La lettre juridique n°309 du 19 juin 2008 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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N3595BGA

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Au sommaire de cette chronique, seront abordés les conditions de mise en oeuvre d'une expertise in futurum, l'office du juge en matière de vérification d'écriture, la preuve électronique et la preuve papier, la compétence du conseiller de la mise en état en matière d'appel et, enfin, le rappel du principe de la communication au ministère public des dossiers relatifs à la filiation.

I - Action en justice : l'intérêt né et actuel et l'action préventive

  • La demande d'expertise in futurum est soumise à l'existence d'un litige potentiel : Cass. civ. 3, 16 avril 2008, n° 07-15.486, Viennot de la Forest Divonne c/ SARL au palais gourmand, P+B+R+I (N° Lexbase : A9366D7Z)

On enseigne traditionnellement que celui qui agit en justice doit justifier d'un intérêt né et actuel. Cela signifie qu'il n'est plus possible d'agir lorsque l'intérêt est passé (préjudice réparé par exemple) ou futur. C'est ainsi que les actions préventives ne sont pas admises, en principe, par le Code de procédure civile. Certains auteurs notent, tout de même, que certaines actions, dites "conservatoires", peuvent être mises en oeuvre avant la naissance du litige (1). Le référé instruction in futurum est, d'ailleurs, analysé comme le prototype de l'action conservatoire puisqu'il s'agit précisément de "conserver ou d'établir avant tout procès la preuve dont pourrait dépendre la solution du litige". Un personne peut alors agir en justice pour obtenir, non pas une décision sur le fond du litige, mais une information qui pourrait lui être utile pour un litige futur.

L'intérêt pour agir est ambigu dans le référé instruction, puisqu'il porte, non pas sur le fond de la prétention (le gain du procès), mais sur l'avantage que pourrait lui procurer la preuve dont il demande l'établissement ou la conservation. L'un des critères de la recevabilité de cette action en référé réside dans la potentialité d'un procès.

Dans l'affaire qui nous intéresse, la Cour de cassation devait précisément s'interroger sur la proximité entre la preuve qui lui était demandée d'établir et le procès qui pouvait découler de la mesure d'instruction. En l'espèce, une procédure avait été engagée entre les parties à un bail commercial à propos de la fixation du loyer du bail renouvelé. Selon l'article L. 145-57 du Code de commerce (N° Lexbase : L5785AI4), à l'issue de cette procédure, le bailleur a le choix entre la conclusion d'un nouveau bail, et le refus de renouvellement qui doit alors s'accompagner d'une indemnité d'éviction.

Pour évaluer chaque terme de cette option, la bailleresse avait sollicité le juge des référés, afin qu'il désigne, selon la procédure de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3), un expert chargé d'évaluer le montant de l'indemnité d'éviction. Pourtant, cette action fut rejetée par les juridictions du fond.

Dans son pourvoi, la bailleresse affirmait que cet article autorisait la recherche d'une preuve, "avant tout procès", mais encore "avant même la naissance d'un litige". Plus encore qu'une action conservatoire, le référé instruction était alors présenté comme une action consultative, permettant à un justiciable de saisir une juridiction pour obtenir un éclaircissement sur une question de fait.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en affirmant "qu'ayant constaté que la bailleresse n'avait pas exercé le droit d'option, la cour d'appel a exactement déduit de ce seul motif qu'il n'existait pas en l'état un litige potentiel, au sens de l'article 145 du Code de procédure civile".

L'expression de "litige potentiel", utilisée ici par la Cour de cassation, est éclairante, car elle constitue en quelques sortes le critère de recevabilité de l'action au regard de l'intérêt pour agir. En l'espèce, la bailleresse n'avait pas encore exercé son droit d'option de sorte que le preneur n'était pas en mesure de lui réclamer une indemnité d'éviction. Aucun litige n'était en germe avant l'exercice de l'option. Le raisonnement adopté par la Haute juridiction est inconfortable pour la bailleresse qui ne pourra pas exercer son option en toute connaissance de cause ; cette option étant par ailleurs irrévocable. Mais l'on pourrait aussi rétorquer que rien n'empêchait alors la bailleresse de solliciter à titre personnel les conseils d'un expert pour évaluer au mieux la valeur de l'indemnité d'éviction. Dans cette affaire, la bailleresse semblait attendre du juge une aide destinée à pallier sa carence.

II - Preuve : office du juge en matière de vérification d'écriture

  • Le juge, saisi d'une contestation d'écriture, doit enjoindre à la partie demanderesse à l'incident de produire d'autres documents et, au besoin, d'ordonner une expertise : Cass. civ. 1, 28 mars 2008, n° 06-18.226, M. Noël Gbetholancy, F-P+B (N° Lexbase : A6019D73)

L'article 1324 du Code civil (N° Lexbase : L1435ABR) permet à une partie à qui l'on oppose un écrit, de désavouer son écriture ou sa signature. Cette disposition est essentielle, d'une part, car l'on connait la valeur probatoire de l'écrit en matière d'actes juridiques et, d'autre part, car elle permet d'éviter que de faux écrits produisent un effet probatoire.

