Réf. : Cass. com., 31 octobre 2006, n° 04-11.180 (N° Lexbase : A1921DSX) et n° 04-10.353 [N° Lexbase : A1919DSU), Directeur général des impôts, ministère de l'économie des finances et de l'industrie, FSP+B+I+R
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le 07 Octobre 2010
La procédure fiscale française se distingue par l'abondance des textes adoptés par les autorités : à ce titre, elle fait l'objet d'un contentieux nourri entre l'administration fiscale et les contribuables. Mais au-delà de la technicité de ce contentieux, la procédure fiscale n'a pas échappé au dogme du "politiquement correct" qui a envahi toutes les sphères de la vie sociale française : ainsi, depuis 2004, la terminologie a sensiblement évolué puisque la "proposition de rectification", traduisant la volonté de dialogue, remplace la "notification de redressement" jugée trop directive (ordonnance n° 2004-281 du 25 mars 2004, N° Lexbase : L9556DQY) et le "manquement délibéré" est censé assainir les relations entre l'administration et les contribuables qui, visiblement, n'assumaient plus leur "mauvaise foi", fût-elle mise en évidence par une administration d'Etat ! (ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et à l'aménagement du régime des pénalités N° Lexbase : L4620HDH).
Ces divers changements terminologiques, qui n'emportent aucune conséquence procédurale, ne sauraient faire oublier à nos concitoyens que le corollaire du système déclaratif, véritable pierre angulaire du droit fiscal français moderne, est le pouvoir de vérification, issu de l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L3904AL8), confié aux bons soins de l'administration fiscale.
Pour ce faire, cette dernière peut, aux termes de l'article L. 13 du LPF (N° Lexbase : L3925ALX), vérifier la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables.
Par deux arrêts en date du 31 octobre 2006 promis à la plus large diffusion, la Cour de cassation vient d'étendre le régime de la vérification de comptabilité aux droits d'enregistrement et aux taxes assimilées.
Ces deux décisions constituent un véritable revirement par rapport à la jurisprudence traditionnellement adoptée à cet égard (1) dont on précisera la portée (2).
1. La jurisprudence traditionnelle quant au champ d'application de la vérification de comptabilité
Aux termes de l'article L. 13 du LPF, la vérification de comptabilité ne peut être menée qu'à l'encontre des contribuables tenus d'établir une comptabilité : le législateur n'a pas précisé les impôts concernés, mais seuls devraient être touchés les contribuables soumis aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux, aux bénéfices agricoles réels, à l'impôt sur les sociétés et aux taxes sur le chiffre d'affaires.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu'une société civile immobilière, dont l'objet est la location de locaux nus, n'est pas astreinte à tenir une comptabilité. Ce faisant, la procédure d'imposition opérée à partir d'une vérification de comptabilité doit être annulée (Cass. com., 23 octobre 1990, n° 89-14.878, SCI Courcelles-Monceau N° Lexbase : A2862CZZ).
Cependant, le droit civil (C. civil art. 1856 N° Lexbase : L2053ABN) astreint le gérant d'une société civile immobilière à présenter les comptes de la SCI annuellement, mais cette reddition de comptes n'est pas assimilable à une comptabilité au sens du droit commercial (1) (C. de commerce, art. L. 123-12, N° Lexbase : L5570AI7) et le manquement du gérant à ses obligations découlant de la loi entraîne sa responsabilité civile (2) (QE n° 42005 de M. Delalande Jean-Pierre, JOANQ 22 avril 1991 p. 1577, min. Just., réponse publ. 30 novembre 1992 p. 5456, 9ème législature N° Lexbase : L4166GUT).
Les magistrats de l'ordre judiciaire refusent tout contrôle direct des droits d'enregistrement au moyen d'une vérification de comptabilité (CA Paris, 1ère, B, 17 mars 2006, n° 04/07415, Société Continent IARD- SA N° Lexbase : A0490DQ9). Mais, la mention des droits d'enregistrement portée sur l'avis de vérification ne signifie pas, à elle seule, que la vérification de comptabilité a effectivement porté sur cette catégorie d'impôts (Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-16786, M. Darras N° Lexbase : A1821CIB).
