La lettre juridique n°271 du 6 septembre 2007 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] L'adjudication de licence UMTS ne relève pas de la TVA

Réf. : CJCE, 26 juin 2007, aff. C-284/04, T-Mobile Austria GmbH et autres c/ Republik Österreich (N° Lexbase : A9283DWQ) et C-369/04, Hutchison 3G UK Ltd et autres c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A9285DWS)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Les perspectives de rentabilité de la communication mobile de troisième génération ont suscité la convoitise de certains Etats membres. Avant même que les opérateurs privés aient encaissé un euro sur l'exploitation de ce nouveau système de communication, l'Autriche et la Grande Bretagne ont adjugé aux plus offrants des licences UMTS. Curieusement, la question de savoir si la TVA s'appliquait à ce type d'attribution de fréquences ne semble pas avoir été posée par les opérateurs avant de concourir. L'espoir de décrocher une fabuleuse source d'enrichissement rend imprudent. Le moment d'euphorie passé, les heureux attributaires, sans doute devenus plus réalistes quant au retour d'investissement au regard de l'évolution des techniques et de la saturation du marché, ont espéré qu'avec une TVA en dedans, le coût des licences UMTS serait moindre. En 2000, la Radiocommunications Agency (Royaume-Uni) et la Telekom-Control-Kommission (Autriche) (TCK) ont, chacune, adjugé par voie d'enchères des licences d'utilisation de lots de fréquences permettant d'offrir des services de télécommunications mobiles du type UMTS/IMT-2000 (appelés aussi services de télécommunications mobiles de la troisième génération ou "3G"). Les licences ont été attribuées à plusieurs entreprises (1) pour un montant total de redevances de 22,5 milliards de livres (38 milliards d'euros) au Royaume-Uni et de 831,6 millions d'euros en Autriche. En Autriche, des fréquences permettant d'offrir des services de téléphonie mobile de la deuxième génération (type GSM) et servant au système de radiocommunications européennes TETRA avaient déjà été attribuées auparavant de la même manière.

Dans les procédures nationales au principal, les sociétés concernées soutenaient que l'octroi des droits était une opération soumise à la TVA et, partant, qu'il en allait de même des redevances d'utilisation des fréquences. Les juridictions saisies demandaient à la Cour de justice des Communautés européennes si les dispositions de la 6ème Directive-TVA (2) aboutissaient à soumettre à la TVA l'octroi par les pouvoirs publics desdites licences par voie d'enchères publiques (3). En cas de réponse positive, il était également demandé si le prix fixé s'entendait TVA incluse ou non.

Le souhait des opérateurs privés de récupérer une TVA qu'ils supposaient incluse dans le prix fixé par les autorités nationales n'a pas trouvé écho auprès de la CJCE. Le 26 juin 2007, elle a, en effet, dit pour droit que "l'attribution, par l'autorité réglementaire nationale responsable de l'assignation des fréquences, de droits tels que des droits d'utilisation de fréquences du spectre électromagnétique dans le but de fournir au public des services de télécommunications mobiles par voie de mise aux enchères ne constitue pas une activité économique au sens de cette disposition et, par conséquent, ne relève pas du champ d'application de cette Directive".

Faute d'exercer une activité économique en attribuant des fréquences UMTS, les Etats membres n'ont pas la qualité d'assujetti. Cette solution n'était pas celle proposée par l'Avocat général. Elle est pourtant justifiée.

1. L'incompatibilité de l'attribution des fréquences UMTS avec la qualité d'assujetti

Aux termes de l'article 2, § 1, de la 6ème Directive-TVA alors applicable, devenu article 2 de la Directive 2006/112/CE, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel. La nature de prestation de services effectuée à titre onéreux ne prête pas à discussion en l'espèce. En revanche, la question se pose de savoir si les Etats concernés ont agi en qualité d'assujetti.

L'article 4 de la 6ème Directive-TVA (article 9 de la Directive 2006/112/CE) dispose que :

"1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. [...].

5. Les Etats, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d'assujettis notamment pour les opérations énumérées à l'annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables [...]".

