La lettre juridique n°652 du 21 avril 2016 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Avril 2016

Réf. : Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B (N° Lexbase : A1460RC3) ; CA Versailles, 13ème ch., 14 avril 2016, n° 15/07606 (N° Lexbase : A2709RI8)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

le 21 Avril 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Emmanuelle Le Corre-Broly commente un important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2016, promis aux honneurs du Bulletin qui consacre la possibilité pour le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable de saisir l'immeuble (Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B). Le Professeur Le Corre a sélectionné, pour sa part, un arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles du 14 avril qui revient sur quelques conditions d'ouverture du rétablissement professionnel (CA Versailles, 13ème ch., 14 avril 2016, n° 15/07606).
  • Possibilité pour le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable de saisir l'immeuble (Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B N° Lexbase : A1460RC3 ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4645EUL)

La déclaration notariée d'insaisissabilité soulève de passionnantes questions. Même s'il est question de sa prochaine suppression, l'intérêt des questions juridiques soulevées reste intact dans la mesure où les solutions dégagées en la matière sont, pour l'essentiel, transposables dans le domaine de l'insaisissabilité légale de la résidence principale instaurée par la loi "Macron" du 6 août 2015 (loi n° 2015-990 N° Lexbase : L4876KEC).

La première question tranchée par la jurisprudence a été celle de savoir si le liquidateur judiciaire pouvait vendre l'immeuble objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité lorsque, comme c'est généralement le cas, la déclaration notariée d'insaisissabilité est opposable à certains créanciers du débiteur (les créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement à la publication de la DNI) et inopposable à d'autres (tous les créanciers non professionnels ainsi que les créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement à la publication de la DNI). La Cour de cassation a apporté à cette question une réponse de principe en jugeant que "le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée [...] avant qu'il ne soit mis en liquidation judiciaire" et qu'il en résulte que le juge-commissaire commet un excès de pouvoir à autoriser le liquidateur à procéder à la vente aux enchères de l'immeuble, objet de la déclaration notariée (1).

Ainsi, aux yeux des Hauts magistrats, l'immeuble objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité ne se trouve pas dans le périmètre de la saisie des biens appartenant au débiteur (2). La solution avait été soutenue par un auteur (3) qui considérait que l'immeuble objet de la DNI ne figurait pas dans le gage commun (4) et échappait alors aux règles du dessaisissement, de sorte que le liquidateur n'avait aucun pouvoir sur cet immeuble. En effet, si l'immeuble échappe au dessaisissement, il échappe au pouvoir d'administration et de disposition du liquidateur puisque cet organe ne représente le débiteur que pour autant que ce dernier est dessaisi.

Insistons sur le fait que l'impossibilité pour le liquidateur de saisir et de vendre l'immeuble, objet de la déclaration notariée, suppose qu'existent des créanciers ayant le droit de saisir l'immeuble -créanciers antérieurs à la publicité de la déclaration notariée et créanciers non professionnels- et des créanciers n'ayant pas le droit de saisir l'immeuble -créanciers professionnels postérieurs à la publicité-.

La réponse à cette première question -celle de la possibilité pour le liquidateur de faire vendre l'immeuble objet de la DNI- étant posée, surgit immédiatement une deuxième interrogation tout aussi fondamentale : le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable peut-il saisir l'immeuble objet de la déclaration ?

La doctrine (5) s'était prononcée sur cette question en considérant que, si le bien concerné ne pouvait pas être vendu par le liquidateur, il convenait de reconnaître logiquement aux créanciers, auxquels la déclaration notariée est inopposable, le droit de saisir l'immeuble.

Telle est la solution qui s'évince aujourd'hui d'un important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2016, appelé à la publication au Bulletin.

En l'espèce, la question était de savoir si le créancier, titulaire d'une sûreté réelle, à qui la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire est inopposable, peut faire procéder à sa vente sur saisie et, dans l'affirmative, s'il doit, pour cela, y avoir été autorisé par le juge-commissaire en application de l'article L. 643-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3367ICP).

