La lettre juridique n°162 du 7 avril 2005 : Social général

[Textes] Que reste-t-il des 35 heures après la loi du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise ?

Réf. : Loi n° 2005-296, 31 mars 2005, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (N° Lexbase : L1144G8U)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Voulue comme un instrument de lutte contre le chômage, considérée par de nombreux salariés comme un progrès social permettant de dégager plus de temps pour la vie personnelle, la loi sur les 35 heures n'a cessé, depuis son adoption en 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH), de susciter les foudres du patronat. Sans remettre en cause frontalement la durée légale du travail, les réformes successives ont assoupli sa mise en oeuvre en introduisant de nombreuses dérogations au régime des heures supplémentaires. La loi du 31 mars 2005 (loi n° 2005-296 du 31 mars 2005, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise N° Lexbase : L1144G8U) en constitue une nouvelle illustration, encore plus caractéristique que les précédentes, à tel point que l'on peut s'interroger aujourd'hui sur l'effectivité des 35 heures comme durée "normale" de travail dans les entreprises. Nous présenterons, successivement, les quatre articles qui composent cette loi nouvelle.
  • Article 1. Dispositions applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle

Depuis le retour des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle dans la République, le Parlement s'est efforcé, au fil des décennies, d'harmoniser les dispositions applicables sur l'ensemble du territoire national, sans toutefois remettre en cause les particularités locales.

Dernièrement, la Cour de cassation avait eu à déterminer si les jours "chômés", selon la tradition locale, devaient ou non être décomptés dans la durée annuelle du travail. Considérant que seul le 1er mai devait légalement être considéré comme chômé (C. trav., art. L. 222-5 N° Lexbase : L5909ACT), la Cour a estimé qu'il convenait de ne pas les déduire de la durée annuelle du travail, à défaut de dispositions conventionnelles en ce sens (Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-47.569, FS-P+B N° Lexbase : A2968DGZ).

Face aux protestations des parlementaires de ces trois départements, le législateur a donc choisi d'ajouter au 1er mai, conformément à la tradition locale, les 11 novembre, 8 mai et 14 juillet comme jours chômés. Conforme sans doute aux usages locaux, on s'étonnera que la loi vienne consacrer une exception régionale après s'être efforcée, depuis plus de 70 ans, de traiter de manière identique l'ensemble des citoyens français...

  • Article 2. Réforme du compte épargne temps

Selon les termes de l'article L. 227-1 du Code du travail, "le compte épargne-temps a pour objet de permettre au salarié qui le désire d'accumuler des droits à congés rémunérés [...] ou de se constituer une épargne".

Ce compte constituait, jusqu'à la loi du 31 mars 2005, un instrument destiné essentiellement à capitaliser du temps libre. Désormais, sa dimension monétaire est très clairement affirmée, confirmant ainsi la tendance amorcée dès 2003 par la loi "Fillon" du 3 janvier 2003 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9374A8P). Le premier alinéa de l'article L. 227-1 du Code du travail, définissant l'objet du compte épargne-temps, a d'ailleurs été réécrit en ce sens et vise, désormais, la possibilité offerte au salarié de "bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée".

La nouvelle rédaction du texte élargit, en premier lieu, les conditions de mise en place du compte, puisque l'exigence d'un accord étendu est abandonnée et que, désormais, un accord de groupe pourra valablement l'instituer. Nous verrons d'ailleurs que l'article 4 de la loi favorise, également, la conclusion d'accords d'entreprises dans les entreprises de 20 salariés et moins (cf infra).

En deuxième lieu, la loi n'impose plus une durée de 5 ans (ou 10 ans selon la situation familiale) pour prendre les congés accumulés ; ce sont les accords qui détermineront ces modalités.

En troisième lieu, la loi élargit la liste des congés ou sommes qui peuvent être versées par le salarié ou l'employeur sur le compte, ainsi que les modalités d'utilisation du compte qui s'ouvre à la formation professionnelle, permet un passage à temps partiel ou une cessation progressive ou totale d'activité, et permet plus facilement au salarié de se constituer des compléments de retraite dans le cadre des plans d'épargne pour la retraite collectifs.

