La lettre juridique n°231 du 12 octobre 2006 : Entreprises en difficulté

[Evénement] La situation des créanciers dans le cadre de la procédure de conciliation

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par Propos recueillis par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

le 07 Octobre 2010

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), entrée en vigueur le 1er janvier 2006, confère un nouveau rôle aux créanciers dans les procédures collectives, en leur octroyant de nouvelles prérogatives. Afin de faire le point sur les implications pratiques de cette réforme, Francis Lefebvre Formation a organisé, le 27 septembre dernier, une journée technique d'actualité "Réforme des procédures collectives. La nouvelle situation des créanciers", animée par Jean-Charles Boulay, ancien avocat, maître de conférences, Faculté de Droit et IUP Banque-Assurances de Caen. Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, un compte-rendu des points abordés lors de cette journée et, plus particulièrement, des avancées que présente la conciliation par rapport à l'ancien règlement amiable. Rappelons, à titre préliminaire, que, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, quatre procédures sont désormais proposées : la conciliation, la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire. Le règlement amiable ayant connu un échec complet, le législateur du 26 juillet 2005 a opté pour son abandon et a organisé une procédure de conciliation, qui en est inspirée. Essentiellement, cette procédure permet de prononcer un jugement d'homologation et instaure, pour certains créanciers, un nouveau privilège dit de "new money".

Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, le règlement amiable était considéré strictement comme une phase préventive pour le débiteur qui n'était pas en cessation des paiements.
Jean-Charles Boulay souligne, ici, que la définition de la cessation des paiements a été maintenue dans la loi : il s'agit du débiteur dont le passif exigible est supérieur à l'actif disponible.
Le passif exigible s'entend du passif échu et exigé. La condition du passif exigé a été posée par la Cour de cassation dans un important arrêt de 1998 (Cass. com., 27 octobre 1998, n° 96-13.849, Société PSL Voltaire, société à responsabilité limitée c/ Compagnie foncière, société à responsabilité limitée, inédit N° Lexbase : A3078C4R), estimant que le créancier qui ne réclame pas sa créance accorde un crédit au débiteur.
S'agissant de l'actif disponible, au sens juridique du terme, il s'agit de l'actif avec lequel on peut payer. C'est pourquoi, par exemple, à aucun moment le stock ne peut être qualifié d'actif disponible. De même, le compte clients ne fait pas partie de l'actif disponible, sauf, seulement, s'il existe un accord de mobilisation des créances.
La conception de la cessation des paiements reste donc assez étroite et peut être résumée à la situation dans laquelle le débiteur ne paie pas à échéance et le créancier réclame son argent.
Si le débiteur en cessation des paiements ne pouvait bénéficier d'un règlement amiable, il peut, aujourd'hui, demander à bénéficier d'une procédure de conciliation, à condition, toutefois, qu'il ne soit pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours.

La procédure de conciliation est régie par les articles L. 611-4 et suivants du Code de commerce (N° Lexbase : L4108HBR). Cette procédure est à l'initiative du seul débiteur.
S'agissant des personnes physiques, peuvent bénéficier de cette procédure les personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale (C. com., art. L. 611-4) et celles exerçant une activité professionnelle indépendante -cette dernière catégorie constituant une nouveauté-, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.
La conciliation concerne, également, les personnes morales de droit privé (par exemple, les sociétés, GIE, SCP, sociétés d'économie mixte, etc.).
Si l'une de ces personnes sollicite le bénéfice d'une conciliation, deux conditions pour ouvrir cette procédure sont alors requises par l'article L. 611-4 du Code de commerce : la personne doit éprouver une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne pas être en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours.

Le débiteur doit, en application de l'article L. 611-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4110HBT), s'adresser par voie de requête au président du tribunal de commerce ou, s'il est une personne morale de droit privé ou une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, au président du tribunal de grande instance. Les créanciers ne sont donc toujours pas habilités à saisir le président du tribunal. Si le président du tribunal estime que les conditions sont réunies, il rend une ordonnance qui ouvre la période de conciliation et ce, pendant quatre mois. L'objectif étant d'obtenir un accord, un mois supplémentaire pourra être accordé si les quatre mois apparaissent comme insuffisants.

Il est important de souligner que, lorsque le débiteur est en procédure de conciliation, les créanciers ne sont pas habilités à l'assigner en redressement (C. com., art. L. 631-4 N° Lexbase : L4015HBC) ou en liquidation judiciaire (C. com., art. L. 640-4 N° Lexbase : L4041HBB). Le débiteur "échappe" donc à l'ouverture de l'une de ces procédures pendant toute la durée de la conciliation.

Par ailleurs, le président du tribunal ne peut pas décider que, pendant la conciliation, toutes les poursuites contre le débiteur doivent cesser (C. com., art. L. 611-7 N° Lexbase : L4111HBU). Il s'agit là d'une nouveauté introduite par la loi de sauvegarde des entreprises qui a voulu anéantir les effets néfastes qui existaient sous l'ancien régime et tenant à la publication de l'ordonnance que le président rendait pour décider de l'arrêt des poursuites. La grande idée est donc, désormais, que tout ceci doit rester confidentiel. Il en résulte, pour les créanciers, la possibilité d'agir contre le débiteur, mais ce dernier pourra toujours leur opposer l'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW), à savoir, des mesures individuelles et pour un délai maximum de deux ans.

