La lettre juridique n°231 du 12 octobre 2006 : Social général

[Jurisprudence] La délicate application du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal

Réf. : Cass. soc., 27 septembre 2006, n° 05-40.208, Mme Sabine Ternisien c/ Société AMC, F-P+B (N° Lexbase : A3563DRE)

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le 07 Octobre 2010

Le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal signifie que ce qui est jugé par le juge pénal s'impose au juge civil. Solidement ancré dans notre droit positif, alors même que certains le jugent anachronique, ce principe suscite de récurrents problèmes quant à sa mise en oeuvre, spécialement en droit du travail. On en veut notamment pour preuve les nombreux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation relativement à la question des effets sur la responsabilité contractuelle du salarié d'une relaxe prononcée par la juridiction répressive (V. en dernier lieu, F. Duquesne, Autorité de la chose jugée : plusieurs qualifications valent mieux qu'une... , Sem. soc. Lamy, n° 1275 du 25 septembre 2006, p. 10). Tel n'était cependant pas le problème qui était au coeur de l'intéressant arrêt rendu par cette même Chambre sociale le 27 septembre dernier. Faisant application de la règle de l'autorité de la chose jugée au pénal, la Cour de cassation considère que le jugement du tribunal correctionnel constatant l'existence d'un lien de subordination et, partant, d'un contrat de travail sur lequel repose l'abus de confiance dont une salariée a été déclarée coupable au préjudice de son employeur s'impose au juge civil.
Résumé

L'autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale. Par suite, dès lors que le tribunal correctionnel a constaté l'existence du lien de subordination et, partant, du contrat de travail sur lequel repose l'abus de confiance dont la salariée a été déclarée coupable, cette constatation s'impose à la cour d'appel saisie du litige.

Décisions

Cass. soc., 27 septembre 2006, n° 05-40.208, Mme Sabine Ternisien c/ Société AMC, F-P+B (N° Lexbase : A3563DRE)

Cassation de CA Riom (4ème chambre sociale), 20 avril 2004

Textes visés : Principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal ; C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL)

Mots-clés : contrat de travail, abus de confiance, autorité de la chose jugée au pénal.

Liens base :

Faits

Soutenant avoir travaillé de juillet 1996 à juillet 1997 au service de la société AMC, dans son établissement de Bellerive-sur-Allier, sans avoir pu obtenir la régularisation d'un contrat de travail, Mme Ternisien a, le 9 octobre 1998, saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes. Par jugement du 11 mai 2000, le conseil de prud'hommes a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte déposée par la société AMC à son encontre des chefs de détournement d'espèces et d'abus de confiance. Par jugement du 23 février 2001, rendu par le tribunal correctionnel de Cusset, Mme Ternisien a été déclarée coupable de délit d'abus de confiance pour détournement de chèques et de matériel au préjudice de la société AMC à raison du lien de subordination existant entre elle-même et la partie civile.

Pour débouter Mme Ternisien de toutes ses demandes, la cour d'appel a retenu que l'article 314-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7136ALU) n'exigeant pas, pour caractériser le délit d'abus de confiance, que la remise des fonds détournés ou dissipés ait eu pour origine l'un des six contrats limitativement énumérés sous l'empire de l'ancien article 408 du Code pénal (N° Lexbase : L4782DG9), il s'ensuit que le fait que le juge pénal ait dit caractérisé l'abus de confiance par détournement de chèques et matériel en raison du lien de subordination existant entre le prévenu et la partie civile "n'entre pas dans le champ de la chose jugée".

Solution

1. Cassation au visa du principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal et de l'article L. 121-1 du Code du travail

2. "Attendu, cependant que l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale" ;

3. "Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le jugement du tribunal correctionnel a constaté l'existence du lien de subordination et, partant, le contrat de travail sur lequel repose l'abus de confiance dont Mme Ternisien a été déclarée coupable au préjudice de la société AMC de sorte que cette constatation s'imposait à elle, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisé".

Observations

I - Les données du problème

Afin de bien comprendre la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, il importe de revenir brièvement et dans un premier temps sur les faits de l'espèce et de s'attarder, dans un second temps, sur les règles de droit applicables.

  • Les faits

Il convient, ici, de rappeler que, soutenant avoir travaillé de juillet 1996 à juillet 1997 au service de la société AMC, sans avoir pu obtenir la régularisation d'un contrat de travail, Mme Ternisien avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes. Il faut donc comprendre que ces dernières ne pouvaient être déclarées recevables par le conseil de prud'hommes que si, dans un premier temps, il était démontré que la requérante était bien titulaire d'un contrat de travail.

Le conseil de prud'hommes saisi du litige avait toutefois été amené à surseoir à statuer car, dans le même temps, la société AMC avait déposé une plainte à l'encontre de Mme Ternisien des chefs de détournement d'espèces et d'abus de confiance.

  • Les règles de droit applicables

Etaient avant tout applicables, en l'espèce, deux règles fondamentales de procédure pénale. La première d'entre elles ne souffrait aucune contestation. En effet, ainsi que l'exige l'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7015A4L), le juge civil doit surseoir à statuer dans l'attente, dans la même affaire, de la chose qui sera jugée au pénal. Le conseil de prud'hommes avait respecté ce texte d'ordre public et sursis à statuer.

