La lettre juridique n°153 du 3 février 2005 : Entreprises en difficulté

[Le point sur...] Le sort des contrats de travail en cas de cession d'unité de production après le prononcé d'une liquidation judiciaire

Lecture: 10 min

N4505ABH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Le sort des contrats de travail en cas de cession d'unité de production après le prononcé d'une liquidation judiciaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207152-cite-dans-la-rubrique-b-entreprises-en-difficulte-b-titre-nbsp-i-le-sort-des-contrats-de-travail-en-
Copier

le 07 Octobre 2010

Une cession d'unité de production peut être envisagée lorsqu'une entreprise a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire. La cession d'unité de production soulève, d'emblée, la question du sort des contrats de travail des salariés de l'unité transférée. Les solutions actuellement appliquées découlent d'une combinaison entre les textes du droit des procédures collectives et du droit du travail, ainsi que de la jurisprudence. Or, cette combinaison aboutit à une solution différente selon qu'il y a cession de l'unité de production ou plan de cession. Cette incohérence est essentiellement problématique. Devant une telle situation, la doctrine n'hésite plus à inciter les juges à modifier leur jurisprudence, et le législateur à intervenir. I) Cadre législatif et problématique

L'article L. 622-17, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L7012AIK) prévoit que, lorsqu'une liquidation judiciaire a été prononcée, des unités de production composées de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier peuvent faire l'objet d'une cession globale.
L'unité de production, au sens de l'article L. 622-17, alinéa 1er, du Code de commerce, correspond à un ensemble d'éléments corporels ou incorporels, permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre (Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 97-43.194, Société La Dunoise c/ M. Gosselin et autres N° Lexbase : A4776AGY).

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise".

Se pose, ainsi, la question de savoir si l'article L. 122-12 du Code du travail s'applique à la cession d'une unité de production, opérée après le prononcé d'une liquidation judiciaire, au sens de l'article L. 622-17 du Code de commerce.
Les enjeux soulevés revêtent une importance non négligeable, non seulement pour les salariés dont l'employeur a été mis en liquidation judiciaire, mais également aux yeux du candidat repreneur, en sa qualité de cessionnaire.

II) La solution jurisprudentielle

Selon une jurisprudence constante, l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire n'entraîne pas, en soi, la rupture des contrats de travail (voir, notamment, Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-15.280, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), inédit N° Lexbase : A6966A4R ; Cass. soc., 24 mai 2000, n° 98-42.343, AGS, inédit N° Lexbase : A6306A4C ; Cass. soc., 20 juin 2001, n° 99-43.793, AGS de Paris c/ M. Eric Rambeau, inédit N° Lexbase : A6366ATX). Par conséquent, les contrats de travail sont poursuivis, lorsque la liquidation judiciaire est prononcée et ce, nonobstant la cessation d'activité (Cass. soc., 20 juin 2001, n° 99-43.793 précité ). Or, le maintien des contrats de travail après le prononcé de la liquidation judiciaire de l'entreprise n'est pas opportun, dans la mesure où celle-ci cesse son activité. C'est pourquoi le liquidateur doit procéder aux licenciements dans un délai de quinze jours (1).
Toutefois, un auteur (2) a souligné que ce maintien des contrats de travail peut être utile si le tribunal autorise une poursuite provisoire d'activité (3), ou lorsqu'une cession d'unité de production, dans les conditions de l'article L. 622-17 du Code de commerce, est envisagée.

Qu'advient-il, alors, si une cession globale d'unité de production est, effectivement, décidée ?

Il ressort d'une position de principe que la décision du juge-commissaire d'autoriser la cession d'éléments d'actifs de l'entreprise en liquidation judiciaire ne fait pas échec à l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.
En outre, la jurisprudence réitère, fréquemment, une solution a priori favorable aux salariés. Elle énonce, en effet, qu'aux termes de l'article L. 622-17 du Code de commerce, la cession globale des unités de production, composées de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier de l'entreprise en liquidation judiciaire, peut être autorisée par le juge-commissaire. Pour choisir l'offre qui lui paraît la plus sérieuse, le juge-commissaire doit vérifier, outre que cette offre permet, dans les meilleurs conditions, d'assurer durablement l'emploi, que l'unité de production dont la cession est envisagée correspond à un ensemble d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. Il en résulte que la cession entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite, avec le cessionnaire, des contrats de travail des salariés de l'unité de production transférée (Cass. soc., 27 octobre 1999, précité ; Cass. soc., 27 avril 2000, n° 98-40.064, M. Girard et autre c/ Société Huileries de Lezay et autres, publié N° Lexbase : A8184AG9 ; Cass. soc., 28 juin 2000, n° 97-43.606, Me Lott, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Kuhn c/ Mme Kimme, publié N° Lexbase : A8741AH9).