La cour d'appel avait déclaré "irrecevable" la procédure de saisie immobilière engagée par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité était inopposable et avait ordonné la radiation du commandement aux fins de saisie immobilière. Les juges du fond considéraient que la circonstance que l'immeuble du débiteur ait fait l'objet, avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, d'une déclaration d'insaisissabilité n'autorisait pas le créancier hypothécaire à s'abstenir de saisir le juge-commissaire d'une demande de vente aux enchères publiques en application des articles L. 642-18 (N° Lexbase : L7335IZP) et R. 642-22 (N° Lexbase : L9317IC3) et suivants du Code de commerce. Sur le pourvoi formé par le créancier hypothécaire saisissant, la Chambre commerciale casse l'arrêt d'appel pour violation des articles L. 526-1 (N° Lexbase : L2000KG8) et L. 643-2 du Code de commerce. Cette solution, qui reconnaît la possibilité pour le créancier, auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable, de saisir l'immeuble sans être soumis aux règles propres aux procédures collectives, doit être approuvée sans réserve.

Rappelons, tout d'abord, que l'article L. 643-2 du Code de commerce autorise les créanciers titulaires d'une sûreté spéciale, telle l'hypothèque, à exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la réalisation des biens grevés de la sûreté dans le délai de trois mois posé à l'article L. 643-2 (6). La vente est cependant ordonnée par le juge-commissaire (C. com., art. R. 642-22), de sorte que le créancier doit ainsi être autorisé par le juge-commissaire à faire procéder à la saisie de l'immeuble.

Dans ce cadre, l'action du créancier ne tend qu'à pallier l'inaction du liquidateur, dans l'intérêt collectif des créanciers. En effet, le prix de vente de l'immeuble grevé sera réparti dans le cadre de la liquidation judiciaire et en application des règles de répartition posées en la matière.

Il en va tout à fait différemment lorsque le créancier saisissant est un créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable car, relativement à cet immeuble, ce créancier n'est pas soumis à la discipline collective puisque l'immeuble échappe totalement à l'emprise de la procédure collective. Ce créancier n'a donc pas à obtenir une quelconque autorisation du juge-commissaire pour faire procéder à la saisie de l'immeuble dont le prix de vente n'a pas vocation à être réparti dans le cadre de la procédure collective.

Il a été observé, en doctrine, que les créanciers, auxquels la déclaration notariée est inopposable et qui ont donc conservé le droit de saisir l'immeuble, ne se voient pas appliquer, relativement à l'immeuble objet de la DNI, les grands corps de règles de la discipline collective, dont l'interdiction des paiements et l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution (7). Le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable pourra donc, malgré l'ouverture de la procédure collective du débiteur, obtenir un titre exécutoire, inscrire une hypothèque sur l'immeuble et procéder à sa saisie. Le juge saisi aux fins d'obtention d'un titre exécutoire pourrait être étonné de l'audace procédurale du créancier. C'est pourquoi, dans l'acte introductif d'instance, il appartiendra au créancier auquel la déclaration notariée est inopposable de justifier la recevabilité exceptionnelle de son action, et ainsi expliquer qu'il a conservé le droit d'action contre le débiteur, en tant que créancier ayant conservé le droit de saisir l'immeuble du débiteur. Une fois le titre exécutoire obtenu, ce dernier ne pourra, bien évidemment, être utilisé que pour procéder à une exécution sur l'immeuble objet de la déclaration notariée (8).

Une fois reconnue aux créanciers auxquels la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable, la possibilité de saisir l'immeuble, en étant affranchi des règles de la procédure collective, d'autres questions surgissent, telle celle de la manière dont le prix de vente sera réparti. Un auteur (9) s'est prononcé sur la question en considérant que tous les créanciers auxquels la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable doivent être désintéressés avant que le solde du prix puisse être remis au débiteur ou à son liquidateur. Selon le même auteur, il appartiendra au répartiteur du prix de vente de l'immeuble et de son solde, après paiement des créanciers inscrits sur l'immeuble et ayant conservé le droit de le saisir, ainsi, à notre avis, que des créanciers non inscrits qui ont identiquement conservé le droit de saisir l'immeuble, de tout mettre en oeuvre pour que le prix soit consigné, soit jusqu'à la déclaration de remploi, soit, à défaut, jusqu'à expiration du délai d'un an, qui met fin à l'insaisissabilité du prix de vente.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201)

La procédure de rétablissement professionnel n'a pas, pour l'heure, rencontré le succès qu'en escomptait le législateur. Aussi, rares sont les décisions intervenues en la matière, spécialement au stade des cours d'appel. La décision de la cour d'appel de Versailles du 14 avril 2016 (10) n'en présente que plus d'intérêt.

