La lettre juridique n°309 du 19 juin 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Protection des anciens conseillers prud'hommes contre le licenciement et utilisation de leurs crédits d'heures par les défenseurs syndicaux

Réf. : Cass. crim.,6 mai 2008, n° 07-80.530, M. Christophe Clerand, F-P+F (N° Lexbase : A9409D8Y)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu le 6 mai 2008 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation est riche d'au moins deux enseignements. Tout d'abord, la Cour de cassation vient affirmer que lorsqu'un conseiller prud'homme renonce à son mandat, le délai de protection contre le licenciement de six mois, dont il bénéficie après la cessation de ses fonctions, commence à courir du jour où cette démission a acquis un caractère définitif, c'est-à-dire un mois à compter de l'expédition de la lettre par laquelle il a démissionné. Ensuite, la Chambre criminelle décide que les modalités d'utilisation du crédit d'heures dont bénéficient les salariés appelés à exercer les fonctions d'assistance ou de représentation devant les juridictions prud'homales ne sauraient être imposées unilatéralement par l'employeur.
Résumé

Les dispositions d'ordre public relatives aux fonctions de conseiller prud'homme ont été instaurées en vue d'assurer la permanence de l'institution. Le délai de six mois pendant lequel le salarié reste protégé contre le licenciement postérieurement à la cessation de ses fonctions commence à courir du jour où la démission des fonctions du conseiller prud'homme a acquis un caractère définitif, c'est-à-dire un mois à compter de l'expédition de la lettre de démission.

A défaut de dispositions légales ou conventionnelles fixant les modalités d'utilisation du crédit d'heures accordé par la loi pour assurer les fonctions d'assistance ou de représentation devant les juridictions prud'homales prévues par l'article L. 516-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6606ACN, art. L. 1453-4, recod. N° Lexbase : L0356HXH), un délai de prévenance et la répartition des heures d'assistance ou de représentation ne pouvaient être imposés unilatéralement par l'employeur au défenseur syndical.

Commentaire

I Le statut protecteur du conseiller prud'homme démissionnaire

  • La protection des anciens conseillers prud'hommes

Les conseillers prud'hommes bénéficient, au même titre que les représentants du personnel, d'un statut protecteur contre le licenciement. La rupture de leur contrat de travail à l'initiative de l'employeur ne peut donc intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail .

Si le bénéfice de la protection contre le licenciement concerne, au premier chef, les conseillers prud'hommes en exercice, elle intéresse, également, les anciens magistrats prud'homaux qui, en application de l'article L. 2411-22 du Code du travail, sont protégés pendant une durée de six mois postérieurement à la cessation de leurs fonctions.

L'employeur se doit donc de solliciter l'autorisation administrative lorsqu'il envisage de licencier un conseiller prud'homme qui a cessé ses fonctions depuis moins de six mois. A défaut, il encourt de lourdes sanctions, tant civiles (1) que pénales. A ce dernier titre, l'employeur pourra, en effet, être condamné pour délit d'entrave, sur le fondement de l'article L. 2437-1 du Code du travail , qui dispose que "le fait de rompre le contrat de travail d'un conseiller prud'homme, candidat à cette fonction ou ancien conseiller, en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative prévues par le présent livre, est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros" (2).

  • Le point de départ du délai de protection post-mandat

Dans la grande majorité des cas, le délai de six mois pendant lequel le conseiller prud'homme reste protégé contre le licenciement commence à courir à l'échéance de son mandat. Mais, le conseiller prud'homme peut choisir de renoncer à son mandat en démissionnant. C'est ce que rappelle l'article D. 1442-17, alinéa 1er, du Code du travail (art. R. 512-15, anc. N° Lexbase : L0462ADH), en affirmant que "le conseiller qui renonce à son mandat adresse sa démission au président du conseil de prud'hommes et en informe le procureur de la République par lettre recommandée avec avis de réception".

Cette hypothèse ne suscite, a priori, pas plus de difficulté que la précédente, si ce n'est que l'on peut hésiter quant à savoir si l'on fait courir le délai à compter de l'émission de la volonté de démissionner ou à compter de la réception de la lettre de démission par son destinataire. Cela revient à se demander si la renonciation au mandat constitue un acte réceptice ou non réceptice. On est tenté d'affirmer qu'en tant qu'acte unilatéral, la démission relève de la première catégorie. Toutefois, outre qu'une telle assertion peut être contestée, c'est la question même qui n'a pas à être posée.

