du contrat, contre le déséquilibre contractuel à l'avantage du professionnel du crédit, partie forte, la Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle, a consacré -une fois encore, serait-on tenté de dire-, dans un arrêt du 2 mars 2007, l'obligation pour le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit, de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation. En imposant qu'une étude individuelle et circonstanciée de la situation des contractants soit effectuée par l'organisme financier, la Cour de cassation refuse une information "prêt-à-porter" et impose que celle-ci soit dispensée "sur-mesure".
Dès lors, en jugeant, le 18 septembre 2008 que la banque qui n'a pas informé l'emprunteur, assuré, de ce que l'assurance assortissant le prêt ne garantissait pas le risque invalidité permanente a manqué à son devoir de conseil, la première chambre civile de la Cour ne fait preuve ni d'innovation, ni d'originalité. Pourtant de l'innovation, l'arrêt du 18 septembre en fait montre puisque la Haute juridiction précise, pour la première fois, la nature du préjudice qui résulte du manquement de la banque à son obligation de conseil : le manquement ainsi commis pas la banque "l'avait privée [l'emprunteur] de la possibilité de s'adresser à d'autres assureurs, ceux-ci, s'ils avaient accepté de garantir ce risque, lui auraient alors réclamé un supplément de prime qui aurait pu lui faire renoncer à cette garantie ; qu'ainsi, sans méconnaître l'objet du litige ni le principe de la contradiction, elle a considéré que le préjudice imputable s'analysait en une perte de chance".
Et, comme le souligne, cette semaine, Véronique Nicolas, Professeur agrégé à Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", et Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP), si cette solution doit être approuvée, non seulement parce qu'en accordant ainsi une indemnisation partielle, la Cour de cassation adopte une position mesurée, elle doit aussi l'être d'un strict point de vue juridique, le raisonnement des magistrats fondé sur la perte de chance correspondant à la réalité.
Mais l'actualité du droit des assurances n'entend pas en rester là. Ainsi, élément essentiel de la mise en place d'un espace européen de justice et figurant, à ce titre, parmi les objectifs du Programme de La Haye, le Règlement "Rome I" sur la loi applicable aux obligations contractuelles, après de longs travaux préparatoires, a été publié au Journal officiel de l'Union européenne du 4 juillet 2008. Répondant à deux objectifs, développer l'espace judiciaire européen en favorisant la prévisibilité des résultats et la sécurité juridique et parfaire la construction du marché intérieur en évitant les distorsions de concurrence qui pourraient survenir entre les justiciables, mais aussi en assurant la sécurité juridique nécessaire au développement des échanges commerciaux transfrontaliers, le nouveaux texte ne pouvait passer à côté des contrats d'assurance. C'est pourquoi, sur proposition de la présidence allemande, des règles spéciales concernant les contrats d'assurance ont été introduites dans le Règlement du 17 juin 2008, afin de mettre un terme à la confusion liée aux règles éparses qui régissent aujourd'hui les différents types de contrats d'assurance. L'objectif est-il atteint ? Nous pouvons en douter car, à la lecture du texte et de l'analyse de celui-ci par Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes et Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé), un constat semble s'imposer : il est davantage question de retouches que de refonte... manque d'audace ? Manque de temps ? Ou bien nécessité de ménager certaines susceptibilités nationales ?
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