Selon l'article L. 645-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7248IZH), le rétablissement professionnel est ouvert à tout débiteur, personne physique, mentionné à l'article L. 640-2 (N° Lexbase : L8862INK). Il s'agit de tout professionnel indépendant en activité. Le débiteur ne peut avoir un actif déclaré supérieur à une somme fixée par décret, soit 5 000 euros. L'article L. 645-2 du même code ajoute que la procédure ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a fait l'objet, depuis moins de cinq ans, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel.

Ainsi, au regard du débiteur, les choses apparaissent-elles assez claires et ces conditions semblent bien devoir être interprétées restrictivement.

Encore faut-il préciser que, en application de l'article L. 645-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7256IZR), à tout moment de la procédure de rétablissement professionnel, le débiteur peut ouvrir la liquidation judiciaire, s'il est établi que le débiteur n'est pas de bonne foi ou si l'instruction fait apparaître l'existence d'éléments susceptibles de donner lieu aux sanction prévues par le titre V du livre VI (C. com., art. L. 650-1 N° Lexbase : L3503ICQ et s.) ou à l'application des articles L. 632-1 (N° Lexbase : L7320IZ7) à L. 632-3, c'est-à-dire les nullités de la période suspecte.

Ainsi, les articles L. 645-1 et L. 645-2 du code posent-ils des conditions d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel, cependant que l'article L. 645-9 envisage des cas de remise en cause de la procédure obligeant à son abandon au profit d'une procédure de liquidation judiciaire.

Ces problématiques sont au coeur de la décision de la cour d'appel de Versailles.

La première question qui se posait en l'espèce était de savoir si le débiteur, professionnel indépendant ne disposant pas d'un actif supérieur à 5 000 euros, pouvait bénéficier de la procédure alors qu'il était parallèlement dirigeant d'une société dont la liquidation judiciaire avait été prononcée.

La réponse n'apparaissait pas douteuse à l'examen des conditions d'éligibilité. Certes, le débiteur ne doit pas avoir connu, dans les cinq ans précédant, une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif. Il n'est pas précisé, en l'espèce, si la liquidation judiciaire de la société dirigée par celui qui sollicitait l'ouverture du rétablissement professionnel avait été clôturée pour insuffisance d'actif. Mais qu'importe en réalité. Le texte ne vise pas la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif de la personne morale dont l'intéressé était dirigeant dans les cinq ans précédents, mais la clôture d'une procédure ouverte personnellement contre l'intéressé, c'est-à-dire en tant que professionnel indépendant. Il n'y avait donc, en l'espèce, aucun obstacle à l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel contre l'intéressé et, contrairement à ce qu'avait cru devoir juger le tribunal de grande instance de Nanterre, dont la décision avait été à raison critiquée (11), c'est justement que la cour d'appel de Versailles s'est prononcée en ce sens. Il n'est pas inintéressant de noter, ici, une différence rédactionnelle entre le bénéfice de la procédure de rétablissement personnel et le bénéfice de la purge des dettes de l'article L. 643-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L8934KUG). En effet, pour bénéficier de l'interdiction du droit de reprise de poursuites individuelles, le débiteur ne doit pas avoir connu, dans les cinq ans précédents, de clôture de la liquidation judiciaire, soit à titre personnel, soit en tant que dirigeant d'une personne morale débitrice. Ainsi, l'accès à la procédure de rétablissement professionnel est-il moins exigeant que celui de la purge des dettes de l'article L. 643-11, alors pourtant que le bénéfice économique sera, pour le débiteur, sensiblement le même dans les deux cas : le droit de ne pas payer ses dettes.

Une autre difficulté se présentait en l'espèce. En effet, le tribunal avait relevé que le débiteur avait tardé à demander l'ouverture du rétablissement personnel et qu'il était en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours. En outre, il n'était pas, selon le tribunal, de bonne foi, car il avait omis de déclarer un nom de domaine et un appareil photographique d'une certaine valeur marchande.

Le premier reproche tenait à la demande tardive de saisine du tribunal aux fins d'ouverture du rétablissement personnel et, parallèlement, comme y oblige la loi, d'ouverture d'une liquidation judiciaire. On sait, en effet, que le débiteur, qui demande l'ouverture d'un rétablissement professionnel, doit également solliciter l'ouverture d'une liquidation judiciaire. Si le tribunal ouvre le rétablissement, il sursoit à statuer sur la liquidation judiciaire. La technique a été ingénieusement mise au point par les rédacteurs du décret du 30 juin 2014 (décret n° 2014-736 N° Lexbase : L5913I3E ; C. com., art. R. 645-2 N° Lexbase : L6210I3E) pour contourner l'interdiction de la saisine d'office aux fins d'ouverture de la liquidation judiciaire : si le tribunal met fin au rétablissement professionnel, il peut ouvrir la liquidation sans se saisir d'office puisqu'il aura déjà été saisi de cette demande par le débiteur, en application de l'article L. 645-3, al. 1er N° Lexbase : L7250IZK).