En effet, en application de l'alinéa 2 de l'article D. 1442-17, "la démission devient définitive à compter d'un mois après l'expédition de cette lettre". Tirant toutes les conséquences de cette disposition, la Chambre criminelle affirme, à la suite des juges du fond, que le délai de six mois pendant lequel le salarié continue de bénéficier du statut protecteur "commence à courir du jour où la démission des fonctions du conseiller prud'homme a acquis un caractère définitif, au sens de l'article R. 512-15, devenu l'article D. 1442-17 dudit code". Afin de conforter la solution retenue, la Cour de cassation affirme que "les dispositions d'ordre public relatives aux fonctions de conseiller prud'homme ont été instaurées en vue d'assurer la permanence de l'institution" (3).

Cette solution nous paraît devoir être approuvée. Conforme à la lettre des textes, elle l'est aussi à leur esprit. Si la démission ne devient définitive qu'au terme du délai d'un mois après l'expédition de la lettre, c'est affirmer, par là même, que, durant ce délai d'un mois, le conseiller prud'homme reste en fonction (4). Il est donc protéger à ce titre contre le licenciement. Ce délai d'un mois permet, par ailleurs, de lui trouver un remplaçant et, ainsi, de ne pas remettre en cause la "permanence de l'institution".

Justifiée en son principe, la solution retenue dans le présent arrêt n'en reste pas moins problématique pour l'employeur dont la loi n'indique malheureusement pas qu'il est le destinataire de la lettre par laquelle le conseiller prud'homme renonce à ses fonctions. N'étant pas nécessairement informé, l'employeur pensera, dans la plupart des cas, que le salarié exerce toujours son mandat, auquel cas il sollicitera l'inspecteur du travail. Mais à supposer qu'il ait eu vent de la démission du salarié de ses fonctions, il lui faudra établir avec précision la date d'expédition de la lettre.

Cette situation n'est, évidemment, pas sans rappeler celle dans laquelle l'employeur licencie l'un de ses salariés en ignorant, en toute bonne foi, qu'il exerce les fonctions de conseiller prud'homme. On sait que la Cour de cassation considère que, compte tenu de l'opposabilité à tous des résultats des élections prud'homales, de la possibilité de consulter la liste des conseillers prud'hommes en préfecture et de la publication de cette liste au recueil des actes administratifs de la préfecture, l'employeur ne peut justifier du non-respect de la procédure spéciale de licenciement par son ignorance du statut de conseiller prud'homme du salarié (5).

Il faut, dès lors, espérer que le législateur aura la sagesse de reprendre l'une des propositions de réforme formulées par la Cour de cassation dans son dernier rapport annuel, selon laquelle le licenciement d'un salarié prononcé dans l'ignorance de sa qualité de conseiller prud'homme, d'ancien conseiller prud'homme ou de candidat aux fonctions de conseiller prud'homme est annulé si, dans les quinze jours à compter de sa notification, le salarié informe l'employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception, de sa qualité, en mentionnant auprès de quel conseil de prud'hommes il exerce ou il a exercé ses fonctions, ou il est candidat. Si l'employeur envisage toujours de licencier le salarié, il dispose d'un délai de quinze jours pour engager la procédure prévue par la loi (6).

II De l'utilisation de son crédit d'heures par un défenseur syndical

  • Les fonctions de défenseur syndical

Parmi les différentes personnes habilitées à assister ou à représenter les parties en matière prud'homale sont visés "les délégués permanents ou non permanents des organisations syndicales ouvrières" (C. trav., art. R. 1453-2, art. R. 516-5, anc. N° Lexbase : L0650ADG).

Ces défenseurs syndicaux bénéficient, lorsqu'ils sont salariés, d'un statut particulier. A condition d'exercer leurs fonctions dans un établissement de onze salariés et plus, les salariés exerçant des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et désignés par les organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national disposent du temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions dans les limites d'une durée ne pouvant excéder dix heures par mois. Si ce temps n'est pas rémunéré comme temps de travail, il est assimilé à une durée de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés, du droit aux prestations d'assurances sociales et aux prestations familiales, ainsi qu'au regard de tous les droits que le salarié tient du fait de son ancienneté dans l'entreprise .

  • Les modalités d'utilisation du crédit d'heures

A l'image des heures de délégation dont bénéficient les représentants du personnel, la loi ne dit mot sur les modalités d'utilisation de son crédit d'heure par un salarié pour assurer les fonctions d'assistance et de représentation devant les juridictions prud'homales. Est-ce à dire, pour autant, qu'un délai de prévenance et la répartition de ces heures ne peuvent être imposés au salarié ?