En revanche, l'administration fiscale peut, à partir des éléments collectés lors d'une vérification de comptabilité portant sur un impôt déclaratif, émettre ultérieurement une proposition de rectification visant les droits d'enregistrement (Cass. com., 3 mars 2004, n° 01-11.732, F-D N° Lexbase : A4811DBS). Il en est de même d'éléments portés à la connaissance de l'administration fiscale lors d'un examen de la situation fiscale personnelle du contribuable (ESFP). En d'autres termes, la vérification de comptabilité et l'ESFP sont potentiellement une source indirecte de redressement en matière de droits d'enregistrement.
Ainsi, afin d'établir l'insuffisance d'évaluation de biens, l'administration fiscale pourra notifier un redressement "en matière de droits d'enregistrement en se fondant sur des renseignements, extérieurs à l'acte soumis à la formalité, recueillis lors d'une telle vérification effectuée régulièrement au titre d'une période au cours de laquelle les droits rappelés étaient estimés dus" (Cass. com., 11 octobre 1988, n° 87-12.608, Mme Colloud, N° Lexbase : A2811AHL).
La Haute juridiction précisera, également, que l'administration fiscale peut notifier un redressement portant sur des droits d'enregistrement même si leur fait générateur est antérieur à la période sur laquelle porte la vérification de comptabilité (Cass. com., 18 novembre 1997, n° 95-17.599, M Chouraqui N° Lexbase : A1953ACC) pourvu que les droits ne soient pas prescrits (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-12.263, F-D, N° Lexbase : A6945DAH).
La question de la preuve étrangère ou non aux années vérifiées a fait l'objet d'une jurisprudence sinueuse. En 1994 (Cass. com., 1er février 1994, n° 92-10.160, Société Ségur N° Lexbase : A6713ABA), la Cour de cassation estimait que la procédure de redressement était viciée du fait que le document, sur lequel l'administration fondait ses prétentions, appartenait à une période différente, en l'espèce postérieure, à la période mentionnée dans l'avis de vérification et faisant l'objet des investigations de l'administration. Puis, l'arrêt du 18 novembre 1997 est remarquable en ce sens qu'il constitue un revirement de jurisprudence : la Cour de cassation valide le redressement fondé sur des éléments de preuve étrangers à la période vérifiée.
Enfin, dans le dernier état de la jurisprudence, la Cour de cassation admet que l'administration ne puisse s'appuyer sur des documents étrangers à la période vérifiée : "Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Fil control qui soutenait que l'administration s'était fondée sur des documents étrangers à la période vérifiée, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (Cass. com., 3 mars 2004, n° 01-11.732, F-D, N° Lexbase : A4811DBS).
2. Extension prétorienne du champ d'application de la vérification de comptabilité aux droits d'enregistrement : revirement de jurisprudence
Les deux arrêts feront l'objet d'un rappel des faits et de la procédure (2.1.) avant d'évoquer la portée du revirement (2.2.).
2.1. Faits et procédure
Les deux décisions rendues par la Cour de cassation ont trait l'une aux droits d'enregistrement, l'autre à la taxe sur les assurances.
Concernant l'arrêt n° 04-10.353
La contribuable, qui exerçait la profession de marchands de biens, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a mis en lumière l'absence de tenue régulière de son répertoire professionnel afin de bénéficier du régime de faveur quant aux droits d'enregistrement dont le taux réduit est fixé, depuis le 1er janvier 2006, à 0,715 % au lieu de 5 % (3) pour le régime de droit commun.
Les dispositions du Code général des impôts (CGI art. 852 2° N° Lexbase : L8697HLP) imposent alors, notamment, la tenue d'un tel répertoire "à colonnes non sujet au timbre, présentant, jour par jour, sans blanc ni interligne et par ordre de numéros, tous les mandats, promesses de vente, actes translatifs de propriété et, d'une manière générale, tous actes se rattachant à la profession de marchand de biens".
En l'absence d'un tel répertoire professionnel, le redressement est assuré et il est assorti des pénalités prévues par l'article 1831 du CGI (N° Lexbase : L4642HMU) (4) (Cass. com., 24 mai 1994, n° 92-15.981, M Coleno, N° Lexbase : A7055ABW). La jurisprudence est foisonnante et constante à cet égard : Cass. com., 7 octobre 1997, n° 95-19.861, M. Broisin, N° Lexbase : A2003AC8 ; Cass. com., 13 janvier 1998, n° 95-21.478, Mme Eva Gaon, épouse divorcée Van Steenlandt N° Lexbase : A3422CSK).