La seconde règle de procédure pénale applicable, qui n'est d'ailleurs pas sans lien avec la précédente, réside dans l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal. Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, cette règle, ici qualifiée de "principe" par la Chambre sociale de la Cour de cassation, signifie que ce qui est jugé au pénal s'impose au juge civil. S'il n'était pas contesté que cette règle avait vocation à jouer en l'espèce, ce sont ses conditions d'application qui ont en réalité fait difficultés, et plus précisément les conditions relatives à la sentence pénale (sur l'ensemble de ces conditions, v. par exemple, S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 2ème éd., 2002, §§ 1483 et s.). Ainsi que le soulignent ces derniers auteurs, "seules les constations du juge pénal qui sont incontestables et qui lui ont servi de soutien pour asseoir sa décision ont autorité sur le juge civil" (ouvrage préc., § 1485). La Cour de cassation ne dit pas autre chose lorsqu'elle affirme, dans la décision sous examen, que "l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale" (1).

Ce faisant, et l'idée n'est pas nouvelle, la Cour de cassation cantonne le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal. Si les constatations hypothétiques ne s'imposent pas au juge civil, les attendus dont le juge pénal n'aurait pu se passer pour prendre sa décision ont une autorité absolue sur le juge civil (2). C'est cette dernière condition qui, précisément, a fait ici difficulté.

II - La solution du problème

  • L'infraction d'abus de confiance

Aux termes de l'article 314-1 du Code pénal, "l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé".

Parmi les différents éléments constitutifs de cette infraction figure la remise préalable d'une chose qui est ensuite détournée ; remise préalable qui doit avoir une cause. Ainsi que le relève un auteur autorisé, "sous l'empire de l'ancien Code pénal, la remise devait être intervenue en vertu de l'un des six contrats limitativement visés par l'article 408. L'article 314-1 ne contient plus rien de tel. Mais en évoquant un objet 'remis' et que l'intéressé a 'accepté' à charge de le rendre, de le représenter ou d'en faire un usage déterminé, il présuppose toujours un titre préalable. Telle est la cause efficiente de la remise. En outre, ce titre a pour but de limiter les prérogatives sur la chose de celui qui la reçoit, ce qui constitue la cause finale de la remise" (Ph. Conte, Droit pénal spécial, Litec, 2003, § 536).

Il appartient donc toujours aux juges de rechercher à quel titre la chose a été préalablement remise et à quel titre elle doit être restituée. L'abus de confiance est ainsi concevable pour tous les contrats qui engendrent l'obligation de rendre, de représenter le bien remis ou d'en faire un usage déterminé. Parmi eux figurent, notamment, mais plus exclusivement, les hypothèses autrefois énumérées par l'article 408 : louage de chose, prêt à usage, dépôt régulier, mandat, gage ou nantissement mobilier, remise pour un travail (salarié ou non). On aura dès lors compris que la constatation d'un tel titre constitue le soutien nécessaire de la condamnation pénale, exigeant par suite du juge civil qu'il s'incline devant la sentence pénale, en vertu du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal.

  • La constatation du lien de subordination s'impose au juge civil

Il convient de rappeler qu'en l'espèce, pour débouter Mme Ternisien de toutes ses demandes, la cour d'appel avait retenu que "l'article 314-1 du Code pénal n'exigeant pas pour caractériser le délit d'abus de confiance que la remise des fonds détournés ou dissipés ait eu pour origine l'un des six contrats limitativement énumérés sous l'empire de l'ancien article 408 du Code pénal, il s'ensuit que le fait que le juge pénal ait dit caractérisé l'abus de confiance par détournement de chèques et de matériel en raison du lien de subordination existant entre le prévenu et la partie civile 'n'entre pas dans le champ de la chose jugée'".

Cette motivation révèle une bien curieuse approche de l'infraction d'abus de confiance par les juges du fond saisis du litige (3). En effet, et ainsi que nous l'avons relevé précédemment, pour caractériser cette infraction, le juge pénal doit nécessairement démontrer à quel titre la chose finalement détournée a été préalablement remise. Sans doute n'est-il plus nécessaire de caractériser l'un des six contrats autrefois énumérés par l'article 408 du Code pénal. Mais, répétons-le, un titre doit exister. Or, en l'espèce, le tribunal correctionnel avait déclaré Mme Ternisien coupable du délit d'abus de confiance pour détournement de chèques et de matériel au préjudice de la société AMC à raison du lien de subordination existant entre elle-même et la partie civile.

Soutien nécessaire à la condamnation pénale, la constatation de ce lien de subordination et, partant, du contrat de travail, s'imposait donc au juge civil en vertu du principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal. On ose en effet à peine rappeler que dès lors qu'un lien de subordination existe entre deux personnes, les relations contractuelles les unissant doivent être qualifiées de contrat de travail. De là le visa de l'article L. 121-1 du Code du travail au côté du principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Souligné par nous.
(2) Dès lors évidemment que les constatations ne sont pas hypothétiques.
(3) A moins qu'elle ne manifeste les réticences du juge civil à s'incliner devant le juge pénal.

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