La lettre juridique n°231 du 12 octobre 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] De la distinction des obligations individuelles et collectives de reclassement

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.841, Société Parametric technology (PTC), F-P+B (N° Lexbase : A3609DR4)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

L'employeur ne peut envisager le licenciement d'un salarié pour un motif économique que s'il a préalablement tenté de le reclasser dans l'entreprise ou, s'il existe, dans le groupe auquel cette dernière appartient. Cette obligation, désormais inscrite au coeur même de la définition du motif économique, continue d'alimenter un contentieux abondant. Dans une nouvelle décision en date du 26 septembre 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte des précisions sur les modalités d'exécution de cette obligation. L'employeur doit, en effet, faire aux salariés concernés des propositions personnelles (I) et procéder avec eux à un examen individuel des possibilités de reclassement (II).
Résumé

Ne satisfait pas à son obligation de reclassement individuel l'employeur qui se contente de diffuser la liste des postes disponibles au sein du groupe sur son site intranet, d'adresser une liste des salariés dont le licenciement était envisagé à toutes les succursales du groupe et de proposer les services d'un bureau de placement, sans faire aucune proposition personnelle au salarié ni procéder à un examen individuel des possibilités de reclassement.

Décision

Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.841, Société Parametric technology (PTC), F-P+B (N° Lexbase : A3609DR4)

Rejet (CA Paris, 21ème ch., sect. B, 2 juin 2005, n° 04/36964 N° Lexbase : A7796DKX)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) et L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K)

Mots clef : licenciement pour motif économique ; reclassement individuel ; modalités

Liens base :

Faits

1° En 2001, la société Parametric technology, appartenant au groupe PTC Inc, a entrepris la réorganisation de ses activités. M. Virlouvet, employé par cette société depuis le 9 décembre 1999, a été licencié le 7 décembre 2001 pour motif économique.

2° La cour d'appel de Paris a décidé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Solution

1° L'employeur avait seulement prévu de diffuser la liste des postes disponibles au sein du groupe sur son site intranet, d'adresser une liste des salariés dont le licenciement était envisagé à toutes les succursales du groupe et de proposer les services d'un bureau de placement mais n'avait fait aucune proposition personnelle au salarié et n'avait pas procédé à un examen individuel des possibilités de son reclassement ; la cour d'appel a légalement justifié sa décision

2° Rejet

Commentaire

I - L'exigence de propositions personnelles de reclassement

  • L'existence d'une double obligation de reclassement

L'article L. 321-1, alinéa 3, du Code du travail, dispose que "le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient", et précise in fine que "les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises".

Lorsque l'employeur envisage la suppression ou la transformation de plusieurs emplois, il est, bien entendu, contraint de procéder à plusieurs reclassements simultanément. Lorsque le nombre des emplois supprimés est au moins égal à dix dans une période de trente jours, et si l'effectif de l'entreprise est au moins égal à cinquante, il devra d'ailleurs mettre en place, dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, un plan de reclassement comportant un certain nombre de mesures énumérées de manière non limitative par la loi (C. trav., art. L. 321-4-1 N° Lexbase : L8926G7Q).

  • La difficile conciliation de ces deux obligations de reclassement

La difficulté pour l'employeur consiste à concilier cette double obligation de reclassement, l'une individuelle, déterminant l'existence d'une cause réelle et sérieuse pour chaque salarié licencié (C. trav., art. L. 321-1), l'autre collective déterminant la validité du plan de sauvegarde de l'emploi et pouvant d'ailleurs conduire à son annulation et à celle des licenciements prononcés sur son fondement (C. trav., art. L. 321-4-1).

La distinction de ces deux obligations est très nette (en ce sens, notamment P. Morvan, Travail et protection sociale, n° hors série juin 2002, p. 82, §. 15 ; F. Héas, même numéro spécial, p. 128, §. 5 et s.).

Ainsi, l'obligation individuelle de reclassement pèse sur l'employeur pour tout licenciement économique, même individuel (Cass. soc., 9 janvier 2002, n° 00-40.437, F-D N° Lexbase : A7670AXD), et ce quel que soit l'effectif de l'entreprise ou son organisation sociale.

Le respect de l'obligation collective de reclassement devra également se vérifier de manière autonome, et les juges ne pourront pas se fonder sur le manquement à l'obligation individuelle de reclassement pour prononcer l'annulation d'un plan de sauvegarde de l'emploi (Cass. soc., 26 février 2003, n° 01-41.030, F-P N° Lexbase : A2923A7E, Bull. civ. V, n° 70, p. 66 ; Dr. soc. 2003, p. 726, chron. G. Couturier), ou statuer sur la justification des licenciements s'ils sont saisis uniquement d'une demande d'annulation du plan (Cass. soc., 12 novembre 1996, n° 94-21.994, Comité d'entreprise de la société ABG Semca c/ Société ABG Semca N° Lexbase : A4057AAI, Bull. civ. V, n° 372).