Ce mécanisme procédural a des conséquences sur le fond du droit. En effet, le législateur n'a pas précisé que le débiteur sollicitant l'ouverture du rétablissement doit se trouver dans une certaine situation économique. Mais, puisqu'il sollicite l'ouverture de la liquidation judiciaire en demandant l'ouverture du rétablissement professionnel, il faut nécessairement comprendre qu'il doit en remplir les conditions : être en état de cessation des paiements (12) et ne pas pouvoir se redresser (13).

Au stade de la liquidation judiciaire, le fait de ne pas saisir le tribunal dans les 45 jours de son état de cessation des paiements n'est évidemment pas un cas d'irrecevabilité de la demande. C'est juste un cas d'interdiction de gérer prévu par l'article L. 653-8, alinéa 3 (N° Lexbase : L2082KG9). Encore faudra t-il, depuis la loi "Macron" du 6 août 2015, démontrer que cette omission de déclaration a été faite "sciemment".

Que décider pour l'ouverture du rétablissement professionnel si la demande d'ouverture est faite plus de 45 jours après la cessation des paiements ? On est alors en présence d'un cas visé au titre V du livre VI du Code de commerce, ainsi que l'énonce l'article L. 645-9. A suivre le texte à la lettre, il n'est pas ici question d'ouverture, mais de remise en cause de la procédure de rétablissement professionnel. C'est en ce sens que s'est fixée, dans la présente espèce, la cour d'appel de Versailles, qui estime que le tribunal et à sa suite la cour, saisis d'une demande d'ouverture de rétablissement professionnel, doivent vérifier si le débiteur remplit les conditions posée par les articles L. 645-1 et L. 645-2 au jour où ils statuent, "que les dispositions de l'article L. 645-9 ne sont pas applicables au moment où le tribunal et à sa suite la cour apprécient les conditions d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel".

Cette solution a été précédemment posée par une autre cour d'appel (14). Elle est certes strictement conforme à la lettre des textes, qui distinguent bien conditions d'ouverture et conditions d'abandon de la procédure de rétablissement professionnel au profit de la liquidation judiciaire.

Un autre problème se posait en l'espèce, qui tenait à la mauvaise foi du débiteur. Si celle-ci est avérée, il y a matière, selon l'article L. 645-9 du Code de commerce, à ouvrir une liquidation judiciaire en mettant fin au rétablissement professionnel. Mais que se passe-t-il si le tribunal, lors de la demande d'ouverture du rétablissement professionnel, dispose des éléments pour considérer que le débiteur est de mauvaise foi ? La solution sera rare en pratique. En revanche, si la question se pose devant la cour d'appel, l'instruction du dossier sera, à cette date, suffisante au jour où la cour statuera à nouveau pour que le problème se pose avec toute sa force. Ici encore, la cour d'appel de Versailles, dans une vision littérale des textes, considère-t-elle que la bonne foi n'est pas une condition d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel, la mauvaise foi n'étant qu'une condition d'abandon de la procédure, en application de l'article L. 645-9 du Code de commerce. On mesure ici, au passage, la différence qui sépare le rétablissement professionnel du rétablissement personnel du Code de la consommation, érigeant la bonne foi en condition d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel.

On ne peut évidemment faire reproche à la cour d'appel de Versailles de respecter les textes à la lettre. Pour autant, il faut bien apercevoir que, si au stade de l'ouverture du rétablissement professionnel, le tribunal, et surtout la cour d'appel, disposent des éléments leur permettant d'asseoir leur conviction qu'il y a place à remise en cause de la décision de rétablissement professionnel, on va ouvrir deux procédures au lieu d'une. Où se trouvent le gain de temps et l'économie financière voulus par le législateur, qui a instauré des procédures dédiées aux dossiers impécunieux ? La ratio legis nous semble donc commander une autre solution : si par principe, les cas visés à l'article L. 645-9 ne sont que des causes de déchéance de la procédure de rétablissement professionnel, la juridiction n'en ayant été informée qu'au cours de l'instruction, il n'en va pas de même si la juridiction, au jour où elle statue sur l'ouverture du rétablissement professionnel, sait pertinemment qu'il y a matière à ne pas maintenir cette procédure. La juridiction nous semble devoir s'abstenir d'ouvrir cette procédure, car ouvrir en sachant dès le départ que l'on va dire ensuite que cette procédure n'est pas la bonne n'est guère utile. Nous ne pouvons donc ici que partager l'opinion d'un de nos collègues (15).

