La lettre juridique n°192 du 1 décembre 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié prime sur la convocation à l'entretien préalable en vue de son licenciement

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-45.392, M. Serge Jaly, FS-P+B (N° Lexbase : A7466DL4)

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N1398AKY

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié est devenue, au fil des arrêts, un véritable mode de rupture du contrat de travail. Même si cette "technique" singulière n'est dotée d'aucun régime propre, puisqu'elle n'est soumise à aucun formalisme et produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit ceux d'une démission, selon que les griefs que le salarié formule à l'encontre de son employeur sont ou non fondés, elle constitue un moyen de rompre le contrat de travail rapide et efficace, dès lors qu'on le compare à la procédure du licenciement, plus rigide. Cette souplesse trouve de nouveau à s'illustrer dans cet arrêt rendu le 16 novembre 2005 par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans cette affaire, l'employeur avait convoqué le salarié à un entretien préalable, en vue de son licenciement, et le même jour le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail. Selon la Haute juridiction, c'est bien la prise d'acte qui a rompu le contrat de travail, et non le licenciement intervenu quelques jours plus tard. La solution est logique (1) et place le salarié dans une position extrêmement favorable (2).
Décision

Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-45.392, M. Serge Jaly, FS-P+B (N° Lexbase : A7466DL4)

Cassation partielle (cour d'appel de Versailles, 11ème chambre sociale, 4 juin 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9).

Mots-clefs : prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; convocation à l'entretien préalable au licenciement ; concomitance ; priorité donnée à la prise d'acte.

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Résumé

Le juge, saisi par un salarié d'une demande tendant à l'attribution de dommages-intérêts en raison de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, doit déterminer si les griefs allégués dans la lettre de rupture de ce dernier étaient fondés ou non, peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Faits

1. M. Jaly, salarié de la société Dunois Kart, a pris acte par lettre du 22 novembre 1999 de la rupture du contrat de travail du fait du non-respect par l'employeur de ses obligations contractuelles.

La société Dunois Kart l'a, de son côté, convoqué par courrier du 22 novembre 1999, reçu le 23, à un entretien préalable fixé au 3 décembre 1999, puis l'a licencié le 7 décembre 1999.

2. M. Jaly a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes indemnitaires et salariales.

Pour débouter le salarié de ses demandes liées à la rupture du contrat de travail, l'arrêt attaqué retient, d'abord, que la convocation à l'entretien préalable au licenciement étant antérieure ou concomitante à la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée à la société, les relations contractuelles ont cessé du fait du licenciement ; ensuite, que les reproches énoncés dans la lettre de licenciement, faisant suite à deux avertissements non contestés en justice, sont avérés et caractérisent une faute grave privative d'indemnités de rupture.

Solution

1. "Vu les articles L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 du Code du travail"

2. "Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission".

"En statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si, peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, les griefs allégués dans la lettre de rupture de ce dernier étaient fondés ou non, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

3. Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que les relations contractuelles ont été rompues par le licenciement et en ce qu'il a débouté M. Jaly de ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail, l'arrêt rendu le 4 juin 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Commentaire

1. Un cas de figure particulier

  • Le régime de la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail

La jurisprudence a progressivement dessiné le régime de la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail à partir des arrêts fondateurs rendus le 25 juin 2003 (Cass. soc., 25 juin 2003 N° Lexbase : A8977C8Y ; N° Lexbase : A8976C8X ; N° Lexbase : A8978C8Z ; N° Lexbase : A8975C8W ; N° Lexbase : A8974C8U, lire nos obs., Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK).

On sait ainsi que c'est bien la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail qui rompt ce dernier (Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen N° Lexbase : A6513DI3, lire nos obs., Prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail et renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5494AIC), rendant ainsi sans objet le licenciement qui aurait pu être prononcé ultérieurement par l'employeur.

  • Concomitance des modes de rupture du contrat de travail

Mais, qu'en est-il lorsque c'est l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail en convoquant le salarié à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement et que, concomitamment, ce dernier prend acte de la rupture de son contrat ?

C'est bien ce qui s'était passé dans cette affaire où le même jour, l'employeur avait adressé au salarié une lettre de convocation à l'entretien préalable à son licenciement, et le salarié une lettre par laquelle il déclarait prendre acte, à ses torts, de la rupture de son contrat.

Les juges du fond avaient fait prévaloir la procédure de licenciement, après avoir relevé que "la convocation à l'entretien préalable au licenciement était antérieure ou concomitante à la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée à la société".