  • Article 3. Création d'une nouvelle catégorie d'heures de travail "choisies"

La durée légale du travail ne constitue nullement une durée obligatoire ou maximum, mais simplement une frontière délimitant l'application de deux régimes juridiques distincts. En-deçà de 35 heures de travail effectif hebdomadaire (ou son équivalent annuel), le salarié relève du régime du temps partiel (C. trav., art. L. 212-4-2 et s. N° Lexbase : L9587GQ7), et au-delà s'appliquera le régime des heures supplémentaires.

Ce régime différait, jusqu'à présent, selon que les heures accomplies l'étaient au sein d'un contingent annuel d'heures dites "libres", ou au-delà dans le cadre d'heures supplémentaires dites "autorisées" par l'inspection du travail (C. trav., art. L. 212-7 N° Lexbase : L5854ACS). Par ailleurs, et selon la durée du travail effectivement accomplie et l'effectif de l'entreprise, le salarié pouvait passer du régime de majoration ordinaire (C. trav., art. L. 212-5 N° Lexbase : L9589GQ9) à un régime imposant l'attribution d'un repos compensateur supplémentaire obligatoire (C. trav., art. L. 212-5-1 N° Lexbase : L5851ACP).

Les réformes intervenues depuis 1998 n'ont eu de cesse de majorer le contingent annuel, aujourd'hui fixé à 220 heures par salarié et par an (C. trav., art. D. 212-25 N° Lexbase : L8863G7E ; décret n° 2004-1381 du 21 décembre 2004, relatif à la fixation du contingent annuel d'heures supplémentaires prévu aux articles L. 212-6 du Code du travail et L. 713-11 du Code rural N° Lexbase : L5030GUT), et d'assouplir le régime de la rémunération des heures supplémentaires afin de diminuer le surcoût pour l'entreprise.

La loi du 31 mars 2005 permet, désormais, à l'employeur et au salarié de faire réaliser à ce dernier des heures "choisies" au-delà du contingent annuel des heures libres sans que ces dernières n'aient à être autorisées par l'inspection du travail. L'accord du salarié suffira, alors que dans le cadre des heures autorisées, non seulement le salarié devait donner son accord, mais encore l'employeur devait obtenir l'autorisation de l'inspection du travail. A défaut d'accord le prévoyant, les heures accomplies au-delà du contingent annuel demeureront soumises aux dispositions de l'article L. 212-7.

Ces heures ne pourront être mises en oeuvre dans l'entreprise que sur une base conventionnelle, sans que la loi n'exige toutefois d'accord étendu. Les accords collectifs instituant ces heures choisies fixeront, par ailleurs, le montant de la majoration de salaire due au salarié, sans pouvoir toutefois abaisser cette majoration en deçà de 10 %, la loi reprenant ici le minimum légal prévu pour la rémunération des heures supplémentaires. Lorsque l'accord ne le prévoira pas, les taux applicables en vertu de l'article L. 212-5, I du Code du travail (N° Lexbase : L9589GQ9), qui ont d'ailleurs été modifiés dans les entreprises de 20 salariés et moins (cf infra), s'appliqueront.

La loi prévoit, également, la possibilité d'accorder aux salariés des compensations sous forme de repos compensateur, mais sans imposer de règles impératives ; il s'agit là d'une différence majeure avec le régime des heures autorisées qui donnent obligatoirement lieu à l'attribution d'un repos compensateur (C. trav., art. L. 212-5-1). La seule règle qui s'imposera sera le respect des durées maximum hebdomadaires prévues par l'article L. 212-7 (N° Lexbase : L5854ACS).