En tout état de cause, si la jurisprudence n'ose pas franchir le pas, au regard de la lettre des textes, c'est alors à cette dernière que le législateur devra s'attaquer, car tout cela n'apparaît guère sérieux ! Il serait plus pertinent de faire figurer, au stade des conditions d'ouverture, l'absence d'éléments faisant obstacle au maintien de la procédure.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6407HUT), Bull. civ. IV, n° 109 ; D., 2011, actu 1751, note A. Lienhard ; D., 2012, pan. 1573, note P. Crocq ; D., 2012, pan. 2202, note P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 11, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll. 2011/13, comm. 203, note L. Fin-Langer ; JCP éd. E, 2011. 1551, note F. Pérochon ; JCP éd. E, Chron. 1596, n° 4, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2011. 375, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 412, obs. M. Rousille ; Rev. sociétés, septembre 2011, 526, note Ph. Roussel Galle ; Bull Joly Entrep. en diff., septembre/octobre 2011, comm. 125, p. 242, note L. Camensuli-Feillard ; RDBF, septembre-octobre 2011, comm. 171, note S. Piedelièvre ; Defrénois, 2011, 40083, note F. Vauvillé ; Dr. et patr., novembre 2011, n° 208, 74, note P. Crocq ; Rev. proc. coll., septembre 2011, études 23, note L. Fin-Langer ; JCP éd. E, 19 janvier 2012, Chron., n° 11, obs. Ph. Delebecque ; LPA, 28 septembre 2011, n° 193, p. 11, note G. Teboul ; Dr. et procédures, octobre 2011, p. 234, note F. Vinckel ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 111, note C. Lisanti ; Dr. et patr., septembre 2012, n° 217, p. 102, note M.-H. Monsèrié-Bon ; P.-M. Le Corre, in Chron. Lexbase, éd. aff., 2011, n° 259 (N° Lexbase : N6983BSG).
(2) Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27.087, F-D (N° Lexbase : A8884IER), D., 2012, pan. 2202, note P.-M. Le Corre ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 111, note C. Lisanti.
(3) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2014/2015, n° 562.13.
(4) Le gage commun est celui auquel, en théorie, peuvent accéder tous les créanciers du débiteur.
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 562.13.
(6) L'alinéa premier de cet article prévoit que ce délai court à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. Cependant, lorsqu'est envisagé un plan de cession, ce délai de trois mois court à compter du délai de présentation des offres de reprise prévu par le tribunal en application de l'article L. 642-2 (N° Lexbase : L7331IZK), à condition qu'aucune offre n'ait été présentée dans ce délai (C. com., art. L. 643-2, al. 2 N° Lexbase : L3367ICP).
(7) V. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 562.13.
(8) TGI Grasse, JEX, 20 février 2014, n° 2014/91.
(9) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 562.13.
(10) Nous remercions Maître Thierry Montéran, Avocat au barreau de Paris, pour la communication de cette décision.
(11) TGI Nanterre, ch. proc. coll., 23 octobre 2015, n° 15/00062, Act. proc coll., 2016/1, comm. 3, note crit. P. Cagnoli.
(12) Ph. Pétel, Entreprises en difficulté : encore une réforme !, JCP éd. E, 2014, 1223, n° 21 ; Fl. Reille, Une nouvelle procédure qui n'en est pas une : le rétablissement professionnel, Rev. proc. coll., mars 2014, Etude 22, n° 7.
(13) Fl. Reille, préc..
(14) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 22 octobre 2015, n° 14/24304 (N° Lexbase : A7971NUR), décision aimablement communiquée par Me P. Guetta, Avocat au barreau de Nice.
(15) D. Voinot, Les modifications intéressant la liquidation judiciaire issues de l'ordonnance du 12 mars 2014, Gaz. Pal., 6 avril 2014, n° 96, p. 23 et s., spéc. p. 25.

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