Or, telle n'est pas l'analyse retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui balaye d'un revers de manche l'argument, "peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement".

2. Une solution logique et particulièrement favorable au salarié

  • Une solution justifiée au regard des faits

Au regard des faits, tout d'abord, tels qu'ils sont rapidement relatés dans l'arrêt, la solution semble doublement se justifier.

Il semble, en effet, que le salarié avait remis à son employeur la lettre de prise d'acte et que ce dernier ait tenté de le prendre de vitesse en le convoquant, par courrier daté du même jour mais reçu seulement le lendemain, en vue de son licenciement. Dans ce cas de figure, la primauté donnée à la prise d'acte se justifie à la fois par un critère chronologique, le salarié ayant, en quelque sorte, "tiré le premier", et par la nécessité de s'opposer à ce que la manoeuvre de l'employeur qui apparaissait frauduleuse ou, à tout le moins, non sincère, puisse produire effet.

Par ailleurs, seule la lettre de licenciement adressée au salarié rompt le contrat de travail, et non la convocation en vue de l'entretien préalable qui ne constitue qu'une étape préparatoire de la décision. Or, nous avons rappelé que la lettre de prise d'acte rompt directement le contrat de travail. Dans ces conditions, c'est bien le salarié qui avait rompu le premier le contrat, imposant au juge de se conformer aux directives prétoriennes dégagées en 2003 et de vérifier si les griefs formulés contre l'employeur étaient de nature à justifier la rupture à ses torts, avant de lui faire produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, dans l'hypothèse contraire, de traiter le salarié comme démissionnaire.

  • Une solution large

Si on considère la solution au regard du principe dégagé par la Cour, la solution se justifie toujours et pourrait d'ailleurs s'étendre à d'autres situations voisines. La Haute juridiction retient, en effet, pour justifier la cassation au regard des articles L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 du Code du travail, une formule très large qui ne semble faire nullement référence à la chronologie des événements, "peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement".

La généralité de l'affirmation pourrait alors suggérer que la chronologie des événements importe peu. Il sera alors indifférent à l'analyse de déterminer qui des deux parties a engagé la procédure le premier, seul comptant, en définitive, l'acte rompant le contrat, c'est-à-dire la date à laquelle le licenciement a été prononcé ou celle à laquelle la prise d'acte est intervenue pour fixer le régime applicable à la rupture.

  • Les avantages de la décision

Ce refus de prendre en considération le déroulement de la phase préparatoire à la rupture du contrat de travail présente un indéniable avantage, notamment dans cette affaire où il semblait difficile de déterminer si l'employeur avait riposté à la lettre de prise d'acte par une convocation en vue d'un licenciement ou si, au contraire, le salarié ayant pris conscience qu'il s'exposait à un licenciement pour faute grave, privatif du droit au préavis et de l'indemnité de licenciement, avait tenté sa chance en invoquant contre son employeur des griefs qu'il avait, jusqu'à lors, laissés de côté.

Sur un plan pratique, cette décision permet au salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur jusqu'à la première présentation de lettre recommandée, avec demande d'avis de réception, lui notifiant son licenciement (Cass. soc., 30 octobre 2000, n° 98-43.619, Société Supermarchés Match-Est, société anonyme c/ M. Jérôme Georges, inédit N° Lexbase : A9868ATN). Passé ce moment, la rupture notifiée produit effet et le salarié perd logiquement cette possibilité, puisqu'il n'y a plus rien à rompre.

Le salarié se trouve alors en position de force puisqu'il peut attendre l'entretien préalable pour mesurer la détermination de son employeur et déterminer si les faits qui lui sont reprochés l'exposent à un licenciement pour faute grave. Il peut alors sortir de cet entretien et remettre, avant l'expiration du délai d'un jour franc imposé par le Code du travail avant de notifier la rupture, sa lettre de prise d'acte qui fixera donc le cadre d'analyse du litige.

Le salarié doit toutefois se méfier. Si les griefs à l'encontre de son employeur sont fondés, alors il aura tout intérêt à agir ainsi ; il évitera un licenciement pour faute grave et obtiendra, au contraire, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais, si ces griefs ne le sont pas, alors la prise d'acte produira les effets d'une démission et il risquera de perdre le bénéfice des indemnités de chômage, indemnités dont il aurait pu bénéficier dans le cadre d'un licenciement pour faute grave.

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