La lettre juridique n°162 du 7 avril 2005 : Consommation

[Jurisprudence] Domaine d'application de la protection contre les clauses abusives : la Cour de cassation résiste à la "communautarisation" du droit français

Réf. : Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, Syndicat départemental de contrôle laitier de la Mayenne c/ Société Europe computer systèmes (ECS), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2950DHQ)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010


La première chambre civile de la Cour de cassation, le 15 mars dernier, a incontestablement rendu un arrêt important, comme en témoigne, au demeurant, la très large diffusion qu'elle a entendu en faire puisque l'arrêt, à paraître au Bulletin, figurera dans le prochain Rapport annuel de la Cour et est, d'ores et déjà, reproduit sur son site Internet. La question à laquelle la Haute juridiction avait à répondre est, certes, classique, mais demeure, en dépit des années, toujours aussi discutée : portant sur la délimitation du domaine d'application de la législation consumériste de lutte contre les clauses abusives (C. consom., art. L. 132-1 N° Lexbase : L3302DAK), l'interrogation consistait à savoir si peuvent ou non bénéficier de la protection légale les personnes morales ?

En l'espèce, en effet, un syndicat professionnel constitué entre éleveurs, dont l'objet social est d'effectuer les opérations de contrôle de performance, d'état civil et d'identification des animaux, faisait valoir que le contrat de location de matériel informatique avec option d'achat qu'il avait conclu avec une société contenait une clause abusive au sens de l'article L. 132-1, alinéa 1er, du Code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, loi qui, on le sait, a transposé en droit interne la directive du 5 avril 1993 (directive (CE) 93/13 du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7). Or, précisément, l'arrêt énonce que "si, par un arrêt du 22 novembre 2001 (1), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit : 'la notion de consommateur, telle que définie à l'article 2, sous b), de la directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement des personnes physiques', la notion distincte de non professionnel, utilisée par le législateur français, n'exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives".

Pour toutefois, ici, priver le syndicat du bénéfice de la législation consumériste, l'arrêt poursuit en indiquant "que cependant, dès lors qu'en l'espèce le contrat litigieux entre la [société] et le [syndicat] n'avait pu être conclu par ce dernier qu'en qualité de professionnel, les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, ne sauraient trouver application".

Aussi bien, "par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués", la Cour approuve-t-elle les premiers juges d'avoir déclaré le contrat conclu entre les parties entièrement applicable.

On rappellera ici que, en effet, la Cour de justice de Communautés européennes s'était, par un arrêt remarqué en date du 22 novembre 2001 (2), montrée fidèle à l'article 2 de la directive européenne du 5 avril 1993 (N° Lexbase : L7468AU7), dont le point b) définit le consommateur comme "toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle", tandis d'ailleurs que le point c) envisage, lui, la notion de professionnel en se référant tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Comme on l'avait justement fait alors observer, l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes ne retirait pas pour autant aux Etats membres la liberté d'aller au-delà du domaine harmonisé par une directive minimale, mais à la condition que cette extension de protection résulte, comme l'exigent les clauses minimales insérées dans ce type de directive, de dispositions législatives, réglementaires ou administratives maintenues ou adoptées lors de la transposition en droit interne de la dite directive (3).

Or, précisément, parce que l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans son alinéa 1er, réserve le bénéfice de la protection légale au "consommateur ou non-professionnel", la première chambre civile de la Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, et prenant appui sur cette dernière notion de "non-professionnel", "distincte" de celle de consommateur, admet l'extension de la protection légale aux personnes morales (4).

On se permettra tout de même, pour finir, de se demander si l'extension ainsi consacrée du domaine de la protection légale est bien réelle, ou seulement apparente. Dès lors, en effet, que, bien souvent, la personne morale est celle qui agit dans le cadre ou pour les besoins de son activité professionnelle, elle sera considérée par la Cour de cassation comme ayant conclu un contrat ayant un "rapport direct " avec son activité professionnelle, et donc, en fait, exclue d'office du bénéfice de la protection légale contre les clauses abusives (5). La formulation de l'arrêt du 15 mars dernier est au reste à cet égard très révélatrice : la Haute juridiction ne prend même plus la peine de répondre à la question de savoir si le contrat avait ici ou non un rapport direct avec l'activité professionnelle du co-contractant, et se contente, procédant par affirmation, de relever, pour exclure l'application des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, qu'il n'avait pu agir "qu'en qualité de professionnel".


(1) CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-541/99, Cape Snc (N° Lexbase : A5814AXM).
(2) JCP éd. G, 2002, II, 10047, note G. Paisant, D. 2002, Somm. p. 2929, obs. J.-P. Pizzio, RTDCiv. 2002, p. 291, obs. J. Mestre et B. Fages.
(3) Voir, en ce sens, J.-P. Pizzio, obs. préc.
(4) Voir déjà, implicitement sans doute, Cass. civ. 1, 5 mars 2002, n° 00-18.202, Commune de Bayonne c/ Société atlantique d'assainissement et de dégazage (SAADEG), FS-P (N° Lexbase : A1820AY3), RTDCiv. 2002, p. 291, obs. J. Mestre et B. Fages.
(5) Voir notamment, Cass. civ. 1, 24 janvier 1995, n° 92-18.227, Société Héliogravure Jean Didier c/ Electricité de France (EDF) (N° Lexbase : A7947AGG), Bull. civ. I, n° 54 ; addendum, récemment, Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 03-10.327, Caisse nationale de prévoyance assurances c/ M. Jean Fourcade, F-P+B (N° Lexbase : A6082DBU), JCP éd. G, 2004, II, 10106, note D. Bakouche ; D. Bakouche, La protection légale contre les clauses abusives n'est pas applicable au contrat d'assurance accessoire à des prêts professionnels, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition affaires ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 6859607, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] La protection l\u00e9gale contre les clauses abusives n'est pas applicable au contrat d'assurance accessoire \u00e0 des pr\u00eats professionnels", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N1224ABX"}}).

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