La contestation portant sur un écrit est ainsi confiée à la juridiction qui doit se prononcer sur la véracité du document produit devant lui. La mission du juge est délicate, car il se trouve partagé entre le risque de donner une force probante à un écrit qui pourrait se révéler faux ou, à l'inverse, celui de donner du crédit à la dénégation formulée par une partie de mauvaise foi. Dans le doute, la tâche du juge est donc ardue.

Dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, les juges du fond avaient rejeté le désaveu de signature opposé par un particulier au contrat de crédit dont l'exécution était demandée par un établissement bancaire. La solution du litige dépendait donc uniquement de la véracité de la signature de l'emprunteur. Les juges du fond avaient écarté le moyen en considérant que l'emprunteur n'avait versé au débat aucun élément convaincant permettant de mettre en cause cette signature. Notamment, il n'avait produit aucun document permettant une comparaison de signature à l'époque du crédit. La décision semblait emporter la conviction. Ainsi, l'emprunteur qui se contentait de désavouer sa signature sans apporter d'information à ce sujet semblait faire preuve de la plus grande mauvaise foi pour tenter d'échapper aux échéances qu'il avait souscrites.

Pour autant, l'arrêt est cassé et la Cour de cassation a reproché à la juridiction du fond de ne pas avoir enjoint au demandeur à l'incident de produire d'autres documents, ou encore de n'avoir pas ordonné une expertise.

On perçoit, à travers cette décision, le spectre du principe de coopération qui contraint le juge et les parties à rechercher, de concert, et au besoin par la contrainte, les faits qui permettront de résoudre le litige. Mais de façon plus technique, la Cour de cassation s'est contentée de faire application du Code de procédure civile qui prévoit à l'article 287 (N° Lexbase : L2016DKU) que "si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte" et à l'article 288 (N° Lexbase : L2017DKW) que le juge doit "procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture".

Le Code est donc extrêmement précis sur les obligations de coopération qui pèsent sur le juge en matière de vérification d'écriture. Loin de la tradition de passivité et du caractère prétendument accusatoire de la procédure civile, l'arrêt commenté a le mérite de rappeler que le juge n'est pas le simple arbitre des prétentions des parties, mais qu'il est au service du litige.

III - Preuve électronique et preuve papier

  • La reconnaissance de dette dactylographiée qui ne comporte que la signature manuscrite du débiteur possède la valeur probante d'un acte sous seing privé : Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 06-17.534, M. Jean-Claude Darmon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3931D7Q)

Cette décision de justice a déjà fait beaucoup parler d'elle (2) tant parce qu'elle est marquée des cinq étoiles (FS-P+B+R+I), qui signalent généralement un arrêt de principe, mais aussi, car elle semble remettre en cause une solution admise de longue date.

Dans cette espèce, un créancier poursuivait son débiteur en produisant devant les juges une reconnaissance de dette entièrement dactylographiée, et qui ne comportait que la signature de la main du débiteur. La cour d'appel avait considéré que ce document ne constituait qu'un commencement de preuve par écrit, insuffisamment probant par lui-même.

Cette solution traditionnelle reposait sur la rédaction de l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L2659C3U), dans sa version antérieure à la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 (N° Lexbase : L0274AIY) sur la preuve et la signature électronique. Dans cette version, le Code civil prévoyait que "l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite de sa main, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres".

La règle s'impose aux contrats unilatéraux, et particulièrement au cautionnement, mais aussi à la reconnaissance de dette. Par ailleurs, la loi du 13 mars 2000 en a profondément modifié la substance en substituant à la formule "de sa main", une autre qui ne modifie pas l'esprit de l'article 1326, mais la forme de la mention. Ainsi, la mention manuscrite doit désormais être écrite "par lui-même", c'est-à-dire par le débiteur lui-même. La modification formelle de l'article 1326 a été dictée par la volonté d'adapter le droit de la preuve aux technologies de l'information. La mention manuscrite de la dette n'est évidemment pas compatible avec les impératifs de la preuve électronique ou informatique.

Pour autant, devait-on considérer que la disparition de la mention manuscrite de la dette concernait aussi la preuve papier ? Telle semble être la voie dans laquelle s'est engagée la Cour de cassation dans l'arrêt étudié.

Elle affirme, ainsi, que "si la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, écrite par la partie même qui s'engage, n'est plus nécessairement manuscrite, elle doit alors résulter, selon la nature du support, d'un des procédés d'identification conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique ou de tout autre procédé permettant de s'assurer que le signataire est le scripteur de ladite mention".