Des paragraphes 1 et 2 du texte précité, il résulte qu'est assujetti celui qui a pour activité habituelle de livrer des biens ou de fournir des prestations de services en vue d'en retirer des recettes pour son propre compte. Cela suppose l'exploitation d'un ensemble de moyens destinée à produire de la valeur ajoutée. Aucun Etat n'a pour activité habituelle l'attribution de licences UMTS. En l'espèce, l'adjudication par voie d'enchères des licences d'utilisation de lots de fréquences permettant d'offrir des services de télécommunications mobiles du type UMTS/IMT-2000 apparaît purement ponctuelle.

Par ailleurs, la délivrance des autorisations nécessaires aux opérateurs de télécommunications relève, en vertu de la Directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications (4), de la compétence exclusive de l'Etat membre concerné. En cela, l'autorité nationale compétente ne participe pas à l'exploitation d'un bien, constitué par les droits d'utilisation du spectre des radiofréquences en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. Elle ne fait qu'exercer son pouvoir et son devoir de contrôle et de réglementation de l'utilisation du spectre électromagnétique dévolus par le droit communautaire. Il n'y a, donc, aucune concurrence possible avec des opérateurs privés. Or, la TVA ne concerne que les activités concurrentielles. Tel est le sens de la jurisprudence dégagée à propos des activités illicites mais dont les analyses concernent toute activité non concurrentielle (5). De plus, il importe peu qu'une activité régulatrice donne lieu au paiement d'une redevance (6).

Certes, le paragraphe 5 de l'article 4 précité exclut du champ d'application de la TVA les activités accomplies par les Etats membres en tant qu'autorités publiques, y compris en cas de contrepartie, tout en réservant les cas de distorsion de concurrence et les opérations relevant de l'annexe D, dont les télécommunications. Cependant, en l'espèce, ce paragraphe 5 est inopérant car l'attribution de licences UMTS n'est pas une activité économique caractérisée par l'exploitation de biens à titre habituel.

2. L'incompatibilité justifiée de l'attribution des fréquences UMTS avec la qualité d'assujetti

L'objectif consistant à réguler le marché exclut-il toute activité économique ?

Au point 58 de ses conclusions sur l'affaire C-284/04, Madame l'Avocat général Juliane Kokott indique que "la consultation de l'annexe D, point 7, de la sixième Directive montre qu'une activité régulatrice peut être soumise à la TVA en tant qu'activité économique. Parmi les activités qualifiées en effet d'activités de l'Etat soumises à la TVA conformément à l'article 4, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième Directive, apparaissent dans cette annexe les opérations des organismes d'intervention agricoles portant sur les produits agricoles et effectuées en application des règlements portant organisation commune du marché de ces produits. Si un organisme d'intervention vend des produits de son stock, il doit donc verser la TVA, bien que ces opérations servent avant tout à réguler le marché et non pas à retirer des recettes".

L'exemple cité ne paraît pas pertinent dans la mesure où il s'agit d'une activité à caractère habituel et non d'une opération ponctuelle, comme en l'espèce. Pourtant, Madame l'Avocat général considère que la cession, contre le paiement d'une rétribution, d'un droit d'utilisation des fréquences limité dans le temps s'apparente à une mise en location ou à un affermage assimilable à l'exploitation d'un bien incorporel en vue d'en retirer des recettes (7).

Les bandes de fréquences ouvertes aux télécommunications mobiles UMTS/IMT-2000 sont limitées pour chaque Etat. Après attribution de ces fréquences aux opérateurs privés, l'Etat concerné n'en dispose plus durant vingt ans, sauf déchéance de l'attributaire. La comparaison avec un contrat de location est néanmoins séduisante, dans la mesure où le paiement immédiat s'apparenterait au versement unique et d'avance des loyers. Toutefois, ce forçage du pouvoir de régulation des Etats s'éloigne trop des faits.

Il serait peut-être plus judicieux de comparer l'attribution des fréquences UMTS à la cession d'un droit incorporel, catégorie de prestation de services taxable en cas d'exercice en qualité d'assujetti. La cession, même unique, d'un brevet n'est imposable que dans la mesure où son auteur a vendu le produit de son activité (8). L'inventeur doit la TVA sur la cession de son invention car cette opération résulte de l'exploitation d'un ensemble de moyens destiné à produire une valeur ajoutée. Comme le fabricant qui doit vendre sa production pour en retirer des recettes, l'inventeur doit céder le fruit de son activité s'il veut obtenir des revenus.