On le comprend aussitôt, les garanties légales accordées au salarié dans le cadre de ces heures choisies sont inférieures à celles dont il bénéficie dans le cadre du régime des heures autorisées, et il appartiendra aux partenaires sociaux et, singulièrement, aux syndicats de salariés, de veiller à ce que les droits des salariés soient préservés, notamment s'agissant de la rémunération supplémentaire et surtout du repos compensateur qui n'est plus légalement obligatoire. Toutefois, lorsque les salariés jugeront les majorations ou compensations insuffisantes, ils auront toujours la possibilité de refuser de les accomplir.

Ces dispositions sont également applicables aux salariés ayant conclu des conventions de forfait. Les salariés en forfait heure année pourront ainsi accepter de dépasser le volume contractuellement prévu. La convention devra préciser "notamment les conditions dans lesquelles ces heures sont effectuées, [fixer] la majoration de salaire à laquelle elles donnent lieu ainsi que les conditions dans lesquelles le salarié fait connaître son choix". Le texte n'impose toutefois pas ici de minimum pour la majoration de rémunération due aux salariés.

De nouvelles dispositions sont également prévues pour les salariés en forfait jour. Ces derniers pourront désormais renoncer à "une partie" de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire dont le montant sera également fixé par l'accord, sans que la loi n'impose ici de minimum ou ne détermine le nombre des jours auxquels le salarié pourra renoncer, contrairement aux dispositions qui figurent dans l'article 4 de la loi (cf infra).

  • Article 4. Prolongation du régime transitoire applicable aux entreprises de 20 salariés et moins

Afin de permettre aux entreprises de 20 salariés et moins de mettre en place progressivement les 35 heures, la loi Aubry II (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) avait mis en place des dispositions transitoires assouplissant notamment le régime des heures supplémentaires. C'est ce régime transitoire qui se trouve ici conforté et prolongé jusqu'au 31 décembre 2008. Passée cette date, et sauf nouvelle prorogation, le régime commun s'appliquera dans toutes les entreprises.

- Majoration des heures supplémentaires

La loi du 31 mars 2005 prévoit, tout d'abord, des dispositions applicables au paiement des heures supplémentaires dans les entreprises qui ne sont pas soumises à l'accord étendu ou à l'accord d'entreprise, visé par l'article L. 212-5 du Code du travail. Le taux légal applicable, à défaut, est réduit de 25 % à 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires.

Par ailleurs, le seuil de calcul du contingent annuel de 220 heures est fixé de manière transitoire à 36 heures.

- Compte épargne temps et RTT

La loi du 31 mars 2005 organise, également, un régime transitoire pour les entreprises qui ne pourraient mettre en oeuvre le compte épargne-temps, à défaut d'accord directement applicable dans l'entreprise.

La loi permet aux salariés (à l'exception des femmes enceintes) de renoncer aux jours de RTT accordés au titre de l'article L. 212-9 (N° Lexbase : L9575GQP) ou aux cadres en forfait jour dans la limite de 10 jours par an, ou aux cadres en forfait heure de travailler au-delà de leur forfait dans la limite de 70 heures par an. La loi fixe ici un seuil minimum de rémunération supplémentaire à 10 %. Ces heures, demi-journées ou journées ne s'imputeront pas sur le contingent annuel des heures supplémentaires.

Afin de favoriser la conclusion de l'accord instituant le compte épargne-temps, la loi autorise la conclusion d'un accord d'établissement avec un salarié mandaté en l'absence de délégué syndical, ou de délégué du personnel faisant fonction de délégué syndical. Ce régime particulier s'ajoute aux dispositions de l'article L. 132-26 du Code du travail (N° Lexbase : L4700DZ4) issues de la loi du 4 mai 2004 (N° Lexbase : L1877DY8) et permet donc cette négociation en l'absence des accords de méthode (étendus) conclus dans les branches ou les professions.

Par ailleurs, la loi du 31 mars 2005 ne prévoit pas la conclusion avec des représentants élus du personnel, comme c'est le cas dans le régime de droit commun des accords d'entreprise, et n'exige donc pas non plus la preuve d'une carence des institutions représentatives élues du personnel.

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