L'arrêt rapporté donne l'occasion à la Cour de cassation de répondre, pour la première fois à notre connaissance, à cette question. Il ressort, en effet, de l'arrêt rapporté que l'employeur ne saurait en aucune façon fixer les modalités d'utilisation du crédit d'heures d'un défenseur syndical de manière unilatérale. En revanche, de telles modalités peuvent être imposées par une convention ou un accord collectif de travail. Cette solution n'est pas sans rappeler celle adoptée par la Cour de cassation en matière de bons de délégation. On sait, en effet, que ces bons ne peuvent être mis en place qu'à l'issue d'une procédure de consultation et non par décision unilatérale (7). La Chambre criminelle est, toutefois, ici, plus exigeante, dans la mesure où elle se réfère exclusivement à des dispositions conventionnelles et non à une simple procédure de consultation. En tout état de cause, la fixation des modalités d'utilisation des heures de délégation ne saurait aboutir à entraver les fonctions de défenseur syndical. Par suite, nulle autorisation préalable ne saurait être exigée.

Il est, en outre, à remarquer que, en l'espèce, le salarié ne pouvait être taxé d'aucune intention malveillante à l'égard de son employeur puisque, nonobstant l'arrivée tardive du planning des gardes préfectorales, il s'était efforcé d'informer l'employeur de son absence pour l'exercice de ses fonctions de défenseur syndical.

Au final, faute, pour le salarié, d'être tenu de prévenir l'employeur de son absence, celui-ci ne pouvait lui reprocher de s'être absenté de son poste de travail, malgré son refus, pour exercer ses fonctions de défenseur syndical. Par conséquent, le licenciement intervenu à cette occasion était bel et bien fondé sur les activités syndicales de l'intéressé et on doit, avec la Chambre criminelle, approuver les juges du fond d'avoir condamné l'employeur du chef de discrimination syndicale sur le fondement des articles 225-1 (N° Lexbase : L3332HIA) et 225-2 (N° Lexbase : L0449DZN) du Code pénal.


(1) Faute d'autorisation, le licenciement sera annulé et le salarié pourra exiger sa réintégration ou solliciter l'octroi de dommages-intérêts.
(2) Relevons que l'arrêt de la Chambre criminelle comporte une petite erreur matérielle, qui reste, cependant, sans conséquence. En effet, pour ce qui est de la violation du statut protecteur des conseillers prud'hommes l'article L. 531-1 du Code du travail n'est pas devenu l'article L. 1443-3 du même code, mais l'article L. 2437-1.
(3) La Chambre criminelle approuve, dès lors, les juges du fond d'avoir condamné l'employeur pour délit d'entrave. Précisons que, en l'espèce, l'employeur avait licencié le salarié le 7 décembre 2001, tandis que ce dernier avait démissionné (comprendre "avait expédie sa lettre de démission") le 6 juin 2001. Partant, le salarié bénéficiait de la protection contre le licenciement, non pas jusqu'au 6 décembre 2001, mais jusqu'au 6 janvier 2002.
(4) Sans doute peut-on, également, admettre que, durant ce délai, le conseiller peut rétracter sa démission qui n'est que "provisoire".
(5) Cass. soc., 9 juin 1998, n° 96-43.015, Société Les Ophéliades c/ Mlle Heitzmann (N° Lexbase : A5646AC4), Bull. civ. V, n° 314.
(6) V., sur cette proposition de réforme, S. Tournaux, Les propositions de réforme de la Chambre sociale avancées par le rapport de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 305 du 22 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9554BEL).
(7) V. par ex., Cass. crim., 12 avril 1988, n° 87-84.148, Union départementale Force Ouvrière du Val-d'Oise (N° Lexbase : A7918AAI).

Décision

Cass. crim., 6 mai 2008, n° 07-80.530, M. Christophe Clerand, F-P+F (N° Lexbase : A9409D8Y)

Rejet de CA Nîmes, ch. correctionnelle, 19 décembre 2006

Textes concernés : C. trav., articles L. 1453-4 ; L. 2411-22 ; L. 2437-1 et D. 1442-17 (art. R. 512-15, anc. N° Lexbase : L0462ADH)

Mots-clefs : conseiller prud'homme ; statut protecteur ; protection post-mandat ; durée ; point de départ ; défenseur syndical ; crédit d'heures ; modalités d'utilisation.

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