La lettre juridique n°293 du 21 février 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Avis du médecin du travail et reclassement : question de compatibilité

Réf. : Cass. soc., 6 février 2008, M. Bounouar c/ Société Feursmétal, n° 06-44.413, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7266D4U)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



Un salarié déclaré inapte, que l'employeur tente de reclasser, peut-il contester la compatibilité des propositions de reclassement faites par l'employeur avec l'avis émis par le médecin du travail et, le cas échéant, à quelle condition, et devant quelle personne ? Dans un arrêt du 6 février dernier, la Cour de cassation vient donner une réponse à cette question et impose à l'employeur, en présence d'une contestation du salarié sur la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier, venant, par là-même, renforcer les obligations de l'employeur en matière de reclassement. Cette obligation nouvelle, doit être approuvée.
Résumé

Dans l'hypothèse où le salarié conteste la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier.

Commentaire

I. Teneur de l'obligation de reclassement du salarié déclaré inapte

  • Obligation de reclassement du salarié inapte à la suite d'une maladie ou d'un accident du travail

L'article L. 122-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1401G9R) dispose que, "à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses nouvelles capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise, et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail".

Cette obligation s'impose dès lors que l'inaptitude a été constatée par deux visites médicales.

A défaut de reclassement du salarié à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise, ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de lui verser le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait précédemment (C. trav., art. L. 122-24-4, al. 3).

  • Généralité de l'obligation de reclassement à tout avis d'inaptitude quelle qu'en soit la cause

L'employeur est, ainsi, tenu d'une obligation générale de reclassement vis-à-vis des salariés déclarés inaptes, que l'inaptitude soit temporaire, partielle, définitive et/ou totale, qu'elle ait une origine professionnelle ou non professionnelle.

L'article L. 241-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6034ACH) rappelle cette obligation de reclassement et permet son extension en dehors des hypothèses d'inaptitudes consécutives à une maladie ou à un accident professionnel. Ce texte vient, en outre, imposer à l'employeur de prendre en considération les conclusions et propositions émises par le médecin du travail et de faire connaître les motifs qui justifient son refus de les prendre en compte (C. trav., art. L. 241-10-1). L'employeur d'un salarié déclaré inapte doit donc rechercher et proposer au salarié tout poste compatible avec ses nouvelles capacités dans l'entreprise mais, également, dans le groupe auquel elle appartient.

Le salarié peut parfaitement refuser le poste proposé par l'employeur, ce refus est légitime lorsqu'il entraîne une modification du contrat de travail (Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 00-40.929, FS-D N° Lexbase : A2520A3Q) ou lorsque les postes proposés ne sont pas conformes aux prescriptions du médecin du travail (Cass. soc., 9 mai 1995, n° 91-45.017, Société anonyme Renosol c/ M. Jean-Paul Cornaire N° Lexbase : A9542AAN).

Quid du désaccord entre l'employeur et le salarié sur le poste proposé et, singulièrement, sur sa compatibilité avec les propositions du médecin du travail ? L'employeur est-il tenu de solliciter l'avis du médecin du travail ?

Telle était la question que devait trancher la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié avait été victime d'un accident du travail. Au cours de la visite médicale de reprise, le médecin du travail avait conclu à la reprise, à mi-temps thérapeutique, dans un poste limitant le port de charges lourdes et ne nécessitant pas l'utilisation d'outils vibrants. Face aux refus réitérés du salarié d'occuper les postes successivement proposés, l'employeur l'avait licencié pour insubordination.

La cour d'appel avait donné raison à l'employeur, considérant que, dans la mesure où il justifiait avoir prévu un aménagement des deux postes proposés afin de les rendre compatibles avec les restrictions émises par le médecin du travail, il n'avait pas à consulter à nouveau le médecin du travail sur la nouvelle affectation.

La Haute juridiction ne voit pas les choses de la même manière. Elle affirme, au visa de l'article L. 241-10-1 du Code du travail, que, dans l'hypothèse où le salarié conteste la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier.

Cette solution, a priori logique, amène quelques réserves.

II. Nouvelle obligation de l'employeur du salarié devenu inapte à son emploi

La solution rendue par la Haute juridiction dans la décision commentée ne manque pas de logique. Toutefois, elle suscite la critique.

  • Un fondement introuvable ?

Le visa retenu par la Haute juridiction au soutien du principe n'est pas forcément adéquat. En premier lieu, en effet, l'article L. 241-10-1 du Code du travail, qui figure au visa de la décision commentée, ne vient à aucun moment imposer à l'employeur de solliciter l'avis du médecin du travail en cas de contestation par le salarié de la compatibilité du poste proposé avec les recommandations du médecin du travail.

