La lettre juridique n°271 du 6 septembre 2007 :

[Jurisprudence] Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus : l'article L. 341-4 du Code de la consommation s'applique à toutes les personnes physiques

Réf. : CA Paris, 15ème ch., sect. B, 1er juin 2007, n° 05/22456, M. Faïçal Ben Salah Lassila c/ Société Caisse de Crédit Mutuel de Paris 3 et 4ème Le Marais Bastille (N° Lexbase : A0175DXR)

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par Géraud Mégret, Moniteur Allocataire à l'Université Paris I

le 07 Octobre 2010

Il y a peu, la Cour de cassation tranchait le débat relatif à l'application dans le temps de l'article L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8753A7C) en faveur de la sécurité juridique (1). La question ne soulève plus de difficulté aujourd'hui devant les juges du fond : l'article L. 341-4 du Code de la consommation n'est pas applicable aux cautionnements souscrits avant son entrée en vigueur (2). Pour autant, la question de l'application dans le temps de l'article L. 341-4 du Code de la consommation n'épuise pas le contentieux relatif à cette disposition. Ainsi, la cour d'appel de Paris prend-elle position sur la question du champ d'application du texte précité. Pour les juges du fond, l'exigence légale de proportionnalité est applicable à toute personne physique, fût-elle dirigeante de société. Les faits de l'espèce ne présentent guère d'originalité. Le gérant d'une SARL consent un cautionnement en garantie des dettes de la société qu'il dirige. Comme suite à la défaillance de la société débitrice, le créancier assigne la caution en paiement. Celle-ci est condamnée et interjette appel. Elle invoque, à titre principal, les dispositions de l'article L. 341-4 du Code de la consommation afin d'être déchargée de son engagement. Le créancier soutient, alors, "qu'en sa qualité de gérant, il ne peut soulever ce moyen que pour autant qu'il apporte la preuve que la banque aurait disposé d'informations privilégiées sur la situation de son entreprise, que lui-même aurait ignorées".

La cour d'appel de Paris rejette l'argumentation soutenue par le créancier. Elle rappelle, dans un premier temps, que l'article L. 341-4 du Code de la consommation est applicable en la cause dès lors que le cautionnement a été souscrit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 sur l'initiative économique (3), laquelle introduit cette exigence légale de disproportion. Elle souligne par ailleurs, et surtout, que "cette disposition, applicable à toute personne physique, peut être soulevée par M. L., caution dirigeante". Relevant une disproportion de l'engagement "tant au moment de l'engagement qu'au moment où la caution est appelée", les juges du fond déchargent la caution sur le fondement de l'article L. 341-1 du Code de la consommation.

L'application de l'article L. 341-4 au cautionnement souscrit par une "caution dirigeante" (I) témoigne du caractère objectif de l'exigence légale de proportionnalité (II).

I - L'article L. 341-4 du Code de la consommation est applicable aux "cautions dirigeantes"

Avant l'entrée en vigueur de la loi sur l'initiative économique, le principe de proportionnalité en droit du cautionnement était, de fait, largement dominé par les solutions jurisprudentielles. Le législateur avait, certes, introduit une telle exigence, mais celle-ci était cantonnée aux cautionnements garantissant une opération de crédit à la consommation et au crédit immobilier des particuliers (4). Inspirée par ce mouvement législatif, la Cour de cassation a progressivement introduit un principe général de proportionnalité fondé sur la faute du créancier qui accepte un engagement manifestement disproportionné (5).

Le régime de la disproportion jurisprudentielle est cependant, aujourd'hui, largement dominé par la distinction entre les cautions "intégrées" et "non intégrées". Dès lors que la caution exerce des responsabilités au sein de la société garantie et qu'elle est ainsi à même de mesurer les risques le l'opération garantie, la Cour de cassation exige, pour qu'elle puisse se prévaloir d'une disproportion de son engagement sur le terrain de la responsabilité civile, qu'elle apporte la preuve que la banque détenait des informations qu'elle-même aurait ignorées (6). Une telle exigence d'ordre probatoire condamne, de facto, les cautions dites "intégrées" à ne pouvoir se prévaloir d'une disproportion de leur engagement sur le terrain de la responsabilité civile (7).

