La lettre juridique n°192 du 1 décembre 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Procédure de saisie des rémunérations : les pouvoirs limités du juge

Réf. : Cass. civ. 2, 20 octobre 2005, n° 03-18.700, M. Alain Berthomieu c/ Société Entenial, FS-P+B (N° Lexbase : A0211DLE)

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par Franck Janin, Avocat au sein du cabinet Fromont, Briens & associés

le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation rappelle que le juge d'instance, lorsqu'il intervient dans le cadre d'une procédure de saisie des rémunérations, exerce les pouvoirs du juge de l'exécution (C. trav., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5785ACA). A ce titre, le juge d'instance n'a pas le pouvoir de prononcer une condamnation, fût-elle directement liée à la créance objet de la saisie.



Décision

Cass. civ. 2, 20 octobre 2005, n° 03-18.700, M. Alain Berthomieu c/ Société Entenial, FS-P+B (N° Lexbase : A0211DLE)

Cassation (CA Aix-en-Provence, 11e, 17 juin 2003, n° 02/08914, Monsieur Alain Berthomieu c/ SA Entenial N° Lexbase : A7675DLT)

Textes visés : C. trav., art. L. 145-5 (N° Lexbase : L5785ACA) ; C. trav., art. R. 145-5 (N° Lexbase : L9117ACN) ; décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, article 8 (N° Lexbase : L9125AG3).

Mots-clés : saisie des rémunérations ; pouvoir du juge.

Lien bases :

Résumé

Un juge d'instance, investi des pouvoirs du juge de l'exécution au titre d'une procédure de saisie des rémunérations, ne peut prononcer la condamnation du débiteur à la somme encourue.

Faits

1. Monsieur Berthomieu s'est trouvé engagé, aux termes d'actes notariés du 28 décembre 1989, à l'égard de la SA Comptoir des entrepreneurs, devenue société Entenial, aux droits de laquelle vient le Crédit Foncier de France.

2. Alors que les actes notariés faisaient l'objet de contestations devant le tribunal de grande instance de Basse Terre, la société Entenial faisait procéder à l'exécution forcée du titre exécutoire dont elle se prévalait par voie de saisie des rémunérations.

3. Un premier jugement du tribunal d'instance, rendu le 28 août 2000, autorisait la saisie des rémunérations de Monsieur Berthomieu et ordonnait une expertise afin de déterminer le montant de la créance.

A la suite de cette expertise, un second jugement intervenait le 7 mars 2002, jugement aux termes duquel le tribunal d'instance de Cannes condamnait Monsieur Berthomieu à payer à la SA Comptoir des entrepreneurs, la somme de 185 611,76 euros.

4. Monsieur Berthomieu interjetait appel du jugement rendu le 7 mars 2002 et contestait la validité et l'opposabilité de l'acte de prêt, remettant ainsi en cause l'existence même d'un titre exécutoire qui fondait la saisie des rémunérations.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence rejetait l'appel, considérant que le cadre procédural de la saisie des rémunérations ne permettait pas de remettre en cause le titre exécutoire fondant les poursuites et que le montant de la créance n'était pas contesté.

Monsieur Berthomieu formait un pourvoi en cassation et soutenait deux moyens :
- le premier relatif à la question procédurale du rabat de l'ordonnance de clôture (non analysée) ;
- le second relatif au pouvoir dévolu au juge d'instance dans le cadre de la procédure des saisies des rémunérations (non développé dans le cadre de la première instance).

Solution

1. Cassation

2. "Attendu que l'arrêt confirme le jugement qui avait condamné Monsieur Alain Berthomieu à payer à la société une certaine somme correspondant au montant de sa créance ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'appartient pas au juge d'instance, investi des pouvoirs du juge de l'exécution à l'occasion de la procédure de saisie des rémunérations, de condamner le débiteur aux causes de la saisie, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Commentaire

L'analyse des arrêts de la cour d'appel et de la Cour de cassation démontre la complexité d'une affaire dans laquelle le juge d'instance a été amené à prononcer deux jugements ; le premier ordonnant la mise en place d'une saisie des rémunérations et d'une mesure d'expertise dont l'objet était de fixer le montant exact de la créance (on peut s'interroger, à ce titre, sur le caractère certain et liquide de la créance à cette date), le second, intervenant 2 ans plus tard, sur les résultats de l'expertise et ce, alors même que des procédures étaient menées pour contester l'acte notarié constituant le titre exécutoire fondant la poursuite.