La période de conciliation devra déboucher sur un accord. Il convient de constater, ici, qu'il est exclu d'accorder un plan de conciliation au débiteur si, au jour où il est statué, ce dernier est en cessation des paiements, à moins que le plan ne mette fin à cet état. Aussi, comme le souligne Jean-Charles Boulay, y a-t-il deux manières de sortir de la période de conciliation.
Il y a, d'un côté, la "manière faible", c'est-à-dire l'accord constaté. Les effets de l'accord constaté sont relativement faibles, dans la mesure où la constatation n'a pas d'effet à l'égard de ceux qui ne font pas partie de l'accord.
Il y a, d'un autre côté, la "manière forte", c'est-à-dire l'accord homologué. Le tribunal, après s'être assuré que les conditions posées par la loi sont réunies, ordonne l'homologation de l'accord de conciliation. Trois conditions sont requises par l'article L. 611-8 II du Code de commerce (N° Lexbase : L4112HBW) : tout d'abord, le débiteur ne doit pas être en cessation des paiements ou l'accord conclu doit y mettre fin ; ensuite, les termes de l'accord doivent être de nature à assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise ; enfin, l'accord ne doit pas porter atteinte aux intérêts des créanciers non signataires, sans préjudice de l'application qui peut être faite des articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil (N° Lexbase : L1360ABY). S'agissant de la troisième condition, il reviendra à la jurisprudence de préciser la notion de cette "non atteinte". Toutefois, selon la doctrine déjà émise, une atteinte pourrait être la prise de sûretés excessive. Cette condition tient à ce que, selon l'article L. 611-7 du Code de commerce, le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion d'un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels ; convoquer tous les créanciers serait, en effet, hors de portée. Bien évidemment, en revanche, si les trois conditions ne sont pas réunies, le tribunal doit refuser l'homologation.
Cette homologation fait l'objet d'une publicité : l'article L. 611-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L4114HBY) dispose, en effet, que "le jugement d'homologation est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance et fait l'objet d'une mesure de publicité". Notons que, selon cette même disposition, les créanciers peuvent faire tierce opposition dans les 10 jours à compter de la publicité de l'avis au Bodacc. En contrepartie de cette absence du caractère confidentiel, le jugement d'homologation est opposable à tous et, notamment, aux créanciers qui n'ont pas été parties à l'homologation.

L'homologation présente, alors, beaucoup d'avantages. Jean-Charles Boulay insiste sur deux de ses conséquences.

La première conséquence est le privilège de "new money" ("nouvelle trésorerie" ou "argent frais") prévu par l'article L. 611-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L4115HBZ). Ainsi, les personnes qui ont consenti un nouvel apport en trésorerie au débiteur, et celles qui ont fourni un nouveau bien ou service, en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité apparaissent dans l'accord homologué et vont obtenir un privilège extraordinaire qui, en cas d'ouverture postérieure d'une procédure de sauvegarde ou de redressement, va les placer avant même le paiement du passif généré pendant la période d'observation.
Toutefois, la condition d'obtention de ce privilège est l'homologation de l'accord. Or, il ressort de l'article L. 611-8 que seul le débiteur peut demander l'homologation. Il convient donc, pour ces créanciers, d'être particulièrement vigilants en prévoyant une condition suspensive expresse selon laquelle le débiteur doit faire homologuer l'accord. Ainsi, l'argent ne sera débloqué que si et seulement si le créancier a connaissance du jugement d'homologation.

La seconde conséquence est l'opposabilité des dispositions de l'accord homologué par les cautions, mais aussi par les coobligés et les garants autonomes. L'article L. 611-10, alinéa 3, dernière phrase, du Code de commerce énonce, en effet, que "les coobligés et les personnes ayant consenti un cautionnement ou une garantie autonome peuvent se prévaloir des dispositions de l'accord homologué".
La question de savoir si les cautions pourraient se prévaloir des remises et délais contenus dans l'accord homologué a fait l'objet de nombreuses discussions. Selon la règle classique du droit civil, les remises de dettes volontaires faites au débiteur profitent à la caution. L'article L. 611-10 reprend, ici, la jurisprudence antérieure en accordant la possibilité, pour la caution, de se prévaloir des remises et délais accordés dans le cadre de l'accord. Il précise, toutefois, que cette possibilité n'est admise qu'en cas d'homologation de l'accord. Ce qui peut, en revanche, surprendre, est l'absence de distinction selon que la personne ayant consenti le cautionnement est une personne physique ou une personne morale (telle qu'une société de cautionnement mutuel).
La loi est allée encore plus loin en étendant la règle applicable à la caution à la garantie autonome. Cette solution est d'autant plus surprenante que, contrairement au cautionnement, la garantie à première demande a un caractère autonome. De surcroît, les coobligés peuvent, eux aussi, se prévaloir des dispositions de l'accord homologué.

Le créancier aura donc tout intérêt à être vigilant en accordant des délais et remises dans le cadre d'un accord qui se trouve ensuite homologué, dans la mesure où les cautions, personnes physiques ou morales, mais aussi les garants autonomes et les coobligés vont profiter de sa générosité...
Pour terminer, Jean-Charles Boulay précise que, lorsqu'un jugement d'homologation est intervenu, si, plus tard, l'accord est résilié et qu'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte, la période suspecte ne pourra être fixée à une date antérieure au jugement d'homologation (ce dernier étant rendu sur le postulat qu'il n'y a pas cessation des paiements).
Enfin, d'un point de vue fiscal, le créancier soumis à l'impôt sur les sociétés, qui accorde une réduction de créance à ses débiteurs, doit savoir qu'il ne pourra les faire passer en charges déductibles.

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