De son côté, le législateur a généralisé le principe de proportionnalité avec la loi du 1er août 2003 en prévoyant qu'"un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation" (8). Ce texte, qui a notamment vocation à favoriser la lutte contre le surendettement des particuliers, permet, lui aussi, de protéger les cautions contre un engagement manifestement disproportionné.

Contrairement aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, le texte n'opère aucune distinction entre les cautions ; il vise, en effet, toute "personne physique". Depuis l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la doctrine et la pratique s'interrogent sur le champ d'application de l'article L. 341-4 du Code de la consommation. La distinction opérée par la jurisprudence en matière de disproportion fondée sur le droit commun de la responsabilité civile a-t-elle vocation à être transposée à l'exigence légale de disproportion ? Ce point de vue, défendu par l'intimé en l'espèce, est clairement rejeté par les magistrats de la cour d'appel de Paris. Les juges du fond affirment, sans grande surprise, que l'article L. 341-4 du Code de la consommation est applicable à toutes les cautions personnes physiques sans distinction de qualité, confirmant ainsi l'avis d'une doctrine avisée (9).

La solution mérite, selon nous, d'être approuvée. En droit, rien n'autorise une application plus stricte des dispositions précitées pour les cautions dirigeantes de société. La loi n'opérant aucune distinction, il paraît douteux que la jurisprudence puisse interpréter un texte au regard des principes qu'elle a elle-même forgés. A fortiori, la seule qualité de dirigeant ou, plus généralement, de caution intégrée ne saurait suffire à exclure les dispositions du Code de la consommation (10).

Le champ d'application de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, ainsi défini par les juges du fond, témoigne du caractère objectif de l'exigence légale de proportionnalité en droit du cautionnement.

II - Le caractère objectif de l'exigence légale de proportionnalité

La logique poursuivie par le législateur doit être soigneusement distinguée de la "politique jurisprudentielle" de la Cour de cassation. La Cour de cassation sanctionne, par le biais de la responsabilité civile, une disproportion subjective (11) essentiellement fondée sur la faute et, donc, sur le comportement des cocontractants. On comprend, dès lors, que la faute du créancier soit appréciée au regard de la qualité de son cocontractant. Ainsi, la Cour de cassation pose-t-elle des conditions plus strictes lorsque la caution est réputée avertie par sa qualité de dirigeant et qu'elle a les moyens de mesurer les risques auxquels elle s'expose.

Le dirigeant qui s'engage personnellement doit, au contraire, pouvoir jouir des protections légales accordées à toute personne physique. L'exigence légale de proportionnalité s'oppose à la disproportion résultant d'une faute du cocontractant. Le législateur ne s'intéresse qu'à la disproportion objective qui résulte d'une inadéquation entre le patrimoine de la caution et le montant de son engagement. Dès lors qu'il constate que la caution n'avait pas les capacités financières de s'engager au jour son engagement et qu'elle ne peut faire face à celui-ci au jour de l'appel en garantie, elle doit être déchargée. Contrairement aux principes posés par jurisprudence, la disproportion est appréciée tant au jour de l'engagement qu'au jour de l'exécution de la garantie. En cela, la loi sanctionne un risque pris par le créancier professionnel au jour de son engagement plus qu'une faute au sens du droit commun de la responsabilité (12). C'est, en toute logique, nous semble-t-il, que les juges du fond refusent donc de prendre en compte la qualité de la caution pour apprécier la disproportion sur le terrain de l'article L. 341-4 du Code de la consommation.

La solution dégagée par les juges du fond condamne, si elle devait être confirmée par la Cour de cassation, le principe jurisprudentiel de proportionnalité à tomber en désuétude (13). A l'exception des cautions ayant souscrit leurs engagements avant l'entrée en vigueur de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, le droit commun de la responsabilité civile comme instrument de contrôle de la proportionnalité est voué, semble-t-il, à disparaître, entraînant avec lui la distinction entre les cautions dites "intégrées" et "non intégrées". La jurisprudence de la Cour de cassation ne trouverait à s'appliquer que dans les domaines non couverts par la loi (14).

En théorie, rien ne s'oppose à sanctionner une faute du créancier (15) lors de la conclusion du contrat de cautionnement. En pratique, pourtant, l'intérêt pour une caution personne physique de se prévaloir du droit commun de la responsabilité est quasiment nul. Dès lors que l'engagement de la caution est postérieur à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, celle-ci devrait pouvoir se prévaloir -quelle que soit sa qualité- d'une disproportion objective de son engagement. Elle échappe, ainsi, aux exigences de la responsabilité civile et, particulièrement, à la démonstration d'une faute. Dès lors, on ne voit guère ce qui pourrait inciter une caution personne physique à se placer sur le terrain de la faute alors que la loi lui offre une protection nettement plus efficace.