En d'autres termes, les licenciements qui auraient pu intervenir au cours de la liquidation judiciaire se trouveront privés d'effet, en cas de cession d'unité de production, unité à laquelle les emplois des salariés étaient attachés.

Cette jurisprudence a connu, néanmoins, deux aménagements successifs.
Dans un deuxième temps, en effet, la jurisprudence a offert un choix aux salariés : soit ces derniers considéraient que leur licenciement était sans cause réelle et sérieuse, auquel cas ils avaient droit à une indemnisation, soit ils décidaient d'être réintégrés. Telle est la solution qui ressort, implicitement, de quelques arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 20 juin 2002, n° 00-43.610, Société Berton-Demangeau N° Lexbase : A2646A77 ; Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-41.643, Société CIC N° Lexbase : A2212A4P ; Cass. soc., 26 février 2003, n° 01-41 .482, Société Vernier c/ M. Jean-Pierre Fiorentini, F-P N° Lexbase : A2925A7H).
Dans un troisième temps, la jurisprudence a semblé vouloir supprimer ce choix, lorsque le repreneur a annoncé reprendre le salarié, et quand bien même le licenciement de celui-ci aurait été prononcé. En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation a énoncé l'attendu suivant : "Attendu, cependant, que la cession globale des unités de production composées de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier de l'entreprise en liquidation judiciaire, autorisée par le juge-commissaire en application de l'article L. 622-17 du Code de commerce, entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique maintenant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite des contrats de travail des salariés affectés aux unités cédées et repris par le cessionnaire ; qu'il s'ensuit que les licenciements de ces salariés, prononcés par le liquidateur dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation et pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire, sont dépourvus d'effet, en sorte qu'aucune avance de créances résultant de la rupture des contrats de travail ne leur est due par l'AGS" (Cass. soc., 5 novembre 2003, n° 01-45.161, F-D N° Lexbase : A0679DAE).

Paradoxalement, la solution rencontrée, en présence d'un plan de cession adopté dans le cadre d'un redressement judiciaire, est toute autre.

III) Comparaison avec la solution applicable en présence d'un redressement judiciaire

Le principe de la continuation de plein droit du contrat de travail, posé par le législateur pour la période d'observation, se retrouve, également, lors de l'arrêté d'un plan de redressement, qu'il s'agisse d'un plan de continuation ou d'un plan de cession.
A ce titre, l'article L. 621-63, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6915AIX) prévoit que "le plan expose et justifie le niveau et les perspectives d'emploi" ; l'alinéa 3 de ce même texte dispose, quant à lui, que "les personnes qui exécuteront le plan [...] ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que les engagements souscrits au cours de sa préparation". Par conséquent, les personnes qui exécuteront le plan sont chargées de déterminer le nombre de contrats de travail qu'elles entendent continuer, et elles ne pourront s'en voir imposer davantage par le tribunal.