Elle retient, par exemple, que le répertoire ne peut se substituer aux informations issues de la comptabilité, quand bien même elles seraient équivalentes (Cass. com., 9 avril 1996, n° 93-21.503, Société'SNC Country Club de Chaumont-en-Vexin et compagnie', société en nom collectif N° Lexbase : A2301CQB). La Haute juridiction considère que la présentation tardive de ce répertoire rend suspect son authenticité dont l'existence doit être, par essence, antérieure aux opérations de vérification de comptabilité ! (Cass. com., 20 décembre 1988, n° 87-14.603, Mme Duprix N° Lexbase : A8415CXX).
En effet, la Cour de cassation a validé des redressements notifiés sur la base d'une présentation du répertoire après la clôture des opérations de contrôle (Cass. com., 1er décembre 1998, n° 96-21781, Société Bizeul promotion N° Lexbase : A7008CEB).
Cette solution, pour rigoureuse qu'elle soit, correspond à la logique du législateur : il infère du texte de loi que le répertoire est mis à jour quotidiennement. Par conséquent, on ne saurait tolérer le retard dans la production de ce document qui conditionne, notamment, le régime des droits d'enregistrement au taux réduit : sa reconstitution après coup, sur "invitation" implicite de l'administration fiscale du fait de sa présence dans l'entreprise pendant les opérations de contrôle externe, est incompatible avec la volonté du législateur.
On touche ici aux limites d'une obligation fiscale dont chacun comprendra les conséquences rigoureuses que devra subir le contribuable : le régime de faveur n'étant pas subordonné à la présentation a priori du répertoire aux services de l'enregistrement, il appartient aux marchands de biens de suivre scrupuleusement toutes les dispositions du Code général des impôts sous peine de voir leur régime dérogatoire remis en cause.
Concernant l'arrêt n° 04-11.180
Le second arrêt a trait à la vérification de comptabilité d'une compagnie d'assurances dont l'avis de vérification visait "l'ensemble des déclarations fiscales ou opérations susceptibles d'être examinées sur la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1995 et pour les impôts ci-après désignés sur la période suivante : droits d'enregistrement et assimilés : années 1990 à 1995 dans la limite des prescriptions des articles L. 180 à L. 186 du livre des procédures fiscales".
Le contribuable s'est alors vu notifier un redressement portant sur la taxe sur les conventions d'assurances "pour la garantie couvrant les dommages corporels subis par les personnes transportées à titre gratuit".
La cour d'appel jugera la procédure suivie par l'administration comme irrégulière : alors qu'un redressement peut être notifié, en matière de droits d'enregistrement, sur la base de renseignements extérieurs à l'acte soumis à la formalité, ce qui est conforme à l'état actuel de la jurisprudence, l'administration fiscale ne peut, en revanche, motiver le redressement "directement par un contrôle exercé sur des droits d'enregistrement ou taxes assimilées".
La cour d'appel soulignera que l'inscription spéciale en comptabilité de la taxe sur les conventions d'assurance n'entraîne aucune conséquence sur le régime procédural de l'impôt qui ne peut dépendre de la nomenclature du plan comptable.
2.2. Portée du revirement de jurisprudence
Aux visas des articles L. 10, L. 13, R. 13-1 (N° Lexbase : L7836AEX), et L. 45 (N° Lexbase : L5356G7I) du LPF, la Cour de cassation étend la procédure de vérification de comptabilité aux droits d'enregistrement et taxes assimilées : d'une part, concernant la taxe sur les conventions d'assurance, elle souligne qu'elle est déterminée à partir de la comptabilité de l'assureur de sorte que l'administration fiscale pouvait user de la vérification de comptabilité afin d'en assurer le contrôle ; d'autre part, concernant les droits de mutation dus par les marchands de biens à raison des immeubles acquis, la Cour de cassation, dans un attendu de principe, juge que "lorsque le contribuable est astreint à tenir et à présenter des documents comptables à raison de son activité professionnelle, l'administration fiscale peut, dans le cadre de la vérification de cette comptabilité, contrôler les droits d'enregistrement et taxes assimilées dus à l'occasion de l'exercice de cette activité, qui apparaissent ou devraient apparaître en comptabilité".
Il reste, désormais, à la jurisprudence future de confirmer si cette extension prétorienne du champ d'application de la vérification de comptabilité aux droits d'enregistrement et taxes assimilées s'accompagnera bien des garanties qui l'entourent...
Frédéric Dal Vecchio
Juriste-fiscaliste
Doctorant en Droit
Chargé d'enseignement à la Faculté de Droit de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
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