En va-t-il de même de l'Etat qui attribue contre un prix des fréquences UMTS ? A priori non car lesdites fréquences ne sont aucunement produites par les Etats. Chaque Etat, par suite de négociations internationales, s'est vu reconnaître une fraction de cette ressource rare. L'attribution, moyennant contrepartie unique et immédiate, du droit d'exploiter cette ressource prive l'Etat concerné du droit de la céder à nouveau. Il ne peut l'exploiter comme un prestataire habituel. Il n'y a donc pas de ressource exploitable durablement et susceptible de caractériser l'exploitation d'un bien en vue d'en retirer des ressources à caractère de permanence.

Certes, la commercialisation dans le cadre d'une activité régulatrice est taxable (9), mais encore faut-il qu'il s'agisse d'une activité répétée, habituelle. Tel n'est pas le cas de l'attribution des fréquences UMTS. En l'espèce, les recettes retirées n'ont pas de caractère de permanence dès lors que l'attribution des fréquences a été une opération unique. Rappelons que, selon l'arrêt "Enkler" (10), l'exploitation commerciale ponctuelle d'un bien ne constitue pas une activité économique au sens de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la 6ème Directive-TVA. La CJCE ne pouvait que réitérer cette solution.

Précisons que si la CJCE avait suivi son Avocat général, elle aurait néanmoins vraisemblablement exclu l'attribution des fréquences UMTS du champ d'application de la TVA ; cela, en s'appuyant sur la notion d'activité exercée en tant qu'autorité publique, ce que paraissait proposer Madame Juliane Kokott. Il est toutefois heureux que la CJCE ait préféré pointer l'argument juridique adéquat : l'absence d'exploitation d'un bien en vue d'en retirer des ressources à caractère de permanence.


(1) En Autriche : T-Mobile Austria GmbH, 3G Mobile Telcommunications GmbH mobilkom Austria AG, Hutchison 3G Austria, ONE GmbH et TRA 3G Mobilfunk GmbH, aux droits de laquelle est venue tele.ring Telekom Service GmbH. Au Royaume-Uni : Hutchison 3G UK Ltd, mmO2 plc, Orange 3G Ltd, T-Mobile (UK) Ltd et Vodafone Group Services Ltd.
(2) Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (N° Lexbase : L9279AU9, JOUE n° L 145, p. 1).
(3) La 6ème Directive-TVA a été abrogée et remplacée par la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de la TVA, publiée le 11 décembre 2006 (N° Lexbase : L7664HTZ, JOUE n° L 347, 11 déc. 2006, p. 1).
(4) Directive 97/13/CE (N° Lexbase : L7467AU4, JOUE n° L 117, p. 15). La Directive 97/13 a été abrogée et remplacée à partir du 25 juillet 2003 par la Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (Directive "cadre") (N° Lexbase : L7188AZA, JOUE n° L 108, p. 33).
(5) CJCE, 29 juin 1999, aff. C-158/98, Coffeeshop, § 14 et 21 (N° Lexbase : A2002AIY) : JCP éd. E, 1999, p. 1322. Adde, Y. Sérandour, Les activités illicites et la TVA, JCP éd. E, 2000, p. 72.
(6) CJCE, aff. C-284/04, § 45, et aff. C-369/04, § 39 ; CJCE, 18 mars 1997, aff. C-343/95, Diego Calì & Figli, § 24 (N° Lexbase : A0304AW8) : Rec. p. I-1547 ; CJCE, 19 janvier 1994, aff. C-364/92, SAT Fluggesellschaft, § 28 (N° Lexbase : A9825AUG), Rec. p. I-43.
(7) CJCE, aff. C-284/04, § 64, précité.
(8) CE, 8° et 3° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 204129, M. Cambon (N° Lexbase : A1830AIM) : Dr. fisc. 18/2001, comm. 431, concl. E. Mignon ; RJF 1/01, n° 19. CAA Nantes, 30 octobre 2006, n° 05NT01192, Béfort (N° Lexbase : A5606DTS) : RJF 5/07, n° 549.
(9) Cf. supra.
(10) CJCE, 26 septembre 1996, aff. C-230/94, Enkler (N° Lexbase : A0096AWH) : RJF 11/96, 1370.

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