Plus précisément, la cession des contrats de travail en plan de cession adopté lors d'une procédure de redressement judiciaire présente certaines règles spécifiques .
La cession des contrats de travail au repreneur n'intervient pas en application de l'article L. 621-88 du Code de commerce (N° Lexbase : L6940AIU), cette disposition n'étant pas applicable au contrat de travail. Un auteur (4) a, à cet égard, souligné le caractère heureux de cette solution, car, "dans le cas contraire, le tribunal aurait eu le pouvoir d'imposer, par application de l'article 86 de la loi (aujourd'hui codifié à l'article L. 621-88 du Code de commerce), des délais aux salariés pour le paiement de leurs créances, ce qui aurait constitué une source sérieuse de conflit entre les salariés et leur nouvel employeur".
C'est, en effet, en application de l'article L. 122-12 du Code du travail qu'intervient la cession. En témoigne la jurisprudence suivante : "la cession, même partielle, par décision du tribunal de commerce, d'une entreprise en redressement judiciaire entraîne le transfert d'une entité économique autonome, dont l'activité est poursuivie par le cessionnaire" et "les contrats de travail des salariés repris par le cessionnaire subsistent par le seul effet de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, peu important que les intéressés aient été licenciés par l'administrateur" (Cass. soc., 13 janvier 1999, n° 96-42.536, M. Paul Laurent, ès qualité de représentant des créanciers c/ M. Christian Brexel et autres N° Lexbase : A6949AHT).
Toutefois, dans le cas d'une cession d'entreprise intervenant dans le cadre d'un redressement judiciaire, l'article L. 621-64 du Code de commerce (N° Lexbase : L6916AIY) prévoit que le plan de cession précise, notamment, les licenciements qui doivent intervenir dans le délai d'un mois après le jugement, et que, dans ce délai, ces licenciements interviennent sur simple notification de l'administrateur. En d'autres termes, l'application de l'article 122-2, alinéa 2, du Code du travail est, en pareille hypothèse, exclue à l'égard des salariés, dont le licenciement a été autorisé par le plan de cession. La volonté du repreneur conditionne donc l'ampleur de cette cession (5).
Ainsi, dès lors que leur licenciement est prononcé dans le délai d'un mois à compter du jugement prononçant le plan de cession, leur contrat de travail échappe à la cession totale ou partielle de l'entreprise. En témoigne l'attendu de principe suivant : "Attendu, cependant, qu'en vertu de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail , la cession de l'entreprise en redressement judiciaire arrêtée par le tribunal de la procédure entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite par le cessionnaire des contrats de travail des salariés attachés à l'entreprise cédée ; qu'il ne peut être dérogé à ces dispositions que lorsqu'en application des articles 61 ou 81 de la loi du 25 janvier 1985 devenus les articles L. 621-62 et L. 621-83 du Code de commerce le plan de redressement prévoit des licenciements pour motif économique ; que, dans cette hypothèse, conformément aux articles 63 de la loi du 25 janvier 1985 devenu l'article L. 621-64 du Code de commerce et 64 du décret du 27 décembre 1985, d'une part, le plan doit prévoir notamment les licenciements qui doivent intervenir dans le délai d'un mois après le jugement, d'autre part, le jugement arrêtant le plan doit indiquer le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées" (Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-44.466, M. Jean-Luc Leblanc c/ Société Saint-Frères N° Lexbase : A1745AU8).

En d'autres termes, dès lors que le jugement arrêtant le plan de cession indique le nombre des licenciements autorisés, ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées, l'article L. 621-64 du Code de commerce permet, donc, d'écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.

Or, comme nous avons pu le constater, le législateur n'a pas prévu une semblable échappatoire, lorsque la cession a lieu dans le cadre d'une liquidation judiciaire.

IV) Critiques adressées à cette jurisprudence

Cette jurisprudence a fait l'objet de critiques de la part de certains auteurs (6).

Ont été soulevées, d'une part, les conséquences économiques et sociales d'une telle solution.
En effet, l'obligation de reprendre l'ensemble du personnel, sans pouvoir modifier les contrats de travail, a un caractère dissuasif, pouvant conduire à ce qu'aucun repreneur ne se manifeste plus pour assurer la sauvegarde d'un nombre minimum d'emplois.
De plus, les liquidateurs, face à l'absence d'offres de cession, peuvent être amenés à licencier massivement. Ces licenciements aggraveront, alors, les charges de l'AGS et de l'assurance chômage.
En outre, l'entreprise qui, elle-même, s'est portée acquéreur de l'unité de production, courra le risque de faire l'objet d'une procédure collective, tant les charges récupérées par elles seront lourdes.
Enfin, les salariés, dont les contrats de travail ont été transmis au repreneur, rembourseront les indemnités de rupture qui leur auraient été versées.

D'autre part, c'est sur le plan de la logique juridique que cette jurisprudence a été vivement critiquée. A ce titre, il faut souligner l'incohérence de la situation : pourquoi conférer à la liquidation judiciaire "un effet translatif des contrats de travail plus étendu que celui produit par un plan de redressement judiciaire par voie de cession partielle, qui s'accompagne toujours d'une autorisation judiciaire de licenciement collectif" ?

Ainsi, certains auteurs (7) insistent sur la nécessité d'un revirement de jurisprudence. Dans cette attente, il appartiendra aux différents intervenants de la procédure collective de veiller à distinguer les règles applicables en cas de cession d'unité de production, quand bien même cette distinction trouve difficilement de justification.
Le projet de réforme supprimera la difficulté car, du fait du glissement du plan de cession en liquidation judiciaire, seules les règles du premier s'appliqueront, et la cession d'unité de production est appelée à disparaître.

Florence Labasque
SGR - Droit des entreprises en difficulté


(1) Sur ce point, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, 4e édition, n° 376.
(2) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2003, 2e édition, n° 43.42.
(3) Sur le sort du contrat de travail en cas de maintien temporaire de l'activité, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, 4e édition, n° 378.
(4) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2003, 2e édition, n° 43.44.
(5) Note précitée.
(6) L. Moreuil et P. Morvan, Cession d'unité de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : un revirement ou une réforme s'impose, JCP édition E. du 23 décembre 2004, p. 2060 et suiv.
(7) Chronique précitée.

newsid:14505

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.