Réf. : Cass. com., 28 novembre 2006, n° 05-14.827, M. Jean-Paul Bonin, F-D (N° Lexbase : A7782DSZ)
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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires
le 07 Octobre 2010
Ainsi, aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN), une opération de concentration est, notamment, réalisée lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise, au moins, ou lorsqu'une ou plusieurs sociétés acquièrent le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises. La prise de contrôle, si elle dépasse certains seuils (C. com., art. L. 430-2 N° Lexbase : L3095DYB), consiste en une opération de concentration, soumise à une autorisation administrative (C. com., art. L. 430-3 et s. N° Lexbase : L5403G7A).
La jurisprudence a également consacré certaines règles propres à la cession de contrôle, la différenciant de la cession de droits sociaux qui n'emporte pas prise de contrôle. Ainsi, alors que la cession de parts sociales ou d'actions est, en principe, un acte civil (voir, notamment, Cass. com., 11 octobre 1971, n° 70-13.387, SARL Serigni et Cie, époux Serigni c/ Société Cabinet Roux N° Lexbase : A8358AHZ qui précise qu'en cas de litige relatif à la cession de droits sociaux, l'acte étant, par principe, civil, la juridiction compétente est le tribunal de grande instance), la Cour de cassation a posé une exception, désormais acquise, selon laquelle la cession d'un nombre important de parts sociales, tel qu'il permet d'assurer le contrôle de la société, revêt un caractère commercial (Cass. com., 28 novembre 1978, n° 77-12.609, Société RBB Transports, Morere, Leveugle c/ Richard N° Lexbase : A3370AGW).
Ce principe, la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt récent, du 28 novembre 2006, et en tire comme conséquence que "les obligations contractées par les vendeurs s'exécutent solidairement de sorte que l'interruption de la prescription à l'encontre de l'un vaut à l'égard de tous" et "que la cession [portant] sur les 2 250 des 2 500 actions de la société, [il en] résultait que l'opération avait un caractère commercial et que l'engagement commun de passif pris par [les cédants] était affecté d'une présomption simple de solidarité".
En l'espèce, les époux F. et leurs trois enfants (les consorts F.) ont vendu 2 250 actions sur les 2 500 qui composaient le capital d'une société anonyme. L'acte contenait une garantie de passif stipulant que toute demande d'indemnisation devait être formulée dans un délai de trois ans à compter du 22 mai 1997. Postérieurement à la cession, un passif s'étant révélé, les époux F. ont accepté d'en prendre en charge une partie. L'acquéreur, estimant la somme versée par les époux F. insuffisante, a adressé à ceux-ci une lettre recommandée, du 10 avril 2000, faisant état d'une demande indemnitaire plus globale. Par exploit du 1er mars 2001, ce dernier attrait les consorts F. devant le tribunal de grande instance aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire d'une certaine somme en exécution de la garantie de passif.
La cour d'appel de Reims a déclaré prescrite la demande indemnitaire formée par l'acquéreur à l'encontre des trois enfants, retenant que ces derniers n'ont pas été destinataires de la lettre du 10 avril 2000 et que le cessionnaire ne produit pas d'autres documents que la délivrance de l'exploit introductif d'instance intervenu à l'expiration du délai de trois ans prévue dans la clause de garantie de passif. La Cour de cassation sanctionne la décision des juges du fond au visa des articles 2249 (N° Lexbase : L2537ABL) et 1202, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1304ABW).
L'arrêt rapporté permet de revenir sur la notion de cession de contrôle (I), et sur la nature commerciale d'une telle opération (II).
I - La notion de cession de contrôle
Pour déterminer le régime juridique d'un acte encore faut-il identifier la nature de cet acte. Ramené à notre cas d'espèce, pour déterminer si l'opération a un caractère civil ou commercial encore faut-il déterminer s'il s'agit d'une cession de contrôle ou non. Ainsi, ni le Code civil, ni le Code de commerce ne définissent expressément la notion de cession de contrôle. Mais, la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 1992 (Cass. com., 24 novembre 1992, n° 91-10.699, Société Disco gros c/ Consorts Farre N° Lexbase : A4811ABS), a retenu, au visa de l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 (loi n° 66-537, sur les sociétés commerciales, art. 355-1 N° Lexbase : L6198AHZ), aujourd'hui codifié à l'article L. 233-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6304AIC), que la cession de contrôle a pour objet et pour effet d'assurer aux acquéreurs le contrôle de la société dont les titres sont ainsi cédés.