Ce motif comporte une affirmation claire et une condition sujette à interprétation. Ce qui est certain, c'est que la mention manuscrite de la dette n'est plus exigée à titre probatoire. Pour autant, l'engagement personnel du débiteur doit être prouvé par un procédé qui permette de s'assurer que ce dernier est bien "le scripteur de ladite mention". Si les procédés informatiques permettent ce type d'identification, tel n'est pas le cas pour un écrit dactylographié comportant seulement la signature du débiteur. Comment savoir qui est l'auteur de la mention dactylographié ? A cette question, la Cour de cassation n'apporte aucune réponse. Elle se contente de déclarer que "la cour d'appel a violé le texte susvisé". Il y a là une part de mystère dans la mesure où le juge du fond qui souhaitera vérifier qu'un écrit dactylographiée est bien l'oeuvre du débiteur qui l'a signé, ne disposera concrètement d'aucune méthode de vérification. Le rapprochement entre signataire et scripteur d'un écrit dactylographié demeure, en pratique, bien hypothétique.

IV - Appel

Deux décisions intéressantes concernant l'appel ont été rendues récemment. Nous les exposons ici rapidement.

  • Le conseiller de la mise en état est compétent pour déclarer l'appel irrecevable quelle qu'en soit la forme : Cass. com. 14 mai 2008, n° 07-11.036, M. Max Picot, F-P+B (N° Lexbase : A5272D8R)

Dans le cadre d'une procédure collective, le gérant d'une société ayant été mis en liquidation judiciaire, le juge-commissaire avait prononcé la vente de l'un de ses biens, décision confirmée par le tribunal de commerce. Le gérant forma alors un appel-nullité contre cette décision, appel qui fut déclaré irrecevable par le conseiller de la mise en état.

En effet, l'article 911 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3215ADG) donne au conseiller de la mise en état compétence pour statuer sur la recevabilité de l'appel et sur toute question ayant trait à cette recevabilité. Toutefois, dans son pourvoi, le gérant estimait qu'il fallait opérer une distinction entre l'appel-réformation et l'appel-nullité pour excès de pouvoir ou violation d'un principe essentiel de la procédure. Il considérait ainsi que la compétence du conseiller de la mise en état se limitait à l'appel-réformation.

L'argument n'était pas convainquant et il a été rapidement rejeté par la Cour de cassation qui affirme que l'article 911 "ne distingue pas selon que la voie de recours intentée tend à la réformation, à l'annulation ou à la nullité du jugement, de sorte que le conseiller de la mise en état était compétent pour apprécier la recevabilité de l'appel-nullité interjeté par M. X".

La solution semblait ici évidente dans la mesure où les deux formes d'appel, réformation ou annulation, si elles sont porteuses d'un grief différent, suivent le même régime procédural.

  • Le défaut de communication du dossier en appel au parquet général est une cause de nullité de l'arrêt en matière de filiation : Cass. civ. 1, 15 mai 2008, n° 07-17.407, M. Raymond Erin, F-P+B (N° Lexbase : A5394D8B)

L'article 425, 1° du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7708HE9) dispose que le ministère public doit avoir communication des affaires civiles relatives à la filiation (entre autres). Ainsi, dans cette matière relevant des personnes, le ministère public peut intervenir comme partie jointe. La formalité de communication de l'affaire permet d'informer le ministère public, afin que celui-ci décide ou non d'intervenir dans l'instance pour faire connaître son avis sur l'application de la loi (C. proc. civ., art. 424 N° Lexbase : L2663ADY).

Dans l'arrêt étudié, la question s'est posée de savoir si l'obligation de communication devait être renouvelée en appel auprès du procureur général alors même que l'affaire avait été communiquée au ministère public en première instance.

La Cour de cassation a répondu par l'affirmative à cette question en considérant d'abord que "le ministère public doit avoir communication des affaires relatives à la filiation ; que cette règle est d'ordre public", puis en ajoutant qu'une cour d'appel ne satisfait pas à cette exigence lorsqu'il "ne résulte ni des mentions de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que la cause, communiquée au ministère public en première instance, l'ait été, de nouveau, au procureur général".

La solution est sévère, car l'on pourrait considérer que le parquet a été correctement informé en recevant communication du dossier en première instance. De surcroit, le principe d'indivisibilité du ministère public conduit à penser qu'une seule communication produit un effet à l'égard du parquet dans son entier.

Toutefois, la solution adoptée par la Haute juridiction résulte d'une jurisprudence constante comme en témoigne un arrêt rendu en 1997 dans le même sens (3). Il faut, dès lors, admettre qu'il existe, même en procédure civile, certaines matières qui relèvent tout à la fois des intérêts privés des parties et de l'intérêt général. La place occupée par le ministère public dans ces contentieux est considérée par la Cour de cassation comme primordiale, comme le rappelle l'arrêt commenté et la sévérité de la sanction prononcée.

Etienne Vergès,
Professeur agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 5ème éd., n° 354.
(2) Notamment, Dalloz, 2008, act. p. 911.
(3) Cass. civ. 1, 13 juin 1997, n° 95-18.431, Mme X c/ M. Y et autre (N° Lexbase : A0655ACA), Bull. civ. I, n° 183.

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