Nous l'avons vu, ce texte vient, ainsi, dans un premier alinéa, permettre au médecin du travail de formuler des propositions de mesures individuelles pour les salariés dont le poste se révèlerait inadapté.

Il impose, dans un deuxième alinéa, au chef d'entreprise de prendre en considération ces propositions et de rechercher un poste compatible dans l'entreprise, et, le cas échéant, de justifier son refus de donner suite aux conclusions du médecin du travail.

Dans un troisième alinéa, cette disposition vient déférer, à l'inspecteur du travail, les difficultés ou désaccords entre l'employeur et le salarié sur l'avis émis par le médecin du travail.

A aucun moment donc, ce texte ne prévoit le règlement des contestations qui peuvent s'élever entre l'employeur et le salarié sur l'adéquation des postes proposés avec les recommandations du médecin du travail, et, notamment, n'impose à l'employeur de solliciter un nouvel avis dans ce cas.

Le recours à cette disposition donne, en second lieu, un champ particulièrement large à l'obligation de l'employeur de consulter le médecin du travail en cas de contestation du salarié de la compatibilité du poste proposé avec les recommandations du médecin.

Cette obligation s'impose donc pour tout avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail, voire, plus largement, pour toute mesure individuelle proposée par ce dernier en application de l'article L. 241-10-1 du Code du travail. La contestation par le salarié de la conformité des propositions de l'employeur avec les recommandations du médecin du travail imposera à l'employeur une nouvelle contestation.

Quid du délai d'un mois imparti à l'employeur pour licencier ou reclasser un salarié inapte prévu à l'article L. 122-24-4 du Code du travail ? Cette étape supplémentaire ne risque-t-elle pas de conduire systématiquement l'employeur à reprendre le paiement des salaires ?

Si le fondement de cette obligation ne figure pas littéralement dans les textes, il résulte implicitement de l'article L. 241-10-1 du Code du travail.

  • Une obligation parfaitement logique

Cette disposition impose à l'employeur de prendre en compte les propositions du médecin du travail. Ceci signifie qu'en cas de doute sur la compatibilité des mesures prises par l'employeur avec l'avis du médecin, l'employeur est "tenu" de demander son avis au médecin du travail. Cette consultation, même si elle n'est pas expressément affirmée, est vivement conseillée.

La jurisprudence mettant à la charge de l'employeur la preuve de la satisfaction à son obligation de reclassement, c'est à lui qu'il appartient de démontrer qu'il se trouve dans l'impossibilité de reclasser le salarié dans l'entreprise, conformément aux prescriptions du médecin du travail (Cass. soc., 5 décembre 1995, n° 92-45.043, Société Périgord distribution, société à responsabilité limitée c/ M. Bernard Brunet N° Lexbase : A2468AGI, Dr. soc., 1996, n° 425, obs. A. Mazeaud). S'il sollicite l'avis du médecin et que ce dernier confirme que les postes ne sont pas compatibles avec l'état du salarié, il pourra légitimement le licencier.

La solution était, en outre, annoncée, les décisions antérieures faisant, en effet, du médecin du travail, le "juge" de la compatibilité des propositions avec l'avis émis. Les juges imposent à l'employeur, même en cas d'inaptitude avérée, préalablement au licenciement, de solliciter l'avis du médecin du travail sur l'inaptitude du salarié et ses propositions éventuelles de reclassement (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-45.449, M Zekraoui c/ Société des Usines et aciéries de Sambre et Meuse N° Lexbase : A3616ABK, Bull. civ. V, n° 560). L'obligation nouvelle mise à la charge de l'employeur n'est, ainsi, qu'une généralisation et une matérialisation de cette dernière solution.

Après tout, ce n'est pas totalement préjudiciable aux employeurs qui, au soutien de leur licenciement, pourront avancer la position du médecin du travail.

Décision

Cass. soc., 6 février 2008, M. Bounouar c/ Société Feursmétal, n° 06-44.413, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7266D4U)

Cassation de CA Lyon, 5ème ch., 18 novembre 2005, n° 05-01196, M. Aloua Bounouar c/ Feursmetal (N° Lexbase : A7866DMB)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R) et L. 241-10-1 (N° Lexbase : L6034ACH)

Mots clefs : accident du travail ; visite de reprise ; déclaration d'inaptitude ; obligation de reclassement ; reclassement par l'employeur ; proposition de poste ; contestation par le salarié de la compatibilité des postes proposés avec l'avis du médecin du travail ; obligation pour l'employeur de saisir à nouveau le médecin du travail pour avis.

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