Il convient, par conséquent, de se reporter à l'article L. 233-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6304AIC), relatif à la notion de contrôle, aux termes duquel "une société est considérée [...] comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;
3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société".
De plus, elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne (C. com., art. L. 233-1, II).
Ainsi, les juges estiment-ils, logiquement, que la cession de la totalité des parts sociales (CA Paris, 1ère ch., sect. D, 26 janvier 2000, n° 1999/20946, Consorts Valensi c / Spciété VTB2 "Edition Spéciale" N° Lexbase : A1293DBI), ou de la majorité des titres (par ex., Cass. com., 28 novembre 1978, n° 77-12.609, où la cession portait sur 2 250 parts sur les 3 000 parts que comptait le capital social) constitue une cession de contrôle.
L'appréciation du contrôle doit être regardée au niveau du cessionnaire et non du cédant (CA Paris, 1ère ch., sect. D, 17 octobre 2001, n° 2000/21085, SARL Conseil en organisation comptable et informatique c/ Belkacem Remous N° Lexbase : A2314A4H). Les juges apprécieront, par conséquent, le caractère global de l'opération. En application de ce principe, il a ainsi été jugé que les deux actes de cession de participations minoritaires par deux associés, conférant en totalité au cessionnaire 31 des 60 parts qui constituent le capital social sont considérés comme une cession de contrôle. Chaque acte sera donc regardé comme ayant une nature commerciale (Cass. com., 28 avril 1987, n° 85-17.093, Mme Szenkman c/ Mme Sabella N° Lexbase : A7547AAR). Une cour d'appel a même retenu que, si les cédants se sont engagés à céder les 1 250 parts qu'ils détenaient chacun dans la société, ce qui ne permettait pas aux cessionnaires d'en prendre le contrôle, la validité de leur offre étant expressément conditionnée à l'acquisition des 5 000 parts détenues par d'autres associés, cette acquisition s'inscrit pour avoir été réalisée le même jour dans une opération juridique globale permettant aux acquéreurs de prendre le contrôle de la société dont les parts étaient cédées en devenant propriétaire de 7 500 parts sur les 10 000 parts composant le capital de la société (CA Paris, 1ère ch., sect. D, 22 septembre1999, n° 1999/00777, V. Nassif c/ Société Agrisol N° Lexbase : A9392A7Y.
Enfin, l'acte pourra, également, être qualifié de cession de contrôle lorsque, alors même que l'opération porte sur une part minoritaire du capital, elle permet au cessionnaire de détenir, parce qu'il est déjà associé de la société, la majorité du capital. La Cour de cassation en a jugé ainsi s'agissant de la cession de 34 % du capital d'une société, à un associé en détenant, préalablement, 28 % (Cass. com., 15 mars 1994, n° 92-12.617, M. Elias Boustani et autres c/ M. Antoun Chiha et autres, inédit N° Lexbase : A5551CTR).
Dans l'arrêt du 28 novembre 2006, la cession était effectuée par 5 associés : les époux F. et leurs trois enfants, et portait sur 90 % du capital social ; elle correspondait sans conteste à une cession de contrôle, et revêtait donc un caractère commercial.
II - Les incidences du caractère commercial de la cession de contrôle
Avant d'étudier les nombreuses conséquences issues du caractère commercial de l'acte de cession de contrôle, il convient de rappeler que classiquement la cession de parts ou actions revêt un caractère civil et la jurisprudence refusait, à cet égard de distinguer selon que l'acte portait sur une part importante ou non du capital social, le fait qu'elle porte sur un bloc de contrôle ne modifiant pas pour autant la nature du contrat (voir, Cass. com., 21 janvier 1970, n° 68-11.085, préc.).
Or, cette position ne faisait pas l'unanimité au sein de la doctrine (cf. doyen Houin, RTDcom 1969, n° 9, p. 1 006), et la Cour de cassation a opéré un important revirement jurisprudentiel en décidant, au visa de l'article 631 de l'ancien Code de commerce, qu'en retenant la compétence de la juridiction civile pour connaître de l'action en nullité d'un acte de cession de 2 250 parts sociales sur les 3 000 qui composaient le capital social, la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision, en s'abstenant de rechercher si, étant donné le nombre de parts sociales acquises, lequel assurait le contrôle de la société au cessionnaire, la cession litigieuse ne revêtait pas un caractère commercial.