La substitution de l'exigence légale de disproportion aux règles de la responsabilité civile est souhaitable au nom de la sécurité des transactions que met en péril l'aléa inhérent à l'activité jurisprudentielle (16). Gageons que la Cour de cassation adhèrera à la solution dégagée en l'espèce par les juges du fond, premier pas d'un abandon des constructions jurisprudentielles antérieures.


(1) Cass. mixte, 22 septembre 2006, n° 05-13.517, M. Guy Bonnal c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de l'Oise, P+B+R+I (N° Lexbase : A3192DRN) ; lire nos obs., Disproportion et cautionnement : état des lieux après l'arrêt d'une Chambre mixte tranchant le débat relatif à l'application dans le temps de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, Lexbase Hebdo n° 231 du 12 octobre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N3801ALD) ; JCP éd. G, 2006, I, 195, n° 4, obs. Ph. Simler ; JCP éd. G, 2006, II, 10180 note D. Houtcieff ; Droit et patrimoine, janvier 2007, n° 155 p. 22 obs. L. Aynès. D. 2006, p. 2858 obs. P. Crocq.
(2) V. par ex. CA Paris, 15ème ch., sect. B, 8 février 2007, n° 05/20934, Mme Nedra Mustapha c/ SA BNP Paribas (N° Lexbase : A5098DUD).
(3) Loi n° 2003-721, du 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), JO n° 179 du 5 août 2003.
(4) Sur cette question, voir (N° Lexbase : E8922BXQ).
(5) Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, M. Macron c/ Banque internationale pour l'Afrique occidentale et autres (N° Lexbase : A1835ACX), D. 1998 p. 208 note J. Casey ; JCP éd. E, 1997, II, 1007, note D. Legeais ; RTD civ. 1998 p. 100, obs. J. Mestre ; Defrénois 1997, p. 1424, obs. L. Aynès ; RTD com. 1997, p. 662, obs. M. Cabrillac.
(6) Jurisprudence constante de la Cour de cassation, sur laquelle voir (N° Lexbase : E8617D3K).
(7) En ce sens, D. Houtcieff, "Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi pour l'initiative économique", JCP éd. G, 2003, II, 161, n° 25, pour qui l'exigence de preuve posée par la jurisprudence est "presque diabolique".
(8) C. consom., art. L. 341-4.
(9) En ce sens notamment : L. Aynès, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine, n° 120, novembre 2003, p. 29 ; D. Houtcieff, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi pour l'initiative économique, JCP éd. G, 2003, II, 161 ; D. Legeais, Le Code de la consommation, siège d'un nouveau droit commun du cautionnement, JCP éd. E, 2003, n° 8 p. 1611 et 1612.
(10) Voir, cependant, les réserves de D. Legeais, art. préc. : "la Chambre commerciale compétente en matière de cautionnement de dirigeant n'a pas à appliquer le Code de la consommation".
(11) Sur la distinction entre la disproportion objective et subjective, v. Y. Picod, Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de Sisyphe, Mélanges J. Calais, D. 2003, p. 843 et s..
(12) Sur cette question, voir l'analyse de L. Aynès pour qui la loi transforme la nature du contrat de cautionnement "en le rendant aléatoire", "son efficacité dépend d'un évènement futur et incertain : la détention d'un patrimoine permettant à la caution de faire face à son engagement, au moment où elle sera appelée en paiement", obs. sous Cass. mixte, 22 septembre 2006, préc..
(13) En ce sens notamment, J. François, Les sûretés personnelles, Economica, 1ère éd., n° 148 p. 129 ; P. Ancel, Droit des sûretés, Litec, Objectif Droit, n° 120 p. 46.
(14) En ce sens, D. Houtcieff, art. préc. ; Contra J. François, op. cit., loc. cit..
(15) Voir, toutefois, L. Aynès, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, préc., p. 32, pour qui le mécanisme de sanction légale doit exclure la responsabilité civile.
(16) En ce sens, L. Aynès, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, préc., p. 32.

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