La procédure de saisie des rémunérations a été intégrée à la réforme des procédures civiles d'exécution (loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L9124AGZ ; décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3) et codifiée sous les articles L. 145-1 (N° Lexbase : L5781AC4) et R. 145-1 et suivants (N° Lexbase : L9113ACI) du Code du travail.

Cette procédure spécifique, dont l'objet est d'opérer une saisie sur les rémunérations du travail, instaure une phase judiciaire confiée au juge d'instance (C. trav., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5785ACA), par dérogation à la compétence exclusive et d'ordre public du juge de l'exécution, telle qu'elle résulte de la rédaction de l'article L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L2580AMI), s'agissant des contentieux liés à l'exécution des titres exécutoires.

Cependant, le juge d'instance, saisi d'une procédure de saisie des rémunérations, exerce les pouvoirs du juge de l'exécution et non ceux du tribunal d'instance.

La phase judiciaire de la saisie des rémunérations se caractérise essentiellement par la comparution des parties devant le juge d'instance qui doit tenter de concilier les parties (C. trav., art. R. 145-14 N° Lexbase : L9155AC3) et, faute de conciliation, vérifier le montant des créances en principal, intérêts et frais (C. trav., art. R. 145-15 N° Lexbase : L9156AC4).

En cas de contestation de la créance, un débat judiciaire s'installe, instruit et jugé selon les règles de la procédure ordinaire devant le juge d'instance (C. trav., art. R. 145-6 N° Lexbase : L9118ACP).

La Cour de cassation a été amenée à préciser les pouvoirs du juge d'instance dans le cadre de la saisie des rémunérations à l'occasion de deux avis du 16 juin 1995 et 17 février 1997. Le juge d'instance dispose donc d'un pouvoir lui permettant d'accorder des délais ou de suspendre le cours des intérêts. Toutefois, le juge d'instance ne dispose pas du pouvoir de remettre en cause le titre exécutoire. A de multiples occasions, les juridictions d'appel ont été amenées à rappeler que le juge d'instance ne peut apprécier la validité de l'acte notarié fondant les poursuites.

La Cour de cassation s'est prononcée à plusieurs reprises dans le courant de l'année 2005 pour rappeler le cadre dans lequel le juge d'instance intervient à l'occasion de la procédure de saisie des rémunérations.

Elle a rappelé, tout d'abord, que le juge ne pouvait se substituer aux parties pour remédier à une éventuelle défaillance de leur part. En cas d'erreur ou d'imprécision dans l'énoncé du titre fondant les poursuites visées dans la requête introductive d'instance, le juge d'instance ne peut substituer un titre durant la procédure (Cass. civ. 2, 24 mars 2005, n° 03-14.378, FS-D N° Lexbase : A4140DHS).

La Cour de cassation a également rappelé que le juge d'instance est tenu de trancher les questions soulevées par les parties et relatives à l'insaisissabilité (Cass. civ. 2, 14 avril 2005, n° 03-14.574, F-D N° Lexbase : A8676DHS).

Par cette décision du 20 octobre 2005, la Cour rappelle une solution classique et relevant de l'ordre public en matière de pouvoirs du juge de l'exécution, lequel ne peut modifier le dispositif de la décision qui sert de fondement aux poursuites (décret 31 juillet 1992, article 8).

Appliqué à la situation particulière de la contestation de créance soulevée devant le juge d'instance dans le cadre de la procédure de saisie des rémunérations (C. trav. , art. R. 145-6 N° Lexbase : L9118ACP), la Cour de Cassation confirme le caractère intangible du titre exécutoire et sanctionne la décision des juges du fond par laquelle ces derniers ont prononcé une condamnation au montant de la créance.

Au-delà des faits de l'espèce, cette décision, qui ne saurait surprendre au regard des textes et de la position antérieure de la Cour, devra conduire les parties à être vigilantes dans la définition de leurs demandes et les juges d'instance à faire preuve de prudence dans la rédaction de leurs jugements puisque, tout en tranchant une contestation liée au montant de la créance, le juge ne pourra pas prononcer de condamnation au paiement de celle-ci.

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