Aujourd'hui cette solution n'est pas contestée, et les tribunaux en ont tiré toutes les conclusions qui s'imposaient.
Par conséquent, comme le consacre l'arrêt de principe du 21 janvier 1970, les tribunaux compétents pour connaître des contestations nées de l'acte de cession sont les tribunaux de commerce. Autre conséquence attachée au caractère commercial de la cession de contrôle, la convention de garantie de passif qui fait corps avec l'acte de cession de contrôle revêt un caractère commercial, peu important que les cédants n'aient pas la qualité de commerçant et qu'ils n'aient plus celle d'associés (CA Paris, 1ère ch., section D, 26-01-2000, n° 1999/20946, préc.).
De même, lorsque la cession de droits sociaux revêt un caractère commercial, le formalisme de l'article 1326 du Code civil n'est pas applicable (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 4 octobre 1991, Salomon dit Darmon c/ BussonBulletin, note P. Lecannu, Bull. Joly Sociétés 1991, § 393, p. 1 131). Conformément à l'article L. 110-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L5547AIB), la preuve d'une cession de nature commerciale peut donc être rapportée par tous moyens.
Tirant, toujours, les conclusions du caractère commercial d'une cession de droits sociaux qui s'imposent, les juges du fond et la Cour de cassation ont jugé à plusieurs reprises (CA Paris, 1ère ch., sect. C, 17 novembre 1994, n° 93.12261, Monsieur Laurent Calmel c/ Société SAGA SA N° Lexbase : A1975AXG ; Cass. com., 2 juillet 2002, n° 99-21.440, F-D N° Lexbase : A0473AZK) que la clause compromissoire contenue dans l'acte de cession de contrôle était valable. Les parties peuvent donc, préalablement à tout différend, prévoir que celui-ci sera porté devant un arbitre.
De plus, aux termes de l'article 1202 du Code civil, premier article visé par l'arrêt du 28 novembre 2006, la solidarité ne se présume point, sauf dans les cas où elle a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi. Or, une jurisprudence constante considère qu'en matière commerciale la solidarité passive est présumée (Cass. civ., 18 juillet 1927, DH 1929, p. 556, pour une réaffirmation plus récente de ce principe, cf. Cass. com., 21 avril 1980, n° 78-14.765, Société Copharmest c/ Société Jenn, Société Pierron N° Lexbase : A9815AGM). La Cour de cassation en a donc déduit, s'agissant des cessions de contrôle, que la promesse de vente d'une cession de contrôle valant vente, et la cession revêtant un caractère commercial, les acheteurs sont tenus solidairement au paiement du prix des actions cédées (Cass. com., 16 janvier 1990, n° 88-16.265, Consorts Beauguerlange c/ Mme Brunel et autre N° Lexbase : A1935AGR).
La solidarité peut également se manifester du côté des vendeurs. Ainsi, en raison du caractère commercial de l'acte de cession, la garantie de passif contenue dans l'acte de cession est réputée solidaire, le paiement du passif garanti pouvant, alors être demandé à un seul des cessionnaires (Cass. com., 28 avril 1987, n° 85-17.093, Mme Szenkman c/ Mme Sabella N° Lexbase : A7547AAR).
C'est ce premier point que rappelle la Chambre commerciale dans son arrêt du 28 novembre 2006 en relevant que la cession ayant un caractère commercial, l'engagement commun de passif pris par les cédants était affecté d'une présomption simple de solidarité.
La présomption étant simple, les cédants pourront rapporter la preuve que la garantie de passif, qu'ils ont consentie au cessionnaire, ne supposait aucune solidarité de leur part.
Enfin, l'arrêt du 28 novembre 2006 tire une autre conséquence de la présomption de solidarité issue de la commercialité de l'acte de cession : la prescription à l'encontre de l'un vaut à l'égard de tous. En effet l'article 2249 du Code civil dispose que "l'interpellation faite, conformément aux articles ci-dessus, à l'un des débiteurs solidaires, ou sa reconnaissance, interrompt la prescription contre tous les autres". La Cour de cassation en conclue donc que le délai de prescription de trois ans prévu dans l'acte de garantie ayant été interrompu à l'égard de deux cessionnaires, les époux F., celui-ci l'était tout autant à l'égard de leurs enfants, codébiteurs solidaires.
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