Cette distinction des obligations est, toutefois, brouillée par l'obligation faite à l'employeur de les mettre en oeuvre de manière conjointe (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-41.565, Mme Germon-Vuillier c/ Groupe Origny N° Lexbase : A5616ACY, Bull. civ. V, n° 370 ; Cass. soc., 9 janvier 2002, n° 00-40.437, F-D N° Lexbase : A8398A4S ; Cass. soc., 20 octobre 2004, n° 02-42.645, M. Raymond Bire c/ Banque nationale de Paris (BNP), F-D N° Lexbase : A6433DDM ; Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 04-42.847, Société SGSA c/ Mme Martine Canry, F-D N° Lexbase : A7587DLL ; Cass. soc., 24 janvier 2006, n° 04-41.340, F-D N° Lexbase : A5579DML). Ainsi, lorsqu'un plan de sauvegarde de l'employeur a été mis sur pied, l'employeur devra proposer à chaque salarié, parmi les mesures inscrites au plan, celles qui correspondent le mieux à sa situation personnelle, mais devra également envisager avec lui, le cas échéant, la mise en oeuvre de mesures qui n'auraient pas été prévues par le plan. La Cour de cassation fait ainsi obligation à l'entreprise, dans le cadre de l'application de l'article L. 321-1 du Code du travail, de ne pas se contenter d'adresser aux salariés la "liste des postes vacants concernant tout le personnel", et qui figure dans le plan de sauvegarde de l'emploi, mais bien de traiter de manière individuelle le reclassement de chaque salarié concerné par la suppression de son emploi en envisageant et en proposant "des offres de reclassement précises, concrètes et personnalisées" (Cass. soc., 24 janvier 2006, n° 04-41.340, précité).

  • Situation en l'espèce

Dans cette affaire, l'employeur avait défini de manière collective et impersonnelle un certain nombre de postes disponibles au sein du groupe auquel appartenait l'entreprise et de procédures devant permettre aux salariés de trouver un poste. Il avait ainsi prévu de diffuser la liste de ces postes sur son site intranet, d'adresser une liste des salariés dont le licenciement était envisagé à toutes les succursales du groupe et de proposer les services d'un bureau de placement.

Or ce sont ces mesures qui, selon la cour d'appel de Paris et la Chambre sociale de la Cour de cassation, ne satisfont pas à l'obligation individuelle de reclassement, l'employeur n'ayant pas adressé au salarié de proposition individuelle de reclassement.

  • Une condamnation justifiée

La solution ne doit pas surprendre. Dans une affaire concernant cette fois-ci l'obligation faite à l'employeur de proposer aux salariés à temps partiel de l'entreprise les emplois à temps plein disponibles, la Cour de cassation avait considéré en 2005 que l'employeur ne satisfaisait pas à son obligation légale en se contentant de communiquer aux salariés, via l'intranet de l'entreprise, une liste des emplois disponibles, sans adresser à chaque salarié ayant manifesté son désir d'occuper à poste à temps plein des propositions personnelles adaptées à sa situation (Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-41.802, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9303DHZ, et nos obs., Information des salariés et usage de l'intranet, Lexbase Hebdo n° 166 du 5 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3898AI9).

Comme nous l'avions indiqué à cette occasion, la solution se justifie pleinement. L'obligation qui pèse sur l'employeur s'inscrit, en effet, dans un contexte avant tout individuel, chaque cas étant particulier. Or seul l'employeur connaît parfaitement les postes disponibles et l'aptitude du salarié à les occuper, s'il le désire. Dans ces conditions, il est parfaitement légitime d'exiger de l'employeur qu'il adresse au salarié des offres individualisées. L'employeur devra donc faire du "sur mesure", et non du "prêt-à-porter", et ne pourra pas se contenter d'informer les salariés de l'ensemble des emplois disponibles dans le groupe, mais devra nécessairement faire une sélection, ne serait-ce que pour éliminer les emplois que le salarié n'est pas en mesure d'occuper, compte tenu de sa qualification (ainsi un médecin ne possédant aucune compétence en GRH ne peut prétendre occuper le poste de DRH d'une clinique employant quatre cents salariés : Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.578, F-P+B N° Lexbase : A4412DQH).

II - La nécessité d'un examen individuel des possibilités de reclassement

  • Une formulation inédite

L'obligation faite à l'employeur d'adresser au salarié des propositions "individuelles" de reclassement doit nécessairement s'accompagner d'un "examen individuel des possibilités de reclassement".

C'est la première fois, à notre connaissance, que la Chambre sociale de la Cour de cassation formule ainsi pareille obligation, même si de nombreuses décisions antérieures avaient déjà exprimé cette exigence.

  • Des solutions en germe

Ainsi, il a été jugé que la mise en oeuvre d'une cellule de reclassement, prévue par le plan de sauvegarde de l'employeur, ne suffit pas, l'employeur devant de surcroît procéder à des propositions individuelles (Cass. soc., 17 janvier 2001, n° 98-46.111, Société Imprimerie Bussière, inédit N° Lexbase : A9307ASI), ou d'un simple "espace conseil" (Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 96-43.857, Société Dassault aviation, société anonyme c/ M. Claude Barbe et autres, inédit N° Lexbase : A8872AGP).

L'employeur ne peut pas non plus se contenter de procéder à un simple affichage des postes disponibles au sein du groupe en demandant aux salariés de prendre contact avec la DRH de la société mère (Cass. soc., 12 mars 2003, n° 00-46.700, Société Nouvelle des établissements Rochias c/ Mme Patricia Mautret, inédit N° Lexbase : A4066A7Q ; Cass. soc., 3 mars 2004, n° 01-46.357, F-D N° Lexbase : A4002DBT ; Cass. soc., 18 janvier 2005, n° 02-46.737, F-D N° Lexbase : A0786DG9) ou d'adresser aux salariés la liste des postes vacants, sans autre indication (Cass. soc., 24 janvier 2006, n° 04-41.340, F-D N° Lexbase : A5579DML). Il n'est donc pas surprenant que la mise à disposition des postes sur l'intranet ou l'envoi aux succursales du CV des candidats au reclassement ne soit pas jugé suffisants.

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